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Ce court ouvrage s’intéresse à la crise de légitimité des institutions européennes. À la fin des années quatre-vingt-dix, le problème de la responsabilité se pose sérieusement. Sur fond d’un profond malaise politique provoqué par l’affaire de la vache folle (1997) et la démission de la Commission Santer (1999), l’édifice européen est ébranlé par les affaires et la corruption, par une crise de confiance de la population et par le sentiment de lourdeur des rouages administratifs. Paul Magnette propose un approfondissement de ces questions en examinant les mécanismes de la responsabilité au sein de l’institution. Une première impression qui se dégage est la difficulté à bien saisir la logique de la responsabilité européenne, placée devant l’opacité du processus de décision. Dès sa fondation, l’Europe doit se confronter aux logiques nationales peu enclines à accorder des espaces de responsabilité à Bruxelles. On nous présente souvent l’image d’une Europe réduite, limitée, plus technocratique et économique. Il faut attendre les profondes réformes débutées par l’Acte unique en 1987 et poursuivies par le traité de Maastricht pour assister à un changement des esprits. Il est également intéressant de noter les nouvelles impulsions européennes produites par l’ajout de nouveaux membres, notamment les pays scandinaves qui introduisent une autre culture politique.

Cet ouvrage se divise en deux parties. Dans une première section, l’auteur propose un survol des mécanismes de contrôle de la responsabilité au sein des institutions européennes. Un premier chapitre de nature théorique fait état de l’origine des modèles de responsabilité au sein des régimes démocratiques britannique (le modèle parlementaire de Westminster) et américain (le Checks and Balances). Dans chacune des trajectoires historiques, l’auteur souligne l’extension du contrôle des citoyens sur le pouvoir politique. Il faut constater ici le long chemin parcouru, mais remarquer l’absence d’une culture de responsabilité dans la construction européenne qui s’explique par la difficulté de transposer un modèle national ou de construire un nouveau cadre institutionnel. L’Europe présente plutôt l’exemple d’une responsabilité affaiblie ou hybride autour de quatre aspects (pp. 24-25) : la difficulté d’identifier les acteurs d’une décision, l’impossibilité des électeurs à révoquer les dirigeants, l’absence d’une forme d’opposition politique, le peu de surveillance des médias d’information. Les trois chapitres suivants présentent les mécanismes de contrôle au coeur de principaux organes, soit la Commission, le Conseil et la Banque centrale européenne (bce). Dans les deux premiers cas, l’auteur souligne avec justesse l’ambivalence européenne tiraillée entre la logique souveraine des États et une impulsion parlementaire européenne plus revendicatrice. Technocratique ou politique, organe fondateur, la Commission s’est développée dans la neutralité, mais se fait concurrencer par un Parlement plus politisé et participatif, mais divisé selon des clivages partisans nationaux. Depuis quelques années, l’auteur souligne l’introduction de deux procédures de contrôle de la Commission par les parlementaires, soit l’investiture et la censure. Pour sa part, le Conseil européen illustre la difficulté d’envisager le contrôle dans un espace supranational en construction. Véritable exécutif de l’Europe, le Conseil est le lieu de la rencontre des différentes logiques concurrentes des assemblées nationales.

Par sa nature indépendante et son mandat particulier, la bce se détache des rouages de coopération connus. Elle évolue dans un nouvel environnement et entend maintenir une marge de manoeuvre dans ses activités. Paul Magnette voit néanmoins des mesures de contrôle minimales qui consistent à favoriser un meilleur dialogue entre la banque et les institutions.

Dans une seconde section, Paul Magnette aborde d’autres formes de contrôle émanant cette fois-ci des particuliers. Selon l’auteur, c’est à ce niveau que nous assistons aux changements les plus intéressants compte tenu de la participation accrue des citoyens aux affaires politiques. L’Europe ne fait pas exception à la règle et suit une tendance générale aux sociétés démocratiques. L’auteur présente deux axes du contrôle citoyen. Une première forme plus classique consiste à avoir recours aux procédures judiciaires prévues par la Cour de justice européenne, permettant ainsi la prise en compte de particuliers. Ceci a pour effet d’étendre considérablement l’espace européen qui devient un objet de préoccupation pour les individus privés ou collectifs, surtout depuis Maastricht qui permet le développement d’un droit communautaire et d’un droit des gens. Dans ce nouveau paysage, deux terrains de recours juridictionnel préoccupent la Cour : citoyenneté européenne, transparence des institutions. Enfin deux autres formes de contrôle plus souples et moins coûteuses que la voie judiciaire illustrent mieux la nouvelle dimension du politique, représentée par le dynamisme de la société civile. D’une part, dès 1953, les institutions adoptent le principe classique de la pétition qui donne un recours au citoyen. Toutefois, il faut attendre la dynamique plus politique des années quatre-vingt-dix et assister à une augmentation du nombre et de l’étendue des plaintes. D’autre part, la création du poste de médiateur représente le progrès le plus tangible d’une politisation de l’Europe et l’influence d’une culture politique plus participative. Même si ce pouvoir reste bien limité sur papier, il provoque des changements et une pratique intéressante visant à changer les esprits vers la prise en compte de nouvelles règles au service de la bonne gouvernance, de la transparence.

En somme cet ouvrage s’adresse principalement à un public universitaire intéressé par les affaires européennes. La lecture est parfois complexe illustrant bien la réalité hybride des institutions européennes. Toutefois, il me semble que deux idées plus générales se dégagent. D’une part, il est important de se demander si les mécanismes de contrôle, surtout l’excès du contrôle, ne va pas peser sur la construction d’une Europe politique et démocratique. D’autre part, il faut noter que la notion de responsabilité politique ne s’appuie pas strictement sur le principe technique de l’accountability, la reddition des comptes à la britannique, mais sur l’édification d’une identité européenne forte et claire. La construction européenne passe alors par la présentation d’un projet de société en mesure de dépasser la simple logique du « déficit démocratique ».