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Cet ouvrage collectif de vingt-deux chapitres a pour objectif d’identifier ce qui détermine la réussite ou l’échec de certains accords de paix pour mettre fin à un conflit civil. Dans cette perspective, sont présentées les plus récentes théories touchant à la résolution des conflits et à l’intervention des tierces parties médiatrices, tant dans leurs aspects théoriques qu’à travers des études de cas.

Entre l’introduction et la conclusion, le livre se divise en trois parties : la première comporte quatre chapitres qui portent sur les stratégies de mise en oeuvre des plans de paix, la deuxième partie présente sept chapitres touchant à des tâches spécifiques liées à cette mise en oeuvre, tels le désarmement des combattants ou le retour des réfugiés, et la troisième partie, neuf chapitres, est consacrée aux études de cas. Le tout est complété par une bibliographie (15 p.) et un index détaillé (23 p.).

Dans un chapitre introductif, Stephen Stedman situe ce livre dans le corpus littéraire existant sur le même sujet. Sans être exhaustif, ce chapitre résume néanmoins les principales contributions dans le domaine depuis la fin de la guerre froide, développées à partir du milieu des années 1990. Ce texte rassemble de façon succincte les apports trop souvent épars que l’on retrouve dans ce domaine en études stratégiques.

Dans la première partie, l’étude de George Downs et Stephen Stedman, portant sur les difficultés de mettre en oeuvre des accords de paix, arrive à la conclusion que les trois principales variables environnementales conduisant à l’échec des accords de paix sont : 1) la présence de factions ou de dirigeants radicaux opposés aux accords – les spoilers ; 2) la présence d’États voisins également opposés à un accord et qui entretiennent les radicaux, et 3) la présence de ressources faciles d’accès. Il s’agit de constats généraux que l’on retrouve également dans d’autres études sur la question. L’originalité de ce chapitre repose toutefois sur la méthode pour mesurer le succès de la mise en oeuvre d’un accord de paix, tenant compte de la réalisation du mandat (de l’onu), mais également des indicateurs tels le respect des droits de la personne, les élections, le désarmement et le retour des réfugiés.

Il faut souligner les apports de Bruce Jones, sur les défis de la coordination entre les intervenants gouvernementaux, non gouvernementaux et multilatéraux, et de Michael Doyle, sur l’autorité transitoire comme l’une des institutions essentielles permettant le passage de la guerre à la paix civiles. Donald Rothchild fait pour sa part une évaluation de la relation entre les termes des accords de paix et la stabilité observée à la suite de ces accords. Il s’agit d’une analyse beaucoup plus conventionnelle, dans la mesure où elle repose sur des approches bien établies : le partage du pouvoir, les accords entre élites et l’alternative entre l’autonomie ou le fédéralisme, de même que les processus électoraux, comme mécanismes permettant d’assurer une certaine stabilité à la suite d’un conflit civil. À ce titre, il recoupe abondamment le chapitre de Terrence Lyon consacré au rôle des élections dans la stabilité post-conflit. Pour finir, Rothchild conclut sur un discours qu’on lui connaissait déjà concernant les peurs et les incertitudes qui survivent à la guerre, ce qui rend difficiles la diffusion de l’information et l’engagement crédible des protagonistes dans les accords de paix.

La deuxième partie du livre est assez disparate, mais la plupart des chapitres sont bien ciblés sur un des enjeux qui doivent être contrôlés en vue d’éviter une reprise des combats. On y retrouve les chapitres de Joanna Spear sur le désarmement et la démobilisation des combattants, de Tonya Putnam sur le respect des droits de la personne, de Howard Adelman sur le retour des réfugiés et de Charles Call et William Stanley sur la sécurité civile.

Dans cette partie, le chapitre de Susan Woodward portant sur les « priorités économiques » est particulièrement intéressant, car l’auteur montre comment les attentes des populations qui se relèvent d’une guerre civile ne sont généralement pas satisfaites, parce que les guerres civiles et les processus de paix apparaissent généralement à la marge de l’économie globalisée, et la bonne volonté associée à un accord de paix est souvent la première victime des forces du marché.

Conformément à l’intention des éditeurs de cette recherche collective, la partie empirique visait à analyser tous les cas de guerre civile entre 1980 et 1997, dont les protagonistes étaient parvenus à un accord de paix, les cessez-le-feu n’étant pas considérés suffisants, et où il était attendu que les acteurs internationaux jouent un grand rôle dans la mise en oeuvre de l’accord (p. 22). C’est ainsi que la troisième partie du livre nous fait voyager dans les principales zones de conflit des deux dernières décennies : en Amérique latine, avec les études portant sur le Nicaragua, l’El Salvador et le Guatemala ; en Afrique, notamment avec les analyses du Rwanda et du Liberia ; en Asie, avec les travaux portant sur le Cambodge et le Sri Lanka ; au Moyen-Orient grâce à la contribution portant sur le Liban et dans les Balkans avec l’analyse de la Bosnie. L’exception notable est le territoire de l’ex-urss, seule grande région du monde non couverte par le livre, même si le Tadjikistan (guerre civile de 1992 à 1997) se qualifiait selon les critères de sélection énoncés.

Les études de cas retenues sont généralement bien intégrées à la problématique générale du livre, ce qui n’est pas toujours le cas dans les ouvrages collectifs. Ainsi, par exemple, Marie-Joëlle Zahar analyse sérieusement en quoi l’accord de Ta’if au Liban peut être qualifié de succès, dans le contexte équivoque de l’occupation du pays par l’armée syrienne et de la non-résolution du conflit israélo-arabe. Si à court terme, « la stabilité se fait aux dépens du respect des droits de la personne et de la démocratie », l’accord de Ta’if constitue néanmoins « une base au développement économique et au renforcement des institutions étatiques, ouvrant la voie à une auto-alimentation de la mise en oeuvre » de l’accord (pp. 567-568).

La conclusion générale du livre, d’à peine neuf pages, est cependant décevante pour un ouvrage de cette ampleur. Étant donné la qualité et la quantité des analyses regroupées, il aurait été utile de se pencher plus longuement sur les enseignements que l’on peut en tirer. Une conclusion plus étoffée aurait également pu permettre d’établir des liens entre les apports théoriques et l’expérience pratique confinée dans les études de cas, voire à ouvrir les conclusions sur une perspective plus large, comme par exemple en établissant des parallèles entre les exemples retenus et d’autres conflits civils internationalisés où on ne parvient pas à trouver la paix, malgré une importante implication de la communauté internationale – comme à Chypre.

Deux facteurs-clés sont néanmoins identifiés pour expliquer les différences dans la mise en oeuvre des accords de paix : la difficulté de l’environnement et la volonté des États de fournir les ressources et d’engager des troupes pour veiller au processus de mise en oeuvre de l’accord de paix (p. 664). Ce dernier facteur est particulièrement important, dans le contexte où la seule superpuissance restante dans le monde est réticente à prendre part à des opérations multilatérales dont elle ne contrôle pas tous les aspects, où les Nations Unies souffrent d’un manque chronique de capital politique et financier et où d’autres organisations multilatérales, comme l’Union européenne, manquent de volonté politique, pour ne pas dire de capacité militaire, pour intervenir efficacement.

Ces conclusions générales ne semblent cependant pas particulièrement pertinentes, en raison notamment du choix des cas à l’étude. Ceci rend les conclusions finales passablement tautologiques : les auteurs ne devraient pas se surprendre d’observer qu’il y a une plus grande probabilité de succès dans la mise en oeuvre d’un accord de paix lorsque la communauté internationale prend en charge cette mise en oeuvre alors même que les cas étudiés sont sélectionnés en fonction de l’implication attendue de la communauté internationale. Par ailleurs, très peu d’auteurs glissent un mot sur l’internationalisation des conflits civils ou ce qui pousse la communauté internationale à s’impliquer dans un cas plutôt qu’un autre.

Il reste que des éléments intéressants ressortent de la conclusion, par exemple qu’au lendemain d’une guerre civile, la priorité doit aller aux tâches (p. 668) telles que celles qui sont identifiées dans la seconde partie du volume. La première des priorités devant être consacrée à la démobilisation et au désarmement des combattants, avant même de tenter l’expérience de la démocratisation, sans quoi on ne peut mettre fin à la guerre elle-même (pp. 665 et 668).

Les thèmes couverts dans cet ouvrage constituent un bon échantillon de la diversité des questions abordées dans l’étude des conflits civils, tant sur le plan théorique que sur celui des études de cas. Par son ampleur, ce livre s’adresse tant aux spécialistes qu’aux étudiants de l’étude des conflits et des processus de paix. L’intérêt de ce livre repose moins sur la compréhension de la dynamique conflictuelle, que sur une question encore peu étudiée, notamment celle de savoir ce qui permet le bon fonctionnement d’un accord de paix.