Corps de l’article

De 1991 à 2002, le petit pays ouest-africain de Sierra Leone a connu une guerre civile fratricide. La guerre avait été déclenchée par Foday Sankoh, un ancien caporal de l’armée sierra-léonaise, et son groupe armé au nom de Mouvement révolutionnaire uni (ruf). Composé principalement de jeunes combattants, conscrits le plus souvent malgré eux, des renégats de l’armée sierra-léonaise en quête de fortune et de membres du mouvement rebelle de Charles Taylor au Liberia voisin, le ruf a adopté une stratégie de guerre qui consistait à terroriser les populations civiles. Sankoh et ses hommes se sont livrés aux pires exactions contre les populations, y compris l’amputation de mains et le viol. Tout cela a occasionné des interventions militaires de la sous-région et d’ailleurs afin de mettre fin à cette barbarie.

C’est à une de ces interventions militaires qu’est consacré cet ouvrage : l’intervention militaire de la Grande-Bretagne sous son premier ministre, Tony Blair. L’ouvrage comprend huit chapitres. Le premier aborde la propension de Blair à déployer les forces armées de son pays dans des opérations de maintien de la paix ou les missions « humanitaires » dans le monde. Durant les six premières années de Blair au pouvoir, soit de 1997 à 2003, l’auteur recense cinq interventions militaires, en Irak (1998), au Kosovo (1999), en Sierra Leone (2000), en Afghanistan (2001) et en Irak de nouveau en 2003. Cela aurait fait de lui, selon certains observateurs, un « premier ministre de guerres ». Mais, contrairement aux autres opérations militaires, l’auteur pense que seule l’intervention de la Sierra Leone s’est soldée par un « apparent succès ».

Ce chapitre liminaire permet donc de rentrer dans les détails de cette opération. Après un aperçu historique sur la Sierra Leone et la guerre civile au deuxième chapitre, les quatre chapitres suivants s’attèlent au déroulement de la guerre, à l’intervention des différentes forces d’opération de paix et aux négociations de paix, notamment celles qui ont abouti, en mai 1999, à la signature du fameux accord de Lomé entre le gouvernement sierra-léonais et le ruf, accord qui a prévu un partage du pouvoir entre les deux entités, faisant du chef du ruf le vice-président du pays.

Au chapitre 7, l’auteur se penche sur la défaite politique et militaire du ruf après qu’il eut violé, à maintes reprises, les termes de l’accord de Lomé. Dans le dernier chapitre, enfin, il examine les effets de l’expérience sierra-léonaise sur l’administration Blair, ses politiques et stratégies d’intervention militaire ailleurs dans le monde, ainsi que son impact sur l’armée britannique.

Il convient de s’attarder un peu sur les facteurs ayant conduit l’administration Blair à intervenir, militairement, en Sierra Leone en mai 2000. Ici, l’auteur avance quatre raisons.

La première serait le désir de l’administration Blair de sauver un énorme capital politique et économique qu’elle aurait investi en Sierra Leone depuis des années. Ces investissements – de l’ordre d’une cinquantaine de millions de livres sterling en ce qui concerne le capital économique – étaient destinés à soutenir, entre autres, le programme ddr des anciens combattants et le budget de fonctionnement du gouvernement de Ahmed Tajan Kabbah. Politiquement, ces soutiens n’étaient pas dissociés des efforts visant à réparer les conséquences du scandale de violation de l’embargo onusien sur l’exportation d’armes en Sierra Leone, lequel embargo avait été violé, en 1996, par une société privée britannique, Sandline International, avec la bénédiction du gouvernement britannique.

Le deuxième facteur avancé par l’auteur est la présence, en Sierra Leone, de plusieurs ressortissants britanniques (y compris des binationaux) et de ceux d’autres pays européens et du Commonwealth, ainsi que d’Amérique du Nord, tous amalgamés sous le nom de « personnalités de droit » (entitled personnel). Il y avait ensuite, comme troisième facteur, la détermination de l’administration Blair de démontrer que le Royaume-Uni demeurait une puissance mondiale méritant sa place permanente au Conseil de sécurité des Nations Unies. Bien évidemment, il fallait le consentement de l’armée britannique. C’est ce consentement qui aurait constitué le quatrième facteur ayant facilité l’intervention militaire. Mais ce consentement a été obtenu au vu de l’objectif avoué de l’opération : une simple opération « humanitaire » et d’évacuation.

Concernant l’issue de l’opération, elle fut indéniablement un succès, aboutissant au désarmement complet des éléments de la rébellion et à la tenue, en juillet 2002, d’une élection présidentielle consacrant la légitimité du président sortant pour un second mandat. Mais ce succès ne saurait être crédité à la seule intervention britannique, bien que celle-ci ait été importante. Il n’est même pas exagéré d’arguer que, s’il faut octroyer un trophée à l’une des trois opérations militaires – celles de l’onu, de Londres et la force d’interposition de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Ecomog) – qui ont été déployées dans le pays, ce serait bien à l’Ecomog, et notamment au Nigeria qui s’est chargé de la plus grande part de son maintien dans les périodes les plus chaudes et délicates de la guerre. La force sous-régionale a aussi subi davantage de pertes humaines dans des affrontements avec les rebelles.

L’ouvrage est certes consacré à la seule intervention militaire britannique et il évoque, çà et là, le rôle crucial qu’ont joué les autres missions militaires, notamment l’Ecomog. Mais le fait de ne pas relever, de façon claire, ce rôle cardinal est l’une des faiblesses de l’auteur, en plus des nombreuses coquilles que l’éditeur aurait dû prendre soin de corriger. Malgré cela, il s’agit d’un ouvrage important et clair, et surtout bénéfique pour tout lecteur voulant comprendre les raisons et le déroulement de l’opération militaire britannique en Sierra Leone.