Comptes rendus : Histoire

Dimier, Véronique, Le gouvernement des colonies, regards croisés franco-britanniques, coll. Sociologie politique, Bruxelles, 2004, Presses de l'Université de Bruxelles, 288 p.[Notice]

  • Dominique Darbon

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  • Dominique Darbon
    cean iep de Bordeaux, France

Le titre de l’ouvrage de Véronique Dimier est trompeur. Le lecteur ne trouvera guère d’éléments précis sur les systèmes de gouvernement des colonies françaises et britanniques jusqu’à la décolonisation, pas plus qu’il ne trouvera une description fine des pratiques d’administration au quotidien dans les deux empires coloniaux. Ce n’est pas le but de cet ouvrage. L’auteure nous invite à nous plonger dans l’histoire de la production d’une science coloniale et des controverses scientifiques qui ont marqué la comparaison des modèles français et britannique. En se concentrant sur l’opposition célèbre qui continue à marquer certains travaux contemporains entre un modèle britannique d’administration indirecte et la politique française d’assimilation, l’auteure réussit à proposer une histoire comparée de la production scientifique en matière de science coloniale. En ce sens cet ouvrage est extrêmement riche, bien documenté et fondé sur un travail remarquable de mobilisation des archives des grands lieux historiques de production des modèles administratifs et de formation des administrateurs et universitaires spécialisés. L’auteure s’intéresse aux travaux des grands auteurs des deux pays (Lord Dugard, Margery Perham, Lucy Mair, Maurice Delafosse, Robert Delavignette, Henri Labouret...) en resituant leur production dans le contexte scientifique et politique de l’époque. Elle souligne ainsi comment ces travaux sont souvent marqués par une tendance à s’ériger en défense et illustration d’une politique nationale et par une méconnaissance impressionnante des méthodes, principes et pratiques de gouvernement des autres puissances coloniales. La production d’une doctrine coloniale de gouvernement apparaît ainsi à la fois comme une élaboration raisonnée et comme une oeuvre de propagande développée pour légitimer la domination exercée en la présentant comme exemplaire. L’auteure est particulièrement convaincante lorsqu’elle montre à partir de travaux célèbres et des commentaires qui en furent faits comment se conjuguent méconnaissance des faits, déficiences des techniques d’enquêtes et reproduction des a priori nationaux/raciaux. Le « préjudice racial » inter-européen est souvent à son apogée et conduit, associé à des enjeux politiques de domination, à ancrer la réalité de modèles qui apparaissent aujourd’hui bien discutables. Cet ouvrage présente un autre intérêt majeur. Il permet de voir les différences de rapports associant pouvoir et université, administration et formation et recherche des deux côtés de la Manche. Alors que les Britanniques s’engagent très tôt dans un travail de recherche et de production d’une science administrative coloniale fondée pour l’essentiel sur leurs propres pratiques, les Français restent résolument à la traîne. Ils ne commenceront vraiment à développer ce type de travaux que par réaction à l’avance prise par les Britanniques et grâce à quelques administrateurs coloniaux éclairés. L’association connaissances pratiques de terrain, enjeux de pouvoir et savoir universitaire renforce la portée des travaux réalisés côté britannique et leur donne un espace et des moyens plus importants qu’en France. Ces textes deviennent progressivement un corps de doctrine parvenant à ériger progressivement les pratiques britanniques en modèle idéal et inversement à rejeter les pratiques des autres puissances coloniales en les caricaturant. Ce résultat s’explique d’autant plus facilement que le processus de comparaison consiste le plus souvent à discuter une caricature des méthodes de « l’autre » et la confrontant de l’autre côté à une connaissance fine des pratiques nationales. La multiplication de travaux de colonisation comparée dans le monde anglophone, fonctionnant sur ce principe, ne pouvait alors que conduire le modèle français à la défensive. Or, et c’est l’un de ses grands mérites, l’auteure nous fait découvrir qu’au-delà de ces confrontations connues, il existe un autre monde. Celui qui ne cesse de confronter pratiques et théories, de comparer des expériences différentes et de constater le caractère extrêmement fluide des soi-disant modèles administratifs contraints de s’adapter à la fois aux contraintes techniques, …