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Depuis la fin de la guerre froide, les relations transatlantiques sont entrées dans une zone de fortes turbulences à la fois structurelle et conjoncturelle. Jusqu’au 11 septembre 2001, une crise, qui n’osait pas toujours être nommée ainsi, tapissait les relations entre les deux rives de l’Atlantique. À cet égard, la campagne du Kosovo avait été un révélateur d’une distanciation entre plusieurs des partenaires européens et les États-Unis. Après le 11 septembre 2001 et la guerre en Irak en 2003, il n’est plus possible de nier l’évidence : les relations transatlantiques sont en crise. Cette crise, qui secoue l’Alliance atlantique, repose sur une double nouveauté par rapport aux crises précédentes de la guerre froide. Tout d’abord, la remise en cause de l’outil que représente l’Alliance : nous sommes maintenant passés, pour Washington, à l’idée que dorénavant c’est « la mission qui fait la coalition ». Deuxièmement, la critique fondamentale de l’Alliance atlantique ne vient pas des alliés européens mais bien du plus puissant partenaire.

Or, l’ouvrage sous la direction de Yves Jeanclos se trouve en amont de la crise aiguë des relations transatlantiques précédant le conflit irakien mais en aval des problématiques structurelles provenant des suites de la campagne du Kosovo. L’ouvrage propose les actes d’un colloque qui eut lieu les 27 et 28 septembre 2001, donc quelques jours après le fatidique 11 septembre 2001. Si certains auteurs s’y réfèrent, ce ne sont pas les propos centraux de l’ouvrage. Ce dernier comporte vingt-deux contributions très diversifiées, vingt sont écrites par des universitaires des deux rives de l’Atlantique et deux textes proviennent d’officiels gouvernementaux ; plus précisément de la plume de la conseillère à l’ambassade des États-Unis à Paris et d’un fonctionnaire du Bureau du conseil privé du Canada. L’ouvrage ne comporte ni introduction – sauf si l’on considère que le texte au dos de l’ouvrage représente une introduction – ni de conclusion. Les textes proposés sont divisés en deux parties, elles-mêmes divisées en deux sections. La première partie s’intitule Le temps des interrogations et de la solitude et sa première section propose la thématique suivante : La recherche de la sécurité dans l’après-guerre froide. Elle recouvre plusieurs problématiques qui ne se recoupent pas nécessairement. David Haglund et Alex Macleod s’attardent à deux acteurs particuliers des relations transatlantiques : le Canada et la Grande-Bretagne. Le texte de Haglund propose un survol des liens entre le Canada et l’espace européen depuis 1945 tandis que Macleod analyse le rôle central de la Grande-Bretagne dans la définition de la politique européenne de défense depuis l’arrivée de Tony Blair au pouvoir et en fonction de la relation spéciale avec les États-Unis. De leur côté, Jean-Paul Joubert et Stanislas Kirschbaum se penchent sur les anciens « ennemis » de l’otan : la Russie et l’Europe centrale et orientale. Joubert propose une analyse de la puissance russe depuis l’effondrement de l’urss. Il constate que de nombreux spécialistes font l’erreur de ne pas réaliser que la Russie n’est plus une grande puissance mondiale. De son côté, Kirschbaum survole l’importante question sécuritaire pour les anciens pays d’Europe de l’Est à l’égard de l’otan et de l’Union européenne (avant l’élargissement de 2004). Sur un autre registre, Marie-Claude Plantin et Alain Fogue Tedom terminent cette première section sur deux sujets totalement différents : Plantin s’attarde aux derniers soubresauts de l’Union de l’Europe occidentale (ueo) et Tedom présente la politique de certaines puissances atlantiques, plus particulièrement de la France et des États-Unis, dans le développement des capacités africaines pour le maintien de la paix. La seconde partie de cette première section s’intitule Le champ des divergences et des rivalités. Comme dans la première partie, les thématiques sont très éclatées. Michel Dévoluy fait un résumé du rôle de l’euro, à la fois, comme monnaie internationale et dans l’ordre monétaire international. Sur un sujet plus spécifique, Jean-Paul Hébert s’attarde à la question de l’industrie de l’armement et de la compétition entre les États-Unis et l’Europe dans les années 2000 et 2001. Par la suite, Florence Benoît-Rohmer réfléchit à une question davantage philosophique : la conception divergente des droits de l’Homme en Europe et aux États-Unis. Or, si deux rives de l’Atlantique partagent les mêmes racines philosophiques du libéralisme classique, une évolution historique différente, entre autres le fait qu’en Europe les droits de l’Homme évoquent les transgressions du pouvoir souverain, explique cette distanciation entre l’Europe et les États-Unis en ce domaine. Par la suite, à partir de la littérature sur les images en relations internationales, Charles-Philippe David et Frédéric Ramel s’intéressent à celle qu’a l’Administration Bush de l’Europe. Les deux auteurs montrent bien que cette Administration a une vision assez rigide de l’Europe même si, à quelques occasions, cette vision est plutôt ambivalente. Il est à noter que ce texte a fait l’objet d’une publication dans Études internationales en mars 2002. Enfin, cette première partie se clôt sur un texte de Nicole Vilboux concernant les impacts des orientations stratégiques américaines en matière d’armes nucléaires pour l’Europe.

La seconde partie de l’ouvrage intitulée Le temps des coopérations et de la solidarité est aussi divisée en deux sections. La première, L’émergence d’une Europe de la Sécurité et de la Défense, s’ouvre sur un texte de Daniel Colard. Ce dernier considère que l’Union européenne se trouve à la confluence de trois types de sécurité internationale – coopérative, démocratique et humaine – et qu’elle représente aussi un exemple probant d’une gouverne sécuritaire développée à partir d’une intégration régionale. André Dumoulin, de son côté, présente les difficiles premières tentatives de développement d’une politique européenne de sécurité et de défense. Par la suite, Josiane Tercinet fait un intéressant survol de la gestion de la crise macédonienne débutant en février 2001, par les principaux partenaires européens. Ce cas sert à illustrer les difficultés mais aussi les possibilités d’une Europe de la sécurité et de la défense. Toutefois, Yves Jeanclos montre bien qu’au-delà des convergences des moyens militaires nationaux des différents membres, cette Europe de la sécurité et de la défense demeure fragile en l’absence d’une véritable orientation commune. Sur un registre plus global, André Donneur réfléchit à trois scénarios possibles pour l’avenir sécuritaire dans la zone euro-atlantique.

La seconde section de cette partie propose tout d’abord un texte de Michel Mathien sur le rôle des médias et de leur identité nationale lors de crises importantes. Pour sa part, Victor-Yves Ghébali offre une réflexion intéressante sur l’osce et la politique américaine à son égard. Il fait un portrait global des rôles de l’organisation dans les opérations de maintien de la paix et dans ses fonctions de soft security. Michèle Bacot-Décriaud s’attarde aux relations entre l’Union européenne et l’otan depuis la fin de la guerre froide tandis que Vincent Bonniot fait une analyse concise d’une problématique très précise : celle de l’interopérabilité entre les systèmes d’information et de commandement entre Européens et Américains. Enfin, Guy Morissette et Sue Leonore Bremner présentent successivement les conceptions canadiennes et américaines des relations transatlantiques ; soulignons au passage la présentation de Morissette qui fait bien ressortir les principaux enjeux, pour le Canada, des relations transatlantiques dans le domaine de la sécurité.

Comme il est possible de le constater, ce livre couvre une panoplie de sujets qui, quelquefois, ont des liens plutôt ténus avec la thématique identifiée. L’absence d’une introduction et d’une conclusion se fait terriblement sentir. On peut aussi constater que les textes ne sont pas tous de mêmes niveaux : certains offrent des introductions intéressantes à des problématiques particulières (Haglund, Fogue Tedom ou Dévoluy par exemple), d’autres sont très spécialisés (Hébert et Bonniot), d’autres sont des analyses assez poussées (Ramel et David ou Benoît-Rohmer par exemple) et d’autres sont plutôt descriptives. Enfin, la quasi-absence des conséquences du 11 septembre 2001 et des débats précédant la guerre en Irak, fragilisent et rendent incomplètes certaines des conclusions proposées ici. L’ouvrage peut intéresser des étudiants et un public informé qui souhaitent s’introduire à certaines dimensions particulières des relations transatlantiques avant les événements de septembre 2001.