Corps de l’article

« … le virus est la manière dont l’avenir existe dans le présent. »

Coccia, 2020

Il est tôt un vendredi matin grisonnant de la mi-mars et j’enseigne[1] un cours d’anthropologie médicale, tel que je l’ai fait maintes fois, bien que là quelque chose déstabilise. L’atmosphère est lourde, les corridors semblent vides et peu d’étudiants sont présents en classe alors que je cède la parole à notre invité. Sa conférence portant sur les rituels de guérison Zar de l’île de Qeshm (Iran) m’apparaît étrangement pertinente dans les circonstances ; une pratique d’apprivoisement des vents par des rythmes de tambours et plantes aromatiques particulières, entre autres modalités devant stabiliser ou guérir une personne affectée, voire attristée ou perturbée (Jangouk, 2020). Je l’invite à prendre un café à la pause et ma lancée vers l’acte de nous servir est abruptement interceptée par un employé ganté et masqué ; il verse le café dans un verre jetable qu’il nous rend du bout des bras. Je remercie notre invité et retourne vers les quelques étudiants toujours en classe afin de discuter des manières de réaliser leur travail final, hantée par une impression que je n’aurai pas une autre occasion pour le faire en présentiel. L’université fermera ses portes ce jour-là, nous déplaçant en ligne pour les trois semaines restantes de la session et éventuellement pour le restant de l’année et l’année qui suivra. Qu’elle fût là dans sa viralité actuelle, ou non, une nouvelle présence se faisait ressentir ; une présence qui perturbait déjà des actes quotidiens à travers le temps et l’espace, rendant le familier non familier. N’étant pas en mesure de mettre le doigt dessus sur le coup, l’imminence d’une nouvelle viralité rendait des gestes silencieux soudainement bruyants, leurs rythmes usuels déphasés. Cette impression continuera à croître à travers les mois suivants, déconcertant les intimités de manière à la fois apaisantes et agressantes, entre isolements et pratiques de santé publique devenant de plus en plus incontournables.

C’est au coeur de ce crescendo en vague(s) et de ses réverbérations que nous situons notre propos. Alors qu’à cet instar il semble que nous sommes devant une certaine amplification du biopouvoir, il s’agit de laisser respirer certaines questions qui lui échappent systématiquement, voire qu’il exacerbe ou réduit au silence ; soit celles reliées aux coprésences intimes, contagieuses et de contaminations transversales, voire d’écologies affectives ou de puissances involutives (Hustak et Myers, 2020, p. 62)[2]. Sur ce canevas affectif, nous explorons tout particulièrement les attentions portées vers les plantes comme moyen de contrer la présence virale, qu’elles soient celles de molécules reconnaissables par la biomédecine ou celles qui la débordent en amont ou en aval, à savoir comment les unes et les autres sont réifiées, bloquées, déviées, couplées, à proximité ou à distance, rendues silencieuses ou sonores. Nos expériences en (dé)confinement au Québec en lien avec nos terrains antérieurs et actuels auprès de guérisseurs et médecines végétales, principalement au Cameroun et en Colombie, mais aussi par-delà, servent d’enracinements pour penser la complicité, l’intimité de la coprésence et de l’attachement, que l’on peut notamment appeler « devenir plante » (Laplante, 2017 ; Houle, 2011 ; Houle et Querrien, 2012) ou encore « devenir virus » ; une entente viable qui émerge dans l’entre-deux et que nous allons explorer à travers la vague pandémique imminente[3]. Or, que les énoncés et les protocoles de la santé publique, ou des guérisseurs, soient efficaces ou non, vérité ou non, ne fait pas l’objet de cet article. Il s’agit plutôt de sonder comment les coprésences du viral, du végétal et de l’humain se présentent dans le terrain pandémique en actuel déploiement, et surtout, d’imaginer comment ce terrain pourrait se configurer autrement en considérant les puissances végétales, aussi vagues soient-elles, alors qu’elles excèdent et se plient à travers celles virales et humaines, mais « pas seulement »[4].

Ainsi, comment naviguer ou surfer la vague ? Dans une première partie nous abordons l’avènement spatio-temporel graduel et fluctuant d’une vague virale afin de déployer la problématique d’une manière qui puisse nous permettre de saisir, ne serait-ce que de déceler, les changements de rythmes, les tensions et les relâchements dans la mouvance de la vague. Dans une seconde partie, nous nous arrêtons aux blocages, aux tentatives de la santé publique de ralentir, de stopper et de contrôler la vague sur des principes de fermeture de corps et de circulations. La troisième partie ouvre sur des possibilités offertes par la souplesse, le balancement et les agencements. La proposition ultime est celle de se joindre à la vague et au végétal afin de repenser les relations virales en coprésence intime en termes de puissances d’agir potentiellement bénéfiques.

Repos et accélérations : pics, creux, fluctuations et théorisation en vague(s)

Les vagues sont les vibrations, les bordures mouvantes qui s’inscrivent comme autant d’abstractions sur le plan de consistance. […] Chacun s’avance comme une vague, mais, sur le plan de consistance, c’est une seule et même Vague abstraite dont la vibration se propage suivant la ligne de fuite ou de déterritorialisation qui parcourt tout le plan.

Deleuze et Guattari, 1980, p. 308

Je rentre chez moi où j’habite dans un parc-forêt des Pays-d’en-Haut, lieu qui deviendra refuge pour les prochains mois, voire années. Retombant aisément dans des rythmes familiers au sein desquels nous n’étions pas entrés depuis longtemps, on ressent d’abord une pause en lien avec une diminution des services publics, des déplacements et bruits industrieux de l’anthropocène. La sensation de s’occuper des questions environnementales émerge simultanément, le ciel et l’air paraissant plus clairs, le chant des oiseaux plus perçant et percevable. Une impression sinistre persiste néanmoins, quelque chose d’étourdissant, de distrayant, rendant très difficile de se concentrer sur quoi que ce soit. Et rapidement les intensités de la viralité en ligne commencent à augmenter, les vitesses de l’internet prenant de plus en plus de place dans le quotidien. À peine traversée la fin de session universitaire, le cégep reprend ses cours en ligne, les jeunes triplant les superpositions de rencontres virtuelles dans la maisonnée, comme si une centaine de personnes s’y infiltrait quotidiennement à travers les plateformes diverses. Le cantonnement de la quarantaine accentue certaines frontières transpersonnelles et transpécifiques et vient en embrouiller d’autres ; une sorte de contagion latérale qui déborde laissant présager sa puissance à nous maintenir dans le flou et la friction des filets des passages administratifs et logistiques embourbés.

S’ensuit pour ma part le paradoxe de transformer virtuellement un cours de terrain au Cameroun devant avoir lieu en août autour de l’anthropologie des médecines ; tout reconcevoir, en sus d’accueillir de nouveaux étudiants dont les stages internationaux sont annulés, d’autres étudiants empêchés de poursuivre leur terrain à l’été ou devant se tourner vers le devenu non familier sur place, offrant une autre sorte de refuge. Ce déplacement chez un guérisseur Basaa et son équipe de l’Association de recherche en anthropologie des médecines traditionnelles (ARAM)[5] à Yaoundé au Cameroun devient impossible, nous mettant dans la même situation que nos hôtes dont les déplacements outremer sont très restreints, pandémie ou non. Côté Cameroun, le calme relatif semble régner au sein des frontières néanmoins fermées le 18 mars 2020, soit deux jours après la fermeture de celles canadiennes ; les cas sont peu nombreux, et n’augmenteront pas drastiquement dans les mois qui suivent. Cela se passe autrement au Québec ayant déjà plusieurs cas de COVID-19 déclarés, Montréal devenant l’épicentre de la pandémie au pays (La Presse Canadienne, 30 avril 2020)[6]. Au Cameroun toutes les mesures de confinement se relâchent définitivement dès les débuts de juin 2020. Kañaa, guérisseur et fondateur de l’ARAM, où j’ai séjourné en 2018 pour un premier terrain, est habitué à l’imprévisible et au spontané, il en même fait un art en quelque sorte[7]. N’étant aucunement confiné aux réglementations d’une institution distante, sa souplesse en est autant augmentée, l’amenant en quelques cas et quelques mois à établir un protocole viable, tel qu’il me le partage spontanément un jour tout en offrant de la sorte une légèreté bienvenue dans les alourdissements protocolaires pesant sur le quotidien canadien ;

Nous avons reçu le 5ème cas du COVID-19 aujourd’hui, une camerounaise de nationalité américaine de 67 ans environ qui avait du mal à respirer. Elle est venue de Kribi et nous lui avons administré le traitement prévu à cet effet, un anticoagulant[8] accompagné des stimulants thoraciques ainsi que des éléments pour baisser la tension artérielle et sa respiration a repris. Elle aura trois jours de traitement intenses et successifs et nous lui donnerons enfin pour un mois le remède à boire chez elle. Le protocole coûte la somme du remède cueilli dans le jardin de l’ARAM, Julie. Ainsi va la vie. Prends soin de toi.

A. R. Kañaa, communication personnelle, 2 juin 2020

Un mois avant cet échange, étant sous pression chez lui face à l’avènement de la vague, il était surtout troublé par l’incohérence de l’apparition de remèdes contre la malaria, ne voyant pas la relation avec la nouvelle viralité :

Le coronavirus ne saurait être anéanti par un antipaludéen comme la chloroquine, lui n’étant pas paludisme. La chloroquine n’est pas adéquate pour le traitement de cette forme de maladie extra tropicale. […] La forme de traitement que proposent les scientifiques français par la chloroquine peut soulager le mal ; par contre, le traitement l’emmène à continuer à muter. […] Contrairement au paludisme qui est attaqué par le protozoaire dans le foie, quand il attaque les reins, le système nerveux central est attaqué ; c’est en phase terminale qu’il plante les poumons.

A. R. Kañaa, communication personnelle, 3 avril 2020

Il se demande à ce moment-là comment partager son savoir et apporter des solutions à plus grande échelle. Même en contexte camerounais où sa médecine ancrée dans le quotidien vibre en toutes parts, une biomédecine peu performante dans ses infrastructures partielles, peu accessibles ou en décrépitude[9], la met dans l’ombre, la rend muette. Les discussions entourant la COVID-19 ne sont pourtant pas moins spéculatives si l’on demande aux experts biomédicaux reconnus, les circonstances de la nouvelle viralité nous mettant tous au même diapason d’incertitudes.[10] D’autres voies et voix ancrées dans l’expérience et l’expertise avec le végétal et le viral à travers les relations intimes semblent toutes aussi valides, bien qu’elles soient évacuées tant bien que mal par les instances de santé publique. Nonobstant ces mesures, ces médecines de terrain n’ont jamais cessé d’opérer, et surtout pas dans une telle situation d’inconnu.

Alors qu’au départ les parcs forestiers du Québec ont été fermés à la circulation[11], là au Cameroun la forêt à proximité est le lieu où les solutions se trouvent, s’appliquent et s’articulent pour faire fi de la nouvelle présence connue par relations intimes, à l’air ouvert. Se joignant à nous virtuellement à travers le cours, le guérisseur nous partage ses pratiques auprès d’un arbre de la forêt sacrée de Bassinglègè alors qu’il s’affaire à canaliser le passage de vitalités végétales vers un patient, l’arbre pouvant néanmoins le « désavouer » si ce dernier ne s’active pas à son tour dans le sens indiqué par le guérisseur ; impliquant notamment dans ce cas de remédier à ses relations familiales. Lors de l’une seconde session à distance, l’ARAM a confectionné pour nous le mets patrimonial « ikok » des populations Basaa (de tradition Bantou). La préparation de ce mets à base de feuilles de Gnetum sp., concoctées dans l’huile de noix de palme, a servi à exprimer l’importance de l’alimentation vivante, des rythmes de sa préparation, ainsi que des bienfaits du repas. Il a entre autres été question de l’huile de palmiste faisant partie de cette préparation particulière en lien avec le coronavirus ; cette huile, extraite du fruit du palmier selon certaines vitesses et lenteurs d’écrasement au pilon, permet de ralentir la multiplication virale lorsqu’ingérée, le temps d’aller puiser en forêt ce qui peut guérir.

Figure 1

Forêt de Bassinglègè, Cameroun

Note. Julie Laplante, août 2018 ©

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Ceci peut en quelque sorte faire écho à plusieurs remèdes déjà connus actuellement utilisés ou faisant l’objet d’enquêtes dans les pratiques biomédicales veillant à arrêter, ralentir ou amoindrir la toxicité virale ; telle l’hydroxychloroquine, une molécule synthétisée de celle plus versatile de l’arbre Cinchona pubescens, ou la colchichine en provenance du crocus d’automne (Colchicum autumnale) déjà documenté pour ses usages médicinaux, dont contre la goutte, au moins aussi loin qu’il y a 1 500 ans av. J.-C. dans les Papyrus Ebers (Dasgeb et al., 2018), pour n’en nommer que quelques-uns. Ce qui diffère, c’est que ces remèdes biopharmaceutiques sont standardisés sous une formule fixe, alors que ceux de l’arbre vivant participent toujours des processus vitaux actuels du viral-aérien auxquels se joint le guérisseur. Selon le prêtre-anthropologue De Rosny, qui a suivi une initiation de nganga (guérisseur) à Douala au Cameroun sur une période de près de 20 ans, le recours aux « simples » de la forêt est par ailleurs une partie infime du travail du devenir guérisseur et de guérir alors que « la santé de la nature pénètre les organismes épuisés et les refait » (1981, p. 310) ; leur succès relève de « leur manière d’épouser la totalité de l’existence de leurs patients, dont les pouvoirs de la forêt ne concernent qu’un aspect » (1981, p. 311). Ces légitimités ou possibilités sont néanmoins atrophiées ou mises au silence dans une idée de la forêt monospécifique, voire une forêt marchandise ou une forêt satanique ; des termes introduits par Brunois (2004) en se demandant si la forêt peut être plurielle en évoquant les moments successifs de colonisation et de missionarisation qui évacuent la forêt cosmique. Le philosophe Emanuele Coccia note par ailleurs que la plante est atmosphère, voire que la plante et sa structure peuvent « être beaucoup mieux expliquées par la cosmologie que la botanique. » (2016a, p. 146). Ainsi, telle l’impossibilité de comprendre complètement une vague en restant fixe ou à distance, fixer le végétal limite aussi sa compréhension, alors que dans l’un et l’autre cas il faut apprendre ses mouvements, en quelque sorte en s’y agençant avec une certaine lucidité.

L’essentiel retenu de ces échanges lors du cours et de terrains antérieurs auprès de ce guérisseur, est d’ailleurs qu’il mise sur la légèreté, devenir leste, souple, ainsi maximisant les possibilités de correspondances dans l’entre-deux ou latéralement entre les formes de vie, tant celles végétales, minérales, odores, qu’animales et pouvant provoquer une « sensation sonore créant une unité rythmique des sens qui n’est ni cérébrale, rationnelle ou représentationnelle, mais plutôt similaire à une vague qui passe à travers nous, excédant les limites de l’activité organique » (Laplante, 2020, p. 34-35) et devenant cosmique. Cela se fait parfois par la distraction ou par des performances ludiques ou évoquant d’autres traditions bien ancrées dans ces lieux telle que celle du Mvet, une performance théâtrale et sonore.

C’est précisément afin de tenir compte de cette présence virale subtile aérienne et de ses intensifications dans le flux immanent, qu’il semble nécessaire de trouver une approche-vague rigoureuse ou anexacte[12]. La science mineure, nomade ou vague proposée par Deleuze et Guattari (1980, p. 455) paraît utile à cet égard, surtout pour faire fuir les contenus de la science royale, ici celle de la santé publique alors qu’elle strie en excès dans ses tentatives de contenir, retenir, aplatir, voire d’éradiquer la vague. Il ne s’agit pas d’aller à l’encontre de ces mesures, mais de les laisser respirer avec le végétal avant son isolation en molécule. Isoler une molécule, la synthétiser, veille à redonner la vie, mais sans se joindre à elle, « manipulant les choses sans les habiter » (Merleau-Ponty, 1964, p. 1), alors qu’il s’agit bien ici d’habiter le végétal, et la molécule éventuelle s’il y a lieu. En ce même sens, Deleuze et Guattari (1980, p. 512) notent que « …la pensée naît moins avec la pierre qu›avec le métal : la métallurgie, c›est la science mineure en personne, la science « vague » ou la phénoménologie de la matière. » Il s’agit ici de dire que la pensée naît moins avec la molécule fixée qu’à partir du végétal ; la végétalité offre une approche « vague » texturée, à la fois souple et striée, pouvant dans notre cas se rapprocher de celle du mélèze dans ses branchages flous et lestes allant spontanément dans tous les sens.

Figure 2

Approche vague-mélèze, Pays-d’en-Haut

Note. Julie Laplante, août 2020 ©

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Inspirée du nuage viral de Celia Lowe (2010) pour comprendre le devenir H5N1 en Indonésie en 2003, la notion de « vague virale » nous a semblé pouvoir mieux évoquer les montées et descentes, flots et ondes, vitesses et lenteurs qui déversent dans les intimités de l’actuelle pandémie de COVID-19. Tel le nuage, la vague porte « particules, ontologies incertaines, narratifs et rêves apocalyptiques » (2010, p.644), mais elle porte aussi végétalités et respirations dont les rythmes sont perturbés. La vague brasse, amène à la surface ce qui était submergé, dans une puissance et un agencement plus ou moins ample ou serré, se couplant au vent ou s’ajustant aux résistances, sans n’apparaître tout à fait de la même manière à chaque fois[13] (Radio-Canada, 2 septembre 2020). Cette complexité événementielle invite à explorer celle pandémique à partir d’un angle anthropologique dans ses relations et coprésences intimes. À cet effet, une approche anthropologique deleuzoguattarienne permet de penser l’espace lisse et strié[14] (Deleuze et Guattari 1980, p. 450), moléculaire et molaire, celui des respirations et de ses contrôles, sans mesures et mesurables, comme étant une question d’agencements terrestres, mais aussi aériens et sonores, plus ou moins viables selon les branchements. Cela résonne avec Bateson qui note que les avancements de la pensée scientifique viendraient « d’une combinaison d’une pensée stricte et d’une pensée souple, et cette combinaison est l’outil le plus précieux de toute science » (Bateson, 1972, p. 85). Cette combinaison peut encore se comprendre comme étant celle analytique et celle artistique (Bateson, 1958, p. 2), la seconde offrant le ton affectif du vécu auquel nous donnons ici préséance par voeu d’équilibration.

Selon Sampson (2012), aussi en écho avec Deleuze, il existe deux sortes de viralités ; « la viralité molaire qui est endémique aux nouvelles stratégies biopolitiques du pouvoir social, c’est-à-dire, un moyen discursif (et prédiscursif) d’organiser et d’exercer un contrôle via, par exemple, l’imposition extensive de défenses immunologiques généralisées, des techniques de détection d’anomalies, et l’obligation d’hygiène personnelle dans un réseau de sécurité » (Sampson, 2012, p. 5). Le contrôle est ici exercé à travers ces inventions sociales par le moyen d’incertitudes présociales concernant la contamination, ainsi jouant dans les vulnérabilités que ressentent les personnes lorsqu’elles rencontrent la maladie, évoquant à la fois peur ou joie. La seconde sorte, la « viralité moléculaire », représente l’accidentel et le spontané du désir, un flot d’évènements subreprésentationnels qui irradie vers l’extérieur, tel un évènement-désir contaminant : « Cette forme de viralité introduit une question significative à la théorie de la contagion à savoir combien de l’accidentalité du moléculaire peut devenir sous le contrôle organisationnel de l’ordre molaire » (Sampson, 2012, p. 6). Cette seconde viralité est celle que nous voulons aborder plus amplement, justement alors qu’elle échappe à la première, tout en en faisant partie.

Il est crucial de préciser que cette distinction molaire-moléculaire de la théorie de l’agencement ne produit pas une relation oppositionnelle établie entre deux types d’organisation. Il s’agit plutôt d’un agencement dynamique ; le strié/molaire/bios laissant fuir du lisse/moléculaire/zoé, le lisse renouvelant le strié, incessamment. La fixité apparente de la manière molaire d’être n’est par ailleurs pas un état naturel homogène vers lequel tend tout phénomène social ; au contraire, c’est la composition des singularités qui déterminent le tout, mais un tout qui est en continuelle émergence dans un état de flux moléculaire intensif (devenir) (Sampson, 2012, p. 8)[15]. Notre propos en science mineure, nomade, anexacte, mélèze, vague ou moléculaire, touche ainsi simultanément celui d’une science royale molaire qui s’intéresse aux contours et contrôles, mais qui passe aussi latéralement ou à travers des processus mouvants de contaminations affectives. Notre approche vise ainsi à rester collée au vécu, aux conditions de possibilités, aux possibles. Voyons d’abord comment la santé publique et la couverture médiatique s’approprient des contenus, pour ensuite reprendre notre souffle.

Strié ; lignes dures, blocages, constrictions

La « parution » de la nouvelle forme de virus ayant pour origine sociogéographique un wetmarket à Wuhan et pour origine biologique un animal exotique (en double hypothèse et en double exotisation de l’émergence du rhizome viral), a fait l’objet d’une explosion virale sur les médias dès février 2020, déclenchant éventuellement, et avec certaines réticences, l’état d’alarme à un niveau global favorisant la mise en scène de l’appareillage de la santé publique. La sorte d’intervention que nous avons sur une telle échelle est la santé globale incarnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et elle a commencé sa réification, avec tous ses avantages et limites. Ce qu’elle réifie est le corps biologique ainsi que la présence d’une forme de vie virale, lui donne un nom, une structure moléculaire, et le directeur général de l’OMS la déclare éventuellement l’ennemi de l’humanité (OMS 2020)[16]. En effet, ce qui prévaut dans le vocabulaire médical hégémonique relié aux maladies infectieuses et virales, c’est un registre d’attaque et de contre-attaque, une « matrice belliciste » (Bastos, 2020, p. 30) qui fait du sujet viral l’objet d’une guerre et d’une vigilance sans répit, prolongeant les hostilités jusqu’à l’utopie de son éradication ou de l’immunisation technocratique d’une humanité victime et dépourvue d’autres moyens de l’affronter.

L’énonciation de l’ennemi viral et le registre de guerre efface à son tour et par défaut, d’autres savoirs et immunisations provenant de matrices de connaissances et de pratiques souples. Ce qui devient manifeste, ce sont les lignes dures, ainsi que les connaissances et les pratiques subsidiaires d’une telle matrice biomédicale, mais ces dernières ne suffisent pas à faire sens, ni ne peuvent-elles contenir ce qui en déborde. Or, cette viralité du viral n’a pas été neutre ni passagère. Elle a déclenché une réponse immunologique transnationale qui a renforcé la matrice biomédicale occidentale, voire l’a réactualisée en de nouveaux terroirs, alors que les frontières s’évaporaient aux passages des viralités infectieuses et digitales et que d’autres frontières s’érigeaient tout en isolant entités territoriales et vivantes, corps, virus et respirations. Simultanément, les médecines dites « traditionnelles »[17], particulièrement celles usant des parties d’animaux sauvages en Chine, ont été jaugées selon certains patrons de culpabilisation qui renvoient souvent à des présuppositions d’ordre raciales (Bastos, 2020, p. 46). Cette matrice de culpabilisation de l’autre exotisé et blâmé s’étend à d’autres formes de pratiques et connaissances médicinales qui émergent à travers la spectacularité de la vague virale. Elles deviennent muettes lorsque leur reconnaissance doit passer à travers le crible des espaces et les lignes dures/molaires du biomédical global. C’est au nom de cette scientificité que ces savoirs sont qualifiés « d’alternatifs ou complémentaires » ou tout simplement sont déqualifiés sous l’arbitrage biomédical univoque.

La vague est aussi apparue avec l’activité gage du tourisme de masse, notamment les bateaux de croisières. L’incident du Diamond Princess mis en arrêt sur les flots de la côte japonaise et la stratégie de confiner les gens dans leurs cabines a démontré l’augmentation de l’étendue du virus plutôt que sa diminution (Essig et al., 2020), mais tel sera le modèle qui sera répliqué à toute autre éclosion virale en habitats fermés, maritimes et terrestres. Les restrictions pour monter sur le ponton semblaient contre-intuitives, tel que le seront les 15 minutes allouées, pour marcher dehors, aux personnes âgées habitant dans des édifices barrés au Québec. Ces anciennes mesures de quarantaine (Bastos, 2020 ; Foucault, 1988) n’ont pas tenu compte d’autres mesures peut-être plus intuitives, telles que l’augmentation de la ventilation naturelle, encourager les personnes à demeurer à l’extérieur, voire monter des tentes pour y abriter les patients en minimisant la contagion. Cela renvoie aux suggestions procurées par Hobday et Cason (2009) suivant leur étude des pratiques à travers les trois pandémies d’influenza (1918, 1957 et 1968), ainsi que celles touchant les manières de gérer la tuberculose. Ils soulignent que les pratiques d’amener des patients dehors, dans l’air salé et au soleil, semblaient diminuer les intensités virales en contraste avec celles de patients traités dans des chambres fermées ; notant entre autres, de manière peu surprenante, que les cas de pneumonie et d’influenza étaient pires dans les parties mal ventilées des bateaux (Hobday et Cason, 2009, p. S239, S249). Faisant écho à ces préoccupations oubliées, une lettre ouverte signée par 239 scientifiques de 32 pays parue en juillet 2020, soit près de six mois à la suite de l’incident du Diamond Princess, vient alerter l’OMS sur cette question de la circulation insuffisante de l’air pouvant exacerber la présence virale, suggérant, entre autres, de s’assurer de la circulation suffisante d’air propre de l’extérieur dans les édifices publics, les environnements de travail, les écoles, les hôpitaux et les résidences pour personnes âgées (Morawska et Milson, 2020)[18].

Au Québec plusieurs étaient déjà confinés à l’intérieur depuis le début de l’hiver. De nombreux édifices habités avec un système d’air centralisé, même avec un balcon, ne sont pas pensés en termes de circulation d’air frais pouvant traverser les pièces, et les fenêtres sont souvent soit barrées ou leur design est hermétique, devant empêcher les corps de tomber ou de fuir, et maintenant une atmosphère interne sous contrôle barométrique. Le bris du système de ventilation dans le centre d’hébergement Vigi Mont-Royal (Gerbet, 2020) infectant 100 % des personnes y circulant a bien montré la fragilisation de ces milieux. Se préparer pour la pandémie n’était par ailleurs aucunement une question d’aération ou d’ouverture, mais quasi exclusivement de fermeture, de ralentissement, d’étalement dans le temps afin de ne pas surpasser la disponibilité des lits dans les hôpitaux. Le point aveugle aura été les résidences pour personnes âgées, tant celles privées que publiques. Alors que les cas de COVID-19 augmentaient dans ces lieux, ils furent « isolés », mais souvent avec la même personne circulant d’une chambre à l’autre, même d’un centre pour personnes âgées à l’autre, afin d’alimenter les corps peu mobiles et en potentielle incubation ainsi facilitée, accélérant la contagion.

Dans ce processus d’enfermement des corps, les aidants naturels furent exclus ; aucune visite. Il faudra un délai de deux mois pour que le corps biologique traité soit rejoint par ce qui est tout aussi étroitement nommé « santé mentale », comme s’il s’agissait de deux choses distinctes. Quoi qu’il en soit, ce resurgissement tutélaire du biopouvoir qui omet de porter attention aux aspects affectifs, les exacerbe néanmoins. Ceci s’est montré sur le coup alors que le premier décès au Québec a eu lieu dans une résidence pour personnes âgées et qu’il fut blâmé sur la visite de la famille revenant d’un séjour outremer (Pilon-Larose, 2020, 18 mars). L’évènement a donné le ton : les coupables étaient ces relations à long terme très intimes, celles qui inscrivent des traces dans nos tissus corporels. Les pouvoirs de guérison de ces relations mises sur la glace mettent les personnes âgées en péril, mais aussi les travailleurs en santé et leurs familles. Sans ces soins à l’égard de contaminations affectives vitales, les travailleurs en santé sont rapidement débordés. Ces derniers, mais aussi les invisibles, réfugiés, migrants, demandeurs d’asile, vont rapidement devenir très visibles et sonores ; mis ainsi à haut risque de contaminations toxiques cette fois, ce bruit fait du moins émerger l’un des aspects positifs de ce malheur global, alors que de nouvelles politiques pour régulariser leur statut émergent sur la table.

Cela soulève aussi la question de la possibilité de l’isolement, plusieurs n’ayant pas un tel lieu ; « actuellement, la terre est remplie de réfugiés, humain et non humain, sans refuge » (Haraway, 2015, p. 160). Cette vulnérabilité à l’échelle planétaire, cette fragilisation des mondes soit « trop ouverts » (tel dans la rue ou les camps de réfugiés) ou « trop fermés » et homogènes (tels une monoculture, incluant les prisons, les bateaux de croisières ou les résidences pour personnes âgées, pour n’en nommer que quelques-uns), exacerbe la présence virale, créant des tempêtes virales et des instances d’incubation de la souffrance (Bastos, 2020), tout en appauvrissant et prenant de nombreuses vies avec elles. Cet ensemble de procédures univoques et de caractère biopolicial renvoie donc à une facette dominante d’un paradigme scientifique qui n’est autre qu’une manifestation de l’ordre social, plutôt qu’un modèle prouvé d’interprétation d’une maladie singulière (Fassin, 2000, p. 98). C’est bien le biopouvoir, tel que décrit par Foucault (1976), qui se manifeste à plein fouet, un couteau à double tranchant ; un savoir/pouvoir en termes de zoé, la vie du vivant, c’est-à-dire, les modes de reproduction du virus et leur contention hygiéniques, moléculaires au sens strict néo-darwinien et relié au génome ; soit un pouvoir qui politise le bios, la vie en société, à travers les modèles de gestion de la santé publique (Fassin, 2000, p. 111). Ces procédures à l’instar du bios ne sont pas nouvelles : la population est devenue l’objet des régulations biomédicales depuis le XVIIIe siècle et le modèle de la quarantaine n’a pas changé depuis (Foucault, 1988). Le modèle segmente et trace des lignes dures qui correspondent à « une macro-politique de la société pour et par une micro-politique de l’insécurité » (Deleuze et Guattari, 1980, p. 263). Concrétion microbiopolitique et macro biopolitique qui décident de la légitimité des protocoles d’hygiène et de santé publique à suivre, au nom de laquelle d’autres procédures de caractère alternatif pour contrer ou déjouer la présence virale sont mises au silence.

Les protocoles rigides sont basés sur une science qui isole, ferme des objets, systèmes, corps, sachant très bien que ces clôtures ou système dit isolé, « reste soumis à certaines influences extérieures. Elle les laisse simplement de côté, soit parce qu’elle les trouve assez faibles pour les négliger, soit parce qu’elle se réserve d’en tenir compte plus tard » (Bergson, 2009, p. 10). Potentiellement un bien nécessaire pour un moment, l’approche étroite montre rapidement ses défaillances sur une échelle globale et en toute désinvolture au coeur des coprésences intimes maintenant empêtrées de protocoles, d’obstacles, d’interfaces, retenant le souffle à chaque rencontre. La suspension du mouvement et le confinement des corps (mouvements, gestes et actions) n’est pas pour autant un fait incontournable puisqu’à l’intérieur des limites imposées rien ne demeure discret et stable (Lepecki, 2020, p. 5) ; les constrictions ne font qu’animer ou favoriser d’autres dynamiques tout aussi imprévues. Le virus se joint aux flux de l’atmosphère que nous respirons, « le médium même au sein duquel nos vies se mixent et se mélangent » (Ingold, 2015, p. 149). Nonobstant cette réalité vécue, plutôt que des ouvertures, on cumule plus de rigidités, flèches à sens unique, plexiglas, visières, barrières, frontières routières, produits toxiques projetés dans l’air pour « éliminer » la nouvelle présence virale. Ce type de mesures de distanciation sociale crée des « rencontres entre corps qui résulte en une décomposition corporelle des relations, de capacité affective diminuée et de production de tristesse » (Deleuze, 1992, p. 211). Ceci rejoint une politique du blâme, à la recherche d’origine, de cause, délaissant toute préoccupation de la vie comme agencement fluide humain et non-humain ou comme « travail collaboratif connectif » (McLeod, 2017, p. 19), mais aussi plus que cela ; une machine de bien-être menée par la qualité et les (en)jeux de l’équilibre de ces relations en constant changement. Pourtant, cet équilibre relationnel, avec ses (en)jeux et mises à l’épreuve, doit aussi s’accoupler dans un agencement plausible entre approches moléculaires et molaires, que ce soit en gestion d’émergences sanitaires ou en sciences biomédicales.

Dans leur ensemble, les mesures cumulatives augmentant les régulations, restreignant le mouvement de l’air et des personnes allant jusqu’aux couvre-feux, en proposant à la population d’attendre passivement pour que la vague passe ou pour qu’un vaccin devienne disponible, diminuent paradoxalement drastiquement les possibilités pour que les gens se chargent de leur propre existence ou trouvent des manières de vivre avec la nouvelle présence virale dans l’immédiat. Le resserrement et la multiplication continuelle et cumulative de régulations apparaît infinie, agitée, intenable et sur le point de céder ou de s’éroder. Le premier éclat qui perce à travers la vague en furie de la couverture médiatique de COVID‑19 est l’évènement du 25 mai 2020 qui fera tout basculer à l’échelle mondiale, avec la mort insoutenable de George Floyd (Hill et al., 2020) qui détourne l’attention de tous du virus vers le geste policier fatal, comme une remontée massive d’une nouvelle vague qui viendra submerger toutes les restrictions, contrôles et obsessions étouffant la vie au point où elle ne pouvait plus respirer, littéralement et figurativement. Racialisée à son point de départ, la question virale reprend sa tonalité raciale en puissance augmentée, superposant ou surfant la vague virale autrement gérée exclusivement selon les principes de la santé publique qui tentent tant bien que mal de la contenir.

Ouvertures, déblocages, flux

Alors que la vague puissante du mouvement Black Lives Matter (BLM)[19] réussi à surfer sur celle virale en sorte de mer croisée inquiétante qui persiste en déstabilisant les formes policières oppressantes, celle des médecines qui débordent le corps biologique universel et pouvant y être liée demeure silencieuse, hésitante, ne réussissant pas à faire surface dans les médias ni ne préoccupe le mouvement. BLM ne déstabilise aucunement les institutions biomédicales pourtant tout aussi coloniales, s’affairant au contrôle et à la vigilance des corps isolés stoppés dans leurs mouvements. Si par ailleurs on s’imagine « non pas comme être, mais comme devenirs – c’est-à-dire non pas comme entités discrètes et préformées, mais comme trajectoires de mouvement et de croissance » (Ingold, 2013, p. 8), alors c’est la manière à travers laquelle nous entrons en relation qui importe le plus, une question d’écologie et de souplesses (Bateson, 1972, p. 494), de la possibilité de voir, de mouvoir, de respirer, de proliférer la vie dans la rencontre. Comme Bateson le signale au niveau civilisationnel, les espaces fragilisés et rendus trop rigides ou vulnérables sont incapables d’absorber une nouvelle variable (1972, p. 496). Les corps et milieux trop restreints ou rigides, trop ouverts ou trop fermés, deviennent ainsi incapables de maintenir leur agencement de manière saine, en équilibre, laissant ainsi déborder sous pression l’espace lisse, manifestant sa force en correspondance avec la violence de la striation, tel que l’atteste la vague de BLM qui menace toujours de resurgir, voire prend de l’ampleur à l’apparition de chaque nouvelle mesure oppressive touchant une corde déjà sensible. À cet instar, un nouvel éclat perce à travers la couverture médiatique canadienne le 29 septembre avec la mort de Joyce Echaquan, une jeune femme et mère atikamekw décédée à l’hôpital de Joliette au Québec sous de mauvais traitements partagés sur les réseaux sociaux (Ferah, 2020). Une nouvelle vague se joignant à celle BLM, depuis démultipliée en un mouvement agençant Black Indigenous and People of Colour (BIBOC), veillant défaire l’invisibilité autochtone, entre autres.[20] Alors que la question raciale prime pour ces oppressions ressenties, nul ne revendique de manière plus vaste des formes de médecines souples qui ne prêtent pas violence aux corps par fragmentation ou objectification.

Les médecines « traditionnelles » et à la fois tout à fait contemporaines et bien présentes[21], souvent souples et vivantes même si certaines peuvent faire preuve d’une certaine orthodoxie, apparaissent effectivement parallèlement sous divers modes plus ou moins reconnaissables aux vues des mol(écu)arités biomédicales. Ayant échappé à l’attention du nuage viral de Lowe (2010) dans ses manifestations indonésiennes, la médecine jamu javanaise avait par exemple pourtant augmentée dans ses usages afin d’alléger les symptômes de la grippe aviaire en 2003, connaissant aussi une intensification à travers l’Indonésie en lien avec la présence virale actuelle (Dixit, 2020). Cette médecine ancestrale aux airs ayurvédiques semble particulièrement pertinente alors qu’elle s’affaire à traiter un corps fluide de flots et de vents, se préoccupe des lenteurs et vitesses des flots, s’assurant de débloquer les passages et de maximiser les vitalités[22] ; de même les rituels Zar, mentionnés brièvement en introduction de ce texte, se préoccupent aussi des débordements rythmiques, de sons et de vents traversant les corps. Dans le savoir médicinal bantou camerounais, c’est autour de l’arbre que se font certains traitements sous forme de passages de vitalités, parfois pour augmenter la puissance de la personne sous traitement, parfois aussi pour diminuer celle du guérisseur[23]. Cela laisse poindre un travail dans lequel il faut s’engager agilement lorsque l’on s’empare ou accepte ces puissances d’agir des arbres qu’il s’agit alors de canaliser ou de laisser fuir. Ces pratiques ont en commun un travail dans le flux de l’immanence, se couplant avec d’autres formes de vies humaines et non humaines, y incluant celles végétales et virales qui nous intéressent ici plus particulièrement. Elles partagent aussi une souplesse liée aux relations intimes de chaque patient/instance/remède/contexte auxquels elles s’ajustent, visant un équilibre soutenable des relations ; un travail moins intentionnel qu’attentionnel ou transversal.

Ces manières de penser et de travailler les corps latéralement font écho aux propositions de Spinoza qui apporte une distinction entre « affectio », comment les corps se mélangent et laissent des traces d’eux-mêmes les uns dans les autres, et « affectus » (passions ou affects) de corps qui augmentent (joie) ou diminuent (tristesse), bénéficient ou réduisent sa puissance d’agir (2002, p. 82). Deleuze et Guattari précisent qu’« aux rapports qui composent un individu, qui le décomposent ou le modifient, correspondent des intensités qui l’affectent, augmentant ou diminuant sa puissance d’agir, venant des parties extérieures ou de ses propres parties » (1980, p. 314). Ainsi « Sur le plan de consistance, un corps se définit seulement par une longitude et une latitude : c’est-à-dire l’ensemble des éléments matériels qui lui appartiennent sous tels rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur (longitude) ; l’ensemble des affects intensifs dont il est capable, sous tel pouvoir ou degré de puissance (latitude) » (Deleuze et Guattari 1980, p. 318). La sorte de corps auquel réfère Spinoza en est un non-anthropocentrique composé de plusieurs corps individuels et les corps se distinguent les uns des autres en fonction de mouvement et de repos, de vitesses et de lenteurs, et non par raison de leur substance (2002, p. 75). Cela correspond aussi notamment au corps sans organes (CsO) deleuzoguattarien[24]. De cette manière, un corps peut être hétérogène ; « même une onde sonore peut être comprise comme étant un corps, en ce qu’elle est composée de relations dynamiques de mouvement et de repos (c’est-à-dire le mouvement de particules d’air ou un autre médium dans un patron particulier) et a une certaine capacité pour la modification (par exemple, d’autres sons et vibrations) » (Thompson, 2017, p. 48). « Le resserrement et la dilation du corps peut se comprendre en termes d’affects tristes ou joyeux – un son qui resserre (détresse) négativement nous affecte et un son qui dilate (réjoui) positivement nous affecte, bien que le résultat demeure imprévisible » (Deleuze, 1988, cité dans Simpson, 2009, p. 2568). Dans ces approches, l’affect est ainsi un champ modulatoire entier et vital de myriades de devenirs à travers le vivant, un plan en vagues à travers lequel plusieurs chamanes et guérisseurs s’agencent habilement.

C’est à partir de cette notion d’affect que Deleuze (1992, p. 12) s’oppose au pouvoir (celui que le prêtre, le psychanalyste, le juge, ou encore le médecin, peut posséder de par leur statut) puisqu’’il encombre et divise, prend en charge, allant ainsi à l’encontre du désir et de l’effort (conatus) de persévérer dans l’existence en diminuant la puissance d’agir de celui qu’il veut guérir. En d’autres termes, ils doivent attrister la vie afin d’exercer leur pouvoir sur les actions des autres vivants ; par exemple le prêtre ou le médecin le fera respectivement par la culpabilité et la peur. Dans la gestion de la pandémie actuelle, la santé publique joue notamment sur la peur virale ainsi que sur la passivité des corps dans ses mesures de contrôle ou de diminution de puissance d’agir. A contrario, les pratiques médicinales évoquées ci-haut et celles qui suivent, visent explicitement à augmenter la puissance d’agir, le guérisseur camerounais travaillant par exemple par surprise, distraction ou d’autres pratiques ludiques. C’est là où les déblocages et les ouvertures ont lieu, dans cette sorte d’animation vitale qui émerge d’une mise en relation entre des entités, corporalités ouvertes et sans organes.

En ce même sens, et en se basant sur une approche souple en biologie moléculaire très actuelle, Giraldo Herrera (2018) note que les chamanes colombiens se contaminaient volontairement aux présences microbiennes, en l’occurrence celles de la pandémie de syphilis, afin de les connaître, de les orienter, voire de les dévier afin de trouver des relations viables et non toxiques pour les guérir[25]. Ainsi ce que les colons catholiques ont voulu traduire par « esprits », pouvait tout à fait constituer de réelles perceptions accrues permettant de visualiser ou de ressentir ce genre de présences (Giraldo Herrera, 2018, p. 44). Giraldo Herrera (2018, p. 186) argumente d’ailleurs que ce n’est que suite à cette rencontre avec des chamanes qu’émergea la théorie de la contagion, qui serait donc en provenance de ces savoirs développés par coprésences intimes auprès de chamanes à l’époque coloniale. Au niveau relationnel humain-virus, la pandémie de syphilis aurait participé d’un moment extrêmement artistique, l’infection circulant dans les tissus du corps sur plusieurs années « comme si elle suivait toutes les routes possibles de somatisation qui affectent les facultés les plus prisées par son hôte ; l’oreille de Beethoven, les yeux de Van Gogh, Baudelaire, et Maupassant : les nerfs et la parole de Nietzsche ; la peau, os, articulations, coeur, respiration et l’estomac de la belle servante » (Hayden, 2003, cité dans Giraldo Herrera, 2018, p. 194). C’est donc de dire que les microbes s›expriment par les sensibilités affûtées de leur hôte ; les comprendre par un ressenti accru est certes un cheminement légitime afin d’en saisir les subtilités. Cette imprégnation en soi de la constitution de mondes microbiens permet de saisir l’ampleur et la valeur de l’engagement des chamanes en quête de voies de navigation d’une maladie par coprésence intime avec l’entité qui fait irruption dans un corps.

Il y a pour autant davantage qu’une navigation (com)prise par imprégnation ou transmise par les canaux latéraux et rhizomiques de la contagion : chez les taitas kofán[26] du sud de la Colombie, cette expédition vers la connaissance de la nature d’une coexistence avec une entité à l’origine d’une maladie se fait à travers une décoction de lianes appelé uf’a ou yajé, soit le remède fait à partir d’ayahuasca (Banisteriopsis caapi).

Le yajé est notre science, il est le livre de la jungle sacrée du Putumayo à travers lequel nous étudions les étoiles, le monde et tous les êtres qui l’habitent, tout comme le corps humain est un monde qui peut être habité par une autre multitude d’êtres et d’élémentaux

D. D. Queta, communication personnelle, 7 août 2017[27]

La plante-livre ou la plante-science sert ici de médium afin de connaître, par le biais cette fois-ci de l’ingestion du breuvage élaboré, ce qu’une coprésence bactérienne ou virale peut vouloir dire ou bien vouloir faire. L’amplification sensible d’une altérité vivante à l’échelle micro n’implique pas, dans ce cas-ci, le fait de se frotter à une texture, de la conduire par les canaux d’une sensibilité prodigieuse ou de l’incorporer à soi, mais plutôt une médiation amplifiante, puisque le livre-liane permet de faire un scrutin minutieux de ce que cette forme de vie met à l’oeuvre. La médiation par (in)gestion ouvre et débloque la sensibilité du taita et lui permet d’accéder à l’autre, de le toucher à distance et de déceler l’intensité des forces qui pèsent sur lui, tout en augmentant les vitalités et les puissances d’agir du vivant.

Alors que les plantes médicinales des taitas kofán poussent, s’étendent et s’entrelacent en milieu sylvestre ouvert, soit la forêt tropicale humide, ils privilégient la guérison des malades en milieu forestier plutôt que dans les resserrements, cantonnements et congestions propres aux espaces urbains, puisque les plantes qui favorisent la communication dans l’entre-deux des mondes amènent avec elles la poussée vitale de la jungle et de ses rivières. Ceci établit donc une analogie puissante entre le corps et l’environnement, le breuvage favorisant l’amplification de cette sensibilité qui enracine et entrelace la plante à l’intérieur d’un corps sans organes, en puissance involutive (Hustak et Myers, 2020, p. 62) avec les forces qui l’habitent.[28] Or, la liane devient métonymie et médium de ces puissances forestières, rétablissant un flux vital à l’image de la vitalité de rivières et forêts du milieu amazonien. Dès lors, le corps sans organes est ainsi purgé de densités, congestions et blocages reliés à des entités ou à des forces qui l’habitent. Penser cet emprunt ou transfert de vitalité écologique et végétale (d’une plante-milieu vers un corps-milieu) chez le « peuple du yajé » (A’i Uf’a), est indissociable d’une vision du monde comme étant intrinsèquement interreliée plutôt que fragmentée ou étanche. Ceci dit, c’est dans la mesure où le taita rétablit le flux communicant et toujours changeant qui a lieu entre le vivant et son milieu (interne et externe dans une imbrication inséparable) que l’équilibre relationnel et ouvert peut se refaire à nouveau pour un humain qui baigne, inévitablement, dans et avec le(s) monde(s). Ceci devient possible avec l’intermédiation des plantes dont il se sert pour rétablir les flux élémentaires de la vie dans et à travers les corps.

Ces modes de coprésence chamanique avec les formes de vie microbiennes ou avec la puissance des plantes, nous inspirent à concevoir autrement les dynamiques biosociales, ainsi que les approches aux maladies spirituelles, virales ou microbiennes. Chez les taitas, les agents pathogènes sont perçus comme des êtres ou esprits chamaniques qui coexistent avec les personnes et qui peuvent agir de manière prédatrice les uns sur les autres, et ce, en lien avec des perturbations d’ordre environnemental, comme c’est le cas chez les Yanomami du Vénézuela (Giraldo Herrera, 2018, p. 67). Ce n’est donc pas en opposition avec ces esprits que les guérisseurs et les plantes peuvent guérir un désordre quelconque, mais en entrelaçant certains types de coprésences, de négociations et d’alliances. L’humain, tout comme les animaux et les plantes, constitue un milieu composite, un biotope dynamique, à l’image d’un écosystème fluvial ou forestier avec ses macro et microbiotes singuliers, ce qui invite d’ailleurs à penser à ces biotopes dans lequel nous habitons, à leur constitution et à leur inscription singulière qui d’une certaine manière nous marque très profondément. Cette épistémè de coprésences biodiverses, ouvertes et plongées réciproquement les unes dans les autres, met en lumière ce(ux) qui dans l’immédiateté des affects, les entrelacements et les cheminements partagés, peu(ven)t re-composer autrement le vivant en amont de la vague virale.

Figure 3

Canopée du Putumayo, Colombie

Note. Daniel Alberto Restrepo Hernández, juillet 2017 ©

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Co-inspirations[29] végétales et élémentaires

Alors que les rivières coulent dans les milieux de vie forestiers tropicaux, en analogie des vaisseaux sanguins ou des nervures des feuilles des plantes, la forêt de Bassinglègè au Cameroun et la jungle du Putumayo en Colombie nous proposent un enjeu forestier, à la fois métabolique, écologique, cosmique et vital. Cela touche la question des approches souples, ouvertes et relationnelles qui fleurissent en marge des lignes dures tracées par la matrice biomédicale actuelle. Ce contraste, entre forêts médicinales et cartographies aux constrictions protocolaires, est évident dès le départ de la crise pandémique alors que le printemps s’annonçait déjà : la vie en réveil printanier éclatait en bourgeons alors que la pandémie se traduisait en frontières, barrières et interfaces, comme en prolongement de l’hibernation saisonnière. Maintenant, lors d’une énième vague, les vaccins promettent d’affaiblir cette immersion en vagues virales, mais les étouffements et les constrictions semblent être plutôt un symptôme de notre temps actuel. À chaque inhalation et exhalation, l’air que l’on respire, que ce soit derrière un masque ou non, est devenu le domaine d’une dispute globale contre des ennemis invisibles (virus, bactéries, champignons et mutations et pollutions de tout acabit) et, en conséquence, l’arène potentielle d’une biopolitisation croissante.

Pourtant, loin de creuser dans les lignes d’un dualisme deleuzoguattarien (lisse/strié, moléculaire/molaire, etc.) ou de proposer une voie optimale pour vivre avec le viral, ces questions nous invitent à prendre en considération, et en guise d’équilibre flexible, une connaissance non hégémonique qui semble s’être noyée au passage spectaculaire des vagues virales médiatisées. Sous les canopées de ces forêts tropicales, tout comme dans les instances en plein air du milieu boréal canadien, les (en)jeux vitaux de toute une écologie de la vie à multiples échelles, en allant du micro jusqu’au macro, permettent de penser autrement à la question de la vitalité et à l’importance d’un souffle vital partagé, sans formes contenues et en tant que condition de possibilités même du vivant :

Il faut prêter attention à l’unité d’un corps vivant : les organes ne sont pas simplement juxtaposés ni ne sont matériellement liquéfiés l’un dans l’autre. S’ils constituent un corps, c’est parce qu’ils partagent le même souffle. De même pour le cosmos : être dans le monde signifie toujours partager non pas une identité, mais un même souffle (pneuma) (…). C’est ce que nous exprimons lorsque nous parlons d’une même atmosphère pour indiquer la forme d’intimité et d’unité qui règne dans un espace, ou d’un air de famille à propos d’une collection d’éléments qui n’est pas la simple combinaison d’objets disparates.

Coccia, 2016b, p. 126

Le souffle ne peut être pensé en confinement alors que les respirations se cantonnent devant le risque paradoxal d’attraper une virose caractérisée par le symptôme ou le syndrome du manque d’air. L’atmosphère demeure toujours cet espace hanté et potentiellement habité par la différence et par l’autre humain dans ses assemblages vivants-meurtriers avec le non humain, le terroir où bactéries et virus étendent l’invisibilité et l’opacité de leur potentiel de transmissibilité, en deçà et par-delà les corps, les respirations, les espaces et les ères de l’involution de la vie sur Terre. Pourtant, « Nous faisons rhizome avec nos virus, ou plutôt nos virus nous font faire rhizome avec d›autres bêtes. » (Deleuze et Guattari,1980, p. 18) Devant ce rhizome et ses zoonoses, les plantes offrent des possibilités à des coprésences viables pouvant à nouveau faire rhizome.

D’après Emanuele Coccia, le monde a la consistance d’une atmosphère et ce sont les feuilles qui peuvent en témoigner (2016, p. 36). Tel que l’avait souligné Goethe, la plante est avant tout feuille (1831, p. 97), et « la feuille est la forme paradigmatique de l’ouverture : la vie capable d’être traversée par le monde sans être détruite par lui » (Coccia, 2016a, p. 42). Dans cette approche, « penser les plantes signifie penser un être-au-monde qui est immédiatement cosmogonique » (Coccia, 2016a, p. 57). Coccia, dépasse donc les approches de niches écologiques ainsi que l’idée de l’Umwelt de von Uëxkull qui évoque la bulle à savon devant limiter les mondes, pour plutôt poser les plantes comme souffle de tous les êtres vivants. Or…

Respirer signifie être plongé dans un milieu qui nous pénètre au même titre et avec la même intensité que nous le pénétrons. Tout être est un être mondain s’il est immergé dans ce qui s’immerge en lui. La plante est ainsi le paradigme de l’immersion.

Coccia, 2016a, p. 73

L’image de l’immersion respirante, animée et parcourue d’un souffle vital nous rappelle que le vivant ne peut être conçu à long terme en casernement ou dans l’enclos d’une bulle immunologique. Respirer, tant pour l’être humain que pour les plantes et les animaux, est un acte qui incorpore dans le vivant tout une écologie globale de relations. Michael Marder (2020) propose une ligne de réflexion analogue avec l’idée de « penser-plante », qui renvoie à penser dans « un entre-deux de croissance, la place du milieu ou le milieu, ensuite formalisé en environnement. En un sens, la pensée-plante est la pensée environnementale » (Marder, 2020, p. 131). Cela colle aussi à la question virale, invitant ici à la traverser dans un même souffle, sans tenter de la comprendre en l’isolant, la confinant ou la réifiant en objet, ennemi ou système clos contre lequel se battre. Penser le monde par les plantes, tel que le propose Coccia (2016) et en résonance avec les multiples médecines « traditionnelles » déjà exposées, permet a contrario de comprendre la vie comme circulation et mouvement de ce(ux) qui la compose(nt), un mélange qui définit l’état de la fluidité. Tout cela correspond au monde « sans choses » ou « sans objets » de Ingold (2015), à l’espace lisse de Deleuze et Guattari (1980) ; « le monde en immersion est fluide, se définissant comme élément ou flux s’approchant, s’éloignant ou accompagnant le vivant, lui-même flux ou partie d’un flux » (Coccia, 2016a, p. 47). Si se mélanger sans se fondre signifie partager le même souffle, si la vie est ce souffle, alors toute l’attention se tourne vers sa qualité, sa densité, sa fluidité.

À la recherche de solutions à la viralité, la mise en attente du monde est un processus d’arrêt de la vie, en vue d’une éventuelle reprise. Dans le domaine des laboratoires émerge le cas des plantes et des molécules qui leur sont extraites dans des procédures qui tendent à les éclipser ou à les mettre à l’ombre ou dans la superstition. Bateson illustre par ailleurs la circularité endormante de la quête de molécules en évoquant l’exemple de passer toute une vie à chercher à comprendre le principe dormitif de l’opium pour répondre à la question à savoir pourquoi l’opium endort (1972, p. xx). L’alarme sonnée autour du nouveau virus accélère et multiplie cette quête, alors que l’hégémonie des pratiques biomédicales n’est aucunement menacée, mais plutôt renouvelée dans son pouvoir d’entraver et d’attrister davantage, quoiqu’offrant l’espoir d’un répit prospectif en attendant la découverte d’un remède ou vaccin officiel, et une éventuelle immunité collective. Ses plongeons vers l’extraction d’une molécule pour en vérifier l’efficacité contre une viralité se démultiplient de toutes parts, sans qu’autant d’efforts ne soient alloués aux relations affectives, aux possibilités de respirer. L’isolement se joue donc à maints niveaux, passant de la molécule extraite à des préoccupations pour des corps viraux ou humains aussi extraits de leurs contextes, alors que c’est bel et bien à leurs rencontres viables situationnelles que l’on s’intéresse ultimement.

De ce fait, il est question donc d’imaginer un équilibre qui implique de se joindre à la vague virale, moins pour tenter de la capter, clore, contrôler, que pour apprendre à la naviguer, d’où l’importance vitale de nombreuses pratiques médicinales souples qui émergent grâce à ou malgré les réticences de la santé publique dans le contexte de cette pandémie actuelle. Le corps biologique universel clos n’existant nulle part, les approches microbiopolitiques ou celles d’écologies affectives invitent à s’intéresser aux échanges latéraux contagieux continuellement négociés et négociables, exigeant dilation plutôt que constriction afin de céder la place à la créativité et à l’improvisation. C’est d’ailleurs la fragilisation de ces écologies en monocultures, ici celles humaines contraintes, enfermées et homogènes, qui offre un terrain fertile aux vitalités virales. L’aération du souffle vital et les plantes offrent par contre un ensemble de potentialités co-inspirantes permettant de surfer la vague.