Comptes rendus : Régionalisme et régions - Europe

Magnette, Paul, Au nom des peuples. Le malentendu constitutionnel européen, coll. Humanités, Paris, Les Éditions du cerf, 2006, 169 p.[Notice]

  • André S. Gosciniak

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  • André S. Gosciniak
    Département de science politique
    Université Laval, Québec

Depuis l’échec des référendums sur la constitution européenne en France et aux Pays-Bas en 2005, de nombreux auteurs se sont mis à analyser les facteurs possibles de cette catastrophe constitutionnelle, bien que celle-ci a été précédée d’un enthousiasme indéniable autour de la création de la Convention sur l’avenir de l’Europe. Après les décennies de décisions et de négociations intergouvernementales, obscures pour la plupart des citoyens des pays membres, ce déficit démocratique européen a connu une rupture quand le gradualisme qui caractérisait le développement traditionnel des Communautés européennes – marquant d’autant les traités écrits par les diplomates et les hauts fonctionnaires – a été rejeté en faveur d’un projet devant être préparé par une assemblée beaucoup plus large, comprenant des représentants des citoyens européens. La future constitution européenne ne devait pas être négociée seulement au niveau de la conférence intergouvernementale (cig), méthode qui servit à préparer tous les traités de l’Union européenne (ue) et que Moravcsik qualifia de libéralisme intergouvernemental et dans lequel les préférences des états, tributaires de leurs situations internes, influencèrent fortement la réforme des traités. Après l’expérience positive de la Convention qui préparait la Charte des droits fondamentaux de l’Union, le Conseil européen de Laeken décida, en 2001, de recourir à une nouvelle convention sur l’avenir de l’Europe. Pourquoi donc un échec et deux référendums ratés qui coupèrent le souffle à cette nouvelle dynamique européenne ? Est-ce une vraie catastrophe ou plutôt une continuation de la tradition européenne que celle de rejeter les projets de constitution commune ? Rappelons ceux préparés dans les années 1950 et 1980, dont le premier tomba dans l’oubli après l’échec de la Communauté européenne de défense et dont le deuxième ne fut qu’un pieux souhait du Parlement européen (pe).  L’Europe est-elle capable de construire un patriotisme constitutionnel à l’américaine ? En a-t-elle besoin pour réussir son projet institutionnel ? Peut-on profiter de cet échec afin de « revenir sur le sens et la nature du projet européen » sans être contraint par l’échéance référendaire, comme le propose Magnette ? La réflexion de Magnette est construite autour de la comparaison entre la Convention américaine de Philadelphie et la Convention européenne. Pour l’auteur, l’abandon de la tradition intergouvernementale de construction européenne ne fut pas suivi d’une rupture à l’américaine au niveau des décisions prises par la Philadelphie européenne. La Philadelphie de 1787 était possible, car la majorité des dirigeants avaient compris le besoin de déplacer la réforme constitutionnelle de l’état à la Nation, en voyant dans la modification de la structure du gouvernement central la réponse aux problèmes politiques et sociaux de l’Amérique. Alors que l’ue est victime de sa propre réussite, le succès historique de l’intégration continentale la rend décidément plus forte (en matière de coopération politique et de contraintes juridiques) en tant que communauté, que les treize colonies américaines. à Philadelphie, on n’inventa pas seulement un nouveau régime, mais on changea aussi les règles de ratification pour la faciliter. Cette nature révolutionnaire du changement revit le jour dans les années 1860 et 1930 quand on choisit d’ignorer le processus de révision établi par la Constitution afin de faire évoluer le régime. Une telle volonté de rupture avec le passé ne fut jamais présente dans l’ue qui, tout au long de son existence, se plaçait dans la continuité de la tradition diplomatique européenne. Toutefois, en parlant constamment de la rupture entourant la Convention européenne, l’auteur lui-même fait la preuve de ses limites. Si l’on analyse le processus décisionnel, il est vrai que la Convention acquit au début une dynamique propre qui fut renforcée …