Comptes rendus : Histoire et diplomatie

Bernard Lugan, 2009, Histoire de l’Afrique. Des origines à nos jours, Paris, Ellipses, 1245 p.[Notice]

  • Claude Comtois

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  • Claude Comtois
    Département de géographie
    Université de Montréal

L’Afrique demeure à la croisée d’influences culturelles très variées. Ce continent qui présente une grande diversité de repères géographiques fait l’objet de toutes les attentions des écoles de géographie politique. Malgré les nombreuses publications sur le sujet, la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire de l’Afrique demeure un pari audacieux. L’auteur rédige l’histoire de l’Afrique en 28 chapitres. Mais il est possible de rythmer cette histoire en fonction de quelques grandes mutations. La première mutation porte évidemment sur l’origine du peuplement de l’Afrique. L’auteur démontre que les premières transformations africaines résultent de grands changements climatiques. L’alternance de périodes humides et de périodes sèches explique l’histoire du peuplement et les grandes vagues migratoires pastorales du nord vers le sud. Lugan explique que les changements climatiques ont contraint les populations à entreprendre des travaux collectifs destinés à augmenter les productions agricoles par l’utilisation efficace de la circulation de l’eau. S’appuyant sur une analyse comparative des variations entre des représentations artistiques des peintures rupestres, la démonstration de l’auteur constitue un des points forts de l’ouvrage. La seconde mutation porte sur le processus d’islamisation de l’Afrique. L’auteur présente une histoire des conquêtes arabo-musulmanes de l’Afrique du Nord et explique les grandes étapes de l’occupation de l’Afrique subsaharienne, la constitution de grands empires et l’histoire commerciale du littoral de l’Afrique orientale. Ces chapitres du livre sont particulièrement décevants. Pour Lugan, l’islam forme un bloc monolithique, alors que l’islamisation se résume au djihad. Aucune explication n’est donnée sur le schisme de l’islam et ses conséquences en Afrique du Nord. Lugan ignore que les musulmans intégraient d’abord les peuples du livre (juifs et chrétiens) et non les polythéistes. Par conséquent, il était plus facile d’islamiser sous le califat. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, l’islam ne fut pas un facteur de cristallisation des réalités ethniques. Dans toute l’Afrique, il est extrêmement rare que les mouvements religieux aient permis de dépasser l’ethnie. Les rassemblements de tribus et de clans sont essentiellement ethnocentrés. Cette profonde indigence de l’analyse devient apparente lorsque l’auteur ne peut expliquer le recul de l’islam, l’incapacité des empires et cités-États africains à s’organiser à l’instar des régions de la chrétienté. La troisième mutation s’applique aux grandes découvertes. Pour Lugan, fortement influencé par l’école positiviste, l’histoire ici se résume à une rubrique des différents souverains africains, à une chronologie des découvertes européennes ou à une description des champs de bataille sous la forme de poids de l’infanterie et de valeur des différentes stratégies militaires. S’appuyant sur des récits de voyage, des correspondances diplomatiques et des archives gouvernementales, Lugan réussit néanmoins à démontrer que les explorations et les campagnes militaires européennes ont provoqué une mutation en profondeur de la berbérité en raison de l’affaiblissement de l’Empire ottoman et de la pénétration des puissances européennes, une transformation du poids stratégique de l’Égypte, en raison de l’ouverture du canal de Suez, et surtout une cassure des royaumes locaux africains en lien avec l’imposition de la souveraineté des puissances coloniales. Le chapitre sur les traites esclavagistes est toutefois plus rigoureux. Lugan démontre, chiffres à l’appui, une solide connaissance du rôle des Africains, de la rentabilité des opérations pour les négriers européens, des effets de la ponction esclavagiste sur la démographie africaine et des motifs qui ont présidé à son abolition. La quatrième mutation se rapporte à la colonisation. Sous quatre chapitres, l’auteur décrit les actions et les modèles de colonisation de chaque puissance européenne. Sa contribution la plus originale concerne l’utilisation des progrès techniques dans le domaine des transports pour la construction des empires coloniaux. Lugan démontre en effet que l’impérialisme britannique s’exerçait du Caire au Cap dans le but de verrouiller …