Comptes rendus : Régionalisme et régions – Inde

India. Emerging Power.Cohen, Stephen P. Washington dc, Brookings Institution Press, 2001, 377 p.[Notice]

  • François-Philippe Dubé

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  • François-Philippe Dubé
    Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques
    Université du Québec à Montréal

En 1979, Stephen P. Cohen avait co-écrit India. Emergent Power ? Son plus récent livre – dernier d’une longue série d’ouvrages portant sur la région sud-asiatique – vient répondre à la question formulée il y a plus de vingt ans : avec India. Emerging Power (le point d’interrogation a disparu), l’auteur vise à « faire le point » sur la question de la puissance réelle de l’Inde. Écrit peu avant les attentats du 11 septembre, cet ouvrage n’en est pas moins très à jour et la quantité d’informations qu’il donne sur la politique étrangère indienne le rend indispensable pour comprendre la région. Après une présentation méthodique des transformations qui affectent ce pays, tant dans son environnement intérieur que dans ses relations avec ses voisins immédiats et avec les États-Unis, Cohen conclut qu’effectivement, l’Inde est à classer au rang des grandes puissances – même si elle est sans doute la plus faible d’entre elles – et que l’ignorer pourrait avoir des conséquences coûteuses, particulièrement pour Washington. L’auteur situe l’Inde, d’abord historiquement, avec un survol de l’évolution de la pensée stratégique indienne, des classiques hindous au Raj britannique, en passant par l’Inde des Moghols ; puis, dans la hiérarchie internationale. Un problème se pose avec cette dernière entreprise : lorsque appliquée à l’Inde, le contraste entre les mesures absolues et relatives de la puissance économique et militaire est énorme. Cohen considère que, « malgré le fait que sa capacité d’étendre sa puissance militaire ou de jouer un rôle d’équilibre ailleurs demeure relativement modeste », l’Inde voit ses capacités grandir et est de plus en plus habile à les utiliser à son avantage (p. 35). L’Inde est une grande puissance, mais une grande puissance en émergence, et qui réserve des surprises pour l’avenir. Cohen élabore ensuite une classification des différentes visions du monde de l’élite stratégique indienne. Traditionnellement, la vision dominante était celle de Nehru, dont se sont réclamés, tout en la modifiant, Indira Gandhi et Rajiv Gandhi. La pensée de Nehru combinait des aspects de l’internationalisme libéral avec l’idée d’un État indien fort, capable de résister aux pressions des grandes puissances, et très interventionniste dans la gestion de son économie. Depuis, deux autres visions viennent concurrencer la tradition nehruvienne : la vision réaliste et la vision revitaliste, qu’on retrouve toutes deux au sein du bjp, le parti hindouiste au pouvoir actuellement. Les réalistes rejettent le tiers-mondisme nehruvien et croient que, dans le monde de l’après-guerre froide, l’économie est la base de la puissance militaire (p. 43). La Chine est alors vue comme un modèle pour l’Inde dans la façon dont celle-ci devrait organiser ses relations avec les États-Unis. Les revitalistes, quant à eux, mettent l’accent sur le conflit entre les civilisations et la nécessité de protéger la civilisation hindoue des attaques des autres civilisations, qui lui sont hostiles. Ceux-ci envisagent l’Inde dans un rôle essentiellement limité au cadre sud-asiatique. Malgré ces différences, la communauté stratégique indienne s’entend sur deux éléments essentiels. D’une part, l’Inde représente plus qu’un État : elle est le porte-parole d’une civilisation, et de ce fait, elle a quelque chose à enseigner au reste du monde. D’autre part, l’Inde fera partie, à terme, du concert des grandes puissances : la distribution unipolaire de la puissance qui existe actuellement ne saurait être que temporaire. L’auteur analyse ensuite les déterminants internes de la politique extérieure indienne. Après avoir discuté de l’appareil bureaucratique du pays et expliqué comment celui-ci peut être réfractaire à la conclusion d’accords internationaux, Cohen décrit les types de stratégies de négociations que le pays utilise avec l’Occident. Celles-ci, souvent mal comprises par les Occidentaux, devront être mieux …