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Depuis les premières formes d’urbanisation, on a vu des cités se constituer en réseaux à dessein d’appréhender de concert des situations qu’elles avaient en commun. Dans les dernières décennies, cette tendance s’est accentuée et les organisations où siègent les maires (ou les entités qui exercent cette fonction) fleurissent et étendent leur portée à la grandeur du globe.

Ces organisations formées de villes jouissent d’une reconnaissance internationale ambiguë. La représentation politique dans l’arène mondiale tend dans l’ensemble à se décentraliser et à se particulariser, afin de relever des défis souvent régionaux et de favoriser le développement des moteurs économiques que sont les régions et les localités. On voit par exemple des provinces canadiennes avoir des bureaux ou des maisons à l’étranger, voire encore signer des traités avec des États. Le Québec et le Nouveau-Brunswick sont notamment membres de l’Organisation internationale de la francophonie sans être des États souverains, à l’inverse de ses autres membres.

Mais jusqu’où va cette décentralisation de la reconnaissance politique et juridique dans la sphère internationale ? Le troisième palier de gouvernement – comme on se plaît à qualifier les villes et municipalités – y détient-il une place propre ? Si les grandes villes modernes possèdent plus souvent qu’autrement au sein de leur administration un commissariat aux relations internationales, cet avatar purement fonctionnel ne se traduit pas par une reconnaissance des villes en tant que sujet du droit international public. Elles restent des créatures de leurs États ou de leur province (dans la Constitution canadienne entre autres). Les ententes ou les pactes d’amitié entre la ville de Québec et une ville jumelle étrangère ne sont par exemple que très rarement, voire jamais signés par la province de Québec, mais cette dernière aurait tout loisir de rendre ces ententes caduques si l’envie lui en prenait.

Cet essai tentera, à travers le cas de l’Organisation des villes du patrimoine mondial (ovpm), d’évaluer la place actuelle réservée aux organisations de villes sur la scène politique mondiale. Il semble en effet que celles-ci, de par leur nature hybride, ne bénéficient généralement pas d’un statut ou d’un cadre clairement définis quant à leur participation dans l’espace public international.

Il sera question, en tout premier lieu, des forces qui cherchent à obtenir davantage de reconnaissance politique pour les organisations de villes, notamment auprès de l’onu. On examinera ce faisant les qualificatifs d’organisation intergouvernementale (oig) et d’organisation internationale non gouvernementale (ong ou oing, voire encore société civile), qui forment une dichotomie jouant un rôle de premier plan quant au statut des organisations de villes à l’international.

Nous aborderons en second lieu l’apparente ouverture de l’unesco à un statut particulier pour les organisations d’élus régionaux et municipaux. Cela nous mènera à constater une brèche possible – ou en tout cas une situation imprévue – dans les règlements de l’unesco qui peuvent légitimement instaurer en pratique ce statut mitigé, imaginé dans les arcanes de l’Organisation.

I – Les organisations de villes et leur statut auprès de l’onu

Le municipal relève-t-il du gouvernemental ? Les représentants des villes ne sont-ils pas élus, et donc responsables politiques d’une portion de territoire ? S’il semble que la gouvernance devienne de plus en plus polysémique dans son acceptation, il n’est pas aisé de répondre à la question. À l’heure actuelle tout autant que par le passé, les organisations internationales constituées de villes sont généralement considérées comme des organisations non gouvernementales, c’est-à-dire en général comme des regroupements n’ayant pas des États souverains comme moteurs premiers, a contrario des organisations dites intergouvernementales. Mais des développements embryonnaires abondent de plus en plus dans le sens d’une classification des organisations de villes vers quelque chose de distinct des ong. La présente section expose le statut imprécis et mouvant de ces organisations en général, particulièrement auprès de l’onu.

Premièrement, de quelle personnalité juridique jouissent les organisations de villes ? Le juriste J.-Maurice Arbour offre une piste liminaire avec le concept de sujet de droit international :

Sans doute les plus importants, les États ne sont pas les sujets exclusifs du droit international ; outre les organisations internationales, d’autres types de personnalité internationale – comme le Saint-Siège et à certains égards certains États membres d’un État fédéral – peuvent jouir de la capacité de conclure un traité. C’est donc dire qu’il faut au moins deux sujets de droit international pour conclure un traité international. Par voie de conséquence, on doit nécessairement conclure que sont exclues de cette catégorie les ententes conclues entre un État et un particulier ; mais encore ici il n’y a rien d’absolu et rien ne s’oppose à l’idée qu’un individu soit reconnu par un État comme un sujet de droit international pour les fins d’une relation spécifique[1].

Si la théorie permet logiquement que des organisations de villes soient sujets de droit international, la pratique montre en revanche que celles-ci ne jouissent pas d’une pleine personnalité juridique en droit international. Les organisations formées de villes sont d’ordinaire affublées du sceau d’organisations non gouvernementales et donc associées à des organisations ne comportant habituellement pas d’élus.

Le document A/58/817 émis en 2004 par l’Assemblée générale des Nations Unies, aussi appelé rapport Cardoso[2], qui suggère que les pouvoirs publics locaux soient davantage considérés par l’onu[3], définit dans son glossaire ce qu’est une ong :

Organisation non gouvernementale (ong). Les organisations présentant de l’intérêt pour l’onu qui ne sont pas des gouvernements centraux ou n’ont pas été créées par décision intergouvernementale comprennent les associations d’entreprises, de parlementaires et d’autorités locales. Ce terme est source de grande confusion dans les milieux de l’onu. Ailleurs, le terme ong en est venu à désigner les ong d’intérêt public, autrement dit les organisations de la société civile qui sont expressément constituées pour venir en aide au grand public ou à la population en général en sensibilisant ou en fournissant des services. […] La Charte des Nations Unies prévoit [art. 71] que des consultations doivent avoir lieu avec les ong.

Le rapport Cardoso se dédit apparemment plus loin, lorsqu’il affirme :

117. Les pouvoirs locaux ont joué un rôle de plus en plus actif dans les débats de l’onu et dans la réalisation des objectifs internationaux ; ils représentent pour l’onu l’une des principales parties prenantes – mais ne sont pas des entités non gouvernementales[4]. Un domaine en expansion concerne la constitution entre villes et villages de plusieurs régions et pays de réseaux qui se consacrent à des problèmes particuliers. […] Parce que les pouvoirs locaux sont élus, leurs positions ont du poids et traduisent le sentiment de l’opinion publique. À l’issue de ses consultations avec les maires, le Groupe propose de prier instamment l’Assemblée générale d’adopter une résolution affirmant que l’autonomie locale est un principe [universel] qui doit être respecté pour souligner l’importance croissante de cette partie prenante [voir proposition 17].

Le rapport Cardoso nous dit donc à la fois que les organisations formées d’élus municipaux sont des ong et qu’elles ne sont pas des ong. Cette contradiction est-elle le résultat de ce qu’on appelle un texte à deux têtes, c’est-à-dire le résultat non concerté de l’écriture à plusieurs ? Est-elle le fruit d’une polysémie selon laquelle on parlerait, dans le glossaire, d’ong formées d’autorités locales dans un regroupement national et, au paragraphe 117, dans un regroupement international ? Doit-on parler alors de regroupement semi-gouvernemental dans ce dernier cas ? La confusion est en tout cas bien révélatrice du flou entourant les organisations de villes. Elle semble aussi à l’image de ce à quoi tendent à la fois la politique et le droit international : à une reconnaissance de plus en plus grande des instances subétatiques comme les provinces (dans leurs champs de compétences reconnus tels par la constitution de leur pays), et ultimement des organisations d’élus municipaux.

La revue Habitat Debate de 2004 a publié à la suite de cela un article de Daniel Biau intitulé A New Era of Cooperation with Local Authorities, dans lequel l’auteur souligne que les associations de villes, moralement, ne constituent pas des ong :

onu-Habitat a également tenté de promouvoir la participation directe des autorités locales dans les travaux de son conseil d’administration. En 1997, une proposition a été émise en vue d’inclure des représentants d’associations internationales d’autorités locales au sein de la Commission, basée sur le modèle tripartite ilo[5] impliquant gouvernements, employeurs et syndicats. Bien que la proposition était sans doute prématurée, elle a ouvert une nouvelle ère de discussions chez les gouvernements nationaux, qui acceptèrent d’inclure systématiquement des maires et d’autres délégués municipaux au sein de leurs délégations nationales.

Les discussions ont aussi démontré que les autorités locales et leurs associations ne pouvaient pas se voir considérées comme des ong puisque ces autorités conservent des fonctions proprement gouvernementales. Leurs associations sont donc davantage intergouvernementales que non gouvernementales[6].

Le président du Comité consultatif des Nations Unies pour les autorités locales (unacla), aussi maire de Barcelone et président de l’organisation Metropolis, M. Joan Clos, a signé pour sa part dans la même revue l’article Towards Local Empowerment, relatant ceci :

En 1992, les autorités locales se sont battues pour être représentées au Sommet de la terre de Rio de Janeiro. Toutefois, le rôle des autorités locales était encore à l’époque considéré comme marginal lors de rencontres et événements internationaux d’envergure. Les gouvernements locaux étaient toujours vus comme semblables à des organisations non gouvernementales, même au point de vue juridique et au niveau de l’accréditation. Nous avons dû attendre la conférence Habitat ii à Istanbul en 1996 pour que les autorités locales soient éventuellement considérées comme des gouvernements locaux démocratiquement élus et par là comme des représentants légitimes de nos citoyens.

Cette reconnaissance du fait gouvernemental pour les organisations de villes ne se traduit toutefois pas, ni à l’onu ni ailleurs, par un statut formel d’organisation intergouvernementale. En fait, elle ne se traduit à l’onu par aucun statut ni appellation bien définis[7], sauf à penser que le statut consultatif conféré à l’unacla élucide la question[8]. Pour l’onu, de même que pour son comité économique et social l’ecosoc, les organisations de villes sont bel et bien des ong. Des ong d’un type spécial, peut-être, mais des ong quand même.

II – L’unesco et les organisations d’élus municipaux : vers un statut particulier

C’est peut-être l’unesco qui, sciemment ou non, a le plus fait ressortir le caractère distinct des organisations internationales constituées de villes. Durant mon travail de consultant pour l’Organisation des villes du patrimoine mondial (ovpm), j’ai pu constater que divers observateurs, juristes ou politologues, entendaient classer cette organisation basée à Québec, non pas dans le camp des organisations non gouvernementales (ong), mais bien dans celui des organisations intergouvernementales (oig), puisqu’elle est constituée de gouvernants élus qui administrent une portion de territoire. Cela est d’autant plus vrai que la catégorie 2 de l’unesco n’est pas ouverte aux ong et que la suggestion faite à l’ovpm d’en faire partie émanait d’une branche de l’unesco même.

Or, l’analyse juridique interne des modalités de la catégorie 2 a mis en évidence qu’il était loin d’être certain que l’ovpm incarnait une oig ; que, officieusement, l’unesco faisait une valse-hésitation quant au statut des organisations de villes en général ; et que cette danse cachait un nouveau pas : le partenariat.

Actuellement, toutes les organisations internationales dont les membres sont des villes sont considérées comme des organisations internationales non gouvernementales auprès des différentes instances onusiennes ou nationales et/ou se considèrent telles dans leurs statuts propres[9]. Et des 87 organisations intergouvernementales entretenant des relations avec l’unesco, aucune n’est au demeurant formée que de villes.

Que sont donc les organisations de villes si elles ne sont ni des ong, comme d’aucuns le soutiennent, ni des oig, comme on le constate dans les statuts de participation ayant cours à l’onu ?

Le flou dans les catégories de l’unesco était déjà reconnu en 1996. C’est à cette date qu’on enregistre officiellement pour la première fois à l’unesco l’exclusion des organisations d’élus municipaux de la classe des ong. On utilise alors pour ces dernières organisations l’expression très générale – de l’aveu même du Conseil exécutif – d’« autres nouveaux partenaires ». Il semble à tout prendre que l’Organisation ait timidement ouvert la voie à de nouvelles distinctions de ce genre, envisagées auparavant à l’onu de manière symbolique seulement.

Enfin, l’exercice de reclassification des ong qui est en cours a fait ressortir des cas de partenaires potentiels ou existants qui ne sont ni des organisations non gouvernementales répondant aux définitions qui en sont données dans les nouvelles directives de 1995, ni des entités gouvernementales ou intergouvernementales. Il s’agit notamment de parlementaires, de conseils municipaux, d’associations de communes, de villes ou de régions. Le directeur général soumettra à la 151e session du Conseil exécutif des propositions adaptées à chacun de ces cas[10].

On précisera cela en 1997 avec l’importante décision 151 ex/9.4 :

[Le Conseil exécutif], conscient que certaines organisations internationales n’étaient ni intergouvernementales ni non gouvernementales et désireux de faire en sorte que des arrangements appropriés puissent être conclus, à la satisfaction des deux parties, aux fins de coopération avec ces organisations, décide en conséquence que le directeur général peut, sous la haute autorité du Conseil exécutif, établir des relations de coopération avec des organisations internationales autres que les organisations intergouvernementales créées en vertu d’un accord entre les gouvernements de différents États, ou les organisations définies dans les Directives concernant les relations de l’unesco avec les organisations non gouvernementales.

Quatre instances sous l’appellation d’organisations d’élus, ou encore de représentants pouvoirs locaux/villes et parlements, ont vu en 1996 leur dossier d’accréditation comme Organisations internationales non gouvernementales (oing) dans une de ces catégories différé « en vue de leur examen dans un autre cadre ». Plus tard, dans un autre texte officiel – circulaire 34 C/3 (2004-2005) –, l’unesco introduit de nouveau la section Partenariats, en espérant vraisemblablement la conforter ou la préciser. On trouve encore cette section à côté de celles intitulées Organisations internationales non gouvernementales ong et Organisations intergouvernementales. Cette section Partenariats évoque derechef une reconnaissance particulière des organisations de villes :

Le partenariat avec les représentants élus (parlementaires, associations de maires, autorités locales et municipales, représentants élus de la société civile) a été consolidé et étendu en vue d’une contribution plus importante aux priorités du programme de l’unesco […] grâce à la signature d’un accord de coopération avec Cités et gouvernements locaux unis (la plus importante organisation mondiale regroupant des villes).

Or, on ne trouve pas trace dans le « partenariat avec les représentants élus » pensé par l’unesco d’une implication juridique prégnante autre que cet accord de coopération ponctuel signé avec Cités et gouvernements locaux unis (cglu) en 2005, qui, après analyse, aurait très bien pu être signé avec une ong. Il ne s’agirait donc pas d’une catégorisation appelant des types de relations précis, comme le font par exemple les ong ou les oig. Il s’agirait plutôt d’une catégorisation encore naissante[11] appelant des effets à la carte.

Par ailleurs, l’information concernant cette catégorisation n’est pas encore normalisée partout à l’unesco. La cglu, par exemple, est qualifiée par l’unesco d’organisation mondiale, notamment sur son site Internet, où l’on trouve parfois aussi l’ovpm qualifiée d’« organisation internationale non gouvernementale sans but lucratif » ou encore d’« autre organisation internationale[12] ». Il n’est pas certain pourtant que le statut de ces deux organisations formées d’autorités locales soit bel et bien différent, surtout si la catégorie « représentants élus partenaires » doit avoir un sens. L’accord de coopération avec la cglu, par exemple, n’est pas très distinct en substance de celui que l’ovpm a signé en 2002 avec l’unesco. De plus, l’unesco parle dans l’invitation à la Conférence générale 2005 (33 c/inf.1, p. 9), d’organisations internationales semi-gouvernementales, sans toutefois nommer une organisation précise qui cadrerait avec cette appellation, comme elle le fait d’ordinaire avec les autres. On constate donc que l’unesco peine à classer les organisations de villes et qu’elle les range dans quelque chose qui a toute l’apparence de catégorisations de fortune.

En somme, le « Partenariat avec les représentants élus » (aussi appelé « Parlementaires et nouveaux partenariats » ou « Parlementaires et autorités locales ») désigne des instances qui ne sont ni des ong ni des oig, telles que des organisations de villes ou encore des associations de parlementaires représentant des entités supranationales non souveraines. Mais ce partenariat, les rares fois où il apparaît, ne définit pas suffisamment les règles qu’il entend créer – si tant est que ce partenariat doive se traduire par des règles normatives. Il ne s’agit finalement peut-être que d’un programme vague de coopération accrue, ou encore d’un simple concept publicitaire.

Les organisations de villes, à l’unesco, semblent à tout prendre partager des caractéristiques avec le statut d’ong et, dans une moindre mesure, avec celui d’oig. Voici néanmoins un cas où il est possible d’associer une organisation de villes à une organisation intergouvernementale.

III – Une organisation de villes dans la catégorie 2 de l’unesco ?

Nous examinerons ici brièvement la possibilité théorique pour une organisation internationale constituée de villes de se voir accréditée comme centre de catégorie 2 à l’unesco, dans le but de montrer qu’il existe peut-être une étape supplémentaire dans la reconnaissance internationale formelle d’une organisation constituée de villes : l’accession de facto à un club sélect d’oig dans une arène multilatérale. Cette reconnaissance formelle présente un intérêt certain dans la mesure où elle peut engendrer une situation inédite et renforcer le statut de participation des organisations de villes au sein de l’espace public codifié par le droit international, et ce, en élargissant et en précisant son cadre, tel que semblait le présager le partenariat avec les représentants élus.

Le cas de l’ovpm a été retenu à fins de démonstration, à la fois parce que les rouages m’en sont connus et que l’unesco même a formulé à l’ovpm une invitation officieuse à s’incorporer comme centre de catégorie 2.

Il existe deux façons d’être considéré par l’unesco comme partenaire officiel, si l’on omet bien sûr le fait d’incarner un État membre. Premièrement, on l’a vu, les organisations internationales non gouvernementales (oing) peuvent obtenir un statut, et ce, selon plusieurs types de relations. Ensuite, les organisations intergouvernementales (oig) peuvent être accréditées à l’unesco soit comme catégorie 1, soit comme catégorie 2. Il n’y a pas de catégorie 3.

La catégorie 1, tout d’abord, est formée des centres de l’unesco, et est explicitement réservée aux avatars de l’unesco même, c’est-à-dire aux instances que l’unesco met en place ; que l’unesco finance ; qui portent le nom de l’unesco dans leur dénomination ; qui suivent les règles unesquiennes ; dont les employés sont ceux de l’unesco ; entre autres. L’Institut de la statistique de Montréal en fait par exemple partie.

La catégorie 2 est pour sa part constituée de centres dits « sous l’égide de l’unesco », qui sont indépendants juridiquement et financièrement de celle-ci, mais qui lui sont associés politiquement et dont les activités sont en harmonie avec les siennes. Un représentant du Directeur général de l’unesco doit siéger au conseil d’administration dudit centre ; celui-ci doit fournir des rapports annuels ; il peut utiliser le logo de l’unesco, etc. Ces centres ont pour membres des pays, qui financent le plus souvent leurs opérations.

A — La voie du « non non-gouvernemental »

Mais si les organisations de villes sont des partenaires, sans être tout à fait des ong ni des oig, comment une accréditation de catégorie 2 sera-t-elle possible à bon droit pour l’une de ces organisations ? Peut-on donner une accréditation dans une catégorie qui est pour lors constituée exclusivement de 25 instances proprement interétatiques ?

La solution pourrait être la suivante. L’article 5 des Directives concernant la création des instituts et centres placés sous l’égide de l’unesco (33/C Résolution 90, annexe 1) précise uniquement que les règles d’accession à la catégorie 2 ne s’appliquent pas aux ong. Il est possible alors, en empruntant la voie des « nouveaux partenaires avec les représentants élus », qu’une organisation de villes tombe dans la catégorie non non-gouvernemental et soit par là éligible à la catégorie 2, et ce, même si jusqu’à présent seules des oig en font partie. L’ovpm pourrait donc entrer dans la catégorie 2, sans avoir besoin d’être considérée comme une oig.

L’interprétation de la clause excluant les ong de ladite catégorie en faveur de l’ouverture de la catégorie 2 à une organisation de villes dépendra sans doute à ce stade de diverses pressions politiques, notamment des intérêts financiers et diplomatiques à voir une organisation donnée en faire partie. C’est là que les jeux de pouvoir pourront s’exercer. Y aurait-il un pouvoir qui puisse forcer l’accession de l’ovpm à la catégorie 2 ? Qu’en est-il du Canada, du Centre du patrimoine mondial, ou encore de la nécessité pour l’unesco de s’adjoindre des ressources externes, ou autres ? L’Assemblée générale de l’unesco – et donc ses pays membres, qui pourraient refuser de voir une organisation de villes dans un club d’oig ou encore de remettre le pouvoir de gestion du patrimoine entre les mains du municipal[13] – ou encore le service juridique de l’unesco, ou d’autres, pourraient-ils par exemple constituer un pouvoir pour l’en empêcher ?

B — Statut juridique actuel de l’ovpm eu égard aux instances étatiques

Un nouveau problème survient néanmoins, qu’il appartient à l’unesco et à ses membres de résoudre et qui dépend d’une autre question d’interprétation. L’article 3(i) des Directives concernant la création des instituts et centres placés sous l’égide de l’unesco précise en effet que l’instance qui demande l’accréditation devra fournir « son statut juridique actuel ou futur (notamment au regard du droit de l’État dans lequel il sera implanté) ». Cela signifie-t-il qu’une organisation de villes doit prouver qu’elle n’est pas une ong au niveau des lois nationales qui la chapeautent ?

La Constitution canadienne, nous l’avons soulevé en introduction, considère les villes comme des créatures des provinces. Les villes ne sont donc pas des gouvernements autonomes au sens propre. La Loi canadienne sur les missions étrangères et les organisations internationales codifie du reste ce qu’est une oig : un tel type d’organisation doit être formé d’États ou de leurs subdivisions politiques ayant des fonctions similaires à celles d’un consulat (voir annexe 8 de la Loi). L’ovpm, dans le cas qui nous occupe, ne constitue donc pas pour le fédéral une oig. Elle sera, un peu par défaut, une ong[14].

Or, il apparaît possible que l’article 3(i) ne fasse que demander que toute l’information en général sur un centre soit passée à l’unesco, pour vérifier que ledit centre est bien en règle ou possède bel et bien un statut juridique quelconque. Dans ces conditions, de deux choses l’une : ou bien le statut juridique national précis d’une organisation de villes n’a pas grande importance eu égard à la catégorie 2, ou bien il faut faire en sorte que le statut national n’indique pas que cette organisation est une ong. Cette problématique dépend en d’autres mots de la rigidité de la règle unesquienne qui réserve la catégorie 2 aux seules non-ong considérées comme telles, eu égard à la législation interne. Dans le cas qui nous occupe, si l’unesco n’exige pas, comme il le semble, que le Canada et le Québec reconnaissent l’ovpm comme non-ong, l’accréditation devient donc possible. La question reste pendante et il y a fort à parier que le service juridique de l’unesco ne s’en est pas encore saisi.

C — Signature du fédéral

Même si l’on met de côté la question des réticences éventuelles des maires de l’ovpm à perdre une parcelle de souveraineté dans leur organisation, ou encore le problème des modifications de Règlements de l’ovpm nécessitées par une accession à la catégorie 2, il reste cependant un autre noeud dans l’affaire : celui du rôle que le gouvernement du Canada peut jouer.

Les directives concernant la procédure de création d’un centre de catégorie 2 stipulent en effet que la demande d’accréditation doit provenir de l’État ou du groupe d’États concernés. Dans le cas d’une acceptation par l’unesco, un accord sera conclu entre cette dernière et le ou les gouvernements intéressés[15].

Si la note de bas de page numéro 1 de la page 164 des Directives laisse place à une certaine flexibilité[16], il semble que l’ovpm n’aurait pas le choix de solliciter le concours du gouvernement fédéral canadien dans sa démarche ; à moins bien sûr que l’unesco accepte, probablement avec l’accord du fédéral (qui est du reste membre de l’unesco), de traiter directement et seulement avec le 3e palier de gouvernement que constituent les villes. Mais cette éventualité demeure, selon toute vraisemblance, assez mince.

La force de l’argumentaire voulant qu’une organisation internationale de villes puisse obtenir un passeport dans un forum interétatique est néanmoins sauve quand l’on considère ceci : si le Canada acceptait d’être membre (?), voire garant de l’ovpm dans une éventuelle demande d’accréditation, il n’en demeure pas moins que ladite accréditation constituerait, au moment de la signature, un traité entre une institution multilatérale et une organisation de villes ; ou encore, pris autrement, entre une institution multilatérale et une organisation nationale, et non une association de plusieurs pays (oig), et ce, même si l’unesco devient membre de l’organisation indépendante formée statutairement de maires.

Peut-on alors penser qu’une (quasi)personnalité internationale inédite serait créée ? Cela est difficile à dire. La catégorie 2 est certes une émanation juridique d’une organisation multilatérale importante, mais elle pourrait être également considérée comme une procédure administrative interne particulière n’impliquant qu’indirectement le droit international public en général. Il n’en reste pas moins que cette procédure administrative est cautionnée en théorie par une majorité de pays membres, et qu’elle possède donc une force justificative importante, et pas seulement politique.

Notre démarche permet en définitive d’entrevoir la possibilité pour une organisation de villes de se faufiler derrière les rideaux d’une pièce qui se joue normalement entre oig, ce qui ne serait probablement pas faisable dans le cas de toute ong qui ne serait pas formée de maires légitimement élus.

Conclusion

Nous avons vu que les organisations internationales de villes nagent entre deux eaux. Elles exercent diverses pressions sur l’onu pour accroître leur implication et bonifier leur statut de participation, ce dont le rapport Cardoso des Nations Unies a su rendre compte. Ces pressions paraissent refléter le rôle croissant des villes et des régions dans les discussions et les décisions économiques qui se tiennent dans les coulisses de l’arène mondiale. Elles n’ont jusqu’à présent pas donné de résultats concrets à l’onu, si ce n’est celui de davantage de coopération entre l’onu et les diverses associations d’autorités locales, ou encore celui de l’introduction de l’idée que les organisations de villes puissent être autre chose que des ong traditionnelles.

À l’unesco, un examen approfondi des accords, doctrines et remarques historiques à l’interne, ainsi que des principes et des règlements liant cet organe des Nations Unies à d’autres organisations, a permis de constater que les regroupements institutionnels internationaux de maires n’étaient, officiellement cette fois, ni des oig ni des ong. Ces types d’organisations étaient décrits dans divers textes et circulaires officiels tantôt comme d’« autres nouveaux partenaires », d’« autres organisations internationales » ou comme des émanations du « partenariat avec les représentants élus », et ce, à l’exclusion explicite des oig et des ong. Une nouvelle catégorie (un peu imprécise) était donc née dans le système onusien : celle des organisations de représentants élus qui ne sont pas des gouvernements ou des seconds paliers de gouvernement, ni des non-gouvernements. La dichotomie classique entre le fait étatique et la société civile s’enrichit d’une distinction que le principe de subsidiarité semblait annoncer.

L’unesco a donc ouvert une sorte de brèche permettant que des organisations internationales formées de villes, comme l’ovpm, n’incarnent plus à ses yeux des ong et soient donc éventuellement admissibles à la catégorie 2, sans pour autant être des oig. Cette nouvelle catégorie administrative interne, que nous avons nommée avec plus ou moins de bonheur le « partenariat », permettrait donc à une organisation de villes d’être admise par la porte de derrière dans un club fermé d’oig. Il y a fort à parier que l’unesco elle-même (ou son service juridique) n’ait pas prévu ce cas, qui est le fruit de deux situations bien distinctes : soit, premièrement, l’exclusion des ong de la catégorie 2 dans un système binaire pour lequel il n’existait que des ong ou des oig, et, deuxièmement, l’apparition parallèle – pour des raisons politiques et économiques n’ayant pas trait à la catégorie 2 – d’une catégorie intermédiaire.

Cette démonstration a mis en lumière non seulement la situation ambiguë des organisations de villes sur le plan international, mais encore les efforts qu’elles doivent parfois entreprendre pour se tailler une place dans des systèmes qui n’avaient pas, à tort ou à raison, été conçus pour elles. Mais les villes sont appelées à jouer un rôle économique et politique grandissant dans le monde moderne. Plusieurs États décentralisateurs leur délèguent d’ailleurs des responsabilités croissantes (environnement, économie, culture, emploi, etc.), du fait de leur proximité avec le citoyen, et donc de leur capacité à entreprendre des actions ciblées et adaptées. On peut penser, en cette ère de disponibilité grandissante de l’information et des communications qui favorise le développement de réseaux, que le nombre d’organisations constituées de cités sera appelé à augmenter, et que ces regroupements chercheront davantage de légitimité et de visibilité au niveau planétaire pour faire valoir leurs nouveaux pouvoirs. L’étude de leur situation internationale présente donc un intérêt croissant.