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INTRODUCTION

À l’été 2020, les responsables d’Éducation et francophonie m’ont approché en vue de rédiger un historique de la revue pour le 50e anniversaire de celle-ci. Après avoir discuté sur ce qui était réalisable en moins d’un an, surtout en période de confinement sanitaire, c’est avec grand plaisir que j’ai accepté de relever le défi. Un regard rétrospectif sur l’évolution d’Éducation et francophonie est doublement important, car s’il permet d’apprécier le chemin parcouru depuis 1971, il devrait aussi mettre en lumière de nouvelles avenues à explorer par la revue.

Les pages qui suivent présenteront un bref contexte historique de l’ACELF et de la revue, lequel nous amène à nous questionner sur l’évolution de cette dernière au fil du temps. Nous expliquerons ensuite la méthodologie suivie pour constituer nos données. Celles-ci seront ensuite présentées et discutées afin de présenter un portrait global des cinquante premières années de la revue Éducation et francophonie.

Le nom de la revue ayant changé à quelques reprises – Revue de l’Association canadienne d’Éducation de Langue française (1971 à 1988), Éducation et francophonie : revue d’éducation des communautés francophones canadiennes (1989 et 1990) et Éducation et francophonie (depuis 1991) –, nous avons choisi d’utiliser ce dernier titre pour plus de commodité.

Contexte historique

L’Association canadienne d’éducation de langue française[1] (ACELF) voit le jour le 23 novembre 1947. Elle se fixe comme objectif « de coordonner une action collective », dans le but de créer un lieu de partage et d’échange des ressources pédagogiques et institutionnelles en éducation (Lang, 2007, p. 3). De nos jours, sa mission s’inscrit dans le cadre même de la politique canadienne, qui veut faire du Canada un pays où les communautés minoritaires francophones peuvent s’épanouir pleinement. Dans cette optique, l’Association vise notamment à accompagner « les intervenantes et les intervenants en éducation de langue française du Canada pour renforcer leur pouvoir d’action et leur leadership dans le but d’aider les jeunes à faire une place significative à la langue française et à la culture francophone dans leur vie » (Association canadienne d’éducation de langue française [ACELF], 2022). Pour atteindre son objectif, celui d’une « construction identitaire francophone » canadienne, l’ACELF a conçu, au fil du temps, divers outils et publications, ainsi que des programmes. Parmi ceux-ci, notons la revue Éducation et francophonie, qui occupe une place particulière et constante[2].

Création de la revue

C’est au cours du congrès annuel de l’ACELF, en 1970, qu’est lancée l’idée de publier une revue consacrée aux questions d’éducation. Cette publication se veut alors la réponse à une demande, à un besoin ressenti par les participants. Il faut attendre seize mois pour que l’ACELF formalise et finalise le processus de mise en place de sa nouvelle revue d’éducation. Monseigneur Louis-Albert Vachon, président de l’ACELF, signe la présentation du premier numéro en décembre 1971 et précise que cette nouvelle revue va répondre à un besoin « de communication, d’information, de rayonnement ». (Revue de l’ACELF, vol. I, no 1, p. 1). La publication est perçue par ses instigateurs comme un instrument pour aider à suppléer aux problèmes de communication, en raison des distances, qui séparent les individus et les communautés francophones à travers le pays : « La revue suppléera à cet inconvénient. Elle sera comme une tribune qui ira rejoindre tous les membres et les amis de l’ACELF, chacun chez soi, dans son milieu, en plein coeur de ses problèmes et de ses activités de tous les jours » (Revue de l’ACELF, vol. I, no 1, p. 1).

En 2007, Stéphane Lang divise l’histoire d’Éducation et francophonie en deux grandes périodes, dont la ligne de césure se situerait en 1988, un choix qui repose essentiellement sur une déclaration de principe présentée par le Secrétaire général de l’ACELF dans le numéro de décembre 1988 : « En effet, la Revue poursuit et renouvelle son élan dans l’espace francophone en revêtant le caractère d’une revue scientifique, humaniste et multidisciplinaire » (Éducation et francophonie, vol. XVI, no 3, p. 4).

Bien que nous adhérions au principe de deux grandes périodes historiques, nous différons d’opinion quant à la date de la coupure, que nous situons plutôt en 1996 et non en 1988. Le point de vue de Lang néglige le fait qu’il a fallu presque une décennie pour appliquer les nouveaux principes et compléter ce « virage scientifique ». En effet, il faut attendre 1995 pour que « le concept de revue communautaire distincte d’une revue « professionnelle », notamment par la publication des actes du congrès annuel, soit abandonné (Éducation et francophonie, vol. XVI, no 3, p. 4).

À compter de 1996, grâce au soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), la revue devient accessible en format électronique. L’année d’après, des chercheuses et des chercheurs d’Europe et d’ailleurs commencent à publier dans Éducation et francophonie, ce qui lui permet de concrétiser l’un des souhaits exprimés dans ses lettres patentes de 1968 : « entretenir les relations avec les collectivités canadiennes, internationales ou autres et collaborer avec elles en ce qui concerne l’éducation et la culture d’expression française » (Fonds de l’ACELF, C156, boîte 40, Bulletin de l’ACELF, 2e série, nos 9 et 10, avril-mai 1972).

Tous ces éléments contribuent non seulement à faire passer Éducation et francophonie du statut de revue de lutte politique à celui d’outil pédagogique, mais aussi de revue nationale canadienne à celui de revue internationale. La question qui se pose maintenant est de voir comment elle évolue au fil du temps et quelles sont les tranches chronologiques qui se dégagent de l’observation des thématiques abordées.

L’étude sur laquelle repose le présent texte étant une première, ses objectifs sont modestes. En effet, elle cherche à tracer l’évolution que suit Éducation et francophonie au cours de son demi-siècle d’histoire. Après un premier examen de l’ensemble des numéros publiés, nous constatons qu’Éducation et francophonie passe du statut d’une revue de lutte liée de très près à celle de l’ACELF pour la défense de l’éducation française au Canada à celui d’une revue scientifique moderne et ouverte sur le monde, et qui se concentre sur l’action pédagogique, et ce, en français. Notre étude se limite donc à porter à un regard global, principalement à travers les thèmes abordés au fil de chaque numéro.

MÉTHODOLOGIE

L’étude d’un imprimé tel qu’Éducation et francophonie s’attache généralement à deux grands aspects : le contenu, c’est-à-dire la ligne éditoriale, et le contenant (ou matérialité) du produit. Les différentes variables appréhendées, tant éditoriales que matérielles, seront analysées sur le long terme en s’appuyant sur des données statistiques. En raison de l’absence de recherches sur Éducation et francophonie, nous avons parfois dû surexploiter le peu d’études recensées. Aussi, l’essentiel de la base documentaire repose sur deux tableaux généraux[3] constitués à partir de diverses informations tirées de tous les numéros de la revue.

Le Tableau 1 se présente comme suit :

Tableau 1

Tableau général sur Éducation et francophonie

Tableau général sur Éducation et francophonie

* Incluant les sections « présentation » et « liminaire ».

** M = Maritimes, Q = Québec, ON = Ontario, O = Ouest, AF = Afrique, EU = Europe, AU = autres.

Note : La première colonne sert à compter le nombre de numéros publiés. Les informations pour chaque numéro sont regroupées sur une même ligne. Des débuts jusqu’à l’automne 2020, cela donne 124 lignes ou numéros (dont le contenu se retrouve sur 13 pages). Ce tableau, complété par d’autres informations ponctuelles glanées ici et là dans différents numéros, permet de dresser un portrait de l’évolution matérielle de la revue. La cinquième colonne, « thème », sert quant à elle à l’analyse du contenu de la revue.

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Le Tableau 2, beaucoup plus volumineux avec ses 278 pages, recense les 1 302 personnes ayant contribué à un texte publié dans la revue. Il se présente comme suit :

Tableau 2

Autrices et auteurs de textes

Autrices et auteurs de textes

* Ce critère sert à établir l’origine géographique de la personne.

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En complément avec certaines informations du premier fichier, ce dernier tableau contribue à dresser un portrait assez clair et nuancé de l’évolution des caractéristiques sociales et professionnelles des autrices et des auteurs publiés dans Éducation et francophonie.

LE CONTENU ÉDITORIAL

Les thèmes abordés dans la revue au cours de ces cinq premières années d’existence – « Pour un Canada français autodéterminé », « Le Québec et les minorités », « Le Canada et la francophonie » (un numéro publié à la veille de la Superfrancofête tenue à Québec en 1974), « Histoire et conscience collective » et « Les arts porteurs de la culture » – montrent une revue (et, par ricochet, une association) qui cherche ses repères et sa place sur l’échiquier politique canadien. Cela ne l’empêche pas d’aborder des sujets à saveur politique tels que la question syndicale, l’enseignement supérieur et « La dynamique de l’enseignement ».

Le jalon suivant compte les numéros des années 1977 et 1978. Ceux-ci abordent des sujets politiques. Ils se consacrent principalement à des études commanditées par les gouvernements (fédéral et provincial), dans le but de dresser un portrait de l’état de l’éducation en français dans chaque province canadienne, ainsi que celui de l’anglais au Québec, et de présenter « un plan de développement de l’éducation française au Canada » (Éducation et francophonie, Vol VII, no 2). Au cours de la décennie suivante (signalons au passage qu’en raison de problèmes financiers, la revue n’est pas publiée pour la période 1984-1985), qui est le troisième jalon d’Éducation et francophonie, la revue s’intéresse à d’autres thèmes touchant le monde de l’éducation tout en ayant un oeil sur les questions politiques et juridiques concernant les droits linguistiques et la gestion scolaire des minorités au Canada. Par exemple, un numéro est consacré à « L’enfant dans la cité de demain » et un autre à l’égalité linguistique, le « vivre en français ».

Avec le virage entrepris en 1988, et selon les thèmes abordés jusqu’en 1995, le quatrième jalon historique de la revue est marqué par une phase de transition. On assiste alors à un changement majeur avec des sujets tels que « Vers une solidarité internationale », « L’école communautaire », « Femmes et éducation », « Littérature et éducation » et « Inforoute et éducation ». Plusieurs thèmes sont à double préoccupation, tel le développement de l’informatique et de l’Internet en lien avec l’éducation. À compter de 1996, son virage scientifique étant bien ancré, Éducation et francophonie se concentre désormais sur les questions pédagogiques, au sens large, ce qu’illustre clairement la liste des thèmes abordés dans chaque numéro. Il serait intéressant qu’un examen de ce cinquième jalon historique, qui constitue en même temps la deuxième grande période de vie de la revue puisqu’elle couvre la moitié de son demi-siècle d’existence, soit réalisé par des experts en pédagogie. Cela permettrait sans doute d’y découper des sous-périodes thématiques.

En somme, l’examen numéro par numéro que nous avons réalisé montre qu’Éducation et francophonie connaît deux grands temps historiques distincts. La première période, marquée par les questions politiques, fait voir une revue de lutte et de revendication dans le domaine de l’éducation en faveur des francophones minoritaires au Canada. L’autre grande période, amorcée au milieu des années 1980, mais surtout après 1988 avec le « virage scientifique », est résolument tournée, à partir de 1996, vers les questions pédagogiques. Il est aussi possible d’observer que, depuis ses débuts et jusqu’à aujourd’hui, la revue a réussi, en adaptant son contenu, à répondre aux préoccupations du moment dans le monde de l’éducation, tantôt en se centrant sur le Canada, tantôt en s’ouvrant sur le monde.

Les textes et leurs autrices/auteurs

Si la ligne éditoriale d’une revue est définie, au sens large, par ses responsables, c’est aussi beaucoup par ses autrices et ses auteurs, ainsi que par leurs textes, qu’elle se reflète et se diffuse. C’est pourquoi nous allons présenter le profil général des autrices et auteurs, ainsi que certaines caractéristiques externes des textes publiés. Cela nous permettra notamment de voir les deux périodes de la revue : avant et après 1996. Les constats qui suivent reposent sur les informations regroupées dans les deux tableaux généraux que nous avons constitués, ainsi que sur l’analyse des tableaux 3 à 8 présentés dans cette partie.

Entre décembre 1971 et l’automne 2020, on dénombre 2 483 textes publiés sous diverses rubriques : 618 textes pour la première période et 676 textes pour la seconde. En excluant les textes des actes des congrès, le nombre de la première période baisse à 479. La répartition du nombre de textes par numéro et selon les deux grandes périodes historiques (Tableau 3) – la seconde période considérée ici est celle qui débute à partir du virage scientifique entrepris en 1988 – laisse voir des différences importantes entre les deux. Au cours de la première période, une forte majorité de numéros, soit 66 %, offre entre 6 et 9 textes. Après 1988, il n’y a aucun numéro avec moins de cinq textes, et 59 % des numéros contiennent entre 10 et 15 textes.

Tableau 3

Nombre de textes par numéro

Nombre de textes par numéro

* Ce dénombrement ne compte pas les numéros réservés aux actes des congrès.

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Un autre indicateur important de la transformation de la revue au milieu des années 1990 tient à la longueur des textes (Tableau 4). À l’exception des années 1977 et 1978, où l’on publie les résultats de recherches sous la plume d’un ou deux auteurs, un changement majeur s’opère à compter de 1996. Avant cette date, peu importe la sous-période considérée, la longueur moyenne des textes est de l’ordre de 4 à 5 pages, alors qu’il bondit à 16 pages une fois le virage scientifique complété.

Tableau 4

Nombre de textes* par période et longueur moyenne des textes**

Nombre de textes* par période et longueur moyenne des textes**

* Le découpage périodique de ce tableau correspond à certaines phases historiques ou sous-périodes de la revue identifiées en cours de recherche. Phase 1 = débuts; phase 2 = études sur les minorités; phase 3 = retour aux débuts; phase 4 = transition vers les études en sciences de l’éducation; phase 5 = ouverture sur le monde et publication informatique.

** Excluant les numéros consacrés au congrès annuel de l’ACELF.

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Le dépouillement de tous les numéros de la revue a permis d’identifier pas moins de 1 302 personnes, y compris 4 mentions d’une entité plurielle, soit un comité ou un collectif ayant contribué à la rédaction d’un texte (Tableau 5). L’écart entre autrices (48 %) et auteurs (52 %) est minime. Cependant, il apparaît beaucoup plus considérable lorsqu’on les considère sur une échelle temporelle. En effet, il y a renversement du rapport de prédominance des hommes sur les femmes d’une période à l’autre. Si les hommes sont massivement présents dans la période qualifiée de « politique », à l’inverse, les femmes dominent le champ temporel de la pédagogie.

Tableau 5

Nombre d’autrices et d’auteurs selon les grandes périodes de la revue

Nombre d’autrices et d’auteurs selon les grandes périodes de la revue

* Comité, anonyme.

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La répartition selon le genre et selon les sous-périodes ou jalons historiques identifiés (Tableau 6) est instructive sur l’évolution que connaît la revue. Dans les années 1970, les femmes comptent à peine pour 8,1 % de la rédaction de textes. Entre 1979 et 1989, les textes d’autrices augmentent à 18,8 %, puis à 39,7 % entre 1989 et 1995, et leur proportion atteint 60,1 % après 1995. Si le nombre d’autrices de plus d’un texte est marginal avant 1989, celui-ci ne cesse de croître, pour atteindre 62,2 % pour la dernière période. Ceci pourrait traduire une plus grande implication des femmes dans la recherche sur la pédagogie.

Tableau 6

Nombre d’autrices et d’auteurs par périodes choisies et selon le nombre de participations à un ou plusieurs textes

Nombre d’autrices et d’auteurs par périodes choisies et selon le nombre de participations à un ou plusieurs textes

Note : Le nombre de textes tient compte uniquement des textes pour lesquels les autrices ou auteurs ont pu être identifiés nommément : catégorie « autres ».

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En plus d’être plus nombreuses après 1989, les autrices, plus que les auteurs, développent l’approche collaborative (formation d’équipes de recherche ou de groupe de recherche à différents niveaux avec publication conjointe de leurs résultats) (Tableau 7), un autre mouvement qui s’installe progressivement entre 1989 et 1996, et qui s’accélère par la suite.

Tableau 7

Nombre annuel d’autrices et d’auteurs par texte pour les années 1989 à 2020 inclusivement[4][5][6][7][8][9][10][11][12]

Nombre annuel d’autrices et d’auteurs par texte pour les années 1989 à 2020 inclusivement456789101112

Tableau 7 (suite)

Nombre annuel d’autrices et d’auteurs par texte pour les années 1989 à 2020 inclusivement456789101112

Note : Voici quelques considérations générales dont il faut tenir compte pour la construction de ce tableau :

  1. Il s’intéresse à la période remontant au début du virage scientifique tel qu’il a été annoncé dans le premier numéro du volume 17, en 1989. Ce virage est marqué, entre autres, par le nouveau nom adopté pour la revue : Éducation et francophonie.

  2. De 1990 à 1993 inclusivement, il ne prend pas en compte les numéros spéciaux consacrés aux actes du congrès annuel de l’ACELF.

  3. De 1989 à 1994 inclusivement, seuls les textes regroupés sous les rubriques « liminaire » et « repères et positions » sont considérés, bien que, pour cette dernière rubrique, beaucoup de textes n’aient rien de scientifique, servant plus à refléter la position d’un organisme ou d’une personne.

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Sous l’angle qualitatif, la période qui précède le tournant scientifique de 1988 présente un portrait assez hétéroclite des autrices et des auteurs : officiels ou membres de l’ACELF, universitaires mandatés pour une étude en histoire, en sociologie, en droit, etc., fonctionnaires en éducation, commissaires d’école, directions d’écoles, enseignantes et enseignants, ainsi que des politiciens, tant fédéraux que provinciaux, et quelques religieux. Conformément au voeu exprimé cette même année par Fernand Langlois, secrétaire général de l’ACELF, on distingue clairement la nouvelle orientation universitaire dans l’origine professionnelle des autrices et des auteurs des années suivantes. Dès 1989, et exclusivement à compter de 1996, tous les autrices et auteurs appartiennent, à quelques rares exceptions, au monde universitaire ou à sa mouvance institutionnelle.

Ajoutons à notre portrait la composante géographique (Tableau 8). Pour les 1 606 textes pour lesquels il a été possible de retracer l’origine géographique des contributrices et des contributeurs, 52 % proviennent du Québec. Suivent dans l’ordre l’Europe (14,5 %) – surtout la France, la Belgique et la Suisse –, l’Ontario (12 %), les provinces maritimes (11 %), l’Ouest canadien (7 %), et l’Afrique et les autres pays, lesquels comptent pour moins de 1 %. Notons au passage que le premier texte d’un auteur africain revient à Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, dans le vol. 2, no 2, « Le Canada et la Francophonie ». Considéré par tranches chronologiques, on constate que le Québec domine partout, mais que son poids diminue entre la troisième et la quatrième période, où il compte pour le tiers des contribuions. Cette diminution est due à l’augmentation des autrices et des auteurs des autres provinces du Canada, surtout entre 1985 et 1994, et, après 1996, à l’ouverture de la revue sur l’international.

Tableau 8

Origine géographique des contributions par tranches chronologiques choisies[13][14][15][16][17][18]

Origine géographique des contributions par tranches chronologiques choisies131415161718

Tableau 8 (suite)

Origine géographique des contributions par tranches chronologiques choisies131415161718

Note : Une même personne peut avoir contribué à plusieurs textes. Par exemple, le nombre 6 de la première ligne indique qu’au cours de la première période considérée, il y a six personnes qui ont contribué à un ou plusieurs textes, et pour lesquelles nous possédons l’information, qui proviennent des provinces maritimes. Juste en dessous, le nombre donne le nombre de numéros auxquels ils ont contribué.

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Avec la description des circonstances entourant la naissance de la revue, l’analyse de contenu ainsi que l’examen des autrices et des auteurs, nous avons pu dresser, à grands traits, l’évolution d’Éducation et francophonie. Deux grands temps historiques, 1971-1995 et 1996 à aujourd’hui, se distinguent clairement. Nous avons également pu percevoir les préoccupations de la revue quant aux questions touchant l’éducation en français, d’abord d’un point de vue politique, pour ensuite devenir plus pédagogique, mais principalement canadien. Plus récemment, on note cette ouverture sur le monde, souhaitée par monseigneur Vachon dès le tout premier numéro de la revue, mais qui a pris du temps à se concrétiser.

Ce portrait d’Éducation et francophonie, où l’accent a été mis sur le contenu, doit être complété par l’exploration de sa matérialité à travers les aspects de sa production et de sa diffusion.

LE CONTENANT

De 1971 à 1995, la revue est publiée uniquement en format papier. Avec l’arrivée d’Internet, en 1996, il est possible d’y accéder en format électronique à travers le site Internet de la revue ou, depuis 2008, au moyen de la plateforme Érudit. La publication en format papier a cessé en 2015. À travers ces changements de support de livraison, le format 8 ½ × 11 pouces demeure une constante. L’une des premières curiosités matérielles observées est le va-et-vient entre l’utilisation des chiffres arabes et des chiffres romains dans la numérotation des onze premiers volumes. Par après, les chiffres romains sont définitivement adoptés.

En raison de deux incongruités, bien que la publication de la revue débute en 1971, il faut attendre 2022 pour célébrer le 50e anniversaire d’Éducation et francophonie. D’abord, la publication des trois numéros du volume I s’étale sur deux années, décembre 1971 à septembre 1972. Puis, la publication de la revue est suspendue en 1984 en raison de problèmes financiers et de la remise en question de l’ACELF[19]. Cette interruption de publication en 1984 n’est pas sans conséquences, du moins anecdotiques. En effet, en 1995, on présente le numéro 1 du nouveau volume annuel comme étant le 70e de la revue, alors qu’en réalité, il n’en est que son 69e. On fait aussi allusion au 24e volume, bien qu’on n’en soit qu’au 23e, comme le montre la page couverture (Éducation et francophonie, vol XXIII, no 1, p. 2).

Tableau 9

Nombre de numéros par volume (1971-2020)[20][21][22][23][24][25][26]

Nombre de numéros par volume (1971-2020)20212223242526

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Généralement, bien que chaque volume compte de 2 à 3 numéros par année (Tableau 7), il y a une grande variabilité annuelle dans le nombre de numéros, considérant l’ajout ponctuel de numéros spéciaux ou hors-série. Quant au nombre de pages, celui-ci évolue au fil du temps (Tableau 10). Pour les volumes I à V inclusivement, chaque numéro compte entre 20 et 32 pages, et plus fréquemment autour de 25. Ce nombre fluctue entre 29 et 72 pour les volumes VI et VII, qui présentent les résultats d’études concernant l’état de l’éducation en français au Canada, alors que les deux volumes suivants reviennent à la moyenne des cinq premières années. Les numéros des volumes X, XI et XII, 1981 à 1983, comptent entre 27 et 60 pages, mais plus souvent autour de 40. À la reprise de la publication, à la suite de sa pause en 1984, et jusqu’au grand changement de 1996, chaque numéro compte entre 40 et 75 pages, exception faite du volume XXI, no 2, qui en compte 84. À compter de 1996, le nombre de pages de chaque numéro augmente considérablement. En effet, 70 % de ces numéros ont entre 150 et 249 pages. Sans entrer dans une analyse fine, deux facteurs pourraient expliquer ces fluctuations : d’une part, les directives pour la rédaction des articles et, d’autre part, l’intérêt des chercheuses et des chercheurs pour le thème abordé.

Tableau 10

Nombre moyen de pages par numéro depuis 1996

Nombre moyen de pages par numéro depuis 1996

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Diffusion de la revue

La seule donnée à notre disposition donne 519 abonnements en date du 20 octobre 1972 (Archives de l’ACELF, cote de dossier C156-S6_SS4_01).

Curieusement, même si, entre 1971 et 1996, l’ACELF tient pour acquis qu’un membre de l’association correspond à un abonné à Éducation et francophonie, le fait d’indiquer le coût annuel de l’abonnement laisse à penser que ce lien ne va pas nécessairement de pair. La confusion entre gratuité et abonnement est maintenue par la publication d’un « Avis aux lecteurs » dans le volume VI, numéro 1 : on y justifie l’augmentation du coût de l’abonnement par le plus grand nombre de pages et « parce que nos budgets ne nous permettent pas [d’offrir les numéros] gratuitement comme par le passé » (Éducation et francophonie, vol. VI, no 1, p. 1).

Toutefois, il n’est pas exagéré de supposer que tous les membres de l’ACELF reçoivent la revue gratuitement, du moins pour les cinq premiers volumes. Avec l’offre d’abonnement, on cherche peut-être à créer une deuxième catégorie d’abonnés : les « volontaires », individuels ou institutionnels, soit des non-membres de l’ACELF intéressés par les questions d’éducation. Qu’advient-il après la publication des volumes VI et VII, 1977 et 1978, avec le retour au format et à l’épaisseur antérieurs de chaque numéro? La réponse se trouve sans doute dans les archives de l’ACELF.

Pour la période à partir de laquelle la revue est publiée gratuitement en mode électronique, soit depuis 1996, on a une bonne idée de sa diffusion, du moins du point de vue quantitatif (Tableau 11). Si la croissance des abonnements individuels est fulgurante, passant de 500 à 6 650 entre 1995-1996 et 2006-2007, elle se stabilise autour de 6 000 par après; cela n’est certainement pas à dédaigner, compte tenu de la nature de la publication et de la concurrence. La croissance des abonnements institutionnels depuis 2008-2009 est tout aussi remarquable.

Tableau 11

Nombre d’abonnés de la revue Éducation et francophonie de 1996 à 2020[27][28][29]

Nombre d’abonnés de la revue Éducation et francophonie de 1996 à 2020272829

Tableau 11 (suite)

Nombre d’abonnés de la revue Éducation et francophonie de 1996 à 2020272829

* Données fournies par la revue.

** Données fournies par Érudit.

Source : Rapports annuels de l’ACELF

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CONCLUSION

À la fin des années 1960, dans un contexte politique et éducationnel canadien complexe, l’ACELF arrive à la croisée des chemins concernant son avenir. Au congrès à Moncton, la décision est prise de publier une revue d’éducation, au sens large du terme. Le premier numéro de la Revue de l’Association canadienne d’éducation de langue française paraît en décembre 1971. Depuis ses débuts, jusqu’au moment de rédiger cet historique, 48 volumes ont été produits. Au tournant des années 1990, elle change deux fois de nom. En 1989, elle devient Éducation et francophonie : revue d’éducation des communautés francophones canadiennes. Deux ans plus tard, le sous-titre tombe pour ne garder qu’Éducation et francophonie.

Au cours des 50 années, ou presque, que couvre cette analyse, la revue connaît de nombreuses transformations tant du point de vue matériel, de sa présentation, que du point de vue du contenu. Si, au fil du temps, de nombreux changements surviennent (p. ex. : le nombre de numéros par volume, le nombre de pages et de textes, les intitulés de rubriques), une chose reste constante : que la revue soit publiée en format papier ou électronique, elle adopte un format 8 ½ × 11 pouces.

Tant du point de vue du contenu que des autrices et des auteurs des textes d’Éducation et francophonie, il y a un avant et un après 1988. Avant 1988, les questions politiques et constitutionnelles liées au développement, sinon à la survie, de la francophonie canadienne sont au coeur des préoccupations des membres de l’ACELF, sans négliger la mise en place de grands jalons devant contribuer à l’interconnexion des communautés francophones minoritaires du Canada. Dans ce contexte, on fait appel à des experts de différentes disciplines – sociologues, démographes, historiens, avocats, constitutionnalistes – afin d’éclairer de leurs lumières les différentes composantes des enjeux quant à l’avenir de l’éducation francophone au Canada. Bien que dirigée à partir du Québec, l’Éducation et francophonie d’avant 1988 se veut un outil de combat, de lutte, pour venir en aide aux minorités francophones du reste du Canada.

Au-delà des transformations matérielles, le changement le plus important d’Éducation et francophonie est certainement celui de son orientation éditoriale entre 1989 et 1997. Ses responsables veulent lui donner une orientation plus « scientifique » en introduisant l’arbitrage des textes et en se tournant de plus en plus vers les universitaires. Bien que, jusqu’en 1995, l’on continue de publier les Actes du congrès, on délaisse les préoccupations politico-juridiques pour se concentrer sur les questions pédagogiques/éducationnelles. On délaisse la périphérie de l’école pour entrer dans la salle de classe. Ce virage stratégique est complété par la publication en ligne de la revue à compter de 1996 et, l’année d’après, par l’ouverture de ses pages à des autrices et auteurs étrangers. Cette ouverture, en plus de sa diffusion dans de nombreux pays, contribue à affermir son caractère international.

Sans délaisser complètement ses préoccupations de la première heure, à compter du volume XVII, en 1989, le contenu de chaque numéro est de plus en plus orienté vers des questions à caractère pédagogique ou éducationnel : « La formation à l’enseignement » (vol. XVIII [1]), « L’enseignement de l’histoire au Canada » (vol. XIX [2]), « Les jeunes à risque » (vol. XXII [1 et 2]), « La littérature jeunesse » (vol. XXIV [1 et 2]), etc. Signe des temps, les signataires de textes dans ces numéros proviennent de plus en plus fréquemment des écoles ou des facultés d’éducation. Comme pour tout bien, mais particulièrement pour toute revue, le projet de lancement d’un tel produit doit répondre, dès sa création, à certaines questions concernant, entre autres, sa nécessité, sa pertinence et son utilité. Après avoir passé plusieurs mois à côtoyer Éducation et francophonie tant dans sa matérialité que dans son contenu, ainsi que celles et ceux qui y ont contribué de par leurs textes, que ce soit par sa durée, par sa diffusion, par la contribution qu’elle a apportée dans sa première mouture à la vitalité des communautés francophones canadiennes, puis au rapprochement des diverses francophonies à travers le monde, je constate qu’Éducation et francophonie a joué et continue de jouer un rôle important tant pour la francophonie canadienne que, depuis plus d’un quart de siècle, pour les francophonies internationales.

Malgré les conditions entourant la production de cette recherche, et si nous sommes tout de même parvenus à présenter un portrait global du premier demi-siècle d’Éducation et francophonie, il est certain que notre étude mériterait une recherche plus approfondie, que ce soit, par exemple, à travers les archives de l’ACELF ou d’une analyse de contenu beaucoup plus fine afin de répondre à des questions telles que : quelle position politique était défendue dans les années 1970-1980? À quel paradigme éducationnel adhère-t-on aujourd’hui? Si la charpente est montée, il reste encore beaucoup de travail pour achever la maison.