Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

Zachary C. SHIRKEY, 2009, Is This a Private War or Can Anybody Join? The Spread of Interstate War, Aldershot, Ashgate, 266 p.[Notice]

  • Elena Aoun

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  • Elena Aoun
    Département de science politique, Recherche et enseignement en politique internationale (REPI), Université libre de Bruxelles

Ancré dans la théorie du rational choice et dans une perspective exclusivement interétatique, Shirkey tente de répondre dans cet ouvrage à la question de savoir pourquoi certains États décident d’entrer dans un conflit déjà en cours, et de comprendre le moment, parfois tardif, de cette décision. Considérant la guerre comme un processus de marchandage et un mécanisme de révélation d’informations, l’auteur formule une hypothèse maîtresse : c’est l’information révélée par la guerre qui détermine l’entrée d’États jusque-là non belligérants dans le conflit ainsi que le moment de ce revirement. En effet, qu’elles soient de nature militaire ou politique, les informations révélées – surtout les événements imprévus conceptualisés comme informations – amènent les acteurs étatiques à réévaluer les coûts et bénéfices de leur éventuelle entrée en guerre. Désireux d’intégrer cette hypothèse dans un cadre théorique structuré, l’auteur effectue une revue de la littérature existante, discutant les différentes corrélations et théories précédemment formulées sur la propagation de la guerre interétatique. Retenant les propositions qui n’ont pas encore été directement infirmées, il construit autour de son hypothèse centrale un ensemble de conjectures secondaires prenant en compte des dimensions connexes telles que les effets, sur les belligérants, de l’éventualité même de l’entrée dans le conflit de tel ou tel non-belligérant. Après avoir stabilisé sa propre hypothèse, Shirkey la met en concurrence avec une contre-hypothèse pouvant également expliquer pourquoi certains États décident de s’engager dans un conflit après sa phase initiale : l’achèvement d’un processus attendu tel qu’un réarmement ou l’usure des belligérants. L’auteur entreprend ensuite de démontrer la supériorité explicative de son modèle en recourant d’abord aux statistiques, ensuite à une série d’études de cas qualitatives. Le chapitre consacré à l’analyse statistique précise que l’étude repose sur la base de données relative aux guerres interétatiques du projet Correlates of War et expose les différentes variables ainsi que les modalités adoptées pour leur encodage (modalités développées plus longuement dans une annexe). Adoptant, après l’avoir justifiée, une analyse statistique de type gee (Generalized Estimating Equations), l’auteur produit un ensemble de données et de tableaux qui semblent conforter son hypothèse centrale et la plupart des hypothèses secondaires, seules quelques-unes étant infirmées ou nuancées. Shirkey confronte ensuite les données générées à plusieurs cas d’étude. Les deux premiers, la guerre de Crimée et la Grande Guerre, se distinguent par le fait que plusieurs États, restés initialement neutres, finissent par rejoindre le conflit. Le troisième terrain constitue une mise à l’épreuve a contrario de la théorie puisqu’il s’agit de la guerre franco-prussienne (1870), demeurée bilatérale. Un chapitre est consacré à deux guerres de la période après-1945 : celle du Vietnam et celle du Golfe (1990-1991). De l’analyse des trois premiers conflits, l’auteur retire une confirmation de son hypothèse centrale et souligne le rôle joué par la perspective de gains territoriaux dans le calcul des États au moment de leur entrée en guerre. Aspect intéressant de l’ouvrage, les conflits après-1945 permettent d’identifier une transformation des « gains » (spoils) anticipés par les États qui rejoignent un conflit en cours et conduisent à requalifier l’hypothèse. En effet, l’auteur est amené à distinguer, parmi les belligérants tardifs, les « suivistes » (bandwagoners) et les « équilibreurs » (balancers) : les motivations des premiers se limitent aux avantages découlant du ralliement à la grande puissance et ne sont donc pas affectées par des événements imprévus ou des informations révélées, lesquels n’influencent que les États soucieux du maintien de certains équilibres. Rigoureux dans sa méthodologie, l’ouvrage de Shirkey s’inscrit dans une lignée de travaux consacrés à l’étude quantitative des conflits et des multiples questions s’y rattachant. Mêlant de manière …