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Cet ouvrage collectif dirigé par Harald Kleinschmidt a pour objectif d’analyser les liens étroits existant entre la migration, l’intégration régionale et la sécurité humaine ainsi que les façons par lesquelles ces liens remettent en cause les responsabilités et le rôle traditionnellement acceptés de l’État.

Depuis le début du xixe siècle, l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques de migration sont de la responsabilité des États. Une immigration incontrôlée sur le territoire d’un État constitue depuis cette époque une menace pour sa sécurité, bien que les migrations transnationales soient, de par leur nature, des processus transfrontaliers difficiles à confiner unilatéralement au sein d’un seul État. Dans les faits, il existe depuis longtemps des espaces transnationaux au sein desquels des populations migrantes se sont établies et qui réunissent plusieurs États ou d’autres types d’entités politiques. Toutefois, les institutions régionales et les régimes transnationaux n’ont que très rarement participé à la préparation et à la mise en oeuvre des politiques de migration.

Depuis une trentaine d’années, cette exclusivité de l’État sur le contrôle des politiques migratoires centrées sur l’État est remise en cause. Nous sommes également témoins de la remise en question des théories selon lesquelles les mouvements migratoires doivent être considérés comme des comportements déviants s’expliquant essentiellement par la volonté d’améliorer les conditions économiques des populations concernées. Aujourd’hui, les études empiriques sur la question démontrent que la migration n’est pas un processus limité et fini, mais un processus récurrent et continuel.

Il s’est ainsi effectué, au cours des dernières décennies, un changement de paradigme des études conventionnelles sur les migrations vers les nouvelles études sur les migrations (new migration). On est aussi passé de la théorie néofonctionnelle de l’intégration régionale au nouveau régionalisme (new regionalism) et de l’étatisme dans l’étude de la sécurité au nouveau discours sur la sécurité humaine. L’élément pivot de ces changements simultanés dans les trois champs d’études est la remise en question des perspectives et des approches centrées sur l’État.

À la lumière des révisions théoriques récentes au sujet de la migration de l’intégration régionale et de la sécurité, comment réévaluer les cadres sociaux, politiques et culturels afin que la migration soit davantage considérée comme un phénomène normal, que l’intégration régionale soit vue comme un instrument pouvant contribuer au changement politique, économique et culturel et que la sécurité soit considérée dans une logique centrée sur l’individu ? C’est à ces questions que tentent de répondre les différents auteurs de l’ouvrage à travers les chapitres théoriques et les études de cas régionales qui se divisent en trois parties de quatre chapitres chacune.

La première partie de l’ouvrage examine les bases historiques et théoriques des phénomènes migratoires, de l’intégration régionale et de la sécurité humaine. La deuxième partie explore quant à elle la restructuration des espaces transnationaux à travers les phénomènes migratoires et l’intégration régionale. Elle aborde les changements des attitudes gouvernementales à l’égard des populations migrantes dans un contexte de prise de conscience des populations migrantes envers elles-mêmes. Les auteurs font le bilan de ces changements d’un oeil critique en abordant les cas des Philippines, de petits États du Pacifique Sud, de l’Amérique centrale et de l’immigration kurde en Allemagne. Enfin, la troisième partie traite plus en profondeur de l’interrelation existant entre les phénomènes migratoires, l’intégration régionale et la sécurité humaine, abordant dans l’ordre les dynamiques migratoires de la main d’oeuvre en Asie du Sud-Est et de l’Est, la politique migratoire de l’Union européenne et la sécurité frontalière dans le contexte de l’expansion de l’Union européenne vers l’Europe centrale et de l’Est. Le dernier chapitre de cette partie résume les grandes lignes des différentes contributions et plaide pour la reconnaissance d’une perspective du bas vers le haut (bottom-up) dans la formulation des politiques et des études universitaires qui traitent notamment de la question des migrations.

Cet ouvrage est très original, car il est l’un des premiers à établir et à mettre en évidence les liens étroits qui prévalent entre les migrations, l’intégration régionale et les enjeux de sécurité. Les auteurs cherchent à démontrer que la migration est un phénomène normal, et que les nouvelles approches doivent se concentrer sur les caractéristiques ou les motivations individuelles qui poussent une personne à migrer plutôt que sur les facteurs sociaux de désintégration et de réintégration. Considérer la migration comme un processus normal, c’est affirmer que les frontières unissent plutôt qu’elles ne divisent.

Cet ouvrage, qui est d’actualité, s’adresse à tout universitaire ou étudiant qui s’intéresse à la question de la migration dans une perspective sociologique, politique ou de relations internationales.