Comptes rendus : Régionalisme et régions - Europe

Adam, Bernard (dir.), Europe. Puissance tranquille ? Rôle et identité sur la scène mondiale, coll. Les livres du grip, nos 286-287, Bruxelles, grip/Éditions Complexes, 2006, 200 p.[Notice]

  • Ali Laïdi

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  • Ali Laïdi
    Institut de relations internationales et stratégiques
    Paris, France

Le choix de l’Europe se limite-t-il à la puissance ou à la mort comme le suggère Christian Saint-Étienne ? Après avoir imposé la paix entre les vieilles nations guerrières, la construction européenne semble ne plus se contenter de ce rêve devenu réalité. L’Europe ne peut se désintéresser d’un monde extérieur secoué par de multiples crises. Il lui faut se (re)définir pour mieux affronter les nouveaux défis posés par la mondialisation. Doit-elle alors devenir une puissance ? Mais quel type de puissance ? Militaire comme les États-Unis, la Russie ou la Chine ? Ou alors, comme le suggèrent certains auteurs rassemblés ici par le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (grip), une puissance tranquille ? Ce concept de « puissance tranquille » emprunté au philosophe Tzvetan Todorov est apparu à la suite de la guerre américaine en Irak en 2003. Il s’appuie sur la capacité de l’Europe à promouvoir la paix à travers le droit international, l’interdépendance des nations, l’aide au développement et le recours exceptionnel à la force. Est-il suffisant pour forger la nouvelle identité de l’Europe ? Chercheurs, haut-fonctionnaires, membres de think-tanks ou de cabinets ministériels, hommes politiques, en tout une vingtaine d’auteurs issus de quatorze pays tentent de répondre à cette question. Bernard Adam commence donc par poser le débat à travers les principaux arguments des auteurs qui l’animent. Robert Kagan est parmi les premiers cités. Dans son livre, ce néoconservateur américain avait installé le décor géopolitique. D’un côté la puissance américaine, de l’autre la faiblesse européenne. Cette vision est jugée caricaturale par de nombreux auteurs qui révèlent, comme Bertrand Badie, « l’impuissance de la puissance » ou comme Ghassan Salamé, « la logique de la force » qui « détruit la force de la logique ». Le point de vue du livre dirigé par Bernard Adam évacue rapidement l’hypothèse d’une Europe, puissance impériale qui prétend imposer la démocratie militairement. Américains et Européens ont beau partager la même analyse sur les principales menaces à la paix et à la sécurité internationales, les chemins de la puissance des deux alliés diffèrent. Pour Zaki Laïdi, l’Europe ne sera jamais une grande puissance, car l’Europe n’est pas État « mais une fédération d’États-nations ». Il lui faut donc abandonner la force militaire pour investir la force normative. L’Europe doit s’imposer sur la scène internationale grâce aux normes qu’elle contribue à fabriquer chaque jour à l’intérieur de ses frontières sûres et paisibles et qui lui permettent de « ‘tenir les États’, de les discipliner, de les contraindre ». Ces normes, décidées en commun à toutes les étapes de la construction européenne, fondent le principe majeur de l’Europe : l’approche multilatérale des questions internationales. Elles forment également son modèle. L’identité internationale de l’Union européenne (ue), explique Ian Manners, se définit à travers les valeurs que promeut l’ue : l’économie de marché sociale, la liberté, la démocratie consensuelle, les droits de la personne, l’environnement durable, la paix durable, etc. Ian Manners en conclut que « le recours à des moyens autres que militaires est un élément central, constitutif de la puissance normative de l’ue dans le jeu politique mondiale ». Un jeu dans lequel l’Europe apparaît finalement comme « une puissante peu gênante », selon Robert Cooper. Ce dernier s’interroge pour savoir si le concept de puissance tranquille ne cache pas en fait l’impuissance de l’Europe, sa faiblesse. Pourtant, l’Europe doit s’affirmer comme une grande puissance indépendante, car même « les États-Unis n’ont pas forcément intérêt à ce que l’Europe soit une alliée trop proche », écrit Sherle Schwenninger. Le Russe Vladimir Shemiatenkov …