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Voici une nouvelle version d’ouvrages de références sur le monde contemporain. Nombre de publications se sont essayées à cet exercice de rendre compte de l’articulation du monde selon des axes géopolitiques, économiques, stratégiques depuis le célèbre Atlas stratégique de Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau (1983). Depuis cette date, répondant à une forte attente du public, de nombreux atlas ou ouvrages à fort contenu cartographique se sont multipliés, avec plus ou moins de bonheur, pour rendre compte de l’équilibre des forces dans le cadre de la guerre froide; plus récemment, pour illustrer les complexes mutations de l’espace mondial ou de certaines régions, mentionnons : Fragments d’Europe, Atlas de l’Europe médiane et orientale, de Michel Foucher (dir.) (1993), et Asies nouvelles, du même auteur (2002), deux ouvrages magistraux et très complets; Atlas de l’Asie orientale, de Michel Jan et al (1997) ; Atlas de l’espace mondial, de Jean Guellec (1999) ; Atlas géopolitique, de John Allen (2001) ; Atlas géopolitique et culturel. Dynamiques du monde contemporain, de Pierre Varrod et al. (2004), qui présente lui aussi un tour du monde en 100 cartes.

Dans cet Atlas de la mondialisation, les auteurs s’efforcent de rendre compte des mutations en cours de l’espace mondial, qui traversent les États, les sociétés, leurs économies. L’ouvrage est divisé en six parties, toutes structurées autour de planches présentant textes, cartes et graphiques. La première aborde les espaces contrastés du monde contemporain : contrastes de développement principalement, mais aussi flux de réfugiés, migrations, urbanisation, « fracture sanitaire ». La seconde partie présente les différents espaces régionaux en construction dans le monde. La troisième présente les acteurs et les phénomènes transnationaux : multinationale comme McDonald’s, usages d’internet, paradis fiscaux, trafics de drogue et télécommunications. La quatrième partie, « quêtes d’allégeances », se concentre sur des espaces régionaux traversés par des identités en construction, ou des conflits portant sur des identités culturelles : opposition entre sunnites et chiites ; la question kurde ; les hispaniques aux États-Unis, la problématique de l’intégration des étrangers dans les pays d’immigration. Une cinquième partie, « Paix et guerres », se propose d’initier une réflexion sur l’évolution contemporaine des conflits armés : la prolifération nucléaire mais aussi conventionnelle; les transformations de la guerre selon les régions, l’évolution des dépenses militaires, la dépendance énergétique… Une sixième partie conclut ce tour d’horizon par l’évocation de pistes pour de « nouvelles régulations » : l’onu, l’omc et le commerce de marchandises, la cour pénale internationale, le protocole de Kyoto, la liberté de la presse. L’ouvrage est complété par un lexique détaillé.

Cet ouvrage reprend largement le plan du livre L’espace mondial en 50 cartes, de Durand et al. Il semble que les auteurs aient cette fois-ci choisi de mieux articuler des cartes avec des textes et des figures qui permettraient d’approfondir les thèmes déjà, pour la plupart, retenus dans L’espace mondial en 50 cartes. De fait, L’Atlas de la mondialisation souffre parfois des défauts de son prédécesseur : aucun commentaire ne vient appuyer les cartes sur la question kurde, et la même critique pourrait être formulée pour bon nombre de planches ; au crédit des auteurs, les cartes sont souvent beaucoup plus détaillées et porteuses d’information que la version de L’espace mondial en 50 cartes. Un préambule fort utile présente d’ailleurs la base des techniques cartographiques et la méthode pour lire de tels documents et ne pas se laisser abuser par les conventions du traitement graphique de l’information.

La plupart des cartes sont fondées sur la discrétisation de l’espace en utilisant les unités spatiales étatiques : à chaque État correspond une valeur statistique moyenne. En ce sens, les cartes ne sont souvent que des tableaux ordonnés dans l’espace. Très peu de descriptions de l’espace sont tentées en dehors des unités statistiques que constituent les États, ce qui aboutit à des aberrations, comme de représenter le Sahara comme relativement peuplé, parce que dans la même plage statistique que le reste de l’Afrique (p. 19), parce que les auteurs n’ont pu se départir d’un traitement de l’information géographique fondé sur l’État. Pourtant, conscient du problème que posaient les grands États comme le Canada, les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Argentine, le Brésil, l’Australie ou la Russie, les auteurs ont traité l’information au niveau des échelons administratifs de rang 2 ; mais pourquoi ne pas l’avoir fait pour d’autres États, Algérie, Libye, Iran, Mexique, quand une telle recherche aurait permis d’offrir un portrait nettement plus précis ? Que vaut une valeur statistique moyenne sur un million de km2 ?

On relève aussi l’absence de planche sur le trafic de drogue, archétype pourtant couramment repris d’une certaine forme de mondialisation. Sur la forme, certains titres, en voulant être accrocheurs, pêchent un peu par excès, comme « L’hispanisation des États-Unis » (p. 58) qui laisse entendre un processus d’extension inexorable ; ou encore, la figure « Génocides et politiques, 1955-2005 », qui risque, malgré son intérêt, de banaliser le concept de génocide.

Au total, un ouvrage nettement plus intéressant que L’espace mondial en 50 cartes, mieux présenté, avec plus d’information, des textes qui permettent de présenter chaque problématique, quoique de façon succincte. Les thèmes retenus sont classiques, mais après tout l’ouvrage est destiné à un public étudiant.