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Chercheurs, spécialistes du monde académique et honnête homme sont souvent à la recherche d’ouvrages qui font de manière exhaustive le tour d’une question en procédant à un état des lieux, et qui deviennent en quelque sorte un jalon essentiel dans la compréhension d’un concept, ainsi qu’une référence majeure et incontestable sur tel ou tel sujet thématique. Nous connaissons tous à ce sujet des ouvrages phares, des références incontournables, des outils bibliographiques à ne pas ignorer.

ddr. Désarmer, démobiliser et réintégrer fait assurément partie de ces ouvrages. Dans un domaine aussi complexe que celui du ddr, l’initiative est la bienvenue. Ouvrage collectif (21 auteurs) aux multiples contributions, systématique, structuré, précis et clair, la présentation est un modèle du genre, intégrant les aspects pratiques et théoriques mais aussi des études de cas pour chacune des composantes du ddr, en insistant sur la question spécifique des enfants et des jeunes soldats. Ce livre, le dernier d’une trilogie (les deux premiers étant L’action humanitaire du Canada, 2002 ; et Faire la paix. Concepts et pratiques de la consolidation de la paix, 2005, chez le même éditeur) se termine par des pistes d’avenir et une riche bibliographie.

Thématique difficile à cerner par ses multiples composantes, le processus de ddr est un cheminement lent, complexe et aléatoire. Il peut concerner l’onu, l’ue, le fmi, la Banque mondiale et les États impliqués alors que les acteurs sont légion : le militaire, l’anthropologue, le sociologue, le politologue, le psychologue, le médecin ; sujet d’autant plus prégnant qu’aujourd’hui, l’enlisement des processus de paix, le « zéro-mort », la difficulté de trouver un consensus entre les parties et l’accroissement des conflits armés mettent tour à tour en évidence la nécessité d’engager des politiques autour du « désarmer, démobiliser et réintégrer ». Aussi, le ddr est devenu une composante intégrale de tous les accords de paix. Il est le reflet des nouveaux besoins de reconstruction, de réconciliation et de consolidation de la paix où opère l’action humanitaire dans la durée et le soutien aux groupes les plus vulnérables (femmes et enfants soldats) pour une reconstruction morale, physique et sociétale.

Il reste que les programmes ddr ont leurs exigences : consentement des parties, confiance, sensibilisation et communication, planification longtemps à l’avance, récupération des armes et prise en compte de facteurs psychosociaux des réintégrés. Il s’agit également de disposer de temps, de ressources financières et de volonté politique car la gestion du ddr est de longue haleine, surtout si les zones démobilisées sont très pauvres, ce qui est généralement le cas (rdc, Sierra Leone, Somalie, Cambodge, etc.), sachant aussi que le basculement (dérapages) dans la violence est toujours possible (touaregs, Timor-oriental, etc.). Pour complexifier le tout, la démobilisation implique de se questionner sur les groupes cibles, la question de la légitimité, la loyauté du groupe armé envers le politique, le soutien populaire, les minorités représentées ou la sécurité humaine.

Il ne faut pas oublier que le désarmement est un processus militaire qui ne doit pas être confondu avec la démobilisation reposant davantage sur un cheminement civil. En outre, le désarmement – qui peut avoir lieu autant avant que pendant et après la démobilisation – est en lui-même un élément du processus de démobilisation. On peut résumer le processus de désarmement comme suit : enquête sur les armes, collecte de celles-ci et entreposage, destruction et redistribution. Quant aux étapes essentielles à la démobilisation, elles concernent la planification, le regroupement dans des camps, l’enregistrement, le désarmement, l’orientation avant la réforme et le retour définitif à la vie civile des ex-combattants. Reste la réintégration qui se situe dans les trois dimensions « spatiales » et implique la formulation d’une politique nationale, le soutien à la mise en oeuvre régionale, le soutien d’urgence à l’échelle locale, le transport vers les régions retenues pour la réinstallation, le versement des primes de retour à la vie civile, les primes d’installation, les projets de (re)construction et la formation professionnelle.

Globalement, on insiste sur l’idée que le ddr doit débuter pendant les négociations de paix en tenant compte du cadre juridique, des éléments de la bonne gouvernance, de la réforme du secteur de la sécurité et des liens avec la coopération au développement. Mais en amont, il reste que plusieurs conditions doivent être remplies préalablement à un engagement dans le ddr : cessez-le-feu et consentement des parties ; soutien des chefs militaires et contrôle par ces derniers des combattants, création d’une commission pluraliste sur le déroulement et le calendrier du ddr ; préexistence des donateurs ; définition des groupes qui feront l’objet de la démobilisation ; supervision de l’entente conclue par toutes les factions ; participation d’observateurs internationaux ; détermination des ressources disponibles et de l’état des infrastructures et enfin démarcation et accessibilité des zones de rassemblement.

Trois chapitres structurent l’ouvrage après l’introduction. Le premier grand chapitre, rédigé par différents auteurs, examine dans le détail les aspects pratiques et théoriques du désarmement avant de produire des études de cas sur cette thématique : Albanie avec la politique de récupération des armes pillées dans les dépôts ; Haïti et la minustah (Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti) ; les missions de maintien de la paix de l’onu et son rôle dans le désarmement et la démobilisation. De la même façon est étudiée la démobilisation qui doit servir à enregistrer, dénombrer, contrôler et préparer plusieurs catégories de combattants au retour à la vie civile. Dans ce champ, la sécurité, le contrôle, la transparence, la durabilité, la capacité et la reconduction de la légitimité composent les principes essentiels de cette politique. Ici aussi, après l’examen détaillé des modèles pratique et théorique, sont présentées plusieurs études de cas : paramilitaires colombiens, anciens rebelles du Mali, bilan au Guatemala et enfin approche multi-pays (mdrp) avec l’examen du programme de la Banque mondiale, de celui sur le « tronc commun » en rdc et du processus au Burundi.

Le deuxième grand chapitre sur la réintégration et la réinsertion aborde aussi de manière pratique et théorique ce processus par lequel les combattants obtiennent le statut de civil et l’accès aux emplois civils ; l’objectif étant d’accroître la capacité de subsistance par des moyens pacifiques et de faciliter l’accueil et la réintégration sociale. L’importance est ici accordée à la question incontournable de l’accès aux terres, ainsi qu’à la réconciliation, à la réintégration par le biais de la micro-entreprise. D’autres études de cas sont développées : le programme Cause en Sierra Leone de réintégration des enfants-soldats (2000-2002) avec la mise en évidence de la nécessaire différence de traitement selon le sexe en matière de guérison physique et psychosociale, le statut féminin et ses particularismes rendant la réintégration plus difficile encore au vu de la double discrimination, comme d’autres analyses de l’ouvrage le montrent aussi (exemples en rdc, Afghanistan).

Enfin, le troisième chapitre quant aux pistes à suivre dans l’avenir regroupe une série de propositions visant à conduire le ddr de façon décentralisée – « ddr sans camps » – parallèlement aux pratiques de l’onu. Une autre contribution fait part d’une nouvelle approche politique possible du ddr en partant d’expériences empiriques en vue d’élaborer un schéma normatif, tout en insistant sur les préalables à une politique ddr et sur les défis posés à son élaboration (nationaux, experts, commissions, approche intégrée) ainsi que les difficultés sous-jacentes (approche « catalytique » et approche « holistique »). Enfin, la dernière contribution s’arrête sur le programme ddr de groupes armés non étatiques en Irak. En guise de conclusion (originale), le livre dirigé par Yvan Conoir et Gérard Verna présente une sélection de dix situations de ddr en cours. Ouvrage de référence en langue française sur le ddr qui s’avère incontournable, il assure à ses lecteurs une vision claire et précise des enjeux complexes d’une politique de plus en plus nécessaire.