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Les critères de convergence du Traité de Maastricht visaient à faire tendre l’Europe vers une Zone monétaire optimale[1], c’est-à-dire une zone dans laquelle les chocs subis par les États membres seraient en majeure partie symétriques. Mais la convergence nominale induite par les critères de convergence du Traité de Maastricht, ne s’est pas accompagnée d’une convergence réelle. Dès lors, il y un consensus sur le fait que la zone euro ne répond pas aux critères d’optimalité énoncés par Mundell, et qu’elle est donc vulnérable aux chocs asymétriques pour lesquels la politique monétaire centralisée est inefficace. Il ne reste donc aux pays membres qu’un instrument principal d’ajustement, la flexibilité sur le marché du travail et notamment la flexibilité salariale.

Nous formulons donc l’hypothèse que nous cherchons à tester ici, selon laquelle nous assisterions à un accroissement de la flexibilité salariale après le Traité de Maastricht en lien avec le renouvellement du régime économique dominant. Plusieurs années s’étant écoulées depuis la signature du Traité, nous pouvons confronter les conséquences de cette nécessité supposée d’accroissement de la flexibilité aux exigences de la validation empirique. Observe-t-on un effet Maastricht en termes de corporatisme et de flexibilité salariale ? Les systèmes de négociation des pays signataires ont-ils évolué vers une configuration plus flexible ? Dans ce cas, qu’en a-t-il été pour les pays qui ont bénéficié d’une clause d’opting out lors de la signature du Traité (Royaume-Uni et Danemark) et plus globalement pour ceux qui n’ont pas souhaité par la suite participer à l’euro (Royaume-Uni, Danemark et Suède) ? Sont-ils effectivement caractérisés par une plus grande stabilité des institutions du marché du travail relativement au club des pays participants ?

Ce travail repose sur deux a priori. D’une part, le salaire réel est la variable d’ajustement par excellence dans une Union monétaire, et d’autre part l’hétérogénéité des salaires réels est presque entièrement liée aux différences dans les caractéristiques de la négociation salariale.

Nous avons choisi d’évaluer la dynamique des institutions du marché du travail par un indicateur original, le « degré de corporatisme de la négociation salariale », centré sur la négociation salariale. Composé de quatre sous-indicateurs, il rend compte du déroulement de la négociation. Par définition, un indicateur de corporatisme est un indicateur complexe dont l’évolution globale cache un certain nombre d’évolutions partielles qu’il s’agit de mettre en évidence en procédant à la déconstruction, puis la reconstruction de cet indicateur à deux époques différentes. L’analyse comparative de l’indicateur global d’une part, puis des éléments qui le constituent d’autre part, conduit à des conclusions beaucoup plus nuancées quant à la nécessité ou à l’efficacité de la décentralisation de la négociation salariale.

Après un rapide survol des enjeux de la discipline salariale, nous commençons par définir les composantes de l’indicateur de corporatisme, puis nous en présentons sa construction. Enfin, à partir de cet indicateur calculé pour neuf pays européens, nous nous interrogeons sur l’évolution du corporatisme et l’éventuelle polarisation des pays selon qu’ils appartiennent ou pas à la zone euro.

I – Définir un indicateur de corporatisme de la négociation salariale

A — Passage à l’euro et discipline salariale

La signature du traité de Maastricht, et notamment la nécessité de respecter les critères de convergence dans un contexte de compétitivité accrue et de chômage élevé, a fortement stimulé le besoin de flexibilité salariale. En effet, le choix de privilégier la stabilité des taux de change dans un contexte de libre circulation des capitaux supposait d’adopter une politique monétaire unique, voire une monnaie unique au niveau européen. Dans ce contexte, il importait de rapprocher et de stabiliser les déterminants des fluctuations du taux de change (inflation et taux d’intérêt directement et déficit budgétaire et dette publique indirectement). Mais de tels choix supposaient de modifier radicalement la conduite de la politique économique et la gamme des outils d’ajustement en cas de chocs macroéconomiques ; les variations des taux de change et les instruments budgétaires n’étant plus utilisables, il ne restait alors que les ajustements sur le marché du travail. Ainsi que le souligne Boyer[2], on passait ainsi d’une série de National labour standards à un European monetary standard.

Dans ce contexte, les systèmes de formation des salaires doivent être à la fois souples pour que chaque pays puisse absorber un « choc » qui lui serait spécifique (par exemple un changement important dans la fiscalité ou dans la réglementation du travail, ou encore une forte divergence des gains de productivité par rapport au reste de l’Union) et coordonnés, pour que tous les pays réagissent de la même manière aux chocs affectant l’ensemble de la zone (par exemple une hausse des prix du pétrole ou une appréciation de l’euro face au dollar) et pour limiter la désinflation salariale entre les pays, susceptible de ralentir le rythme de croissance de la zone[3].

Ces orientations en direction d’une certaine flexibilité salariale ont aussi été renforcées par l’adoption de politiques de désinflation compétitive majoritairement centrées sur l’offre, faisant de la réduction du nombre des fonctionnaires et de la baisse escomptée du chômage en lien avec la flexibilité salariale, un vecteur de l’amélioration de la compétitivité des entreprises et de la performance budgétaire des États.

Ce changement de conduite du régime économique est cependant moins évident qu’il n’y paraît. Les critères budgétaires particulièrement restent encore aujourd’hui difficiles à respecter pour près de la moitié des pays européens et la flexibilité sur le marché du travail ne se décrète pas, ainsi que le soulignent les résistances des salariés (notamment en France) aux réformes allant dans ce sens, et la persistance de fortes disparités des institutions du marché du travail.

Aussi, en lien avec ces évolutions, dans les vingt dernières années, de nombreux travaux de recherche ont pris en compte de façon croissante les relations professionnelles, et particulièrement les effets de la (dé)centralisation des négociations collectives sur l’évolution des salaires, de l’emploi et des performances macroéconomiques des pays développés, et notamment des pays européens. Historiquement, on différencie deux tendances principales[4]. L’École « corporatiste » affirme une relation monotone et positive entre centralisation et performance, tandis que l’école de « la courbe en U inversée » souligne une relation non linéaire, dont les performances sont renforcées aux deux extrêmes de la courbe[5]. Une troisième catégorie de travaux, plus récents, tendent à remettre en question les conclusions quant à l’effet systématique de la centralisation sur le niveau des salaires, l’inflation et le chômage. Ainsi, dans cette perspective Soskice[6], puis Traxler et al.[7] soulignent l’importance de prendre en considération le niveau de coordination des négociations en complément de leur caractère plus ou moins centralisé. Plus récemment, Traxler[8] a émis une hypothèse de « contingence », affirmant ainsi que la performance de la négociation centralisée est relative aux circonstances dans laquelle elle se déroule et notamment à la capacité du gouvernement et des parties prenantes à mener à bien les négociations. Il montre ainsi, à partir d’un travail empirique sur 20 pays de l’ocde entre 1970 et 1996, le caractère non linéaire de la relation entre centralisation et performance et l’existence d’effets de bifurcation imputables au degré de « gouvernabilité » de la négociation.

À l’échelon des pays européens, et depuis la création de la zone euro, un certain nombre d’auteurs ont tenté d’évaluer d’éventuelles transformations dans le degré de (dé)centralisation des négociations collectives. L’hypothèse d’efficacité du niveau centralisé et corporatiste a été corroborée par l’étude de l’ifo[9]. D’un autre côté, Tabellini et Wyplosz[10] mettent en avant l’idée selon laquelle les pays européens auraient eu tendance entre 1960 et la fin des années 90 à se concentrer sur le niveau intermédiaire de la négociation sectorielle. D’autres travaux sur un horizon temporel plus court montrent au contraire que la période de préparation à l’Euro a été marquée par une forme de recentralisation des négociations salariales. La décentralisation est alors encadrée afin d’incorporer la dimension de compétitivité des employeurs[11], tandis que l’objectif de politique des revenus devient secondaire par rapport à la nécessaire adaptation aux contraintes de flexibilité. Les dérives salariales entre salaires négociés et salaires réels se seraient sensiblement réduites au cours des années 90, ainsi que l’analyse Yakubovitch[12]. Koeninger, Leonardi et Nunzatia[13], à partir d’estimations pratiquées dans 11 pays de l’ocde, concluent que les institutions organisant le marché du travail, en particulier les syndicats, sont susceptibles de comprimer significativement la structure salariale par rapport à la logique de marché. C’est ce que corrobore l’étude de l’ocde[14] en arrivant à la conclusion selon laquelle le corporatisme joue alors contre l’emploi.

B — Complexité de l’indicateur de corporatisme et identification des effets sur le salaire réel

Tous ces travaux reposent sur la construction d’indicateurs de corporatisme dont les « boîtes noires » restent à ouvrir, comme le souligne Traxler[15] sur le concept particulier de coordination. Ainsi, les premiers travaux ont évalué le degré de corporatisme du marché du travail[16]. Ils caractérisent le degré de consensus et d’implication des partenaires sociaux et du gouvernement dans la mise en oeuvre de la politique publique. Mais l’aspect flou et large du concept de corporatisme retenu le rend trop imprécis pour caractériser de manière adéquate la négociation salariale. D’autres approches plus récentes, consacrées au degré de centralisation de la négociation ou encore au degré de coordination[17] se sont développées. Elles ont cependant tendance à confondre la centralisation et la coordination des négociations salariales[18], ce qui pose problème lorsque l’on s’intéresse aux conséquences théoriques de la caractérisation des négociations salariales. En effet, le lieu où se déroule la négociation ne détermine pas forcément l’existence d’un effet coordination, c’est-à-dire une éventuelle synchronisation drainée par les divers types de négociation en vue d’internaliser des externalités macroéconomiques négatives (emploi, niveau général des prix par exemple). Ainsi, attribuer à la négociation centralisée la capacité d’induire des négociations coordonnées est inexact. En revanche, le caractère plus ou moins décentralisé de la négociation est susceptible de jouer sur trois effets théoriques attendus de la modération salariale. Au niveau décentralisé, par exemple celui de l’entreprise, les niveaux de salaire réel dépendront d’une éventuelle concurrence plus soutenue sur le marché des biens (effet concurrence), de la possibilité d’élaboration de contrats de travail plus complexes – sur l’emploi et le salaire en particulier – (effet contrat optimal) ou encore d’une plus grande inégalité des salaires (effet dispersion salariale).

Deux éléments complémentaires nous semblent indispensables à prendre en compte. En premier lieu, le rôle du gouvernement dans la formation des salaires. En effet, l’intervention de l’État dans le processus de négociation influence l’efficacité de la modération salariale[19]. Il peut favoriser (et parfois imposer) la prise de conscience de la nécessité de se coordonner, et donc permettre une meilleure internalisation des externalités par l’effet coordination. En second lieu, l’impact réel sur l’économie d’une décision salariale. Nous estimons qu’il est important d’évaluer l’ampleur de la diffusion du résultat d’une négociation. Il est fort probable par exemple que l’effet coordination ne joue pleinement qu’à condition que la décision salariale touche un grand nombre de travailleurs. Internaliser une externalité requiert un recouvrement maximum de la négociation.

Aussi, l’indicateur du degré de corporatisme de la négociation que nous proposons, tire profit des enseignements de Traxler et s’efforce de dépasser les limites mises en évidence supra. Il est construit à l’aide d’un nombre limité de critères précis, exclusivement centrés sur la négociation salariale ; il évite la confusion récurrente entre degré de centralisation et degré de coordination des négociations salariales ; il rend compte de l’intervention de l’État dans la négociation salariale ; il intègre un indicateur de recouvrement de la décision salariale (tab. 1). Il repose sur quatre indicateurs intermédiaires (centralisation, coordination, influence gouvernementale et recouvrement de la décision) auxquels sont associés les quatre effets théoriques attendus de la négociation salariale sur la flexibilité du salaire réel, ainsi que nous les avons identifiés ci-dessus.

Tableau 1

Degré de corporatisme de la négociation salariale et flexibilité du salaire réel

Quatre indicateurs intermédiaires

Effets théoriques en termes de flexibilité du salaire réel

Centralisation de la négociation salariale

Effet dispersion salariale

Effet contrat optimal

Effet concurrence

Coordination de la négociation salariale

Effet coordination (internalisation des externalités)

Influence du gouvernement dans la négociation de salaire

Recouvrement de la décision (nombre de salariés touchés par le résultat de la négociation de salaire)

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C — Fiabilité de l’indicateur

La construction de cet indicateur répond à des exigences de fiabilité. Tout d’abord, l’indicateur recense principalement des caractéristiques institutionnelles qui différencient la négociation salariale des différents pays. Il ne prend pas en compte la réglementation et les différentes politiques actives du marché du travail. Il est centré sur la négociation salariale et non sur l’ensemble des relations professionnelles, comme le sont par exemple les indicateurs de corporatisme préexistants[20]. Ensuite, pour éviter la construction d’indices composites complexes, on sélectionne pour chaque sous-indicateur un, deux ou trois critères précis. Chaque critère fait l’objet d’une définition rigoureuse. Le choix des critères répond à la nécessité d’identifier des éléments institutionnels explicatifs d’un effet théorique précédemment identifié, plutôt que des événements qui en seraient des conséquences. Ainsi, nous excluons des critères tels que « le nombre de conflits du travail » ou encore le « degré de coordination horizontale » pour mesurer un éventuel « effet coordination ». Ces derniers s’apparenteraient plutôt à des conséquences de structures ou de caractéristiques institutionnelles préexistantes. De plus, la coordination horizontale est difficile à évaluer et à observer car bien souvent informelle. L’indicateur doit enfin refléter l’évolution des caractéristiques du corporatisme depuis la signature du Traité de Maastricht.

Les quatre sous-indicateurs qui composent notre indicateur du degré de corporatisme sont construits sur la base des critères recensés dans le tableau 2, et sont considérés de manière équivalente dans l’indicateur global de corporatisme. Ils ont chacun une valeur comprise entre 0 et 3 et ne sont affectés d’aucune pondération.

Tableau 2

L’indicateur du degré de corporatisme de la négociation salariale

Les quatre sous-indicateurs

Critères retenus

Centralisation de la négociation entre partenaires sociaux

Niveau prédominant auquel se déroule la négociation salariale

Coordination de la négociation salariale

Coordination verticale entre syndicats

Coordination verticale entre employeur

Influence du gouvernement dans la négociation de salaire

Pactes sociaux, réunions tripartites, réunions bipartites

Recouvrement de la décision (nombre de salariés touchés par le résultat de la négociation de salaire)

Taux de couverture conventionnelle

Efficacité des extensions

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II – Construction de l’indicateur de corporatisme avant et après Maastricht

Nous limitons la construction de l’indicateur à neuf pays de l’Union européenne pour lesquels nous avons pu recueillir des informations fiables sur les caractéristiques de leurs négociations salariales : Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. En effet, la construction des indicateurs suppose une connaissance minutieuse des caractéristiques et des évolutions des relations industrielles dans chacun des pays et l’accès à une documentation fournie, pas toujours disponible pour chacun des pays de l’Union européenne.

A — Indicateurs concernant les partenaires sociaux : centralisation et coordination

Pour obtenir un indicateur de la centralisation et de la coordination verticale des négociations salariales avant et après Maastricht, nous avons choisi d’utiliser et d’actualiser (période 1992-2003) les indices proposés par l’ocde[21] sur les périodes 1980, 1990 et 1994. Cet indicateur a l’intérêt de rendre compte de l’évolution des négociations de 1980 à 1994 selon des critères relativement proches de ceux que l’on a sélectionnés et fait l’objet d’une utilisation soutenue dans de nombreuses études empiriques. L’indicateur de centralisation de l’ocde fait également référence au lieu prédominant où se déroule la négociation, et leur mesure de la coordination rend compte de la coordination verticale au sein des catégories employeurs et salariés. Lors de l’actualisation de l’indice de coordination, nous veillons à analyser uniquement la coordination verticale intra employeurs et intra salariés, et donc à abandonner la coordination horizontale entre les partenaires sociaux, ce qui peut nous amener à modifier le classement initial proposé par l’ocde. Les actualisations et les modifications sont effectuées à l’aide de divers documents, de nature institutionnelle, publiés par l’ocde, le Bureau international du travail et l’ires[22], ainsi qu’à l’aide de l’étude de Cadiou, Guichard et Maurel[23] qui fournissent, dans les annexes de leur article, une mesure pour la période 1990-1998 de la coordination au sein de chacune des deux catégories (employeurs et salariés) et du niveau de négociation. Ce travail d’actualisation de l’indicateur de coordination et de centralisation repose sur une analyse systématique des pactes sociaux et des évolutions réglementaires des différents pays. Ainsi, par exemple pour l’Italie, l’indicateur de centralisation de l’ocde reste stable entre 1980 et 1994, évalué à 2 ; or depuis 1993, on observe une tendance à la décentralisation du niveau national vers le niveau sectoriel qui nous amène à attribuer la note de 2- pour la période post-Maastricht. C’est ce type d’éléments qui est pris en compte à chacune des étapes d’élaboration des différents indicateurs et pour chacune des périodes et qui limite les possibilités d’extension de notre analyse à un plus grand nombre de pays ou à des périodes plus nombreuses.

Centralisation de la négociation

L’indicateur de centralisation est mesuré par le niveau prédominant auquel se déroule la négociation. Le tableau 3 (partie de droite) présente notre indicateur ainsi que l’indicateur de l’ocde[24] (partie de gauche) afin de pouvoir visualiser les actualisations et éventuelles modifications qui ont permis la construction de l’indicateur. Un moins signifie un mouvement de décentralisation. Ainsi, on repère que nos compléments accentuent l’effet de décentralisation de la négociation collective déjà repéré par de nombreux auteurs[25].

Tableau 3

Construction de l’indicateur de centralisation

 

ocde [1997]

Indicateur retenu

1980

1990

1994

Δ

1980

1990

1992-2002

Δ

Allemagne

2

2

2

=

2

2

2

=

Autriche

2+

2+

2+

=

2+

2+

2+

=

Espagne

2+

2

2

-

2+

2

2 -

-

Finlande

2,5

2+

2+

-

2,5

2+

2+

-

France

2

2

2

=

2

2

2 -

-

Italie

2-

2-

2

+

2

2

2 -

-

Pays Bas

2

2

2

=

2

2

2

=

Royaume-Uni

2

2-

1,5

-

2

2-

1,5

-

Suède

3

2+

2

-

3

2+

2

-

Source : La colonne variation de notre indicateur est calculée en fonction de la moyenne des deux indices 1980 et 1990 et la valeur de l’indice pour la période 1992-2002. Elle rend ainsi compte de l’évolution depuis Maastricht. En gras, les modifications ou actualisations apportées à l’indicateur de l’ocde sur la base des différents documents dont Chroniques internationales de l’ires. Les + et les - correspondent à une valeur de 0,25.

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Coordination de la négociation

L’indicateur de coordination est centré sur le degré de coordination verticale qui, selon nous, est un critère plus objectif et plus facilement chiffrable que la coordination horizontale. Toutefois, dire qu’il exclut totalement le degré de coordination horizontale serait faux, puisque notre base de travail est l’indice de l’ocde. La coordination horizontale revêt un aspect bien souvent informel, elle est ancrée dans l’histoire sociale et les habitudes des partenaires. C’est pourquoi, si elle est une base de départ pour le classement relatif des pays, nous nous attacherons, à partir du même corpus de documents que nous avons déjà mobilisé, à observer avant tout les changements intervenus dans le degré de coordination verticale. Lorsque nous indiquons un plus, nous signalons que le degré de coordination se renforce.

Nous présentons dans le tableau 4 notre indicateur (partie de droite) ainsi que l’indicateur de l’ocde[26] (partie de gauche) afin de pouvoir visualiser les actualisations et éventuelles modifications qui ont permis la construction de l’indicateur de coordination.

Tableau 4

Construction de l’indicateur de coordination

 

ocde [1997]

Indicateur retenu

1980

1990

1994

Δ

1980

1990

1992-2002

Δ

Allemagne

3

3

3

=

3-

3-

3

+

Autriche

3

3

3

=

3

3

3

=

Espagne

2

2

2

=

2

2

2+

+

Finlande

2+

2+

2+

=

2+

2+

2+

=

France

2-

2

2

+

2-

2

2

=

Italie

1,5

1,5

2,5

+

1,5

1,5

2,5

+

Pays-Bas

2

2

2

=

2

2

2+++

+

Royaume-Uni

1,5

1+

1

-

1

1

1

=

Suède

2,5

2+

2

-

2,5

2+

2

-

Source : élaboration personnelle. La colonne variation de notre indicateur est calculée en fonction de la moyenne des deux indices 1980 et 1990 et la valeur de l’indice pour la période 1992-2002. Elle rend ainsi compte de l’évolution depuis Maastricht. En gras, les modifications ou actualisations apportées à l’indicateur de l’ocde sur la base des différents documents dont Chroniques internationales de l’ires. Les + et les - correspondent à une valeur de 0,25.

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Tableau final des indicateurs (centralisation et coordination) des partenaires sociaux

Le tableau 5 permet de visualiser les deux indicateurs de centralisation et de coordination concernant les partenaires sociaux. On notera (A-M) la période pré-Maastricht (moyenne de notre indice de 1980 et de 1990) et (P-M) la période post-Maastricht (notre indice de 1992-2001).

Tableau 5

Les indicateurs concernant les partenaires sociaux

 

Centralisation

Coordination

A-M

P-M

Δ

A-M

P-M

Δ

Allemagne

2

2

0

2,75

3

0,25

Autriche

2,25

2,25

0

3

3

0

Espagne

2,12

1,75

-0,37

2

2,25

0,25

Finlande

2,37

2,25

-0,12

2,25

2,25

0

France

2

1,75

-0,25

1,87

2

0,13

Italie

2

1,75

-0,25

1,5

2,5

1

Pays-Bas

2

2

0

2

2,75

0,75

Royaume-Uni

1,87

1,5

-0,37

1

1

0

Suède

2,62

2

-0,62

2,37

2

-0,37

Source : avant Maastricht (A-M), moyenne de notre indice de 1980 et de 1990 ; post-Maastricht (P-M), notre indice de 1992-2003.

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On constate qu’à l’exception de l’Autriche, tous les pays ont connu des changements concernant les partenaires sociaux. Ces modifications touchent soit la décentralisation du lieu privilégié de la négociation (la Finlande et le Royaume-Uni), soit le degré de coordination verticale (Allemagne et Pays-Bas), soit les deux (Espagne, France, Italie, Suède).

B — L’indicateur d’influence gouvernementale

Il est important de distinguer cet indicateur de celui du degré de centralisation de la négociation. En effet, comme le souligne Traxler[27], bien que la théorie corporatiste classique ait tendance à assimiler les accords interprofessionnels macroéconomiques en général et la politique salariale en particulier aux négociations centralisées, cette confusion est source d’erreurs sur le plan empirique. On peut observer des accords centraux plus généraux, combinés avec des négociations collectives organisées de façon décentralisée. Les pactes nationaux peuvent déterminer un cadre général, souvent non contraignant, dans lequel s’inscrivent les négociations au niveau subalterne, ce qui implique cependant que l’épicentre des accords salariaux ne se situe pas au niveau central.

Ainsi, il est possible que l’influence gouvernementale soit importante alors que les négociations entre partenaires sociaux se déroulent au niveau décentralisé. On évalue donc le rôle du gouvernement selon trois entrées :

  • son implication dans divers accords ou consultations tripartites (gouvernement, syndicats et patronat), dont le résultat se traduit souvent par la signature de pactes sociaux ;

  • son dynamisme et sa volonté d’organiser des réunions bipartites (gouvernement/syndicats ou gouvernement/patronat, ou les deux) ;

  • son rôle de médiateur plus ou moins renforcé dans la négociation salariale ; cette dimension est plus délicate à évaluer car elle revêt un côté informel. En effet, sans déboucher sur la signature de pactes sociaux, le gouvernement parvient parfois à faire se rencontrer les différents partenaires sociaux[28]. D’ailleurs, même la signature d’un pacte social peut a priori n’impliquer que très peu l’État (forme de « pacte social bi-partite entre partenaires sociaux »), alors qu’il en est le principal instigateur grâce à une entente tripartite informelle[29].

À partir de l’analyse des caractéristiques et de l’évolution des organes de concertation et des différents accords et pactes sociaux[30], dans chacun des pays, nous avons positionné les différents pays sur une échelle allant de 1 à 3 (3 signalant une très forte intervention du gouvernement dans une négociation salariale de type tripartite) et observé les évolutions avant et après Maastricht. Nous avons reporté dans le tableau 6 les différentes notes attribuées aux pays étudiés.

On observe sur le graphique 1 que l’Autriche, la Finlande et les Pays-Bas ont toujours été caractérisés par une influence significative de l’État dans la négociation salariale. Parmi les neuf pays européens, sept d’entre eux se distinguent par une augmentation de l’intervention du gouvernement dans le processus de fixation des salaires depuis Maastricht. En Autriche, l’intervention gouvernementale est restée stable mais demeure à un niveau important. En revanche, la Suède est le seul pays pour lequel l’État semble s’être désengagé de la négociation salariale depuis le Traité.

Tableau 6

L’indicateur d’influence gouvernementale

 

Avant Traité

Post Traité

Δ

Autriche

3

3

stable

Pays-Bas

2,5

2,75

+

Finlande

2,5

2,75

+

Suède

2,25

2

-

Italie

1,75

2,5

+++

Allemagne

1,75

2

+

Espagne

1,5

2,25

+++

France

1,5

1,75

+

Royaume-Uni

1

1,25

+

Source : élaboration à partir de divers documents dont les Chroniques internationales de l’IRES.

-> Voir la liste des tableaux

Graphique 1

Influence gouvernementale sur la négociation salariale avant et après Maastricht

Influence gouvernementale sur la négociation salariale avant et après Maastricht
Source : à partir de l’indicateur d’influence gouvernementale (tab. 6).

-> Voir la liste des figures

C — L’indicateur de recouvrement de la négociation salariale

Que la négociation soit bipartite ou tripartite, le résultat de la négociation doit pouvoir toucher le maximum de travailleurs. Dans la plupart des pays étudiés, la décentralisation progressive du niveau de négociation conduit à des négociations salariales essentiellement de branches ou de secteurs. La coordination dans la négociation est alors efficace si elle couvre une vaste majorité des travailleurs ou des entreprises appartenant à cette branche ou secteur. L’un des premiers indicateurs de ce recouvrement est sans aucun doute le taux de couverture des conventions collectives. Il doit être complété par la caractérisation des conditions dans laquelle est effectuée cette diffusion du résultat de la négociation. On s’intéresse notamment à la nature de l’extension du contenu. Celle-ci permet-elle réellement d’harmoniser les évolutions salariales au sein du secteur ou détermine-t-elle seulement des bornes inférieures propices à d’éventuels glissements ou renégociations ?

Le taux de couverture conventionnelle

Pour mesurer l’impact d’une décision en matière salariale, nous n’avons pas retenu le taux de syndicalisation qui n’est pas une mesure fiable du taux de couverture d’une décision salariale. Une kyrielle d’études[31] montrent en effet que pour la majorité des pays, on ne peut dégager de corrélation sérieuse entre le taux de syndicalisation des salariés et le taux de couverture des conventions collectives.Les taux de couverture pré Maastricht sont la moyenne des taux pour 1980 et 1990 fournis par l’ocde[32]. Les taux de couverture post Maastricht sont la moyenne des taux pour l’année 1995 (Autriche, Finlande, France, Italie, Suède) ou 1996 (Allemagne, Espagne, Pays-Bas) tirés du bit[33] et les taux pour l’année 1994 extraits de l’ocde[34]. Lorsque le taux de l’ocde pour l’année 1994 s’avère sensiblement différent de celui de 1995 ou 1996 fourni par le bit, et que de surcroît il modifie le sens de variation entre les deux sous-périodes, on garde la tendance (par rapport à 80 et 90) que reflète l’indice de l’ocde (car le changement peut provenir tout simplement d’une différence de mesure entre les deux sources). Ainsi en est-il de la Finlande : l’indice de l’ocde indique une stabilité du taux de couverture conventionnelle, ce qui n’est plus le cas si on fait la moyenne avec le taux du bit (on obtient une baisse) ; on garde alors uniquement le chiffre de l’ocde pour la valeur du taux post-Maastricht.

Tableau 7

Le taux de couverture conventionnelle avant et après Maastricht

 

Avant Maastricht*

Post-Maastricht**

Δ

Caractérisation du taux

Taux pré-Maastricht

Taux bit

Taux ocde

Taux post-Maastricht

 

 

Allemagne

90,5

90 (1996)

92

91

stable

fort 1,5

Autriche

98

98

98

98

stable

très fort 2

Espagne

76

82 (1996)

78

80

++

moyen 1

Finlande

95

90

95 (1995)

95

stable

très fort 2

France

88,5

90

95 (1995)

92,5

++

fort 1,5

Italie

84

75

82 (1993)

78,5

--

moyen 1

Pays-Bas

73,5

80 (1996)

81

80,5

++

moyen 1

R-U

58,5

26 (1994)

47

36

--

faible 0,5

Suède

86

85

89

87

stable

moyen 1

* Moyenne entre le taux 1980 et le taux 1990 de l’ocde.

** Moyenne entre le taux 1995 ou 1996 du bit et le taux 1994 de l’ocde.

Source : élaboration à partir des études de l’ocde et du bit[35]. Les variations sont prises en compte si elles sont significatives (au moins 4 % d’écart entre les deux périodes) et sont toutes affectées du même poids (deux + ou deux -, c’est-à-dire +/- 0,5).

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L’efficacité de l’extension des conventions

Le taux de couverture d’une négociation ne signifie pas forcément que l’ensemble des salariés de la branche ou du secteur concerné bénéficie du niveau ou du taux de croissance du salaire fixé. En effet, les extensions sont parfois très souples et servent plutôt de références minimales. Il est alors possible que ce biais occasionne un glissement des salaires et atténue l’efficience de la coordination salariale si celle-ci vise par exemple une modération. Pour la construction de l’indicateur, nous retenons uniquement les conventions collectives sectorielles, car en Europe ce sont elles qui la plupart du temps fixent les salaires et les conditions de travail et qui font principalement l’objet d’extensions. Parmi les pays que nous prenons en compte, le Royaume-Uni se démarque toutefois, car les négociations de secteurs sont devenues quasi inexistantes[36].

Avant d’étudier la plus ou moins grande souplesse du mécanisme d’extension, nous évaluons le type d’extension qui caractérise les pays étudiés. La Commission des communautés européennes[37] distingue trois types de carence dans la couverture des négociations collectives (tab. 8) : le premier caractérise une situation dans laquelle le travailleur n’est pas affilié à une organisation de salariés alors que son employeur est lié par une convention collective à des organisations syndicales. On assiste alors à un élargissement de l’accord collectif à tous les salariés de l’entreprise (ou des entreprises) représentée par l’organisation d’employeurs qui a négocié l’accord. Le second concerne le cas où le travailleur est affilié à une organisation signataire couvrant son champ d’activité alors que son employeur ne l’est pas. Du coup, apparaît un élargissement de l’accord collectif à des salariés employés dans des entreprises non représentées par les organisations patronales signataires. Enfin, pour le troisième type, ni l’employeur, ni le salarié ne sont affiliés à une organisation signataire de conventions collectives dont l’activité relève du champ d’application.

Tableau 8

Typologie des carences de la couverture des négociations collectives

 

 

Employeurs

Affilié

Non affilié

Employés

Affilié

couverture normale

extension de type 2

 

Non affilié

extension de type 1

extension de type 3

Source : Commission des communautés européennes.

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Afin de mesurer l’efficacité des mécanismes d’extension nous avons tout d’abord repéré les mécanismes caractérisant chaque pays. Il reste alors à analyser l’ampleur du contenu étendu. Le tableau 9 présente l’indicateur. On observe que les types 1 et 3 occupent une place prépondérante dans les pays étudiés. On distingue les pays où les extensions visent à homogénéiser les conditions de travail (Autriche, France, Espagne, Pays-Bas, Suède) de ceux où elles sont limitées à la fixation de bornes inférieures sectorielles ou professionnelles en matière de salaire et de conditions de travail (Italie, Allemagne).

Tableau 9

L’indicateur d’efficacité des extensions de conventions

 

Principal type d’extension pratiqué

Indicateur d’efficacité de l’extension*

Moyenne

Allemagne

1

0

0

Autriche

3

1

1

Espagne

3

1

1

Finlande

3

1

0

1

0,5

 

France

1

3

1

1

1

 

Italie

1

2

3

0

0

0

0

 

 

Pays-Bas

1

1

1

R-U**

1 très marginal

0

0

Suède

2

1

1

* 0 si l’extension sert seulement de référence minimum, 1 si elle a valeur d’harmonisation des salaires

** Quelques accords d’entreprises influencent également parfois les négociations dans les autres entreprises.

Source : indicateur construit à partir de l’étude de la Commission des Communautés européennes.

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La construction de l’indicateur de recouvrement

L’indicateur de recouvrement de la négociation salariale couple l’indicateur d’efficacité des extensions (tab. 9) et celui concernant les niveaux relatifs des taux de couverture conventionnelle (tab. 7). La matrice ci-dessous (tab. 10) permet de le calculer en ajoutant, en fonction de la situation de chaque pays, les deux indices correspondants. Les résultats sont présentés dans le tableau 11.

Tableau 10

La matrice de construction de l’indicateur de recouvrement

 

 

Efficacité des extensions

Forte (1)

Moyenne (0,5)

Limitée (0)

Taux de couverture conventionnelle

Très fort (2)

Autriche

Finlande

 

Fort (1,5)

France

 

Allemagne

Moyen (1)

Suède

Pays‑Bas

Espagne

 

Italie

Faible (0,5)

 

 

Royaume‑Uni

Source : pour l’efficacité des extensions, les pays sont classés en fonction des indices attribués dans le tableau 9. Pour le taux de couverture conventionnelle, les pays sont classés en fonction de la moyenne des taux avant et après Maastricht proposés dans la dernière colonne du tableau 7.

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Tableau 11

L’indicateur de recouvrement de la décision salariale

 

Avant Maastricht

Post-Maastricht *

Variation

Allemagne

1,5

1,5

stable

Autriche

3

3

stable

Espagne

2

2,5

+ +

Finlande

2,5

2,5

stable

France

2,5

3

+ +

Italie

1

0,5

- -

Pays-Bas

2

2,5

+ +

Royaume-Uni

0,5

0

- -

Suède

2

2

stable

* L’évolution depuis le Traité fait uniquement référence à la variation du taux de couverture conventionnelle (voir tab. 7).

Source : à partir de la matrice du tableau 10.

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Une décision salariale négociée a donc un recouvrement très important dans des pays comme l’Autriche, la France et la Finlande (graph. 2). C’est également le cas aux Pays-Bas et en Espagne, mais seulement depuis la signature du Traité. Le recouvrement est en revanche très faible au Royaume-Uni et en Italie.

Graphique 2

Recouvrement de la décision salariale avant et après Maastricht

Recouvrement de la décision salariale avant et après Maastricht
Source : à partir du tableau 11.

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D — L’indicateur de corporatisme de la négociation

Le tableau 12 fait apparaître le calcul de l’indicateur de corporatisme des neuf pays européens étudiés. Il suffit d’ajouter pour chaque pays les valeurs des quatre indicateurs. La valeur finale est reportée dans la colonne « total » du tableau. La différence entre la colonne « total » avant Maastricht et la colonne « total » post Maastricht permet de donner la variation de l’indicateur (colonne « Δ » du tab. 12[38]).

Tableau 12

L’indicateur du degré de corporatisme de la négociation salariale

 

Degré de corporatisme

Avant Maastricht

Après Maastricht

 

Centralisation

Coordination

Gouvernement

Recouvrement

Total

Centralisation

Coordination

Gouvernement

Recouvrement

Total

Δ

All.

2

2,75

1,75

1,5

8

2

3

2

1,5

8,5

0,5

Autr.

2,25

3

3

3

11,25

2,25

3

3

3

11,25

0

Esp.

2,12

2

1,5

2

7,62

1,75

2,25

2,25

2,5

8,75

1,13

Finl.

2,37

2,25

2,5

2,5

9,62

2,25

2,25

2,75

2,5

9,75

0,13

France

2

1,87

1,5

2,5

7,87

1,75

2

1,75

3

8,5

0,63

Italie

2

1,5

1,75

1

6,25

1,75

2,5

2,5

0,5

7,25

1

P.-B.

2

2

2,5

2

8,5

2

2,75

2,75

2,5

10

1,5

R-U*

1,87

1

1

0,5

4,37

1,5

1

1,25

0

3,75

‑0,62

Suède

2,62

2,37

2,25

2

9,24

2

2

2

2

8

‑1,24

*Pour le Royaume-Uni, l’indicateur d’efficience doit être utilisé avec prudence car il est essentiellement basé sur des considérations sectorielles ou de branches. Or, ce type de convention collective y est quasi inexistant. La pertinence de cet indicateur est donc à relativiser.

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III – Corporatisme et effet club depuis Maastricht

A — La mise en évidence de l’effet de club

On constate sur le graphique 3, que les cinq pays qui ont connu une nette amélioration de leur degré de corporatisme (Pays-Bas, Espagne, Italie, France, Allemagne) sont ceux qui ont ratifié dès l’origine le Traité de Maastricht (ce n’est pas le cas de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède qui intègreront l’Union européenne en 1995) et ont opté pour le projet de la monnaie unique (contrairement au Royaume-Uni et à la Suède). La perspective de participer à la monnaie unique, et ce dès la signature du Traité, de respecter les critères de convergence et d’adapter les institutions à un nouveau contexte macroéconomique a très probablement affecté le dynamisme du corporatisme des négociations salariales[39]. On peut donc mettre en évidence un « effet de club » entre les pays signataires du Traité qui ont effectivement participé à la monnaie unique et ceux qui sont restés en dehors de l’Europe monétaire.

Graphique 3

La mise en évidence d’un effet club

La mise en évidence d’un effet club
Source : à partir des indicateurs du tableau 4.

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B — L’euro et la nécessité accrue d’internaliser les externalités

Le graphique 4 montre que les pays dont le degré de corporatisme s’est accru ont souvent connu une décentralisation de la négociation salariale, largement compensée par une augmentation de la coordination verticale des partenaires sociaux, par un accroissement de l’intervention de l’État et par un degré de recouvrement plus grand.

Au Royaume-Uni et en Suède, on a également assisté à un mouvement de décentralisation de la négociation, mais qui n’a pas été contrebalancé par l’évolution des divers éléments caractéristiques du degré de corporatisme de la négociation salariale.

La configuration des négociations salariales des pays participant à l’euro s’est donc transformée de façon à favoriser la synchronisation des décisions propices à l’internalisation des externalités. Les pays participants sont certes caractérisés par une décentralisation de la négociation – ce qui permet de flexibiliser le salaire réel par certains canaux (effet concurrence par exemple) – mais ont également connu un développement de structures capables d’engendrer l’effet coordination – ce qui favorise la flexibilité du salaire réel en vue d’internaliser des externalités macro-économiques. L’effet coordination permet notamment de réduire le salaire réel face à une évolution du chômage, ce qui s’avère prépondérant si un pays de la zone euro subit un choc asymétrique.

Les cas atypiques du Royaume-Uni et de la Suède pourraient alors s’expliquer par le fait qu’ils ont choisi de rester en marge de l’Europe monétaire. Le Royaume-Uni ne souhaitant pas entrer dans l’Union monétaire, alors que la Suède a été surtout confrontée à la résistance populaire à l’abandon de la monnaie nationale qui retarde d’ailleurs toujours son entrée. On peut alors supposer que les gouvernements et les partenaires sociaux comptaient encore sur la flexibilité du taux de change pour restaurer la compétitivité[40].

Graphique 4

Décomposition de la variation du degré de corporatisme de la négociation salariale depuis Maastricht

Décomposition de la variation du degré de corporatisme de la négociation salariale depuis Maastricht
Source : à partir du tableau 12.

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C — Une externalité clé depuis Maastricht : l’externalité budgétaire

La théorie des Zones monétaires optimales met en avant l’importance de la flexibilité réelle du salaire en union monétaire et donc a priori pour les pays européens depuis le 1er janvier 1999. Toutefois, il semble évident que la prise de conscience de la nécessité de renforcer la flexibilité du salaire (dont il est préférable de s’occuper bien avant) s’est effectuée dès la signature du Traité. En effet, les efforts de convergence imposés par le Traité ont impliqué un abandon progressif de la souveraineté des politiques monétaires nationales et limité les marges de manoeuvres budgétaires, rendant déjà les ajustements, via le salaire réel, prépondérants. Les contraintes sur les politiques monétaires nationales sont issues en particulier de l’obligation de participer au mécanisme de change du sme deux ans avant l’entrée en vigueur de l’Union monétaire, mais aussi de la convergence des taux d’inflation et des taux d’intérêt. Il est donc raisonnable de penser que c’est depuis Maastricht que la voie vers l’Union monétaire a rendu indispensable le bon fonctionnement d’un mécanisme d’ajustement alternatif à la politique monétaire fondé sur la flexibilité des salaires.

Ce n’est pas un hasard si les pouvoirs publics sont intervenus dès le milieu des années 90 dans certains pays comme régulateurs en dernière instance en matière salariale, alors que leur capacité de dévaluer était supprimée ou en voie de disparition[41]. On peut également penser que c’est bien le désir de participer à l’euro qui a motivé la signature de nombreux pactes sociaux[42] dans les années 90, en particulier pour les pays qui pouvaient rencontrer des difficultés à soutenir un régime monétaire visant une inflation basse et une monnaie stable, alliées à des déficits publics sous contrôle[43].

De façon complémentaire, les pays signataires du Traité (puis du Pacte de Stabilité et de Croissance en 1997) se sont engagés à un retour à une situation budgétaire durablement assainie. Mais le poids croissant des dépenses publiques allouées au traitement du chômage, dans un contexte de croissance économique ralentie et de concurrence fiscale, rend délicat le respect de cette discipline budgétaire alors que les nouvelles théories du marché du travail préconisent la lutte contre la rigidité réelle (flexibilité du salaire réel par rapport au chômage) pour réduire le taux de chômage structurel et du même coup alléger le fardeau de la dette. Depuis Maastricht, dans le but de respecter les critères de convergence budgétaire (permettant durant la période de transition d’être « qualifié » pour la monnaie unique) puis en Union monétaire dans celui de respecter les critères du Pacte de Stabilité (éviter les sanctions financières et retrouver des marges de manoeuvres), la lutte contre la rigidité réelle revêt toute son importance. Il est donc probable que ce soit la volonté de rejoindre l’Union monétaire, et donc de satisfaire aux critères de convergences, qui a poussé la plupart des gouvernements européens (hors Royaume-Uni, Danemark et Suède) à trouver des accords de modération salariale avec les partenaires sociaux[44].

L’urgence et la volonté affichée de respecter les critères de convergence ont donc vraisemblablement stimulé les évolutions structurelles de la négociation salariale. On constate en effet que les trois pays dont le degré de corporatisme de la négociation salariale s’est le plus accentué (Pays-Bas, Italie et Espagne) sont ceux qui étaient dans la situation la plus délicate au regard du respect du critère de dette publique (graph. 5). S’il apparaît clairement que la volonté de participer à la monnaie unique est la source de l’effet club, l’un des facteurs stimulants de l’évolution du degré de corporatisme de la négociation salariale semble être la nécessité d’internaliser des éventuels effets néfastes sur le budget de négociations non coordonnées.

Graphique 5

Évolution du critère de finances publiques des pays dont le degré de corporatisme s’est accru depuis Maastricht

Évolution du critère de finances publiques des pays dont le degré de corporatisme s’est accru depuis Maastricht
Source : Eurostat

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Conclusion

Notre travail fournit quatre enseignements :

  • On observe une décentralisation du lieu de négociation. Ceci est confirmé par les résultats des analyses sur les niveaux de négociation salariale. La création de la zone Euro aurait donc favorisé le développement de l’effet concurrence entre systèmes salariaux, afin d’améliorer la « flexibilité salariale » en prévision des chocs asymétriques pouvant frapper l’économie européenne.

  • Pour les pays participants à l’euro, cette décentralisation s’est accompagnée d’une évolution de la négociation susceptible de favoriser les possibilités de synchronisation dans la fixation des salaires : meilleure coordination verticale des partenaires sociaux, intervention gouvernementale accrue et degré de recouvrement de la décision supérieure. Il en découle pour ces pays une amélioration du degré global de corporatisme et des possibilités d’internaliser des externalités accrues[45].

  • Une des externalités visées par l’amélioration du degré de corporatisme pourrait être l’externalité budgétaire. Ce sont en effet les pays qui souffraient d’un handicap majeur en termes de convergence de leurs dettes publiques qui ont le plus amélioré leur corporatisme. Il s’agissait pour ceux-ci d’accroître le potentiel des ajustements salariaux en réponse à un choc macroéconomique, puisque les dépenses publiques ne pouvaient plus faire jouer les stabilisateurs automatiques en étant sous la contrainte de la réduction de la dette. Cependant, les données récentes amènent à relativiser ce point dans la mesure ou une bonne moitié des pays européens (et notamment la France, l’Allemagne et l’Italie) peinent à respecter les contraintes en termes budgétaires et de dette publique imposées par le Traité de Maastricht et pérennisées depuis.

  • Au final, il existerait ainsi un effet club pour les pays membres de la zone euro, qui aurait favorisé l’accroissement de leur degré de corporatisme, notamment par une intervention accrue de l’État dans les systèmes de négociation salariale, ou par l’internalisation par les partenaires sociaux eux-mêmes de la nécessité d’avoir un système de formation des salaires plus réactif aux chocs économiques. Cet effet club mériterait d’être confirmé par la prise en compte de données plus récentes ainsi que par un élargissement du nombre de pays pris en considération.

Pour autant, on constate qu’entre la nécessité logique du renforcement du corporatisme pour stimuler les performances macroéconomiques dans un contexte de désinflation compétitive à l’échelle européenne et pour renforcer les capacités d’ajustement en cas de choc asymétrique en Union économique et monétaire et la possibilité pratique de mise en oeuvre et d’acceptation de ces stratégies de flexibilisation, un écart demeure. De ce point de vue, l’importance prise en France notamment, par les références au modèle danois et sa flex-sécurité semble plaider pour l’émergence d’un nouveau compromis entre flexibilité et sécurité, dont la « sécurité sociale professionnelle » apparaît à certains comme un instrument pertinent.