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Le 11 juin 2009, la Dre Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (oms), annonçait officiellement que la communauté internationale était entrée dans la phase de pandémie pour une nouvelle souche de grippe qui faisait rage depuis plusieurs mois, le virus H1N1 :

Conformément aux procédures énoncées dans le Règlement sanitaire international, j’ai sollicité l’avis et les conseils d’un comité d’urgence mis en place à cet effet. Sur la base des preuves disponibles, et des évaluations faites par ces experts, les critères scientifiques définissant une pandémie de grippe sont aujourd’hui remplis. J’ai donc décidé d’élever le niveau d’alerte pandémique de la phase 5 à la phase 6. Le monde est maintenant au début de la pandémie de grippe de 2009.

Chan 2009 – Nous soulignons

Quelques semaines plus tard, le 17 août 2009, la ministre canadienne de la Santé, l’honorable Leona Aglukkaq, affirmait de son côté :

La nouvelle vague de pandémie qui pourrait se produire à l’automne sera l’occasion de tester nos capacités comme jamais auparavant. Quoi qu’il puisse se produire, je tiens à souligner que nous surmonterons de manière plus efficace cet obstacle et que nous offrirons de meilleurs services auxCanadiens […] ».

Aglukkaq citée dans aspc 2010 : 53 – Nous soulignons

Le Canada venait à ce moment de déclencher son plan de lutte antipandémique pour cette souche d’influenza dont on anticipait que les conséquences pour la santé seraient très importantes, voire similaires à celles de la grippe espagnole de 1918 (Ricci 2010).

Cette crise sanitaire étant désormais derrière nous, ces commentaires de la directrice générale de l’oms ainsi que de la ministre de la Santé du Canada nous amènent à nous interroger sur les politiques de santé publique mises en place durant la pandémie de H1N1 de 2009-2010 ainsi que sur le mode de gouvernance sanitaire qu’impliquent les « nouveaux » risques mondialisés comme les épidémies et les pandémies. Une analyse critique[1] nous apparaît d’autant plus importante que cette crise sanitaire fut inédite à plusieurs égards, à la fois pour le Canada et pour la gouvernance globale.

Ainsi, c’est au moment de cette crise que l’oms appliqua pour la première fois le Règlement sanitaire international (rsi), adopté en 2005 par la communauté internationale[2] (oms 2010 : 43 ; Fidler 2010 : 226). Ensuite, cette pandémie a démontré de manière aiguë l’interdépendance croissante entre les décisions des autorités nationales en contexte de crise sanitaire et les structures de gouvernance globale en place, spécialement lorsqu’une multitude d’acteurs transnationaux sont engagés dans ce secteur (Szlezák et al. 2010). Les conséquences sanitaires et organisationnelles directes de cette pandémie furent également bien moins graves que ce qui avait été prévu, tant à l’échelle internationale (cdc 2010) qu’au Canada même (Collectif d’auteurs 2010). Les conséquences économiques, cependant, furent très sérieuses, avec des dépenses considérables s’élevant à au moins 1,5 milliard de dollars pour le Canada uniquement pour la campagne de vaccination (Waldie et Alphonso 2009). Enfin, cette crise a été l’occasion pour le Canada de mettre en pratique les leçons apprises lors de la crise du SRAS de 2003 (Santé Canada 2003).

S’il est impossible de nier que la coordination des crises sanitaires se fait aujourd’hui dans un contexte de « gouvernance globale » (Zacher et Keefe 2008 ; Lee et Goodman 2002 ; Kay et Williams 2009), notamment en raison des pouvoirs substantiels[3] accordés à l’oms dans le cadre du rsi de 2005, la question du rôle des États reste fondamentale étant donné le monopole interne de ces derniers sur les politiques nationales de santé publique et de gestion des crises sanitaires. Toutefois, ce monopole interne n’exclut pas une forte interdépendance avec les structures de gouvernance globale en place, particulièrement en ce qui concerne le rôle des acteurs non gouvernementaux et du secteur privé, ce qui a été jusqu’à maintenant peu problématisé, notamment pour le Canada.

En nous intéressant aux critiques et aux recommandations exprimées par rapport à l’expérience canadienne de la pandémie de H1N1 de 2009-2010, nous voulons dans cette note de recherche mettre en évidence l’absence d’intégration des caractéristiques systémiques de la gouvernance globale de la santé dans les évaluations canadiennes de la gestion de cette crise. L’objectif est donc d’analyser les réponses politiques du Canada sur le plan de la gouvernance de cette crise sanitaire en établissant un parallèle entre les évaluations canadiennes et celles effectuées par d’autres pays et organisations relativement à la gouvernance globale de la santé par l’OMS. Cette analyse se fonde ainsi sur une analyse des deux principaux rapports d’évaluation canadiens de la crise du H1N1[4].

Nous soutenons ainsi que le Canada, par ses différents processus d’évaluation de la crise H1N1, n’a pas été en mesure de saisir la nature et le fonctionnement de la gouvernance globale de la santé, notamment en raison de l’absence d’une évaluation adéquate du rôle du secteur privé dans les politiques de santé publique et des conséquences de l’implication des différents acteurs. En encourageant ouvertement la participation du secteur privé dans les crises sanitaires et en n’effectuant aucune analyse critique des conséquences du rôle accru de ce secteur d’activité sur la nature de la gouvernance sanitaire, le Canada a été incapable d’évaluer pleinement les défaillances de la gouvernance de la crise de 2009-2010.

Dans cette perspective, nous présenterons d’abord brièvement le contexte de la pandémie de H1N1 de 2009-2010 ainsi que ses conséquences pour le Canada. Nous aborderons ensuite les évaluations canadiennes de la gestion de cette crise. Puis nous ferons état des évaluations et critiques externes relevées. Enfin, nous conclurons cette note de recherche par une évaluation des impacts et des conséquences politiques pour le Canada de la prise en compte de l’influence du secteur privé sur la mise en place des politiques de santé publique et de sécurité sanitaire.

I – La pandémie de H1N1 de 2009-2010 : naissance d’une crise sanitaire, politique et économique

La pandémie de H1N1 est devenue la première urgence de santé publique de portée internationale (Public Health Emergency of International Concern – pheic[5]) déclarée par l’Organisation mondiale de la santé selon l’article 12 du rsi de 2005 (oms 2010 : 43 ; Fidler 2010 : 226). La directrice générale de l’oms avait convoqué pour la première fois son comité d’urgence (article 15 du rsi de 2005) pour évaluer la gravité de la pandémie (oms 2011 : 7). C’est sur les procédures de l’article 15 que se sont appuyés les pays membres, dont le Canada, pour déclencher et coordonner leurs plans nationaux de lutte antipandémique, démontrant l’interdépendance croissante entre gouvernance globale et souveraineté nationale dans un contexte de mondialisation.

La pandémie a été, pour le Canada, la première occasion réelle de « tester » les changements apportés aux différents plans de préparation pandémiques mis en place à la suite de l’épidémie de SRAS de 2003 (aspc 2003, 2012 ; Wilson, McDougall et Upshur 2006 ; Wilson et Keelan 2008). La pandémie de H1N1 a donc constitué un événement sanitaire majeur pour le système de santé publique et de gestion des crises sanitaires au Canada (Van Wagner 2008), mais également en ce qui concerne la gouvernance globale de la santé (Fidler 2003, 2004). Cette crise est un exemple éloquent de l’interaction qui existe aujourd’hui entre les structures de gouvernance globale et les décisions nationales, interaction rendue fréquente, comme nous le verrons plus loin, par l’inclusion d’acteurs non étatiques, en particulier issus du secteur privé.

Le Canada a occupé à ce titre une place prépondérante sur la scène internationale lors de cette pandémie. Il a joué un rôle de premier plan dans le séquençage du génome du virus en cause, détecté au Mexique aux premiers jours de l’épidémie, ainsi que dans l’identification et la confirmation de ce virus (Sénat 2010 ; aspc 2010). Le Canada a aussi participé à la détection des premiers cas de H1N1 par l’intermédiaire du Global Public Health Intelligence Network (gphin) mis en place conjointement par le Canada et l’oms (Weir et Mykhalovskiy 2006 et 2010) et par le Réseau canadien de renseignement sur la santé publique. Comme le souligne un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada (aspc) :

Lors de la pandémie de grippe H1N1, l’Agence de la santé publique du Canada a vérifié l’information provenant de sources internationales non officielles, telles que les médias et les agences de presse, pour détecter le virus H1N1 […] le Réseau canadien de renseignements sur la santé publique [recueille] des comptes rendus préliminaires d’éclosions de maladie ou d’autres phénomènes préoccupants en santé publique de par le monde, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et dans sept langues.

aspc 2010 : 32 – Nous soulignons

L’utilisation de sources d’informations non officielles a permis la mise en place d’une structure de surveillance en temps réel qui est facilitée par le recours aux nouvelles technologies de l’information et des communications. Cette structure de surveillance a été appelée « Internet-based surveillance », « Web-based surveillance », « infodémiologie » et « infoveillance » (Castillo-Salgado 2010 : 97 ; Wilson et Brownstein, 2009 ; Brownstein, Freifeld, Reis et Mandl 2008 : 1019-1020). Ces technologies, organisées en réseau, « […] ont apporté pour la première fois à l’échelle globale une surveillance en temps réel des épidémies » (Castillo-Salgado 2010 : 93). Ce changement a été interprété comme ayant favorisé la transition d’un mode de « […] contrôle aux frontières vers une détection et un endiguement à la source » (Heymann 2010 : 187). Cette approche a également été qualifiée de beaucoup plus « dynamique, flexible et prospective » (Fidler 2005 : 362), ce qui a permis, dans cette perspective, l’intégration d’acteurs non étatiques dans la gouvernance globale de la santé et une meilleure transparence (Chan et al. 2010 : 21701). Ces nouveaux mécanismes de surveillance constituent donc une forme de déterritorialisation, de désétatisation et de virtualisation de la surveillance de la santé que nous nommons « gouvernance informationnelle », ce qui a été interprété comme un avantage pour faire face à la pandémie de H1N1, autant au Canada qu’à l’échelle internationale.

Dans l’ensemble, la pandémie a toutefois été limitée dans sa portée et dans sa gravité. Le Center for Disease Control (cdc) des États-Unis estime que le nombre total de cas se situe entre 43 et 89 millions, et celui des décès entre 8 870 et 18 300 (cdc 2010). Cela place la pandémie de H1N1 en dessous de la grippe saisonnière en matière de sévérité et d’impact sur la santé. La gravité relativement faible de la grippe H1N1 a suscité beaucoup de réactions, puisqu’une campagne mondiale, conduite par l’oms, a été menée afin de contrer une pandémie mondiale qu’on croyait aussi menaçante que la grippe espagnole, campagne qui s’est notamment matérialisée par une promotion active de la vaccination préventive. Le Canada n’a pas été en reste à cet égard. Dès les premiers cas confirmés au Canada, le plan de lutte antipandémique a eu pour objectif de vacciner environ 75 % de la population canadienne (Sénat 2010 : 34).

Malgré cette campagne de vaccination, le Canada a été l’un des pays les plus affectés par cette crise (Archibald 2009 : 3-6). Au total, plus de 40 000 cas ont été répertoriés au Canada, causant le décès de 428 personnes, c’est-à-dire un taux de mortalité d’un peu plus de un pour cent (aspc 2010 : 21 ; Sénat 2010 : 23). Le contexte canadien rendait particulièrement complexe la gestion de cette crise sanitaire en raison de la gouvernance multiniveau exercée au Canada par les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux (Banting et Corbett 2002 ; Wilson, McDougall et Upshur 2006). Qui plus est, l’importance grandissante de l’oms, notamment par l’intermédiaire du nouveau RSI, est venue « complexifier » la gestion de la crise de H1N1 (Wilson 2004b). Le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (ccnmi) rappelle à ce sujet que le Plan canadien de lutte contre la pandémie d’influenza a fortement été inspiré par les documents et procédures élaborés par l’oms, renforçant de la sorte le contexte de gouvernance multiple dans lequel s’inscrivent les politiques de santé publique au Canada (ccnmi 2012 : 2).

Le Canada s’est ainsi retrouvé dans une situation de double gouvernance multiniveau, entre d’un côté le cadre de gouvernance post-westphalien progressivement mis en place à l’oms et, de l’autre côté, les structures de gouvernance internes propres au Canada qui se fondent sur les champs de compétence respectifs. Le Canada était donc stratégiquement positionné dans la gouvernance globale de la santé – par son rôle dans la surveillance globale des maladies infectieuses avec l’oms et ses partenariats avec plusieurs pays mentionnés plus haut –, mais aussi soumis à des contraintes de gouvernance multiple (à l’interne et à l’externe), ce qui a affecté la gestion de cette crise par le Canada. C’est dans ce contexte de gouvernance multiple s’inscrivant à la fois dans un cadre global et dans une organisation par champs de compétence interne que sont apparus les enjeux politiques, économiques et éthiques de cette crise que le Canada a tenté d’appréhender par la mise sur pied de deux processus de révision distincts.

II – Cachez cette crise politique que je ne saurais voir : la réaction du Canada à la pandémie de H1N1

A — Évaluation de la crise et relations sanitaires internationales du Canada[6]

Comme suite à la pandémie de H1N1 de 2009, le Canada a mis en place un processus de révision qui a conduit, notamment, à la publication de deux rapports majeurs. Le premier a été produit par l’Agence de la santé publique du Canada[7] (aspc 2010) et le second a été commandé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie du Sénat canadien (2010). Ces deux rapports avaient pour objectif d’évaluer la gestion de la crise de H1N1 au Canada afin de mettre en évidence les réussites et les défaillances observées. Le rapport de l’aspc rappelle par exemple que ce processus commun de révision cherchait à « comprendre ce qui a bien fonctionné et ce qui mérite d’être amélioré [afin de] prendre des décisions en vue de se préparer à de futures pandémies » (aspc 2010 : 1).

De manière générale, ce processus de révision a conduit à la conclusion que la gestion de la pandémie de H1N1 « s’est révélée un succès » (Sénat 2010 : viii) et qu’elle pouvait être qualifiée d’« efficace » (aspc 2010 : 4). L’aspc souligne spécifiquement que le Canada et ses différentes structures de santé et de sécurité publique « ont été des leaders en matière de réponse internationale à la grippe H1N1 », notamment en ce qui concerne la « forte collaboration avec d’autres pays et avec des organismes internationaux » (aspc 2010 : 4) et rappelant que ce « succès » canadien « est dû en partie aux rapports solides préexistants avec des partenaires internationaux » (aspc 2010 : 33).

Le rapport de l’Agence soutient à cet effet :

En conformité avec le Règlement sanitaire international, les autorités de l’Agence de la santé publique et de Santé Canada ont, à tous les niveaux, continué de travailler en étroite collaboration avec leurs homologues de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation panaméricaine de la santé.

aspc 2010 : 57

On ajoute toutefois qu’il y a eu « quelques problèmes en raison du manque de cohérence dans les communications publiques », phénomène particulier sur lequel nous reviendrons en détail plus loin.

En ce qui a trait à la collaboration du Canada avec ses partenaires internationaux, le rapport de l’aspc note également que sera examinée, dans le cadre du processus de révision mis en place, « la réponse à la grippe H1N1 mené[e] par d’autres organismes […] de même que d’autres pays » (aspc 2010 : 11). Cette reconnaissance par le Canada lui-même nous apparaît particulièrement appropriée, et c’est pourquoi un des objectifs fixés ici est d’effectuer une analyse comparative des évaluations canadiennes et internationales de cette crise, resituant de la sorte la gestion canadienne de la crise H1N1 dans le contexte de la gouvernance globale de la santé. L’aspc souligne ainsi la forte coordination et coopération internationale durant la pandémie ainsi que dans le processus d’évaluation, notamment avec l’oms dans le cadre du RSI de 2005, avec les États-Unis et le Mexique dans le cadre du Plan nord-américain pour la grippe aviaire et la grippe pandémique, avec la Global Health Security Initiative, avec le groupe médical de l’Union européenne et avec la United States Food and Drug Administration, ce qui a conduit le Canada à formuler un ensemble de recommandations.

On peut résumer ces recommandations canadiennes en neuf points généraux (aspc 2010 ; Sénat 2010), que rapporte le tableau qui suit.

Les principales recommandations canadiennes concernant la gestion de la pandémie de H1N1 de 2009-2010

Les principales recommandations canadiennes concernant la gestion de la pandémie de H1N1 de 2009-2010

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B — Information et communication

L’un des premiers éléments d’analyse contenus dans les rapports d’évaluation canadiens concerne la communication et le partage de l’information entre les paliers de gouvernement – y compris dans les relations internationales – et avec la population au moment de la pandémie. L’aspc affirme ainsi que « la communication avec le public canadien était une priorité fondamentale durant la pandémie » (aspc 2010 : 4) et qu’un élément positif de la gestion de la pandémie fut « [l’]étroite collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé et des organismes de réglementation internationaux » (aspc 2010 : 5).

Ces éléments apparaissent paradoxaux, puisque le rapport de l’aspc rappelle du même coup qu’il sera nécessaire de « [r]evoir la gestion des relations internationales », « [d’a]méliorer la cohérence de l’information communiquée aux Canadiens par les différents secteurs de compétence » ainsi que de « [r]evoir les stratégies visant à communiquer l’incertitude, le risque et les décalages entre les connaissances scientifiques pour donner confiance au public » (aspc 2010 : 6-7). Ces éléments se fondent sur la pertinence des informations sanitaires et sécuritaires obtenues et traitées par le Canada, notamment en ce qui a trait aux acteurs internationaux impliqués dans la gouvernance globale, et plus particulièrement dans ce que nous avons appelé plus haut la « gouvernance informationnelle ». Cette recommandation de l’aspc ne pousse donc pas plus avant la réflexion en interrogeant le rôle des divers acteurs internationaux participant à cette gouvernance, ce qui nous apparaît nécessaire étant donné la place importante des acteurs non gouvernementaux dans la gouvernance globale.

Ces observations apparaissent également problématiques, puisque les principales critiques apportées à la gestion de cette crise à l’échelle internationale portaient spécifiquement sur la communication et sur le sentiment de « fausse alarme » provoqué par les problèmes de communication durant cette crise (Watson 2010b et 2011b). L’accent mis au Canada sur quelques cas dramatiques, mais non représentatifs de la dangerosité de la pandémie (cbc 2009), ainsi que le manque de cohérence au niveau global dans l’évaluation de la sévérité de la pandémie (Parlement européen 2011) ont entraîné un discours contradictoire sur la communication et la compréhension du système de gouvernance globale de la santé par le Canada. Notamment, le Canada n’a pas analysé le rôle des nouveaux acteurs de la mondialisation, et en particulier le secteur privé, dans les problématiques de communication et d’information vécues.

Une autre des principales lacunes signalées par le rapport de l’aspc à cet effet fut le manque de structures de surveillance adéquates pour obtenir et valider l’information épidémiologique concernant les événements sanitaires (aspc 2010 : 35). Cette observation même apparaît problématique, car le Canada est précisément un des leaders dans la surveillance globale de la santé, notamment par son rôle dans la mise en place du gphin à la fin des années 1990 (Weir et Mykhalovskiy 2006, 2010). Il fut également un des premiers pays à identifier le virus en cause dans la pandémie de H1N1 (aspc 2010 ; Sénat 2010). Il semble donc paradoxal que, d’un côté, le Canada ait joué un rôle central à l’échelle internationale dans le domaine de l’obtention des informations concernant l’évolution de cette pandémie et que, de l’autre, il n’ait pas été en mesure de clarifier la nature des informations disponibles relativement à l’état de l’évolution de la pandémie sur son propre sol.

En ce qui concerne la communication avec le public, la volonté d’une véritable remise en question de l’évaluation canadienne apparaît donc pour le moins discutable. Contrairement à ce qu’affirmait un rapport du médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, qui notait plusieurs problèmes liés à la communication du risque, de l’incertitude et de l’information (Ontario 2010), le rapport du Sénat affirme plutôt que « [p]lusieurs témoins ont félicité le gouvernement fédéral, notamment l’aspc et le Dr Butler-Jones, pour les efforts de communication sans précédent déployés durant la pandémie de grippe H1N1 » (Sénat 2010 : 30). Le rapport du Sénat reconnaît tout de même que la communication lors de cette crise a fait l’objet de critiques (Sénat 2010 : 30-37), sans toutefois mentionner le problème général lié au renforcement des craintes en raison de la confusion dans les communications et le rôle tenu par certains acteurs privés dans ce phénomène, comme ce fut le cas ailleurs (Sparke et Anguelov 2011 : 25).

La recommandation no 5 du rapport du Sénat était par exemple que « […] le plan de lutte contre la pandémie […] inclue, en matière de communications, des exigences précises quant au fait de définir la pandémie en termes de gravité, et non uniquement de propagation géographique, de la maladie » (Sénat 2010 : 52). C’est précisément cette critique qui avait été adressée à la modification ambiguë de la définition du concept de pandémie[8] effectuée par l’oms quelques mois seulement avant la crise H1N1 et qui a soulevé de multiples critiques au niveau international (Flynn 2010), ce que ne mentionne pas le rapport canadien.

Enfin, le rapport du Sénat soutient qu’il faudra à l’avenir essayer de contrôler et de corriger les informations divergentes dans les médias en ce qui a trait aux crises sanitaires, suggérant indirectement la nécessité de mettre en place une structure de contrôle de l’information plutôt que de vérification de celle-ci :

L’essentiel des préoccupations sur les messages contradictoires portait sur la divergence des points de vue exprimés dans les médias. On convient, en général, qu’on ne peut contrôler l’expression de ces points de vue, mais il est toutefois possible d’atténuer l’impact. L’un des moyens d’y parvenir est de stimuler la confiance de la population à l’égard des fonctionnaires […]. La population serait alors plus portée à donner foi aux messages livrés par des fonctionnaires crédibles, en qui elle a déjà confiance, plutôt qu’à des « têtes parlantes ». Une autre façon de réduire l’incidence des messages contradictoires véhiculés par des personnes qui ne sont pas des experts est de nouer des liens préalables avec les médias […] c’est pourquoi des partenariats entre des leaders d’opinion de confiance et les médias devraient être conclus. […] On a indiqué qu’une façon d’atténuer l’incidence de la désinformation pourrait être de nouer des partenariats avec des leaders d’opinion, qui bénéficient du respect et de la confiance de la population. […] Le fabricant du vaccin a proposé d’agir comme facilitateur pour la communication entre la population et le secteur privé.

Sénat 2010 : 32 – Nous soulignons

On constate que le Canada met ici l’accent sur le contrôle de l’information, et non sur la qualité et la véracité de celle-ci, ce qui, précisément, a orienté la nature de ses politiques antipandémiques durant cette crise sanitaire et sécuritaire.

C — Vaccination et stratégie d’accumulation

La stratégie de gestion pandémique du Canada reposait entre autres sur la mise en place d’une réserve de vaccins et d’antivirus qui a contenu plus de 50 millions de doses d’antiviraux (aspc 2010 : 72). Un document du ccnmi de 2012 rapporte que « [l]a vaccination du plus grand nombre de personnes possible, aussi vite que possible, constitue le principe de base de ces études [les études de modélisation liées au plan de préparation pandémique du Canada] » (ccnmi 2012 : 2). Cette stratégie est, au mieux, problématique, notamment en raison des accusations de conflits d’intérêts entre les secteurs public et privé portées durant cette crise sanitaire (Lowes 2010 ; Godlee 2010 ; Carlowe 2010 ; Watson 2010a ; 2010b ; 2010c ; 2011a ; 2011b), mais également au regard de l’efficacité des vaccins et antiviraux, remise en question par plusieurs auteurs (voir en particulier Cohen et Carter [2010] pour un résumé de ces problématiques).

Par exemple, Paul Flynn, membre du Parlement britannique et rapporteur pour le Comité des affaires familiales et de la santé sociale au Conseil de l’Europe, a mis en évidence la question des « risques d’effets secondaires de certains vaccins [ainsi que] l’inefficacité de certains médicaments » (Flynn 2010 : 6). Dans son rapport au Conseil de l’Europe, Flynn rappelle que « [c]ertains experts critiques avaient déjà souligné que les effets secondaires ou l’efficacité des vaccins et des médicaments antiviraux (comme le Tamiflu ou le Relenza) n’avaient pas été suffisamment testés avant leur commercialisation » (Flynn 2010 : 13)

L’immunologiste Tom Jefferson, du Cochrane Collaboration, a de son côté souligné que son équipe de recherche « a fait des études systématiques sur les effets des vaccins et des médicaments antiviraux contre la grippe depuis les années 1990. […] En fait, l’efficacité des vaccins et antiviraux contre la grippe repose sur une base empirique faible ou inexistante. La qualité des études contre la grippe est si mauvaise que notre revue systématique des 274 études qui ont été publiées entre 1948 et 2007 a révélé des écarts importants entre les données présentées, les conclusions et les recommandations formulées par les auteurs de ces études » (Jefferson 2010 : 10)[9],[10].

L’Agence européenne des médicaments a elle-même affirmé, dans un document du 24 septembre 2009, que « [s]eules des données limitées[11] sur l’innocuité des vaccins contre la grippe A(H1N1) seront disponibles lorsque les États membres commenceront à utiliser les vaccins » (ema 2009 : 5), rendant ainsi nécessaire une analyse attentive des effets négatifs des vaccins, ce qui n’a pas été inclus dans les évaluations canadiennes. Faisant écho aux affirmations de l’Agence européenne des médicaments, Paul Flynn a affirmé que, lors de la crise H1N1, nous avons précisément assisté à la « création de risques pour la santé parce que des vaccins et des médicaments n’ont pas été suffisamment testés avant d’être autorisés par l’intermédiaire de procédures accélérées » (Flynn 2010 : 17), ce qui a été exactement le cas au Canada[12].

Michèle Rivasi, rapporteur de la Commission sur l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire pour le Parlement européen, affirmait aussi que « la réticence des fournisseurs de vaccins à porter la responsabilité complète du produit peut avoir contribué à réduire la confiance des citoyens dans la sécurité des vaccins, alors que cette confiance a aussi été minée par la communication incomplète et contradictoire sur les avantages et les risques de la vaccination » (Rivasi 2010 : 7-8). Rivasi rappelait ainsi que, « dans le cas d’une future pandémie de grippe, il reste du travail à faire pour améliorer les performances des vaccins contre la grippe, en particulier pour les groupes à haut risque et contre les variantes du virus » (Rivasi 2010 : 8), ce que précisément le Canada n’a pas été en mesure de réaliser. Cela confirme « la nécessité d’études indépendantes des firmes pharmaceutiques sur les vaccins et les médicaments antiviraux, y compris en ce qui concerne le suivi de la couverture vaccinale » (Rivasi 2010 : 8).

Flynn a ajouté à cet égard que la question « de savoir s’il y avait suffisamment eu d’essais [sur ces vaccins et médicaments] restait très controversée au sein de la communauté médicale » (Flynn 2010 : 13). Il ajoute :

Il y a cependant des preuves qu’au moins un vaccin sans adjuvant de Sanofi-Pasteur (Panenza) a été traité différemment et a réussi à obtenir l’autorisation nationale dans certains pays, comme la France, sans passer par quelques-unes des rigides procédures européennes. Sans vouloir prendre une position définitive sur cette question très spécifique ici, le rapporteur estime qu’il est tout à fait justifié de se demander si les preuves scientifiques étaient suffisantes pour lever les doutes qui subsistent quant aux produits concernés.

Flynn 2010 : 13

C’est ce type de questionnement qui est absent des évaluations de la crise H1N1 au Canada, créant une certaine confusion quant au caractère d’évaluation réel de ces analyses.

Le Canada a plutôt choisi de ne pas remettre en question sa stratégie de vaccination de masse. En effet, durant la crise H1N1, le taux de vaccination canadien – 40-45 % – a été l’un des plus élevés au monde (Sénat 2010 : 36 ; Statistique Canada 2010). Le Canada fut donc très affecté par cette crise malgré le programme de vaccination de masse mis en place (Archibald 2009 : 3-6), ce qui a rendu problématique l’évaluation de l’efficacité de cette stratégie de vaccination. L’un des problèmes majeurs sur le plan de l’évaluation des vaccins et médicaments au Canada durant cette pandémie fut notamment que les décisions se sont prises en mettant en place des « politiques d’exception », donc en dehors du cadre législatif habituel, par l’intermédiaire de procédures accélérées d’homologation des médicaments dans le cas qui nous concerne. Ce type de décision politique, évidemment nécessaire en contexte d’urgence, pose tout de même plusieurs problèmes politiques et éthiques en raison justement de la nature discutable du caractère d’« urgence » de cette pandémie et du manque de données probantes concernant l’efficacité des vaccins et médicaments pour lutter contre le virus H1N1. En effet :

La ministre de la Santé a émis trois arrêtés d’urgence lors de la pandémie de grippe H1N1 dans le but : 1) d’autoriser la vente de Tamiflu® pour son usage élargi […] ; 2) d’autoriser la vente des vaccins pandémiques contre le virus de la grippe A (H1N1) du fabricant de vaccins […] ; 3) d’autoriser une petite quantité de vaccin sans adjuvant provenant d’autres sources pour distribution précoce […].

aspc 2010 : 81 – Nous soulignons

L’Agence de santé publique a toujours affirmé que l’« examen effectué par la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques de Santé Canada respectait les normes les plus élevées pour une approbation accélérée d’un vaccin au Canada, et aucun raccourci n’a été utilisé pour examiner les preuves disponibles » (aspc 2010 : 33 – Nous soulignons). Le rapport de l’aspc ajoute que « l’existence d’un réseau international d’organismes nationaux de réglementation de la vaccination pour communiquer l’information a permis d’exécuter rapidement l’examen, l’autorisation et la surveillance postcommercialisation des vaccins contre le virus H1N1 au Canada » (aspc 2010 : 57).

On sait toutefois, au regard des critiques exprimées à l’égard des vaccins et médicaments présentées ci-dessus, que des problèmes sérieux ont été observés quant à l’innocuité des vaccins et antiviraux ainsi qu’à leur efficacité. Il est donc étonnant que le Canada classe la procédure accélérée d’approbation des vaccins comme faisant partie de « ce qui a bien fonctionné ». En Europe, ces procédures accélérées ont fait l’objet d’analyses particulièrement critiques (Flynn 2010 ; Rivasi 2010). Cette situation nous renvoie à l’analyse effectuée par Paul Flynn en ce qui concerne l’Europe et dans laquelle il a démontré qu’« il y a eu des tentatives pour transférer la responsabilité pour les vaccins et les médicaments, qui pourraient ne pas avoir été suffisamment testés, aux gouvernements nationaux » (Flynn 2010 : 17). Faisant référence à la « découverte » fortuite qu’une seule dose de vaccins était nécessaire (ce que le rapport du ccnmi avait adéquatement relevé sans toutefois en tirer les conclusions appropriées concernant l’influence du secteur pharmaceutique), Flynn affirme : « Il est clair que l’analyse des vaccins sur la base d’une évaluation et de procédures d’autorisation accélérées a davantage exposé les gouvernements nationaux à la pression possible des groupes pharmaceutiques et nourri le soupçon d’une influence indue de ce secteur sur les décisions de santé publique » (Flynn 2010 : 13)

Un second problème lié aux vaccins et antiviraux est que le Canada a conclu, d’avance, un contrat d’approvisionnement avec un seul et unique fournisseur[13]. La principale raison ouvertement affirmée pour ce recours à un fournisseur unique est « qu’au moment de l’appel d’offres ouvert et de l’octroi du contrat en 2001, il n’y avait qu’un seul fabricant intéressé à mettre en place une capacité locale suffisante pour produire la quantité de vaccins requise pour immuniser la population tout entière en cas de pandémie de grippe » (aspc 2010 : 83 – Nous soulignons). Cet argument apparaît en contradiction avec les analyses post-pandémiques effectuées à l’échelle internationale, étant donné les importants gaspillages de médicaments et vaccins qui ont eu cours durant cette pandémie, lesquels se chiffrent à plusieurs dizaines de millions de doses (Watson 2010a ; 2011a ; 2011b ; Der Spiegel, 2011). Il y avait donc un contexte de surproduction de vaccins et de médicaments, et non de sous-production, qui appelait à la prudence quant à l’évaluation des capacités réelles de production de vaccins des compagnies pharmaceutiques. Le Canada n’a pas inclus cet élément dans son évaluation de la gestion de la pandémie de H1N1.

Le rapport du ccnmi de 2012 a également reconnu ce qui suit :

[Une] des critiques formulées au sujet [des] ententes d’achat anticipé était fondée sur le fait, découvert de manière inattendue, qu’une seule dose de vaccin par individu suffisait à protéger contre la grippe H1N1 […] L’acquisition des doses excédentaires de vaccin a entraîné des coûts additionnels pour les pays développés et a causé l’accumulation de quantités importantes de vaccin non utilisées.

ccnmi 2012 : 8 – Nous soulignons

Qui plus est, ces « “ententes d’achat anticipé” concernant le vaccin signées par les pays développés leur ont permis d’acheter pratiquement toutes les quantités de vaccin que les fabricants pouvaient produire, de sorte qu’il n’est resté qu’un volume limité de vaccin pour les pays en développement » (ccnmi 2012 : 7).

Paradoxalement, le même rapport note qu’un des défis principaux futurs pour le Canada sera « [l]a création de conditions permettant d’améliorer et d’accélérer l’accès au vaccin contre la grippe à l’échelle mondiale » (p. 1), même si cet aspect fut précisément l’un des aspects les plus problématiques de cette crise (Watson 2010c). Le rapport du ccnmi va jusqu’à soutenir que, dans le but d’améliorer l’accès et la distribution des vaccins, celui-ci « […] doit être administré par une combinaison de prestataires publics et privés » (p. 1 – Nous soulignons), accordant ainsi une place toujours plus grande au secteur privé dans la gestion des crises sanitaires, sans que l’influence de ce secteur soit réellement prise en considération par les évaluations canadiennes. C’est précisément cette absence d’étude approfondie des conséquences de l’inclusion du secteur privé dans la gouvernance de cette crise qui fait défaut dans les évaluations du Canada de la gestion de la crise H1N1.

D — Économie de marché et secteur privé

Malgré cet accent mis sur la vaccination et malgré l’introduction du secteur privé dans les politiques de santé publique, le Canada était conscient des problèmes liés au fonctionnement du système de gouvernance globale de la santé fondé sur le secteur privé. Un rapport produit par l’Ontario concernant la gestion de la crise de H1N1 a par exemple souligné divers problèmes de gouvernance qui n’ont toutefois pas été pris en compte pleinement dans les rapports d’évaluation canadiens. La critique formulée par l’Ontario concerne l’influence et la dépendance face à certains secteurs, notamment le secteur privé, dans la régulation des mécanismes de santé publique :

Nous étions également touchés, et pas toujours d’une façon positive, par les décisions prises ailleurs qui avaient des répercussions importantes sur nous. Par exemple, le contrat entre le gouvernement fédéral et GSK nécessitait la passation d’une commande minimale, ce qui fait que l’Ontario a reçu une plus grande quantité de vaccins que ce dont elle avait besoin. Nous n’avions pas accès à l’information scientifique appuyant l’utilisation des produits avant la réception de ceux-ci, ce qui signifie que le processus de sensibilisation des professionnels et du grand public devait se dérouler en quelques jours.

Ontario 2010 : 13 – Nous soulignons

Malgré cette reconnaissance à l’interne de certaines conséquences négatives de l’interaction avec le secteur privé durant cette crise, le processus d’évaluation canadien a plutôt été l’occasion de suggérer un renforcement de ses liens avec le secteur privé. Le Rapport de l’aspc souligne à ce titre que « [l]’Agence de la santé publique du Canada a participé à l’atelier de préparation à la pandémie du Conference Board du Canada qui a eu lieu à Ottawa en juin 2009 [puisqu’il s’agit d’]une crise qui touche aussi l’économie et la continuité des affaires » (aspc : 55). Ce rapport rappelle que :

Le groupe de travail du secteur privé sur la planification en cas de grippe aviaire et de grippe pandémique […] a appuyé l’échange d’information au cours de la pandémie de grippe H1N1 grâce à la mobilisation de 90 organismes du secteur privé provenant de 10 secteurs d’infrastructure importants […]. Le mandat du groupe de travail est de promouvoir une approche commune à la planification et à la préparation de la pandémie de grippe par une sensibilisation accrue et des partenariats avec des organismes et des associations du secteur privé.

aspc 2010 : 43 – Nous soulignons

Le secteur privé au Canada a donc été impliqué dès le début dans la gestion de la pandémie, ce que l’aspc interprète dans son rapport comme quelque chose « qui a bien fonctionné ». Sans être nécessairement un élément problématique, cette introduction du secteur privé dans la gouvernance des crises sanitaires au Canada demande une analyse des impacts de l’inclusion de ce secteur sur le type de gouvernance mis en place. Notamment, ces acteurs ont eu une influence importante en ce qui concerne la surveillance de l’évolution de la pandémie. À titre d’exemple, le rapport du Sénat révèle « l’existence d’un partenariat entre l’aspc et Rx Canada, conclu peu après l’éclosion de la grippe H1N1, pour renforcer la capacité de surveillance du Canada » (Sénat 2010 : 4). Le rapport souligne que Rx Canada :

[…] organisme commandité par des pharmacies, a en effet instauré un système de surveillance des pharmacies qui fait le suivi des ventes de traitements par antiviraux sous ordonnance ainsi que de médicaments contre la grippe en vente libre. L’organisme a indiqué qu’une semaine après avoir conclu l’entente avec l’aspc, plus de 2 500 pharmacies de toutes les provinces ont commencé à l’alimenter quotidiennement en données sur les ordonnances et sur les ventes de produits utilisés pour le traitement précoce des symptômes de la grippe […] Ce système, a appris le comité, a permis de détecter l’intensification de l’apparition de symptômes de la grippe des semaines avant celui de l’aspc […]. Rx Canada a déclaré que le contrat en cours prend fin en novembre 2010 et que son système devrait être reconnu comme un élément essentiel de la surveillance des pandémies et financé sur une base permanente.

Sénat 2010 : 40 – Nous soulignons

Ce sont donc les compagnies privées, notamment par les informations que leur fournissent les pharmacies par l’intermédiaire du partenariat de Rx Canada, qui informent du niveau de développement des crises sanitaires en cours, plaçant une part de la surveillance de l’évolution des crises sanitaires entre les mains de ceux qui vendent et distribuent les vaccins et médicaments. Sans être nécessairement problématique, cette situation pose au minimum la question des intérêts de ces acteurs dans la structure de surveillance, ce qui n’a pas été abordé par le Canada dans ses évaluations de la crise.

Dans ses évaluations, le Canada n’a donc pas été en mesure de prendre en compte de potentiels conflits d’intérêts. Dans le même ordre d’idées, il est à noter que le rapport du Sénat est basé sur les commentaires de « témoins[14] », dont :

  1. L’Association des pharmaciens du Canada : Jeff Poston, directeur général, ainsi que Janet Cooper, directrice principale, affaires professionnelles et relations avec les membres ;

  2. GlaxoSmithKline Canada : Paul Lucas, président et chef de la direction ;

  3. Roche Canada : Jim Hall, vice-président, soins d’urgence, ainsi que Anne-Marie Hayes, gestionnaire des opérations, gouvernement, soins d’urgence ;

  4. Rx Canada : Wendy Nelson, présidente et chef de direction, ainsi que Jeff Aramini, épidémiologiste-conseil principal.

Le secteur privé était donc très bien représenté durant ce processus d’analyse et d’évaluation, renforçant ainsi le caractère limité de celui-ci au niveau de la compréhension de la nature de la gouvernance de la santé en place, c’est-à-dire celle qui accorde une place importante au secteur privé. C’est précisément de cette « gouvernance sanitaire par le marché » que le Canada n’a pas tenu compte dans son évaluation de la pandémie de H1N1 de 2009-2010, ce que d’autres études et rapports, à l’échelle internationale, ont toutefois été en mesure de prendre en considération.

III – Une gouvernance de la santé axée sur le marché : impacts et conséquences pour le Canada de l’influence du secteur privé sur les politiques de santé publique

A — L’émergence de critiques au Canada et ailleurs dans le monde sur l’influence du secteur privé dans la gouvernance des crises sanitaires

Bien que les rapports de l’aspc et du Sénat canadien n’aient pas été en mesure d’identifier les facteurs d’influence liés à ce que nous pouvons appeler « l’économie politique de la gouvernance de la santé », dans laquelle le secteur privé occupe une place importante, plusieurs médias canadiens ont tout de même relevé certains aspects problématiques du rôle des acteurs privés dans ce domaine. Richard Schabas et Neil Rau[15], dans un article paru dans le Globe and Mail, affirmaient par exemple que l’achat de vaccins pour la pandémie allait coûter au moins 500 millions de dollars au Canada et qu’une somme équivalente allait être nécessaire pour administrer les stocks de vaccins et d’antiviraux, portant la facture à au moins un milliard de dollars (Schabas et Rau 2012). Ces coûts élevés, estiment les auteurs, sont à mettre en perspective avec l’impact relativement faible qu’a finalement eu cette crise. Les auteurs rappellent à juste titre que « les volumineux plans de pandémie affirmaient qu’elle frapperait fortement et rapidement, qu’elle devrait affecter entre 25 % et 35 % de la population mondiale et tuer entre deux et vingt millions de personnes, que notre système de santé deviendrait rapidement débordé, que des choix difficiles concernant le rationnement des soins de santé devraient suivre. Rien de tout cela ne s’est produit – pas plus au Mexique qu’au Manitoba ou ailleurs ». Ils concluent leur article dans le Globe and Mail en affirmant que « nous devons trouver un moyen raisonnable de progresser en se fondant sur des preuves, et non sur la spéculation ». Ces spécialistes canadiens des maladies infectieuses et de la gouvernance de la santé ont donc identifié la première caractéristique dysfonctionnelle de l’économie politique de la gouvernance des crises sanitaires : la spéculation et la surévaluation des risques.

Dans un article publié par cbc (service en anglais de Radio-Canada), Schabas souligne également que les médias ont joué un rôle négatif durant cette crise « en étant trop enclins à publier des informations qui ne méritaient pas une telle attention médiatique » (cité dans cbc 2009). Schabas ajoute qu’il « n’accuse pas uniquement les médias, [mais] aussi les responsables de la santé publique qui ont toujours exagéré l’importance de ce qui se passait lors de cette pandémie », soulignant que, « au moment des crises, même si ce n’est pas un événement majeur de santé publique, vous ne le savez jamais à partir de ce que ces personnes [les responsables de la santé publique] affirment ». Deuxième caractéristique de cette économie politique de la gouvernance des crises sanitaires : certains médias et certaines apparitions des responsables de santé publique dans les médias ont joué un rôle de caisse de résonance pour la surévaluation des risques sanitaires.

Philip Alcabes, un spécialiste des maladies infectieuses, affirmait également qu’il y a eu une surréaction extraordinaire durant cette crise, ce qui, comme il se souligne, « a représenté une forme de poule aux oeufs d’or pour les fabricants de vaccins et les compagnies pharmaceutiques » (Alcabes cité dans cbc 2010). Cet article de CBCNews rappelle que :

la grippe porcine a fait long feu avant que le vaccin ne soit finalement produit, faisant en sorte que les vaccinations de masse n’étaient pas nécessaires. Les campagnes de vaccination ont eu lieu uniquement parce que les compagnies pharmaceutiques, les politiciens et les médias ont attisé la crainte que le virus H1N1 puisse être aussi meurtrier que la pandémie de 1918.

cbc 2010

Même si l’article laissait aussi entendre que, « si les populations à risque n’avaient pas été vaccinées, il est probable que des décès supplémentaires auraient eu lieu […] », l’auteur ajoute que selon les experts consultés « il n’est pas clair que le vaccin a[it] fait quelque chose pour arrêter la propagation de la grippe H1N1[16] » (cbc 2010). Dans ce contexte de surévaluation des risques, certains acteurs du secteur privé ont été en mesure de répondre aux craintes du public et des institutions (en proposant notamment des produits pharmaceutiques), positionnant ainsi le secteur privé comme bénéficiaire de l’économie-politique de la gouvernance des crises sanitaires par rapport aux structures de santé publique canadiennes.

Certains individus ou certaines organisations du Canada ont donc, durant cette crise, formulé des critiques relatives au cadre de gouvernance de la pandémie de H1N1, particulièrement en ce qui a trait au niveau de l’influence du secteur pharmaceutique sur la mise en place des politiques de santé publique et de gestion des crises sanitaires. Bon nombre de ces éléments se retrouvent également dans plusieurs rapports et enquêtes effectués par des organismes ou médias non canadiens, voire par d’autres pays. Plusieurs groupes, institutions ou pays ont donc vivement réagi à la gestion de cette pandémie, notamment en ce qui concerne le travail de l’oms, faisant valoir par exemple qu’il y avait eu de la désinformation et des erreurs d’analyse quant à la gravité de la pandémie ou que cette situation a entraîné des coûts financiers élevés pour les systèmes de santé publique des pays ayant suivi les recommandations de l’oms (Smith 2010 ; Flynn 2010 ; Durodié 2011 ; Parlement européen 2010 ; Grolle et Hackenbroch 2009).

Le Dr Tom Jefferson de l’Institut Cochrane a, par exemple, soutenu que la gestion de la pandémie de H1N1 a été fondée sur des « […] prédictions catastrophiques qui ont échoué à se matérialiser, une science inadéquate, une industrie de la pandémie en plein essor et des structures publiques de gouvernance de la santé en lambeaux » (cité dans Smith 2010 : 48). Le Dr Jefferson a établi son analyse précisément sur le plan de l’économie politique de la gouvernance des crises sanitaires en identifiant les différents acteurs non étatiques impliqués, de même que leurs objectifs, intérêts et influence.

L’oms, à ce titre, a notamment été accusée d’avoir fait preuve d’alarmisme dans ses déclarations concernant la sévérité de la pandémie, ce qui a engendré des réponses et des réactions disproportionnées de la part des gouvernements (Watson 2011a : 619). Les coûts excessifs, plus de 18 milliards de dollars américains à l’échelle de la planète, alors que les impacts de la pandémie sur la santé ont été limités (Watson 2010a : 284), ont aussi stimulé les critiques à l’égard de l’oms, renforcées par le fait que l’épisode de H1N1 a été vu comme une pandémie « […] avant même qu’une seule personne ne soit infectée » (Huntington et Jones 2010 : 33). Plusieurs auteurs, dont Zarocostas, ont donc suggéré que « […] l’oms et les comités consultatifs d’experts ont peut-être été indument influencés par l’industrie pharmaceutique, en particulier à des moments critiques tels que le passage de la phase 5 à la phase 6 de la pandémie de H1N1 » (Zarocostas, 2010). D’autres ont aussi critiqué l’importance démesurée accordée à cette crise, comparativement à d’autres enjeux de santé publique (Duclos 2009), amenant notamment le chercheur Marc Gentilini à qualifier cette situation d’« outrageuse » (cité dans Sparke et Anguelov 2011 : 15), tandis que Sparke et Anguelov l’ont considérée comme une « injustice » fondée sur des inégalités économiques structurelles entre pays développés et pays en voie de développement (Sparke et Anguelov 2011 : 15).

Les critiques exprimées au Canada (à l’extérieur des évaluations formelles du gouvernement) et ailleurs dans le monde concernant la gestion de la pandémie de H1N1 de 2009-2010 étaient certes multiples, mais elles se concentraient en majorité autour de l’influence de nouveaux acteurs transnationaux, issus en particulier du secteur privé, sur les politiques de santé publique nationales et internationales, ce qui n’a pas fait l’objet d’une analyse attentive dans les processus d’évaluation canadiens. La section qui suit tente de poser les bases d’une grille analytique qui permettrait de comprendre les conséquences pour le Canada d’une gouvernance sanitaire axée sur le marché et le secteur privé.

B — Le secteur privé, la gouvernance de la santé et les conséquences pour le Canada

Un article du New York Times publié un mois avant que l’oms ne déclare officiellement l’état de pandémie mondiale propose quelques pistes de réflexion au sujet de la place du secteur privé dans la gouvernance de la santé. Cet article rapporte les propos du Dr Michael T. Osterholm, directeur du Centre pour la recherche sur les maladies infectieuses et les politiques à l’Université du Minnesota, concernant les risques relatifs à la fermeture des frontières dans l’éventualité d’une pandémie mondiale (McNeil 2009). Osterholm faisait ainsi valoir que de nombreux pays dépendent de pays étrangers pour la production de matériel médical dont l’approvisionnement serait critique si une pandémie majeure venait à se déclarer. Son argument principal est que « si vous coupez les routes globales du commerce, vous paralysez les systèmes de soins de santé » (McNeil 2009), venant ainsi rappeler l’interdépendance entre le marché mondial et les enjeux de santé publique dans un contexte de mondialisation économique.

Quelques mois plus tard, le USA Today a également publié un court article qui soulignait sans ambiguïté cette réalité. Dans cet article intitulé Investors look for stocks that could gain from swine flu, Mark Krantz s’intéressait aux investisseurs qui cherchent à « exposer leur portfolio à la grippe porcine » (Krantz 2009 – Nous soulignons). Un analyste de RBC Capital cité par Krantz suggère ainsi que les « investisseurs peuvent gagner de l’argent et éviter les pertes quand il s’agit de la grippe porcine […]. Le secret est de détenir des entreprises qui bénéficieront directement de la pandémie indépendamment de sa gravité » (Krantz 2009 – Nous soulignons). Les pandémies et crises sanitaires sont désormais considérées, dans cette logique, comme une forme d’investissement pour le secteur privé[17].

L’influence du secteur privé sur les politiques de la santé et les crises sanitaires se fait ainsi sentir à plusieurs niveaux. L’un des impacts les plus marqués concerne la production de médicaments et de vaccins. Ricci avait par exemple montré que l’ouverture au secteur privé dans les structures de gouvernance de la santé « […] est devenue synonyme de changements dans la façon dont les vaccins sont développés et commercialisés » (Ricci 2010 : 10). Ce changement majeur est fondé sur la perception que le marché représente le meilleur allocataire de biens et services médicaux, même en contexte de crise ou d’urgence sanitaire, ce qui correspond largement à la stratégie adoptée par le Canada dans l’élaboration de ses plans de lutte antipandémique.

Durant la pandémie de H1N1 de 2009, le secteur privé a joué un rôle fondamental en devenant un des piliers centraux des politiques de santé publique, à la fois au Canada et au niveau international sous l’égide de l’oms, sans qu’aucune réelle procédure de responsabilité pour ces acteurs soit mise en place. Sparke et Anguelov cernent bien le phénomène lorsqu’ils soulignent que, durant cette crise, « […] les gouvernements étaient si désireux de répondre aux craintes du public concernant la grippe H1N1 et si aveuglément optimistes quant à la capacité des entreprises privées à répondre à cette crise qu’ils ont donné aux compagnies pharmaceutiques tout ce qu’elles voulaient en termes de profits garantis, de protection et de non-responsabilité » (Sparke et Anguelov 2011 : 25).

Ce sont toutefois les représentants de GlaxoSmithKline Royaume-Uni qui ont donné les informations les plus pertinentes pour comprendre le fonctionnement de cette gouvernance axée sur le marché et ses conséquences sur les politiques de santé publique. Tout en affirmant qu’il « n’y a jamais eu de tentative d’influencer l’oms ou les experts impliqués dans la gestion de la pandémie », GSK UK reconnaît que « personne ne peut travailler en vase clos quand il s’agit de se préparer à une pandémie de grippe. C’est uniquement en travaillant ensemble, avec une gouvernance et les codes de pratique appropriés, qu’il est possible de répondre aux enjeux de santé publique tels que celui présenté par le virus H1N1 » (cité dans Kon 2010 : 8 – Nous soulignons). C’est précisément cette logique de liens étroits entre les secteurs public et privé au sein des infrastructures de santé (Armstrong et Armstrong 2008) qui a prévalu – et qui prévaut encore – dans la gestion des crises sanitaires et de la santé publique au Canada. La conséquence principale de cette imbrication du secteur privé et du secteur public est l’opacité des processus de responsabilisation des acteurs : dans un tel système, il est extrêmement difficile de distinguer les différents champs de responsabilité des acteurs. Ce problème de responsabilité des acteurs s’articule au sein d’une perception particulière du rôle du secteur privé dans la gouvernance sanitaire.

L’oms de même que le Canada considèrent ainsi l’industrie pharmaceutique comme un « partenaire » dans la gouvernance globale de la santé (Jefferson et Doshi 2010 ; aspc 2010). C’est cette situation de perméabilité entre le secteur privé et la santé publique qui caractérise la gouvernance axée sur le marché. Cette porosité n’a pas fait l’objet d’une évaluation objective et impartiale de la part du Canada, contrairement à ce qu’on trouve dans des rapports plus critiques qui ont souligné les risques associés à cet assemblage public-privé en santé (Jefferson et Doshi 2010 ; Cohen et Carter 2010 ; Watson 2010b ; 2011b ; Armstrong et Armstrong 2008).

Cette pandémie a été interprétée, dans ce sens, comme une « opportunité » pour les compagnies pharmaceutiques de faire la « promotion » de certains de leurs produits (White 2010 : 170), une action rationnelle dans une logique économique, mais qui ne cadre pas avec des objectifs de santé publique, rendant ainsi problématique le développement de la santé comme bien et service public par opposition à la recherche de profit par le secteur privé.

Une gouvernance par le marché atténue ainsi la distinction entre acteur privé et acteur public, tout en permettant une minimisation de la responsabilité des premiers. Dans ce contexte, le gouvernement du Canada n’a pas été en mesure d’évaluer pleinement le risque de conflit d’intérêts et d’influence indue dans son interaction avec le secteur privé. Il s’est également révélé incapable de saisir la nature réelle de l’économie politique globale de la santé et de la gouvernance par le marché pour lesquelles l’objectif premier n’est pas la promotion de la santé comme bien public, mais plutôt la recherche du profit.

Cette situation problématique pour la gouvernance des crises sanitaires au Canada impose certaines recommandations ou pistes de réflexion concernant le futur de la gouvernance des crises sanitaires au Canada :

  1. Les instances de santé publique canadiennes devraient établir clairement et ouvertement les rôles et responsabilités du secteur privé dans la gouvernance des crises sanitaires.

  2. Ces acteurs devraient être soumis à une forme de reddition de compte par rapport aux services rendus, comme tout autre type d’acteur.

  3. L’appel d’offres pour ces services privés, en particulier au regard de la fourniture de vaccins et de médicaments, devrait faire l’objet d’une analyse attentive afin de déceler de possibles cas de collusion.

  4. Au lieu de se concentrer sur le contrôle de l’information en aval (dans les médias et dans la sphère publique), le Canada devrait se concentrer sur la validité des informations communiquées en amont (la qualité des informations).

  5. Les évaluations canadiennes de la gouvernance canadienne devraient être plus objectives et transparentes, notamment en intégrant, sans a priori idéologique, les critiques faites à l’extérieur du Canada.

Conclusion : Le Canada et la reconceptualisation de la gouvernance globale de la santé

En mettant l’accent, dans cette note de recherche, sur l’interaction entre les politiques de santé publique au Canada durant la crise de H1N1 et la gouvernance globale de la santé, nous avons voulu montrer les lacunes dans l’évaluation de la gestion de la pandémie de H1N1 par le Canada, et notamment la non-prise en compte des critiques externes. Ces critiques ont souligné l’importance du secteur privé et du marché dans la gouvernance de la santé. Ce que nous avons appelé une gouvernance axée sur le marché n’a donc pas fait l’objet d’une évaluation par le Canada, bien que cet aspect ait été soulevé par différents individus, groupes et spécialistes canadiens.

L’ouverture vers une forme supra-souveraine de gouvernance de la santé qui caractérise le Règlement sanitaire international de 2005 s’est accompagnée de l’entrée en scène d’acteurs économiques transnationaux venus changer la relation entre les États, les organisations internationales et le secteur privé dans la mise en place et la planification des politiques de santé publique. La gouvernance globale de la santé implique ainsi une multitude d’acteurs (Kamradt-Scott et Lee 2011 : 845) qui ont été amenés à modifier sensiblement leurs interactions, induisant « […] un changement qualitatif à la fois dans la façon dont les acteurs s’engagent mutuellement et dans leur façon de conceptualiser le monde dans lequel ils participent » (Ricci 2010 : 7 – Nous soulignons), ce que le Canada n’a pas été en mesure de prendre en compte. La cause profonde de cette modification est à chercher, selon nous, dans l’importance grandissante qu’ont prise le marché et l’économisme dans les sociétés occidentales à partir de la fin des années 1970, mais qui est restée non problématisée dans ses influences sur les politiques publiques, notamment sur le plan sanitaire, mais également sécuritaire ou environnemental. L’influence du secteur privé ne se caractérise donc pas uniquement par la mise en place de ce que l’on a nommé des « partenariats public-privé », mais également par une influence indirecte sur le fonctionnement d’un secteur en entier, réorientant les logiques d’action, les rôles et les responsabilités de l’ensemble des acteurs.