Corps de l’article

La politique européenne de sécurité et de défense, qui vise non seulement à doter l’Union européenne d’une capacité de gestion civilo-militaire des crises mais aussi à favoriser l’intégration des appareils militaires européens, suscite un intérêt grandissant chez les politologues. Le défi conceptuel que pose ce projet aux grandes théories des relations internationales n’y est peut-être pas pour rien. La perspective qu’un ensemble d’États souverains puissent un jour vouloir se départir de leur monopole sur la violence légitime remet en question bien des catégories fondatrices de notre discipline.

Pourtant, ce qui distingue la pesd de ses prédécesseurs, comme le projet mort-né de Communauté européenne de défense, c’est qu’elle met l’accent sur des coopérations concrètes, ponctuelles, bottom-up, plutôt que sur une intégration top-down des appareils de défense européens. La pesc ne mènera donc pas à une armée européenne ; mais elle est tout de même bien plus qu’une simple politique intergouvernementale. Comme l’écrit Patrice Buffotot dans son introduction à la quatrième édition de La défense en Europe, la mise en place de la pesd s’inscrit dans un processus plus vaste caractérisé par « la professionnalisation et la réorganisation des armées européennes [et] le désinvestissement des pays européens dans la défense ». On pourrait y ajouter une nouvelle définition des missions, par laquelle la projection de forces se substitue à la défense territoriale. La pesd accompagne ainsi une transformation profonde de l’outil militaire en Europe.

La défense en Europe part du principe que, avant de s’intéresser aux institutions bruxelloises, il peut être utile de dresser un tableau comparatif des institutions de défense des États membres de l’ue. Dix-huit pays sont couverts, de la Grande-Bretagne au Luxembourg, par un groupe international de spécialistes, souvent originaires de ces mêmes pays. Des chapitres thématiques couvrent également la pesd, la Force de police européenne, l’otan, les relations transatlantiques et l’intervention en Irak.

Cet ouvrage collectif est structuré autour de chapitres symétriques. Pour chacun des États membres de l’ue, les auteurs décrivent les réformes des forces armées depuis 2001, les rapports de la politique de défense nationale avec l’otan et la pesd, et l’impact de la guerre en Irak. Chaque chapitre comporte un encart sur les acteurs de la politique de défense : instances politiques, état-major, composition et budget des forces armées. Ce sont ces informations, succinctes et agréablement présentées, qui donnent à l’ouvrage son caractère utile.

Malgré cette structure, qui donne une cohérence d’ensemble à l’ouvrage, les contributions demeurent assez inégales. Certaines sont strictement descriptives alors que d’autres, particulièrement vers la fin de l’ouvrage, versent aisément dans le normatif (par exemple, l’affirmation, que les Espagnols « ont payé cher » leur attachement aux États-Unis). On y discute un peu de stratégie, mais les questions théoriques sont complètement évacuées. Cela est étonnant puisque plusieurs des auteurs, comme Sten Rynning et Pauline Schnapper, sont justement connus pour leurs riches analyses théoriques des politiques de défense française et britannique. L’ouvrage aurait profité d’un chapitre proposant un angle analytique sur l’évolution de la défense en Europe (sur ses « avancées et limites », donc) ou, à défaut, d’un traitement des différentes approches théoriques de la défense européenne.

Finalement, il est à déplorer que l’ouvrage n’ait pas fait l’objet d’un travail éditorial plus méticuleux. Des appellations comme la « politique extérieure (plutôt qu’étrangère) commune » ou le « haut représentant pour la pesd » (plutôt que la pesc) feront sourciller le lecteur averti. Néanmoins, l’ouvrage saura intéresser tous ceux qui souhaitent un tour d’horizon des questions de défense en Europe.