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Cet ouvrage collectif s’inscrit dans la perspective critique des relations internationales. L’objectif principal des auteurs est de découvrir les conséquences de la diminution de la centralité de l’État comme sujet principal des normes internationales.

L’évolution de la deuxième période du xxe siècle, particulièrement à partir des années 1970, consacre une transformation importante des frontières économiques et politiques des États. Par conséquent, des théories centrées sur l’interdépendance et le transnationalisme font leur apparition, tout comme un corpus de normes éthiques qui commencent à être appliquées au comportement des États. Ces nouvelles théories mettent l’accent sur les acteurs non étatiques, sur l’interaction des forces internes et internationales dans la politique étrangère (et commerciale) d’un État, ainsi que sur le rôle des organisations internationales.

L’évolution récente de l’ordre international et des courants théoriques qui s’y rattachent entérine, avec la fin de la Guerre froide, l’instauration de nouvelles normes internationales, telles que la résolution pacifique des conflits, les droits de la personne et la bonne gouvernance par la pratique de la démocratie et du libre marché. De ce point de vue, la perte de souveraineté des États modernes renvoie à une perte de légitimité quand des violations graves de ces normes ont lieu. L’ensemble des auteurs de cet ouvrage critiquent plus ou moins ouvertement la notion de normes globales de justice et de droits de la personne, ainsi que la diminution du caractère inviolable de la notion de souveraineté. Ils les voient comme des tentatives de légitimer le droit de la « communauté internationale » d’intervenir dans les compétences des États souverains qui sont catégorisés comme n’appartenant pas à cette communauté.

Des notions telles que le soft power, la gouvernance globale et la société civile internationales qui sont à l’origine des théories récentes expliquant la création des normes internationales sont critiquées par les auteurs de cet ouvrage ; leur perspective épistémologique et méthodologique se distingue des préceptes rationnels de la théorie des régimes.

L’ouvrage est divisé en trois parties traitant respectivement de la souveraineté nationale et le cadre normatif des relations internationales, de l’économie politique des normes internationales et de l’exploration politique et philosophique des droits et des normes.

Dans la première partie, Roger Coate et Jacques Fomerand se penchent sur le rôle de l’onu dans la promotion des Objectifs du millénaire, en synthétisant les différentes étapes qui ont contribué à l’élaboration d’un agenda global concernant le développement durable et le développement humain. Les auteurs considèrent que cette évolution est un seuil majeur : il marque le départ des principes de libéralisme économique qui avaient dominé jusqu’alors le débat sur l’avenir des pays en voie de développement. Ils mettent toutefois en garde contre le danger de dilution des compétences de l’onu par un retour à l’unilatéralisme et le transfert de compétences aux organisations régionales, évolution qui diminuera l’importance des acquis récents dans le domaine du développement.

Ronen Planan analyse le phénomène d’érosion de la souveraineté, en s’arrêtant sur les interactions entre l’hégémonie des États puissants et les trois principes du « compromis souverain » (puissance, multilatéralisme et forces du marché). La pratique de transgression de la souveraineté a créé un ensemble de règles et normes de comportement qui limitent également le degré d’indépendance exercé par les États hégémoniques, en dépit du fait qu’ils ont été les principaux créateurs de ce phénomène. Ainsi, le multilatéralisme, promu par les États-Unis à la fin de la Guerre froide, a commencé à limiter la capacité de ceux-ci à agir de manière indépendante. Cela a provoqué après 2001 un retour vers l’unilatéralisme comme moyen pour les États-Unis de se libérer des contraintes du monde multilatéral qu’ils ont aidé à bâtir. Toutefois, l’évolution institutionnelle des règles, des coutumes, des normes et des pratiques de comportement qui favorisent le multilatéralisme semble consacrer sa prédominance à long terme sur les autres principes qui régissent le « compromis souverain ».

Gregory A. Raymond et Charles Kegley analysent les implications de la stratégie de guerre préventive employée par l’Administration Bush et expliquent comment elle encourage le développement d’un ordre normatif permissif, qui mine les perspectives d’émergence d’une approche de gouvernance globale dans le domaine de la sécurité. Les auteurs soulignent la différence importante, en termes juridiques et légaux, entre le droit de préemption et l’action militaire préventive. Si le premier se réfère de manière générale à une menace imminente, la seconde concerne un danger prévisible, mais pour lequel on ne peut établir avec certitude si et quand il va se produire. La confusion volontaire entre les deux termes peut causer l’affaiblissement des normes de conduite limitant l’usage de la force en relations internationales (norme de la prudence et règles traditionnelles de proportionnalité et discrimination).

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, le chapitre d’Elizabeth Zutter explique les transformations du concept de souveraineté à la lumière de l’homogénéisation des règlementations dans le domaine commercial et financier. Les droits de propriété intellectuelle, en particulier, se sont retrouvés au coeur du débat entre la vision promue par le nouvel ordre économique international et celle, différente, issue du Consensus de Washington. Selon la première perspective, l’État doit décider comment les droits de propriété intellectuelle sont utilisés pour mieux servir son développement. L’autre perspective souligne la primauté de la protection des droits à la propriété intellectuelle, en tant que moteur qui alimente la croissance économique et la création de la richesse. L’homogénéisation des normes consacrant le triomphe de la dernière perspective a forcé les États à adopter des réglementations conformes au fonctionnement de l’économie de marché, en changeant ainsi de manière qualitative la souveraineté étatique.

Noemi Gal-Or étudie l’institutionnalisation de la pratique de l’arbitrage dans le commerce international comme une « nouvelle orthodoxie » à travers les mécanismes de résolution des disputes du chapitre 11 de l’alena, l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce et les traités d’investissement bilatéraux. Ces juridictions, qui se veulent une émulation des instances internes, ne s’appuient toutefois pas sur des fondements légaux, conformes à leurs statuts. Cette évolution signifie une privatisation du droit international public, lequel est pris en charge par des organismes qui sont en grande partie influencés par des compagnies privées et des ong.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, le chapitre de Jean-Paul Chidiac analyse la façon dont les nouvelles normes issues du processus de globalisation, caractérisées par une plus grande flexibilité et souplesse, envahissent l’espace occupé auparavant par le droit étatique. Le nouveau concept de gouvernance tend à diminuer le rôle de l’État : la société civile et en particulier les acteurs du marché sont les principaux créateurs de ce nouvel ordre normatif. De ce point de vue, la gouvernance globale peut constituer la réponse politique à la globalisation économique, ce qui rend obsolète le modèle centralisé et institutionnalisé de l’État nation. Toutefois, l’idéalisation des avantages du marché et de ses lois comme principe organisateur donne plus d’autonomie à ceux qui sont professionnellement au coeur du processus de globalisation, soit les quelques grandes compagnies qui contrôlent une large partie du « marché global ». De ce point de vue, la globalisation et la création des normes issues du marché global sont en grande partie la conséquence des stratégies des acteurs privés et publics dans le but d’imposer leurs intérêts.

Marjukka Laakso étudie l’impact des normes dérivées du concept de développement durable sur la construction d’un consensus international autour du principe de justice globale et intergénérationnelle. Ainsi, on reconnaît la nécessité du maintien de l’intégrité écologique et de la biodiversité comme une condition fondamentale au bien-être de l’humanité ; le développement économique comme moyen de combler les besoins des individus et de garantir les conditions sociales et culturelles pour tous les êtres humains dans le présent et à l’avenir ; l’application du principe de précaution dans les processus de prise de décisions internes et internationaux.

Barbara Delcourt se penche quant à elle sur les effets normatifs de la transformation de l’ordre international comme conséquence de l’interdépendance et de la dilution de la souveraineté étatique, qui se manifestent principalement à travers les méthodes de « bonne gouvernance » (dans le domaine économique) et le principe de responsabilité (dans le domaine de l’éthique). L’auteure conclut que ces deux principes sont susceptibles de devenir un instrument à la discrétion des États puissants qui conduisent éventuellement à l’imposition de doubles standards et que l’État (et sa souveraineté) devrait avoir pour rôle de constituer l’interface qui contrebalance cette tendance.

Comme l’indique l’introduction, l’ouvrage a l’ambition de rassembler des auteurs provenant d’une variété de pays et de cultures universitaires, ainsi qu’une multitude de perspectives qui incluent non seulement la science politique, mais également la philosophie et le droit international. Si cette ambition est louable, l’ouvrage reste dans les confins de l’approche critique et n’essaie que dans une infime mesure d’instaurer un dialogue avec d’autres courants. Certains chapitres, en particulier ceux de Johannes Krause et de Bob Brecher, souffrent de manière évidente du même type de normativisme idéologique que celui censé faire l’objet de la critique des auteurs.