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Il y a un très grand manque de littérature savante sur tout ce qui se rapporte à la marine canadienne, dans à peu près toutes les disciplines. En histoire maritime, il est vrai, nous sommes un peu plus gâtés. Cela veut dire que presque n’importe quelle recherche dans le domaine trouvera son auditoire tout de suite, indépendamment de sa valeur en soi. Le présent ouvrage sur l’amirauté canadienne colmate une brèche très importante. Ce jugement demeure malgré certaines réserves exprimées ci-après.

Whiteby, Gimblett et Haydon sont les directeurs d’un ouvrage qui trouve son origine à la sixième conférence historique sur le commandement maritime, à Halifax, en septembre 2002. Ils donnent à leur ouvrage une structure très simple : chaque chapitre se consacre à l’un des commandants de la marine, remontant jusqu’au xixe siècle, et la suite des chapitres est présentée en ordre chronologique. Presque tous les commandants s’y retrouvent, à quelques exceptions près. Le contenu est simple et facile d’accès : il s’agit la plupart du temps d’une énumération chronologique des principaux faits de carrière de ces commandants. On y trouve la liste des navires ou des flottes commandées, le répertoire de la formation suivie, une notice biographique et un portrait. Ne figurent pas les grands défis politiques, militaires ou autres auxquels certains d’entre eux ont dû faire face. Plusieurs des chapitres avaient déjà été publiés ailleurs. Pour le profane, le contenu n’est donc pas très intéressant.

Cela étant dit, il s’agit d’un ouvrage qui a sa place dans toute bibliothèque universitaire, car il a peu de chance de se faire concurrencer prochainement. Si certains manques sont à souligner, on ne peut pas douter de l’exactitude des faits rapportés. L’écriture est claire et l’ouvrage est facile à lire et à consulter pour qui cherche un renseignement particulier.

S’agit-il cependant d’un ouvrage de référence ou d’un essai ? C’est difficile à décider et cela porte, en fin de compte, à se montrer plus sévère. S’il s’agit d’un ouvrage de référence, il faudrait qu’il soit complet et que la structure des chapitres soit standardisée. Il faudrait aussi présenter un chapitre sur tous les commandants, au lieu d’en sauter plusieurs du xixe siècle. Une seconde faille tient au caractère récent du colloque de 2002 : l’une des séances était composée de quatre des derniers commandants de la marine. Dans un ouvrage de référence, il est bien difficile de rédiger des chapitres objectifs à propos de personnes qui vivent toujours, surtout lorsque lesdites personnes sont devant vous, à écouter ce que l’on dit d’elles de vive voix. Les auteurs n’ont pas pu faire autrement que de se sentir moins libres dans leurs propos.

S’il s’agit d’un essai, pourquoi n’a-t-on pas publié les remarques de ces commandants, remarques qui seraient d’autant plus intéressantes quant à l’évolution du leadership, ou aux défis concernant l’avenir. Pour un essai, c’est ce manque d’analyse qui s’avère la faiblesse la plus criante de l’ouvrage. Il n’y a d’essai que l’introduction, qui ne présente ni un résumé, ni un aperçu de l’ouvrage. Par contre, cette partie fait mention de l’état civil de chaque amiral : tous des hommes mariés et ayant eu des enfants, et on peut se demander quelle est la pertinence de ces renseignements. L’introduction fait aussi état de la langue maternelle des amiraux, tous des francophones. Quelle implication cette information a-t-elle ? Les auteurs ne proposent aucune explication et ne formulent aucune hypothèse. C’est dire si l’analyse est limitée.

De surcroît, le colloque d’origine comportait une séance sur la nature particulière du commandement marin, un thème qui ne revient nulle part dans l’ouvrage. tout cela constitue plusieurs occasions ratées de contribuer davantage à la compréhension de l’amirauté canadienne. Les directeurs de l’ouvrage affirment dans leur introduction avoir manqué de temps. Les bibliothécaires vont propablement se procurer l’ouvrage pour leurs collections. Il reviendra donc au lecteur ordinaire de juger si cela lui suffit comme explication.