Comptes rendus : Analyse de politique étrangère

Roussel, Stéphane (dir.), Culture stratégique et politique de défense. L’expérience canadienne, Outremont, qc, Athéna éditions, 2007, 231 p.[Notice]

  • Niels Lachmann

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  • Niels Lachmann
    spirit, Institut d’études politiques de Bordeaux,
    France

En mêlant l’exploration du concept de culture stratégique à l’étude de l’action extérieure canadienne, l’ouvrage dirigé par Stéphane Roussel se propose d’apporter des approfondissements sur le plan empirique et théorique. Il présente aussi la particularité de prendre en compte au niveau conceptuel, outre la littérature anglo-saxonne, les réflexions d’auteurs francophones. Les contributions dans leur ensemble permettent de retrouver l’empreinte de la culture stratégique chez plusieurs sources et catégories d’acteurs. L’ouvrage est découpé en trois parties, la première s’intéressant aux enjeux conceptuels de la culture stratégique, la deuxième cherchant à montrer comment une culture stratégique spécifiquement canadienne marque la politique de défense du Canada, la troisième se consacrant aux débats politiques autour de cette culture stratégique canadienne et à son actualité. La culture stratégique est un élément important pour appréhender l’action extérieure des États. À cet égard, dans le premier chapitre, Stéphane Roussel et David Morin font ressortir quatre éléments de la culture stratégique : elle appartient plutôt au monde des idées, se situe dans le cadre d’un groupe, est partagée en exclusivité par ce collectif, et s’avère être d’un caractère plutôt stable. Mais s’il y a donc un noyau commun autour de la définition de ce qu’est la culture stratégique, l’utilisation du concept s’inscrit dans trois approches différentes : la première est « contextualiste » et cherche à établir les spécificités nationales qui marquent l’action extérieure ; la deuxième est « instrumentaliste » et met l’accent sur les rapports de domination à l’intérieur d’une communauté ; la troisième est « causale » et vise à expliquer le comportement d’un acteur. Ces trois acceptions ont donc comme point de référence des niveaux différents, sur le plan empirique, et ne partagent pas les mêmes bases épistémologiques, au niveau théorique. Ce dernier point se voit exploré plus profondément par David G. Haglund, avec l’exemple du débat entre approches contextualiste et causale (chap. 2). David Grondin prend ensuite le contre-pied de la plupart des contributeurs de l’ouvrage en s’appuyant sur une lecture instrumentaliste de la culture stratégique (chap. 3). Il critique notamment l’approche contextualiste de Colin S. Gray, dont l’incohérence sur le plan épistémologique, faisant passer des points de vue en fin de compte subjectifs pour des reflets de la réalité objective, entraîne inévitablement la légitimation d’un certain discours politique aux États-Unis comme « culture stratégique unitaire » états-unienne. Parmi les études de cas qui suivent, plusieurs s’inspirent plutôt de l’approche causale d’inspiration constructiviste, élaborée notamment par Alistair Iain Johnston, ainsi que le relève Kim Richard Nossal. L’analyse de Nossal s’attache à montrer que l’espace politique considéré comme faisant partie du Canada, le « royaume », dépasse souvent le territoire canadien, bien qu’il y ait des périodes et des tendances de « contraction » : l’empire britannique, l’appartenance à l’otan pendant la Guerre froide, les interventions de l’après-Guerre froide, enfin la perspective – incertaine – « d’un périmètre de sécurité continental » avec les États-Unis (chap. 4). Ce dépassement a son corollaire dans l’idée qu’il n’y a ni besoin, au vu de la situation géostratégique, ni moyen, au vu de l’étendue du territoire canadien, de défendre le Canada, selon une formule de Desmond Morton citée à plusieurs reprises dans l’ouvrage. Les effets discutables de cette conception dans la pratique apparaissent dans les contributions de William Hogg puis de Justin Massie, qui étudient respectivement les éléments de continuité des livres blancs sur la politique étrangère en général et l’Énoncé de politique internationale du Canada de 2005 en particulier (chap. 5 et 10) ; de Douglas Bland, qui présente l’élaboration de la politique de défense par le biais d’une sorte de manuel d’instruction pour …