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Chaque année, le Centre de recherches et d’études sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (credho), basé à Paris, organise une journée d’information ayant pour dessein de mettre en lumière la jurisprudence concernant la France, rendue l’année précédente par la Cour européenne des droits de l’homme (cedh). L’édition de 2008 revêt un caractère particulier, dans la mesure où les organisateurs ont voulu souligner le 10e anniversaire de la mise en place du Protocole xi, qui, en supprimant le filtre politique de la Commission, a totalement judiciarisé les procédures devant la cedh, faisant de la Cour la seule habilitée à entendre des affaires portées devant elle. Les actes de colloque, que constitue ce livre, se divisent donc en deux parties distinctes, la première sur les rapports de la France et de la cedh depuis l’entrée en vigueur du Protocole et la seconde sur la jurisprudence concernant la France en 2007.

D’entrée de jeu, il faut souligner qu’en aucun cas cet ouvrage ne s’adresse à des novices qui chercheraient là un moyen de se familiariser avec la cedh ou avec le Protocole xi. Que ce soit pour son aspect rétrospectif ou pour sa revue de jurisprudence, ce livre s’adresse à un public possédant déjà une bonne connaissance du fonctionnement de l’organe judiciaire du Conseil de l’Europe.

Dans sa première partie, l’ouvrage rassemble une petite dizaine de contributions ayant pour fil d’Ariane (parfois distendu cependant) la France et l’application du Protocole xi. La matière étant éminemment vaste, les analyses des conférenciers portent sur des sujets variés. À côté des thèmes attendus, telles la réflexion sur l’exécution des arrêts de la cedh par le gouvernement français (Élisabeth Lambert Abdelgawad) ou la contribution de la France à la jurisprudence de la Cour depuis 1998 par Paul Tavernier, l’ouvrage brille surtout par l’originalité des idées évoquées. On peut citer comme exemple la recherche surprenante de Dourneau-Josette sur la place du français dans les activités de la Cour. Celui-ci s’est ainsi livré à une intéressante analyse des avantages et des inconvénients que cette langue présente, pour les juristes, par rapport à la seconde langue officielle qu’est l’anglais. Tout aussi surprenante est l’analyse que fait Bruno Genevois des relations entre le Conseil d’État français et la cedh. L’auteur met ainsi en lumière les aspects psychologiques qui émanent de ce « dialogue des juges », entre indifférence, antagonisme et partenariat.

Prises une à une, les contributions se révèlent extrêmement pédagogiques, cela tenant sans doute à la qualité de professeurs d’université de la plupart des rédacteurs, qui ont fait de leur texte un véritable article complet, pointu et autonome par rapport à l’ensemble. Cet aspect a cependant les défauts de ses qualités, et, à la lecture de l’ouvrage, se dégage pour le lecteur l’impression d’un manque d’homogénéité dans l’exercice. Inévitablement, cet éparpillement dans les sujets influe sur la qualité des débats, qui ont suivi les présentations et qui sont retranscrits dans le livre. Faute d’une thématique précise et resserrée, ceux-ci sont réduits à une part congrue, tenant plus de l’explication de textes que d’un réel échange d’idées. Cela est d’autant plus regrettable que les intervenants étaient des personnalités de premier rang de la vie universitaire française, de l’administration et de la cedh, avec la présence remarquable du juge Costa, président de la Cour.

Malgré ce bémol, cette première partie passionnera sans doute les juristes intéressés par les relations entre la France et la cedh depuis l’entrée en vigueur du Protocole ; ils y trouveront des graphiques utiles et une liste complète des arrêts. Par ailleurs, certaines contributions présentant un caractère plus large ne manqueront pas, aussi, de retenir l’intention de ceux qui, plus généralement, s’intéressent à l’action de la cedh.

La seconde partie, plus convenue, consiste en une présentation de la jurisprudence concernant la France en 2007. Bien entendu, ces affaires portent sur des sujets très variés du droit. Il est ainsi question de l’entrée et de l’éloignement des étrangers, de l’intérêt de l’enfant, de l’applicabilité de l’article 6 et de l’équité de la procédure, de la liberté d’expression, du respect de la vie privée et du secret de l’instruction, de l’activité politique des citoyens et, enfin, de la défense de l’environnement. Si cet exercice s’adresse en premier lieu aux avocats français, qui trouveront là une mise à niveau sur l’orientation de la Cour, la qualité des jugements rendus captivera, également, les juristes intéressés par les sujets des causes présentées et l’interprétation qu’en donne la Cour. En effet, un certain nombre d’arrêts sont qualifiés de « très importants » par les services juridiques de la cedh, c’est-à-dire qu’ils contribuent de façon capitale à l’évolution, à la clarification ou à la modification de la jurisprudence antérieure. À cet égard, ils sont intéressants pour les idées qu’ils développent, et cela, en dehors du pays qu’ils concernent.

Malgré son caractère très franco-français, cet ouvrage rappelle, si cela est nécessaire, l’apport considérable du Protocole xi à l’envol du contentieux de la cedh. En effet, comme en témoigne le nombre croissant de cas qu’elle a à entendre, la Cour est devenue un dernier recours incontournable pour le justiciable européen. De plus, pour l’observateur extérieur, cette contribution vient rappeler l’importance de garder un oeil sur cette jurisprudence, véritable référent en matière de droits et libertés, et qui peut être vue comme un point de comparaison ou un signe annonciateur des questions que traitent, ou qu’auront à traiter, nos tribunaux internes canadiens.