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Dans la recherche sur les politiques étrangères des petits États, l’intérêt du livre de Jeanne A.K. Hey vient de son parti pris comparatiste et des études de cas rassemblées. Le livre vise à organiser puis à tirer les enseignements d’un ensemble d’études de cas. Les exemples retenus sont intéressants et couvrent un large spectre de situations différentes. Ce fonctionnement permet, a posteriori, de comparer et de voir combien des États dans des situations diverses gèrent pourtant leurs politiques étrangères sous des contraintes similaires.

Écrite par l’éditeur, l’introduction pose un cadre commun à cet essai de comparaison. Elle s’ouvre sur le problème de savoir ce qu’est un « petit État ». Hey présente la typologie la plus répandue, distinguant les micro États, les petits États situés dans le monde développé et ceux situés dans le monde en développement. Elle postule d’abord qu’il est possible de théoriser les comportements de politique étrangère d’un groupe d’États particuliers appelés « petits États ». Citant David Vital, elle écarte la nécessité d’une définition pour privilégier une « notion », proposant de se baser sur l’idée de perception : seront étudiés comme petits États des États qui se considèrent comme tels.

Utilisant David Vital, Robert Rothstein ou Marshall Singer, Hey présente ensuite différents points de vue sur le comportement international des petits États. Le champ des recherches, écrit-elle, s’est trouvé longtemps limité par l’absence d’études comparatives et par le paradigme réaliste faisant de l’action des grands États seuls la base du système international. Hey pose donc deux questions : trouve-t-on des attitudes de politique internationale communes à ces « petits » États, et quelles explications peut-on trouver à celles-ci ?

Hey fait alors la liste des comportements classiques que le bon sens prête aux petits États, constatant que celle-ci nivelle trop la diversité des comportements : elle part d’une vision de petits États complexés, se limitant dans leur politique étrangère, luttant pour la survie dans un univers « réaliste ». Hey souligne les contradictions internes de cette liste, son manque de spécificité, son classicisme. Hey organise donc d’abord son étude du « comportement international des petits États », puis pose un « cadre conceptuel ». Elle entend se démarquer de façon raisonnée d’une explication liée uniquement aux pressions du système international. Elle plaide aussi pour un examen du sujet moins lié aux problèmes de sécurité nationale.

Le cadre que Hey propose d’appliquer à l’étude se fonde sur la méthodologie comparatiste exposée par James Rosenau en 1966. Le but est d’organiser les études de cas selon les niveaux d’analyse des facteurs explicatifs de Rosenau : le système international, le niveau de l’État (Hey rassemble là les niveaux bureaucratique, gouvernemental et sociétal) et le niveau individuel. L’idée générale est de chercher les influences de ces différents niveaux, et éventuellement d’isoler le plus influent dans l’action des petits États.

Frank O. Mora ouvre la série d’études de cas en traitant du Paraguay. Présentant l’action internationale de cet État enclavé d’Amérique centrale, il conclut que les trois niveaux sont importants pour comprendre celle-ci. Démocratie fragile, le Paraguay mène une politique étrangère « présidentielle et à la traîne », liée aux aspects personnels et au système régional. Jacqueline Anne Braveboy-Wagner, pour sa part, donne une contribution qui résume son livre de 2001 sur les micro États anglophones des Caraïbes. Elle présente des États minuscules sur la scène internationale, mais dont l’attitude a souvent été à la fois résolue et intelligente quand il s’est agi de préserver des intérêts surtout économiques. Les États caraïbes montrent le poids d’un leadership personnel et bureaucratique inventif, dans un contexte général qui pèse sur les options qui leur sont ouvertes.

Peter M. Sanchez présente ensuite le cas du Panama. Créé sous la pression des États-Unis, ce pays porte sur son territoire le symbole géographique des contraintes du système international aux petits États : le canal de Panama, élément important de la vision géopolitique de Washington. Ici, « le système décide des paramètres de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas… ». S’il assume cette conclusion déterministe, Sanchez souligne aussi que les caractéristiques de la société et de l’État panaméens et les aspects personnels jouent un rôle dans ce cadre.

Les contributions de Hey sur le Luxembourg et de Paul Luif sur l’Autriche évoquent les politiques étrangères de deux membres de l’ue. Malgré ses désavantages, Hey présente dans le cas du Luxembourg comment les conditions du système international déterminent le cadre à l’intérieur duquel les autres éléments jouent. Elle souligne en particulier le rôle d’un système bureaucratique de qualité, doté de buts précis, ainsi que celui d’un système démocratique solide, appuyé sur la richesse du pays et son sens national développé. Paul Luif sur l’Autriche est, quant à lui, très relativiste. En équilibrant le rôle de chacun des facteurs, il souligne l’importance de les étudier dans leurs interactions. Le système apparaît là encore comme la force dominante, mais Luif montre comment les niveaux ne peuvent pas être étudiés sans références les uns aux autres.

Les études de Abdoulye Saine sur la Gambie, Curtis R. Ryan sur la Jordanie et Zachary Abouza sur le Laos montrent des entités non démocratiques ou faiblement démocratiques, et souffrant des effets du sous-développement. Les contraintes internationales pèsent sur elles, mais les facteurs intérieurs et de développement sont importants dans la gestion de ces contraintes. La Gambie voit ses options encadrées par le système international, mais le facteur individuel joue un rôle important alors que la bureaucratie est quasiment inexistante. Le leadership personnel marque fortement la politique étrangère jordanienne, dans le cadre des contraintes posées par le système international. Le Laos, pauvre et enclavé, voit aussi le système s’imposer à lui : « il dispose de peu d’options, cherchant à équilibrer des menaces insurmontables. La façon dont il organise cet équilibre tend à refléter la balance des pouvoirs interne… ».

Hey conclut le livre en reprenant chacun des niveaux mentionnés. Le système apparaît clairement comme le facteur majeur pour les petits États. Comme on l’a vu dans presque tous les cas présentés, il détermine les options ouvertes dans le cadre de la politique étrangère d’un « petit État ». Hey souligne comment les contraintes du système sont même parfois intégrées dans la façon de penser de ces États. Cette importance fait des mécanismes de coopération internationaux un moyen favori des petits États de s’exprimer. Le niveau de l’État joue un rôle important dans certaines circonstances tout comme le rôle personnel des leaders. Globalement, Hey conclut que le cadre, l’éventail des options est fortement déterminé par le système international. Elle fait du niveau de développement général la variable essentielle qui influence à l’intérieur de ce cadre l’impact des autres niveaux, celui de l’État/société et celui de l’individu.

Ce livre apporte donc à la fois un cadre d’étude intéressant des pratiques de politique étrangère des petits États et une série cohérente d’exemples. Son rôle d’introduction au champ de recherche est donc bien rempli, puisqu’il présente au lecteur les problèmes les plus importants du sujet : définition d’un « petit État », perméabilité des champs politiques intérieurs et extérieurs, importance d’une pratique ouverte dans la recherche sur ce sujet « …au lieu de hiérarchiser ces niveaux différents (et leur influence), il est conceptuellement plus juste de développer une compréhension de leurs interactions… ». On appréciera le fait que l’ouvrage propose une méthodologie de recherche et d’analyse, plus qu’un corset théorique rigide.

On pourrait seulement reprocher au livre d’être trop court, en particulier sur le problème de la définition d’un « petit État ». Le fait de placer les perceptions au coeur de cette définition est une bonne idée, et Hey s’appuie là sur les travaux de David Vital. Mais il semble qu’on pourrait enrichir la réflexion sur ce concept de perception de soi chez les États. La méthode du « je reconnais un petit État quand j’en vois un » laisse un sentiment mitigé. Le problème ici vient de la volonté de ne pas exclure en définissant trop clairement, alors que l’on voit pourtant des traits communs aux comportements internationaux du groupe d’États évoqué, traits communs qui pourraient être isolés comme caractères de définition. Il nous semble donc que le rôle de l’identité et de la perception de soi dans ce champ d’étude mériterait d’être abordé de façon plus poussée.