Comptes rendus : Analyse de politique étrangère

Daniel W. Drezner (dir.), 2009, Avoiding Trivia. The Role of Strategic Planning in American Foreign Policy, Washington, dc, Brookings Institution Press, 190 p.[Notice]

  • Sébastien Barthe

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  • Sébastien Barthe
    Département de science politique
    Université du Québec à Montréal

Voici un livre qui arrive à point nommé, alors que les deux premières années de Barack Obama à la Maison-Blanche s’achèvent sur de timides résultats en politique étrangère et que les élections législatives de 2010 semblent annoncer une fin de mandat difficile pour un président qui avait pourtant suscité tant d’espoir lors de son arrivée à la tête des États-Unis. Si l’on en croit les auteurs de cet ouvrage collectif dirigé par Daniel W. Drezner, on ne saurait être surpris de cette tournure des événements. Car malgré les efforts de l’administration démocrate, qui a pourtant tout fait pour bénéficier du soupir de soulagement planétaire lié au départ de George W. Bush, c’est au niveau de la structure bureaucratique du gouvernement fédéral que se trouve l’essence du problème qui mine l’efficacité diplomatique des États-Unis depuis la fin de la guerre froide. Depuis une vingtaine d’années, les États-Unis souffriraient ainsi d’un important déficit en ce qui concerne le processus de planification stratégique de sa politique extérieure. Ce terme, emprunté au secrétaire d’État de Truman Dean Acheson, renvoie ici à cette capacité des ministères et agences fédérales qui oeuvrent à l’élaboration de la politique étrangère à imaginer quels défis se pointent à l’horizon dans un avenir plus ou moins rapproché et de proposer dès à présent des pistes qui pourraient guider les actions gouvernementales au moment opportun. Il s’agit en somme ici de la capacité des administrations présidentielles à encourager l’acquisition de « réflexes administratifs » permettant d’effectuer une planification à moyen et à long terme libérée des aléas de la pratique quotidienne de la diplomatie, un atout qui transcende les besoins immédiats de chacune d’entre elles. L’argument est évidemment convaincant en ce qui concerne la nécessité pour une puissance comme les États-Unis, qui possèdent des intérêts aussi diversifiés dans tous les coins du globe, de se doter d’une « grande stratégie » à l’aune de laquelle non seulement développer des réponses efficaces aux crises ponctuelles, mais surtout exercer un leadership sur la scène internationale qui soit à la hauteur des attentes de la population et des élus américains. Sans cette vision à long terme, les auteurs s’entendent tous pour considérer que les décideurs d’aujourd’hui et de demain risquent de voir leur pays glisser tranquillement vers un statut secondaire sur la scène internationale. Mais la liste des obstacles à la mise en place d’un processus de planification stratégique efficace s’allongeant de chapitre en chapitre, on en vient à fortement douter de la capacité des décideurs américains, présents comme futurs, à les surmonter tous. Les premiers essais de l’ouvrage sont consacrés aux facteurs externes qui rendent d’emblée difficile l’élaboration de plans stratégiques. On y relève alors la démultiplication des enjeux et des acteurs internationaux et l’accélération de la cadence des relations internationales contemporaines comme des sources importantes de l’incapacité des bureaucraties « classiques » de la politique étrangère à définir un fil conducteur qui pourrait servir de guide à l’ensemble de l’action internationale de l’État. La contribution de Jeffrey Legro, à cet égard, fait le lien entre ces dynamiques transformationnelles de la politique extérieure et les tribulations récentes de la diplomatie américaine sous l’administration Bush, qui ensemble auront accentué les problèmes de planification stratégique pour les années à venir. Le coeur de l’ouvrage touche par ailleurs à un ensemble de trois dynamiques qui sont bien énumérées par Amy Zegart dans un chapitre qui a été curieusement placé presque à la fin du livre. La première de ces dynamiques a trait à l’intense compétition que se livrent constamment les bureaucraties pour influer sur l’élaboration de la politique étrangère de l’État, y compris au regard des …