Corps de l’article

La géopolitique est une composante fondamentale dans la justification et l’explication de la carte politique mondiale. La géopolitique est utilisée pour fixer l’agenda des politiques étrangères et pour orienter les décisions politiques. Mais la géopolitique, telle que formulée durant la seconde moitié du 20e siècle, était fondée sur des principes manichéens qui évacuaient les éléments géographiques de la géopolitique[1]. Bien que ce cadre était particulièrement adapté à une période marquée par des conflits, il demeure inefficace pour donner un sens à la dynamique la plus récente des processus globaux. Ce phénomène a attiré l’attention des chercheurs qui proposent de nouvelles théories géopolitiques universelles[2]. Ces théories, toutefois, ne reconnaissent pas les spécificités géographiques et continuent de réduire ou de représenter le monde à l’intérieur d’un cadre dichotomique qui tente de relégitimiser le raisonnement stratégique de la guerre froide[3]. Les connaissances géopolitiques sont modes de pouvoir et d’influence qui ont des conséquences politiques[4]. Nous suggérons que la géopolitique est tributaire des représentations spatiales contenues dans les discours politiques et les réseaux géographiques, ainsi que de leur évolution respective et de leur impact mutuel. Les détroits maritimes illustrent bien cette problématique, car ils représentent le maillon le plus faible et les passages obligés des réseaux de transport maritime globaux[5].

Les perceptions et les discours géopolitiques sur le détroit de Taïwan doivent être réorientés pour refléter les changements soulevés par les processus globaux. L’île de Taïwan est localisée à 150 kilomètres des côtes chinoises et occupe une position stratégique dans le Pacifique occidental En effet, le détroit de Taïwan constitue un passage obligé pour les principaux flux maritimes commerciaux qui lient l’Europe, le Moyen-Orient et les principaux ports chinois, coréens et japonais. C’est aussi le principal corridor du commerce russe circulant autour de la Chine. Depuis 1949, le détroit sépare deux entités politiques et il est le principal théâtre de conflits entre les deux gouvernements chinois. L’importance stratégique du détroit et le rôle pivot de l’île de Taïwan furent et demeurent encore de puissants outils pour expliquer la géographie politique de la région[6].

Étonnamment, peu d’études ont considéré les changements dans la capacité et la structure des principales infrastructures qui cimentent les économies de Taïwan et du continent. Pourtant elles sous-tendent la production et la distribution des marchandises au niveau régional. Dans un effort pour corriger cette lacune, une série de questions se posent concernant les liaisons maritimes dans le détroit de Taïwan. Comment la Chine et Taïwan ont-elles modifié leurs discours politiques dans le but de répondre aux changements concernant l’environnement géopolitique global ? Plus particulièrement, comment les dimensions spatiales des discours gouvernementaux de la Chine et de Taïwan ont-elles été modifiées pour refléter les changements de perceptions stratégiques ? Et comment ces développements ont-ils transformé la géographie des transports dans le détroit de Taïwan ? De façon davantage marquée, comment ces développements ont-ils affecté le système portuaire régional ?

Ces questions sont analysées par un examen des changements dans les activités des principales entreprises maritimes de la Chine et de Taïwan : coscon, la compagnie maritime publique chinoise pour le transport de conteneurs et ses différentes succursales ; et evergreen, le transporteur maritime taiwanais de conteneurs ainsi que sa compagnie affiliée uniglory. Nous émettons l’hypothèse que ces compagnies reflètent étroitement les changements d’emphase de la géographie des transports et de la géographie politique de la Chine et de Taïwan. Nous considérons d’abord les changements dans la structure des routes maritimes entre 1990 et 2000 – une période marquée par d’importantes réformes politiques en Chine et à Taïwan. Ces changements sont interprétés par un examen détaillé de la transformation des réseaux de transport maritime pour les commerces globaux, régionaux et inter-rives en termes de fréquences de services, de ports d’appel et de capacité. L’analyse de ces développements, à ces trois échelles, est utilisée pour illustrer comment, tant en Chine qu’à Taïwan, les politiques d’État peuvent modeler la géographie. Nos conclusions portent une réflexion sur les changements qu’imposent les processus géopolitiques globaux. Nous débutons toutefois notre étude en esquissant les changements significatifs au sein des perspectives géopolitiques de la Chine et de Taïwan en réponse aux mutations dans le domaine de la géographie des transports.

I – Changement de raisonnement géopolitique dans le détroit de Taïwan

Tant Beijing que Taipei ont imité les écoles de pensée occidentales en géopolitique et utilisé leurs divers paradigmes pour élaborer leurs politiques de sécurité. En Chine, la victoire des Communistes sur les Nationalistes représente le fondement idéologique du régime. Les opinions géopolitiques s’expriment en termes de souveraineté[7]. Taïwan fait partie intégrante de la façade océanique de la République Populaire de Chine[8]. Par contraste, la rhétorique de Taïwan stipule que le monde est divisé en deux camps et tous les lieux et tous les conflits doivent être interprétés à l’intérieur de ce cadre binaire[9]. Conséquemment, la République de Chine fit la promotion de la doctrine de dissuasion pour protéger son régime et ses institutions.

Pendant plus de 40 ans, les gouvernements chinois et taïwanais hésitèrent à modifier leurs perspectives géopolitiques[10]. Mais avec la globalisation, l’idée d’une menace à l’intérieur du détroit de Taiwan apparaît de moins en moins justifiée. Bien qu’une confrontation militaire ne soit pas exclue, Taipei et Beijing ne peuvent adopter une attitude menaçante dans leur environnement immédiat[11]. L’évolution des discours véhiculés par les élites politiques de la Chine et de Taïwan au cours de la dernière décennie semble remettre en cause les constructions géopolitiques antérieures.

Durant la décennie 90, les relations indirectes entre Taïwan et la Chine se sont multipliées et ont favorisé le début de négociations informelles entre les deux États, par le biais d’organisations semi-officielles : la Fondation des échanges dans le détroit (Chine) et l’Association pour les relations à travers le détroit de Taïwan (Taïwan). Les deux organismes sont engagés dans une réunification pacifique et supportent fortement une augmentation des échanges à travers le détroit de Taïwan. La Chine a émis plusieurs communiqués politiques indiquant une distinction très claire entre la fin des hostilités et les négociations en vue d’une réunification. Les autorités politiques taïwanaises, quant à elles, ont adopté une politique de coexistence pacifique, ont renoncé à leur prétention sur la Chine, ont mis fin à l’état de guerre civile avec le parti communiste et ont officiellement reconnu l’existence d’une entité politique communiste sur le continent.

Les changements soulevés par la globalisation économique durant les années 90 ont provoqué une forte impulsion pour restructurer les espaces de transport et de communication de la Chine et de Taïwan. Les deux gouvernements ont initié de vastes programmes de développement de leurs infrastructures[12].

En Chine, ce programme amena le développement de villes portuaires et la construction d’axes de pénétration vers l’arrière-pays. Cette stratégie fut entreprise dans le contexte de sociétés-conjointes avec des transporteurs maritimes internationaux et des opérateurs de terminaux globaux qui intègrent la Chine au sein de leurs opérations planétaires. Dans le bassin de Bohai, les ports à conteneurs de Qingdao, Tianjin et Dalian facilitent le commerce entre la Corée du Sud, le Japon et les régions de la Chine du Nord-Est. Shanghai et Ningbo forment un complexe portuaire régional qui opère à un haut niveau de flexibilité et possède des capacités d’expansion pour desservir le bassin du fleuve Yangzi. Les opérateurs de terminaux privés à Hong Kong structurent leurs systèmes de distribution dans le delta de la Rivière-des-Perles en fonction des besoins de leurs réseaux régionaux. Ce développement des façades maritimes de la Chine engendre une concurrence accrue entre les opérations des terminaux à conteneurs, alors que les villes portuaires relocalisent leurs fonctions de production, développent de nouvelles niches de marché et compartimentent leurs opérations de transport au sein d’arrière-pays économiques qui se chevauchent[13].

Malgré une côte très défavorable et un arrière-pays très limité pour le développement d’un système portuaire, les planificateurs de Taïwan ont longtemps reconnu le rôle critique des ports pour soutenir la croissance d’une économie orientée vers le commerce extérieur[14]. En 1991, le gouvernement de Taïwan a mis en place un plan de développement national de grande envergure d’une durée de six ans visant à améliorer toutes les infrastructures de transport de l’île[15]. Des investissements massifs furent consentis pour l’acquisition d’équipements portuaires de manutention des conteneurs. Kaohsiung est présentement la principale porte maritime de Taïwan et occupe le troisième rang parmi les plus importants ports à conteneurs du monde. Keelung, situé à l’extrême nord de l’île, a développé des liaisons maritimes avec plusieurs ports outre-mer. Taichung occupe une fonction particulière dans le trafic de conteneurs avec un nombre limité de partenaires commerciaux. Les ports de Suao et Hualien, sur la côte orientale, se sont spécialisés dans le commerce de vrac. Des différences marquées en termes de trafic, capacité, type de marchandises n’empêchent pas chaque port de considérer l’île comme son arrière-pays exclusif. Les ports taiwanais affichent une forte concurrence entre eux et souscrivent à une politique de plus grande diversification portuaire[16].

À l’échelle globale, les politiques étrangères de la Chine et de Taïwan ont été orientées dans le but de briser leur isolement relatif. Beijing a multiplié les initiatives politiques, accueilli des événements et des forums internationaux et exprimé ses craintes au sein de plusieurs débats politiques multilatéraux. La plupart de ses orientations politiques furent marquées par un pragmatisme économique et commercial. Le principal objectif des autorités de Beijing est de moderniser le pays en attirant des investissements étrangers. Cet objectif est requis pour répondre aux demandes de désenclavement de l’ouest de la Chine par un ensemble de projets de développement, d’approvisionnement en eau par le détournement du cours des fleuves, et d’apport énergétique par la mise en oeuvre du projet des Trois-Gorges.

Avec la prétention très ferme de Beijing d’être le seul représentant de la Chine, Taïwan s’est retrouvée devant une impasse diplomatique et politique. Taïwan dut composer avec une perte de relations diplomatiques formelles avec plusieurs de ses principaux partenaires commerciaux[17]. Taïwan fut exclue de plusieurs organisations internationales. La stratégie nationale de Taipei est manifeste dans la relocalisation de son système de production, d’assemblage et de distribution en Asie, Europe et Amérique[18]. Cette politique est supportée par l’accomplissement de réformes politiques, la création de bureaux économiques et commerciaux et l’admission de Taipei à un nombre d’organisations internationales non gouvernementales ou non politiques. Tant la Chine que Taïwan ont débuté la décennie 90 avec des réformes et des politiques pour intégrer les réseaux mondiaux de l’économie, de la finance et des communications[19]. Ceci a culminé par leur admission à l’Organisation mondiale du commerce en 2002.

Les changements dans le contenu des orientations politiques domestiques et internationales de la Chine et de Taïwan sont concomitants avec la restructuration des espaces maritimes et continentaux de la Chine et de Taïwan et suggèrent un accroissement des liens et des connexions plutôt que des barrières géographiques.

II – La structure des réseaux maritimes de la Chine et de Taïwan entre 1990 et 2000

L’analyse de la configuration des services maritimes extra-asiatiques des transporteurs chinois et taïwanais en 1990 révèle deux structures de réseaux différentes. evergreen offre deux services de ligne tour du monde auxquels s’ajoutent un service secondaire bimensuel dans l’océan Indien, deux routes transpacifique, un service à travers le canal de Suez et une route transatlantique. Dans le commerce Nord-Sud, le transporteur taïwanais offrait deux services vers le Moyen-Orient.

Les services maritimes de coscon étaient relativement simples. Très peu de services s’étendaient au-delà de deux façades (i.e. Europe et côte ouest de l’Amérique du Nord). Bien que coscon offrait un service de transport à travers les canaux de Panama et de Suez, la compagnie n’offrait pas de service transatlantique et n’avait pas développé de services de ligne tour du monde. Six routes desservaient le Moyen-Orient et les plus petits marchés du commerce Nord-Sud (i.e. Pacifique Sud, Afrique et Amérique du Sud). L’analyse de la structure maritime extra-asiatique démontre la prééminence des ports de Hong Kong et Singapour à titre de plates-formes portuaires internationales pour les transporteurs chinois et taïwanais. On note également l’utilisation complémentaire des ports de Kaohsiung et Shanghai pour les transporteurs taïwanais et chinois, respectivement.

La configuration des services maritimes intra-asiatiques suggère des différences marquées entre les transporteurs chinois et taïwanais. Le commerce de proximité était très important pour le transporteur chinois. Il y avait six routes entre l’Asie du Nord-Est et l’Asie du Sud-Est incluant un service hebdomadaire entre les ports de Bangkok et de Singapour. Une autre caractéristique concerne les liens étroits entre la Chine et le Japon avec plus de 37 services mensuels. Le réseau expose d’ailleurs l’importance du triangle Kobe/Yokohama/Hong Kong. L’aire de marché du réseau domestique de coscon ne s’étendait pas au-delà des régions côtières puisque les seules liaisons fluviales étaient celles entre Hong Kong et les ports de Zhangjiagang et Wuhan, dans le delta du Yangzi, et le port de Huangpu, dans le delta de la Rivière-des-Perles.

Cette situation est très différente du transporteur taïwanais qui offrait six routes entre l’Asie du Nord-Est et l’Asie du Sud-Est incluant un service hebdomadaire en Asie du Sud-Est. Il n’existait aucun service maritime direct entre les deux rives du détroit. Cette géographie des transports se modifia dès 1995 lorsque evergreen offrit un service de ligne entre la Chine et le Japon incluant trois services mensuels entre les ports de Tianjin, Qingdao et Osaka. evergreen fit également un usage intensif du port de Hong Kong pour offrir un service hebdomadaire avec les ports de Kaohsiung et Keelung et de façon davantage marquée pour offrir un service maritime tous les quatre jours avec Shanghai.

Pour la Chine, l’aire de marché du réseau domestique de coscon commença également à changer vers le milieu des années 90 avec plus de quatre départs quotidiens de Hong Kong vers plus de 20 villes côtières. Même après 1997, Taïwan a continué de maintenir ses liens avec Hong Kong suite au transfert de souveraineté de la colonie à la République populaire de Chine. De facto, Taïwan a donc établi des relations directes et officielles avec la Chine. Mais dans le but de respecter les discours politiques officiels, les navires taïwanais qui s’ancraient à Hong Kong ne hissaient pas le drapeau de Taïwan. Réciproquement, les navires chinois accostaient à des zones définies comme extra-territoriales dans les ports taïwanais, évitant ainsi les services de douanes de la République de Chine[20].

En 2000, la géographie de la configuration des services maritimes inter-nationaux chinois et taïwanais avait subi d’importants changements, affichant une intégration du commerce inter-rives avec les marchés mondiaux. Dans le commerce Est-Ouest, evergreen offre deux services de ligne maritime tour du monde, quatre routes Trans-Pacifique, quatre routes Trans-Atlantique et des services de transport à travers les canaux de Panama et de Suez (figure 1). Par ailleurs, le transporteur taïwanais a intégré les liens inter-rives au sein du commerce Nord-Sud. evergreen offre trois services hebdomadaires avec le Moyen-Orient incluant un service hebdomadaire secondaire entre le golfe Persique et les ports de la mer d’Arabie, trois services hebdomadaires avec le Pacifique Sud et un service hebdomadaire long-courrier vers l’Amérique du Sud avec des arrêts en Afrique. Cette dernière route est complétée par deux services hebdomadaires entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud et un service hebdomadaire entre les ports des Caraïbes.

Figure 1

Port d’appel et trafic extra-régional de evergreen, 2000

Port d’appel et trafic extra-régional de evergreen, 2000

Dessiné par M. Girard, Université de Montréal

-> Voir la liste des figures

La nouvelle structure de coscon est marquée par une intensification des activités à travers le Pacifique avec sept services hebdomadaires. Des liens très étroits se sont dessinés entre Hong Kong, Singapour et l’Europe avec l’établissement de Suez à titre de plate-forme portuaire. Il existe désormais quatre services hebdomadaires à travers le canal de Suez en direction des ports de la Méditerranée et de l’Europe du Nord incluant un service hebdomadaire vers les ports de la côte est de l’Amérique du Nord. coscon a également accru ses opérations vers de nouveaux marchés avec deux services hebdomadaires Trans-Atlantique (figure 2). Dans le commerce Nord-Sud, l’architecture du réseau de coscon en Afrique et en Amérique du Sud a été restructurée. Il existe un service hebdomadaire long-courrier vers l’Amérique du Sud en provenance de Hong Kong, avec des arrêts importants à Durban et Cape Town en Afrique du Sud, service qui est approvisionné par un autre service hebdomadaire entre le port de Durban et d’autres ports du continent africain. Les liens persistent entre la Chine, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. On note également un service hebdomadaire entre les ports du Japon, de la Corée et du Pacifique Sud.

L’analyse démontre la prééminence des ports de Hong Kong, Shanghai et Singapour à titre de plates-formes portuaires de Chine. Pour le transporteur taiwanais, l’analyse de la configuration des services maritimes extra-asiatiques expose le rôle pivot de l’axe Tokyo/Kaohsiung/Hong Kong/Singapour.

Figure 2

Ports d’appel et trafic extra-régional de coscon, 2000

Ports d’appel et trafic extra-régional de coscon, 2000

Dessiné par T.B. Wong, Université de Hong Kong et M. Girard, Université de Montréal

-> Voir la liste des figures

Les transporteurs taïwanais et chinois ont également restructuré l’architecture de leur réseau intra-asiatique. evergreen a intensifié ses activités entre l’Asie du Nord-Est et l’Asie du Sud-Est avec 14 services hebdomadaires complétés par quatre routes secondaires en Asie du Sud-Est et cinq routes hebdomadaires liant les ports chinois, taiwanais et japonais (figure 3).

Une autre caractéristique concerne les liens étroits entre la Chine et Taïwan. L’analyse des liaisons maritimes inter-rives par le transporteur taïwanais expose le rôle pivot du triangle Kaohsiung/Xiamen/Fuzhou et l’importance de Hong Kong à titre de plate-forme de transit entre les ports de Kaohsiung, Keelung et Taichung et les ports du delta du Yangzi et du Bassin de Bohai.

Contrairement à l’architecture de réseau de la décennie précédente, coscon a cessé ses opérations sur cinq itinéraires en Asie du Sud-Est pour ne maintenir qu’un service hebdomadaire entre Bangkok, Huangpu, Hong Kong et Shekou. Le transporteur a aussi annulé sept itinéraires avec le Japon et consolidé son trafic de conteneurs sur neuf services hebdomadaires après avoir introduit neuf services hebdomadaires avec la Corée (figure 4). En 2000, coscon avait déjà établi des liens maritimes directs entre les ports de Taïwan et les complexes portuaires régionaux du Bassin de Bohai, du delta du Yangzi et du delta de la Rivière-des-Perles.

Figure 3

Ports d’appel et trafic intra-régional de evergreen, 2000

Ports d’appel et trafic intra-régional de evergreen, 2000

Dessiné par M. Girard, Université de Montréal

-> Voir la liste des figures

Figure 4

Ports d’appel et trafic intra-régional de coscon, 2000

Ports d’appel et trafic intra-régional de coscon, 2000

Dessiné par T.B. Wong, Université de Hong Kong et M. Girard, Université de Montréal

-> Voir la liste des figures

Tous ces changements se reflètent dans l’évolution des liaisons portuaires entre 1990 et 2000. La décennie fut une période de changements significatifs dans le nombre de ports d’appel sur les différentes façades maritimes desservies par coscon. Le transporteur a agrandi son réseau en Chine, à Taïwan, au Japon et en Corée du Sud et a connu un certain retrait en Afrique. coscon a ajouté 59 ports à son itinéraire, maintenu ses services sur 44 ports et abandonné 15 ports. Il est important de souligner que 30 % des ports compris dans les services de coscon sont aussi inclus dans le réseau portuaire des trois grandes alliances maritimes globales (New World Alliance, Grand Alliance et United Alliance) et dans le portefeuille portuaire des 11 principaux opérateurs de terminaux globaux. Ceci confirme que les lignes maritimes étrangères ont intégré les ports chinois au sein de leur itinéraire, brisant ainsi le monopole de coscon sur les ports chinois.

Quant à evergreen, la compagnie a maintenu ou accru son réseau sur toutes les façades maritimes, notamment en Asie de l’Est et du Sud-Est et dans les Caraïbes. Le transporteur taïwanais a ajouté 67 ports à son itinéraire, maintenu ses services sur 42 ports et abandonné 12 ports. L’analyse révèle que 40 % des ports compris dans les services de evergreen sont aussi inclus dans les réseaux des grandes alliances maritimes globales et des opérateurs de terminaux maritimes internationaux.

Tableau 1

Ports d’appel inter-rives des transporteurs maritimes de Chine et de Taïwan, 2000

Ports d’appel inter-rives des transporteurs maritimes de Chine et de Taïwan, 2000

-> Voir la liste des tableaux

Le système des ports à conteneurs du détroit de Taïwan est composé de quatre façades maritimes : la façade septentrionale autour du Bassin de Bohai, la façade centrale du delta du Yangzi, la façade méridionale du delta de la Rivière-des-Perles et la façade maritime de Taïwan composée des ports de Keelung, Taichung et Kaohsiung. Durant la décennie 90, il s’est dessiné un circuit pivot rayon dans le trafic inter-rives qui a progressivement maillé l’ensemble des façades maritimes. En 2000, coscon faisait un usage intensif des trois ports taïwanais, alors que le transporteur taïwanais a développé un large éventail de services avec 11 ports de Chine (tableau 1). Force est de reconnaître que les transporteurs maritimes de la Chine et de Taïwan ont intégré les plates-formes de Kaohsiung, Hong Kong, Xiamen, Shanghai et Qingdao pour supporter la croissance du trafic entre les deux rives du détroit de Taïwan.

III – Les réseaux émergents

La croissance des liaisons maritimes fondées sur l’unitarisation des charges apparaît bénéfique en termes de convergence des politiques maritimes. Tant la Chine que Taïwan ont besoin d’appliquer les éléments de standardisation des équipements offerts à chacun des ports d’appel. L’évolution des stratégies des transporteurs maritimes a suscité la même réaction du ministère des Communications de Beijing et du ministère des Transports et des Communications de Taipei. L’établissement de centres de transbordement maritime off-shore contourne les frontières nationales qui peuvent affecter l’industrie du transport maritime. Mais la reconnaissance des documents d’enregistrement, des certificats de navigation, des autorisations de chargement et des permis d’équipage qui sont inhérents au transport maritime de conteneurs et aux opérations des terminaux suggère que les deux gouvernements ont effectivement reconnu leur juridiction territoriale respective. Plus important encore, les changements dans les liaisons maritimes de la Chine et de Taïwan reflètent étroitement l’intégration croissante des économies de l’île et du continent au-delà du trafic maritime conteneurisé inter-rives. Le statut international accru du détroit de Taïwan par ses fonctions de transit écarte toute possibilité d’établissement de réglementations. De telles mesures constitueraient une forme de protectionnisme qui serait inacceptable au niveau international[21].

coscon et evergreen ont accru leur productivité par la coopération en matière de tarifs, de régularité et de la qualité des services, des accords d’échanges d’emplacement de cellules à bord des navires et l’usage conjoint de terminaux portuaires. Ces dispositions ont même amené à spéculer sur une fusion possible entre les grands transporteurs du monde chinois. Les lignes maritimes ont créé des structures et des systèmes organisationnels qui permettent d’exploiter les opportunités inhérentes aux réseaux qui opèrent dans des environnements nationaux différents. Ces grands transporteurs offrent des services sur les trois grands segments maritimes de la planète : transpacifique, transatlantique et entre l’Europe et l’Asie, avec des navires porte-conteneurs de très grande taille entre les ports majeurs qui sont desservis par des réseaux secondaires couvrant les principales routes Nord-Sud. Désormais, ces lignes maritimes sont en mesure 1) de fournir un réseau global de marchés pour nourrir une flotte opérant à pleine capacité ; et 2) de répondre aux besoins des expéditeurs en augmentant la fréquence et les services et en établissant des liens optimaux entre les principaux ports du monde. coscon et evergreen ont réussi à élargir le rayonnement des ports chinois et taïwanais aux réseaux internationaux des lignes maritimes conteneurisées. Les transporteurs maritimes ont formellement intégré des ports discontinus au sein d’un seul système portuaire correspondant aux conditions du commerce mondial. Conséquemment, le rythme de croissance des ports chinois et taïwanais s’est plus ou moins effectué en tandem mais ils continuent de se concurrencer au sein des réseaux commerciaux. Les plans de développement portuaire présentement mis en oeuvre sur toutes les façades maritimes confirment le désir des autorités portuaires locales d’accroître leur capacité dans le but de combler leur ambition de transformer leur port en plate-forme multimodale.

La participation croissante de coscon et evergreen dans les opérations intermodales a intensifié et accéléré l’implication de ces transporteurs océaniques dans des opérations de transport terrestre. Le processus de conteneurisation tend vers des services intermodaux flexibles, intégrés et sans rupture de charge. L’intermodalité interpelle l’organisation et la synchronisation des systèmes de transport. Elle ne change pas les caractéristiques fondamentales de chaque mode de transport, mais elle change leur avantage relatif dans la chaîne de transport et leur avantage comparatif sur des segments de routes. Désormais, le transport doit être considéré comme un système total, intégrant le transport maritime et le transport terrestre. L’objectif de l’industrie maritime consiste à élaborer la gestion d’un système de transport intermodal qui incorpore les activités des transporteurs maritimes, des opérateurs de terminaux, des gestionnaires des réseaux de transport terrestre et des expéditeurs, dans le but d’offrir un service porte-à-porte. À la lumière des limites au développement des ports taïwanais à effectuer de sérieuses percées sur les routes terrestres de leur arrière-pays, on doit envisager un changement structural en faveur des ports continentaux.

Conclusion

Cette étude a démontré l’impact de la globalisation sur l’intégration relative de la Chine et de Taïwan en analysant les changements dans la capacité et les fréquences de leurs transporteurs maritimes entre 1990 et 2000. L’analyse de la configuration des services maritimes extra-asiatiques expose la nature internationale des échanges dans le détroit de Taïwan.

L’exploration de l’architecture des réseaux intra-asiatiques souligne que l’interdépendance accrue entre les deux économies constitue une réalité sur laquelle les gouvernements ont de moins en moins de contrôle. Le commerce entre les deux entités est une demande dérivée, émanant des firmes nationales de transport chinoises et taïwanaises qui désirent devenir des acteurs globaux. De façon davantage marquée, l’étude souligne la convergence accrue des transporteurs chinois et taïwanais en termes de réglementations maritimes, de participation à des alliances maritimes, de stratégies de ports d’appel et de choix de routes.

Les résultats révèlent que la géographie des transports exerce une influence sur la géographie politique. Il s’est développé un cadre opérationnel qui favorise les transporteurs maritimes. Des accords bilatéraux peuvent également être créés pour initier d’autres rapprochements entre les compagnies aériennes de Chine et de Taïwan. L’enchevêtrement de partenariats entre les deux rives du détroit de Taïwan apparaît comme une tendance irréversible vers un modèle de réunification. Au-delà de l’horizon 2000, les discours politiques entre les deux rives du détroit de Taïwan auront besoin de conceptualiser la sécurité en termes économiques. Une attention particulière devra également être portée aux conséquences environnementales d’un accroissement des liens et des maillages. Plus particulièrement, cette analyse a démontré que la géopolitique est perpétuellement changeante et tributaire de la multiplication des interdépendances et des réseaux.

[Traduit de l’anglais]