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L’histoire du multilatéralisme est récente et marquée par les grands événements du 20e siècle : la Grande Guerre, la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide. Si l’on note depuis quelques années un intérêt accru pour cet objet d’étude en relations internationales, peu d’auteurs francophones ont abordé le sujet de façon globale. Le multilatéralisme. Mythe ou réalité vient donc combler un grand vide scientifique. Cet ouvrage est le fruit du colloque qui s’est tenu à l’Institut d’études politiques de Lyon en mai 2006, regroupant quatorze spécialistes français et canadiens de l’Association France-Canada d’études stratégiques. Comme le titre l’indique, l’objectif du recueil est d’examiner la réalité et la portée du multilatéralisme en matière de sécurité. À cette fin, l’ouvrage est divisé en trois parties d’inégales longueurs : « Multilatéralisme et institutions internationales », « Multilatéralisme, armement et désarmement » et « Multilatéralisme et sécurité des États ».

À partir d’un corpus de dictionnaires et de discours recueillis sur Internet, Paul Bacot propose une démarche de politologie lexicale afin d’examiner les concepts liés au multilatéralisme. Le mot multilatéralisme serait selon lui récent, politisé, idéologisé et doté d’une grande connotation positive. Il renvoie à des dispositifs institutionnalisés et évoque une réalité partielle et menacée. Le terme unilatéral est, pour sa part, antonymique et dénote ainsi le manque d’échange et de réciprocité. Enfin, la notion de plurilatéralisme relève davantage du domaine juridique et sous-entend des accords plus limités et moins institutionnalisés.

Dans la première partie de l’ouvrage, plusieurs spécialistes tentent de montrer l’impact du multilatéralisme au sein des institutions internationales. Deux auteurs retiennent ici particulièrement l’attention : Josiane Tercinet et Frédéric Ramel. On laissera donc de côté les articles de Daniel Collard sur l’Acte final d’Helsinki (1975), d’Anne-Laure Nicot sur les partenariats de l’otan et d’Abdelkérim Ousman et d’Houchang Hassan-Yari sur le D8. Le texte de J. Tercinet met en évidence le fait que l’onu et l’Union européenne aient établi des pratiques coopératives efficaces en Bosnie-Herzégovine et en République démocratique du Congo, qui génèrent à leur tour une volonté réciproque d’institutionnaliser et de formaliser la relation bilatérale. Tout en contribuant à établir un système multilatéral efficace en jouant le « créneau onusien », l’ue se positionne aussi comme « un acteur global » crédible doté de capacités suffisantes pour intervenir sur la scène mondiale. Frédéric Ramel a pour sa part analysé la position unilatérale des États-Unis face à la Cour pénale internationale. Cette politique, fondée sur une stratégie de contournement des dispositifs et des effets juridiques du Statut de Rome, aurait pour conséquence d’isoler l’hégémon sur la scène internationale en remettant en question son leadership historique en matière de justice internationale.

La deuxième partie porte sur le développement du multilatéralisme dans le domaine de l’armement et du désarmement. Dans un article descriptif, Jean-François Guilhaudis en retrace l’histoire et conclut sur la crise actuelle dominée par la montée de l’unilatéralisme américain. Plus étoffé et convaincant, le texte de Jean-Paul Hébert se préoccupe de la question de l’information relative à la production et au transfert d’armement. Il constate plusieurs problèmes touchant les instruments multilatéraux : 1) un manque d’information pour les zones politiques où règnent l’instabilité et l’insécurité ; 2) une incohérence dans les déclarations volontaires des pays comme les États-Unis, Israël ou la France ; 3) une imprécision liée aux différences méthodologiques.

La troisième partie est consacrée à la question de la sécurité régionale et nationale. Le texte d’André Donneur sur la politique étrangère canadienne déçoit en présentant un sujet trop général et déjà bien analysé : soit la tension entre le multilatéralisme et le bilatéralisme. Le cas de l’Europe centrale, examiné par Stanilas J. Kirshbaum, n’est pas dénué d’intérêt en montrant l’adhésion rapide du groupe de Visegràd (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque) au système multilatéral européen et atlantique, cherchant ainsi à recréer une nouvelle communauté sécuritaire postcommuniste. Soulignons aussi les conclusions d’Yves Jeanclos sur l’Asie centrale. La convoitise des grandes puissances (Russie, Chine, États-Unis, Union européenne) crée en réalité une « nouvelle multipolarité » animée par des « dominations concurrentes » qui protègent cette région de toute tentation hégémonique. Enfin, Vincent Michelot s’est penché sur le tournant unilatéraliste des États-Unis. Il tente de nuancer la thèse réaliste qui lie cette tendance à un changement structurel dans l’équilibre des forces mondiales. Il faudrait tenir compte, selon lui, des facteurs internes (élections et institutions). Pour entreprendre sa transformation conservatrice du pays, Georges W. Bush devait avant tout réaffirmer l’autorité de la fonction présidentielle et du pouvoir exécutif par le biais d’une « nouvelle philosophie en matière de relations internationales ».

Si cet ouvrage collectif sur le multilatéralisme est un outil incontournable pour tout chercheur francophone, il est loin d’épuiser le sujet. Et c’est là tout le problème, car il laisse dans l’ombre des pans entiers de la recherche comme l’économie, l’écologie et les droits de la personne. Autre source d’insatisfaction : la théorie. Il y a bien une volonté quelque peu répétitive de définir le concept de multilatéralisme, mais les approches théoriques ne sont jamais mises à contribution pour faire avancer la réflexion sur le phénomène. Ces lacunes non négligeables ne devraient pas pour autant décourager la lecture d’un ouvrage pertinent et intéressant. Elles nous incitent plutôt à poursuivre la recherche sur une problématique fondamentale pour la sécurité au 21e siècle.