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L’ouvrage de Bradnee Chambers est d’une lecture difficile, étant donné la technicité de la matière et l’usage d’abréviations, ncp, mcp, ji, cdm, qui ne sont pas explicitées. Son intérêt est de traiter d’un sujet qui a pris beaucoup d’actualité depuis la réunion de Doha en décembre 2001, c.-à.-d. la compatibilité entre les accords multilatéraux sur l’environnement et les accords de Marrakech à l’omc. Cet aspect commence à prendre de l’importance et à faire l’objet de publications encore peu nombreuses. Le livre est bien organisé à l’exception du chapitre retraçant l’historique du protocole de Kyoto, qui se trouve en fin de livre, mais qui aurait dû figurer en introduction de l’ouvrage, car tout ce qui suit découle des réunions du panel intergouvernemental sur le changement climatique débutant en 1988 sous l’égide de l’organisation météorologique mondiale et du programme des Nations Unies sur l’environnement.

Le panel poursuit ses travaux et à Rio, en 1992 et à Berlin, en 1995. Il détermine la manière dont les négociateurs s’entendent sur des objectifs de réduction des émissions de gaz, au nombre de 6 : co2, ch2, n2o, hydrofluorocarbone, perfluorocarbone et sulphur d’hexafluoride. L’objectif est de ramener les émissions de gaz en 2000 au niveau de l’année 1990. Le processus s’achève avec le protocole de Kyoto qui engage les pays développés à réduire leurs émissions de gaz de 5,2 % sur la période 2008-2012 et à inclure des mécanismes de flexibilité. La grande originalité de ce protocole est de préciser les modalités de cette flexibilité : les États peuvent échanger des unités de réduction, qui résultent de projets destinés à réduire les émissions ou procéder à des arrangements régionaux, affublés du joli nom de « bulles coopératives » ou encore en adoptant des projets de réduction des émissions de gaz. Les États disposent d’une gamme infinie de moyens pour réduire les émissions : réglementations comme le contrôle de la pollution, subventions à des produits ou à des secteurs qui assurent un environnement durable ou qui n’ont pas d’impact sur le changement climatique.

Les échanges peuvent intéresser les firmes, les organisations non gouvernementales mais aussi les gouvernements. Les entreprises privées sont, comme le rappelle Laura Campbell, les mieux placées pour déterminer, de la manière la plus exacte possible, la façon dont elles peuvent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre puisqu’elles possèdent l’information nécessaire pour le faire. De cette manière, le protocole augmente, très adroitement, les acteurs impliqués dans le processus et la concurrence entre ces acteurs de même qu’il stimule les flux de capitaux transfrontaliers. Dans ce jeu, les organisations non gouvernementales jouent aussi un rôle important en vérifiant et en contrôlant les transactions réalisées. Les organisations non gouvernementales sont des agents de contrôle. Elles peuvent aider les pays en développement à formuler les documents et à établir le cadre régulatoire nécessaire à l’accomplissement de la tâche. Les organisations intergouvernementales, la cnuced, la Commission des États-Unis sur le droit commercial international sont des intermédiaires.

Incompatibilité entre l’omc et le protocole de Kyoto ou compatibilité ? Le protocole de Kyoto ne peut être efficace qu’en s’assurant que les acteurs se conforment à leurs engagements. Kyoto a prévu aussi cette étape cruciale de tout accord international. La Cour internationale de justice est responsable de cette étape.

A priori, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’omc et le protocole de Kyoto. Celui-ci vise à l’élimination des imperfections du marché, des stimulants fiscaux, des exemptions douanières qui frappent l’émission des gaz à effet de serre. Ce qui est tout à fait compatible avec les principes de l’omc dont l’objectif est d’éliminer les restrictions et les distorsions commerciales. L’omc n’est pas compétente pour traiter de l’environnement, ni d’ailleurs pour juger des moyens les plus judicieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle l’a d’ailleurs prouvé en se prononçant contre l’embargo des États-Unis contre le thon mexicain pêché avec des filets qui capturaient les dauphins et contre l’embargo des États-Unis contre les crevettes qui, elles, étaient pêchées en capturant les tortues. L’omc a acquis la réputation d’une organisation qui pénalise l’environnement au bénéfice de la libéralisation commerciale et qui encourage les entreprises transnationales à supprimer les emplois et à relocaliser leurs activités dans des paradis où les normes environnementales et sociales sont moins contraignantes.

Par contre, l’omc n’empêche pas les gouvernements de se protéger contre tout dommage résultant de la production et de la consommation de produits réalisés sur le sol national, qui nuiraient à l’environnement. Un gouvernement peut décider de taxer un produit qui dégagerait trop d’émissions de gaz nocifs. Ce qui est important pour l’omc, en vertu du traitement national qui vient complémenter la clause de la nation la plus favorisée, c’est que chaque produit importé après qu’il a acquitté des droits de douane ne reçoive pas un traitement moins favorable qu’un produit local. Chaque État membre a l’obligation de traiter les produits locaux et importés de la même manière.

Pour l’omc, donc, la flexibilité s’étend aux produits nationalement importés ou au processus de production nationale mais pas aux produits des pays exportateurs. La flexibilité, selon l’omc, se comprend également, par le fait que dans des circonstances spécifiques, les membres de l’omc peuvent invoquer des mesures qui normalement seraient contraires au principe de l’omc. C’est le fameux article xx, le seul dans tous les accords de l’omc qui parle d’environnement. Toujours faut-il que ces mesures soient prises à l’intérieur de la zone nationale. Or, en cas d’émission, du fait de la nature transfrontalière du problème, le processus de production a lieu dans le pays exportateur, en dehors des frontières nationales.

L’accord sur les obstacles techniques au commerce est doté des mêmes mécanismes de même flexibilité pour s’ajuster aux exigences environnementales puisqu’il encourage l’adoption de réglementations et de normes internationales. Mais chaque État peut adopter ses propres réglementations et normes à condition qu’elles ne créent pas de distorsion commerciale. La faiblesse de l’omc, comme le souligne Bradnee Chambers, provient de l’incapacité de l’omc de discriminer entre les produits sur la base de leur processus de production. L’omc ne fait aucune différence entre un processus de production qui respecte l’environnement ou ne le respecte pas.

En cas de différends entre États membres de l’omc et du protocole, il est raisonnable de penser qu’ils devraient être jugés par les procédures mises en place par le protocole et non par l’omc. Le problème survient lorsqu’une des deux parties n’est pas membre du protocole. La partie A poursuit une politique qui respecte le protocole mais discrimine la partie B qui n’est pas membre du protocole. Les deux parties sont membres de l’omc. Est-ce que la partie A a le droit d’imposer une mesure qui est justifiée par un accord international que ne reconnaît pas la partie B ? Ce problème fait l’objet de toute l’attention du comité environnement de l’omc. Celui-ci a recommandé qu’en cas de différend, les parties essayent de résoudre d’abord leur contentieux dans le cadre de l’accord environnemental avant de faire appel à l’omc. Le problème est réel entre un membre et un non membre d’un accord environnemental mais qui sont tous deux membres de l’omc.

Tous ces problèmes feront l’actualité dans les prochaines années. C’est donc une heureuse initiative de les traiter dans un ouvrage qui demeure un outil pour ceux qui veulent comprendre les liens entre environnement et omc.