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L’ethos de la démocratie est plus que jamais présent à travers le monde depuis le début, en 1974 au Portugal, de la troisième vague de démocratisation. Pourtant, malgré une large diffusion des principales caractéristiques de la démocratie, plusieurs recherches récentes constatent une désaffectation substantielle et croissante des citoyens face aux principales institutions démocratiques et au premier chef pour les partis politiques. Ainsi, les travaux rassemblés ici visent à fournir une réponse à cette question: sommes-nous devant le déclin des partis ou assistons-nous à une redéfinition de ceux-ci ? Cette question est circonscrite par la volonté de bien mettre en relief le rôle des partis politiques face aux demandes et aux attentes des citoyens à leur égard et comme acteurs indispensables du fonctionnement efficace des régimes représentatifs.

De plus, la pléthore de travaux sur les partis politiques étant surtout axée sur l’étude des démocraties occidentales, l’ouvrage cherche donc également à palier à cette lacune en couvrant un spectre beaucoup plus large d’États ayant des conditions de développement et des stades de démocratisation différents à travers le globe. Pour répondre à ces objectifs, l’ouvrage est divisé en trois parties en plus d’une introduction et d’une conclusion. Soulignons que comme pour la vaste majorité des ouvrages publiés dans la série A Journal of Democracy Book, les canevas des chapitres sont issus d’un colloque tenu à Washington en novembre 1996 sur le même thème. De même, signalons que le chapitre 3 a déjà fait l’objet d’une publication dans la revue Journal of Democracy en avril 2001.

Le livre s’ouvre sur une très intéressante introduction de Diamond et Gunther. En plus, de faire un excellent tour d’horizon, celle-ci balise explicitement les grands paramètres sur lesquels repose cet ouvrage collectif. Les deux auteurs soulignent que les impacts de la délégitimation d’institutions démocratiques, comme les partis politiques, peuvent être beaucoup plus grave dans les régimes en voie de consolidation que dans des démocraties bien établies. Pour les deux auteurs, l’ancrage profond des partis politiques dans la société est une condition nécessaire à la réussite de la consolidation.

La première partie du livre regroupe une très large thématique touchant les aspects théoriques et historiques des partis et des systèmes de partis. Le premier chapitre propose un très bon texte, largement théorique de Gunther et Diamond. Outre le rôle des partis et une typologie des partis construite autour de trois critères (le type d’organisation, la nature pluraliste ou hégémonique du parti et le niveau d’engagement idéologique), les auteurs s’attardent largement à présenter les types possibles de partis que l’on peut retrouver dans la typologie identifiée précédemment. Le deuxième chapitre, écrit par Hans Daaler, propose un survol de l’émergence des partis politiques en Occident. Il met en perspective certaines dimensions importantes dans l’étude des partis, comme la nature des partis, leur légitimité, la nature de leur objectif, etc.

De son côté, le texte de Seymour Martin Lipset, analyse la transformation des partis sociaux-démocrates européens à la lumière de ce qu’il nomme « l’américanisation de la gauche », c’est-à-dire à travers une modération de l’agenda idéologique et l’acception de plusieurs éléments de base du capitalisme, comme l’économie de marché. Ceci étant rendu possible par la transformation de la société. Le texte de Philippe Schmitter suggère que les partis politiques sont devant une transformation historique importante : ils ont perdu leur prééminence dans la représentation et l’agrégation des intérêts des citoyens. Ceux-ci utilisent maintenant d’autres véhicules, notamment les associations et les mouvements sociaux, pour défendre et représenter leurs intérêts. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que l’analyse de Schmitter se concentre essentiellement sur des pays en consolidations démocratiques. Ainsi, même si les partis politiques demeurent des acteurs – même symboliques – de l’intégration des citoyens dans le processus démocratique, leur rôle n’est plus ce qu’il était. Cette première section se termine par un essai de Giovanni Sartori touchant les impacts des modes de scrutin sur les partis et les systèmes de partis.

La seconde partie propose deux textes qui analysent l’impact des réformes politiques sur les partis et les systèmes de partis dans deux démocraties avancées dans la décennie 1990  : l’Italie et le Japon. Leonardo Morlino, dans le chapitre sept, présente un portrait global du système de partis et des partis politiques en Italie aux lendemains de la Seconde Guerre jusqu’au choc des scandales, liés à la mafia, qui balayèrent la Démocratie chrétienne entre 1992 et 1994. D’une situation où les partis politiques étaient fortement idéologisés et profondément implantés dans la société italienne, l’Italie se retrouve aujourd’hui avec des partis politiques beaucoup plus faibles et moins idéologisés. Bradley Richardson de son côté se penche sur le cas du Japon et de la dominance du Parti libéral démocratique (pld). Il en ressort que le pld s’est retrouvé dans une situation plutôt paradoxale : si l’existence de factions et de réseaux informels et personnels au sein du parti ont contribué à la fragilité de ce dernier, ce sont les mêmes facteurs qui expliquent sa résistance aux crises.

La troisième partie propose des études sur les partis et systèmes de partis pour les pays en développement et les anciens États communistes d’Europe. Le chapitre huit propose un survol de l’Amérique latine. Même si dans les États de la région il y a depuis longtemps des partis politiques, Michael Coppedge souligne quelques faits intéressants sur l’existence des partis dans cette région du monde : environ 80 % des partis disparaissent après une élection ! Les trois chapitres suivants proposent des études de cas sur l’Inde, la Turquie et Taiwan. Ces chapitres permettent de mettre en perspective les différentes trajectoires qu’a connues l’institutionnalisation des partis et des systèmes de partis. Ils offrent une bonne perspective pour chacun des États étudiés. Enfin, le texte de Herbert Kitschelt fait un topo d’ensemble pour les pays post-communistes d’Europe. L’auteur met l’accent sur le fait que le chemin emprunté lors de la sortie du régime communiste a une certaine influence sur le type de passage à la démocratie et conséquemment sur les partis et les systèmes de partis qui émergent alors. Dans la conclusion, Stefano Bartolini et Peter Mair suggèrent que l’impact de la délégitimation des institutions politiques varie selon les cas et proposent plusieurs interprétations possibles de ce phénomène.

Dans l’ensemble, même si l’ouvrage souffre des problèmes classiques de ce type de travail, c’est-à-dire que la diversité des textes fait que l’on s’éloigne quelquefois de l’objectif premier énoncé en introduction, il n’en demeure pas moins fort intéressant et utile pour les chercheurs, mais aussi pour les étudiants, qui souhaitent obtenir un portrait des partis politiques et des systèmes de partis dans le monde. Il relève bien le défi de s’intéresser à d’autres régions du monde à différents stades dans la mise en place des régimes démocratiques.