Corps de l’article

Les enjeux environnementaux[1] sont en train de modifier durablement notre système économique, tant directement qu’indirectement (Hawken, 2005; Pearce, Markandya, Barbier et Great Britain, 1989). Les rapports provenant de diverses spécialités et scientifiques convergent[2]  : l’intensification de l’activité humaine est en train de déséquilibrer d’une façon profonde et probablement définitive les relations entre les humains et les écosystèmes. Depuis les années 1970, à la suite de la publication en 1972 par le Club de Rome du rapport Halte à la croissance (Meadows et al., 1972), la réflexion autour de la protection de l’environnement remet en question l’idéologie de la croissance et de la consommation de masse issue des sociétés occidentales du vingtième siècle.

L’intégration des enjeux environnementaux dans la gestion des entreprises et organisations constitue un véritable défi dans la mesure où ce sont souvent ces mêmes organisations qui sont directement et indirectement responsables de la dégradation environnementale. On sait que faire face à cette crise impliquera l’adoption d’un nouveau mode de production et d’organisation. Au cours des dernières années, les organisations internationales, nationales, gouvernementales et privées se sont intéressées aux questions environnementales et elles ont pris position à cet égard. Mentionnons, entre autres, la création du Programme des Nations Unies sur l’environnement (PNUE) dès 1972, la définition du cadre législatif de l’Union européenne[3], la mise en oeuvre par les gouvernements de plans verts ou de développement durable, tels que le Plan de développement durable du gouvernement du Québec, et, enfin, l’émergence de normes, certifications et audits relatifs à l’environnement et aux enjeux sociaux de la part d’organisations de normalisation (pensons à ISO) et d’organisations de différents secteurs de la société[4]. Pour sa part, le secteur des entreprises a réagi à ces défis : nombre d’entreprises et d’organisations se sont positionnées face à ces défis que sont le contrôle des émissions de produits chimiques et leur utilisation, les gaz à effet de serre, la gestion des matières résiduelles (le programme Responsable Care, le Carbon Disclosure Project, entre autres).

Ces quelques exemples illustrent aussi une tendance plus lourde qui a trait à la prise en compte, puis en charge, des problématiques environnementales dans le monde de l’entreprise et dans le discours managérial (Porter, 1995; 2007; Hopwood, 2005), malgré des ambigüités et des défis de gestion des organisations et de gouvernance globale (Banerjee, 2003; Raufflet, 2003). Cependant, tant dans les recherches que dans la pratique de cette tendance, malgré des recherches sur l’idéologie des syndicats et sur celle de ce « mouvement vert » (Silverman, 2006), les formes de l’action syndicale en matière environnementale constituent encore largement un domaine à explorer et à baliser. Les chercheurs qui se sont penchés sur cette question, en particulier au regard des relations industrielles, constatent une relation complexe, voire difficile, entre organisations syndicales et prise en compte des enjeux environnementaux (Bécot, 2010; Obach, 2004; Sobczak et Havard, 2009; Snell et Fairbrother, 2010). Ils rappellent que la mission des syndicats, historiquement liée à la défense de l’emploi, peut parfois sembler en contradiction avec la défense de l’environnement (Obach, 2004; Sobczak et Havard, 2009; Snell et Fairbrother, 2010). Cette contradiction pourrait bien être assez profondément ancrée dans l’identité syndicale (Bécot, 2010; Snell et Fairbrother, 2010, p. 154).

En même temps, les organisations syndicales[5] sont l’un des joueurs clés du monde de l’entreprise; elles sont à la fois présentes dans les milieux de travail, sur la place publique, dans les débats de société et dans les instances d’élaboration et de formulation des politiques, des règles et lois. Malgré la visibilité limitée de leurs actions et de leurs prises de position, elles ont le potentiel de jouer un rôle critique dans la défense de l’environnement. D’où nos deux questions : Comment les organisations syndicales ont-elles intégré les préoccupations environnementales? Quelles sont les formes d’action syndicale en matière environnementale?

Cet article vise à répondre à ces deux questions[6]. Nous présentons ici les résultats d’une étude qui cartographie les liens entre pratique syndicale et enjeux environnementaux et, à partir de cette cartographie, nous identifions des pistes d’action. Cet article comprend trois sections. D’abord, nous expliciterons le cadre méthodologique de collecte et d’analyse sur les formes d’action syndicale en environnement. Nous présenterons ensuite nos résultats de recherche à travers une typologie de l’action syndicale en développement durable : la typologie ACTE (Agir dans l’organisation, Construire le développement durable sur le lieu de travail, Transformer les règles du jeu et Exprimer sa position dans les débats publics). Enfin, nous définirons les limites de cette recherche, de même que les pistes de recherche et d’action pour l’avenir.

Mouvement syndical et enjeux environnementaux

La vocation historique des syndicats a trait à la promotion des conditions de travail (environnement de travail, dangerosité, salaire, avantages sociaux, etc.) des travailleurs[7]. Jusque dans les années 1980, la défense de l’emploi et la protection de l’environnement semblaient incompatibles dans la mesure où cette dernière était perçue comme une entrave à la croissance, elle-même souvent vue comme intimement liée à l’emploi (Obach, 2004).

En avril 2008, Guy Ryder, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), reconnaît que jusqu’aux années 2000 les syndicats ont été « marginalement passionnés par le développement durable » auquel ils se sont intéressés seulement après Kyoto. En 2007, à l’occasion de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Bali, la CSI (la plus importante organisation syndicale internationale) prend clairement position en faveur de la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES) telle qu’elle est définie par le protocole de Kyoto. Un an plus tard, en 2008, dans une déclaration des syndicats pour la conférence des Nations Unies sur le changement climatique tenue à Poznan, la CSI souligne explicitement l’importance de sortir de l’apparente contradiction entre défense des emplois et protection de l’environnement. Cette reconnaissance tardive des enjeux environnementaux dans les discours des syndicats est confirmée par l’analyse du contenu des sites Internet des principales organisations internationales syndicales ou organisations liées au monde du travail : l’Organisation internationale du travail (OIT), la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE (TUAC), la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Fédération syndicale mondiale (FSM), indiquent l’apparition relativement tardive du vocable développement durable et de son approche[8].

Ce positionnement institutionnel et international relativement tardif a eu tendance à rendre moins visibles les initiatives syndicales en matière d’environnement, au détriment de nombreuses initiatives existantes en matière d’environnement dans lesquelles l’action syndicale a bel et bien ses spécificités et sa pertinence.

Méthodologie

Cette étude a été menée après la tenue, en janvier 2009, de la première université d’hiver syndicale de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), dont l’objet portait sur le syndicalisme et le développement durable. Le protocole HEC Montréal – CSN (2009) a permis cette recherche. Nous avons déterminé notre échantillon à partir des pratiques potentiellement pertinentes pour la CSN, dont 1) les organisations syndicales francophones du Québec, du Canada, de la France et de la Belgique; et 2) au niveau international, des pays reconnus pour leur avancée en la matière, tels que le Japon, l’Espagne et la Suède. Nos sources de données comprennent :

  1. l’analyse du contenu des sites Internet, plus précisément en ce qui regarde les informations disponibles liées à l’environnement et au développement durable. Les termes clés utilisés dans la recherche interactive ont été « développement durable », « sustainable development », « durable » et « sustainable »;

  2. des entrevues qui ont été réalisées avec des personnes reconnues pour leur connaissance du monde syndical ou pour leur implication dans les questions associées à l’environnement : au total, 14 entrevues ont été menées avec des représentants syndicaux de ces pays;

  3. des observations non participatives : visite d’un site de production et participation au congrès de la Fédération du commerce à Sherbrooke (respectivement le 29 avril et le 26 mai 2009). À partir de cette collecte de données, nous avons établi une liste exhaustive de plus d’une cinquantaine d’initiatives qui nous a permis d’élaborer une typologie de l’action syndicale en matière environnementale.

Les formes d’action syndicale en environnement

À partir de notre étude, nous proposons quatre formes d’action syndicale en matière environnementale :

  • Adopter le développement durable au sein de l’organisation syndicale

  • Construire le développement durable sur le lieu de travail.

  • Transformer les règles du jeu des instances politiques.

  • Exprimer sa position dans la société civile[9] et les médias.

Le tableau qui suit résume ces quatre formes d’action.

Quatre formes d’action syndicale en matière environnementale

Quatre formes d’action syndicale en matière environnementale

-> Voir la liste des tableaux

Ces formes d’action sont à la fois complémentaires et distinctes dans la mesure où elles impliquent différents niveaux d’action et font appel à des stratégies et à des outils différents. La première forme est l’adoption du développement durable au sein des organisations syndicales en tant que telles, ce qui suppose la mise en place de stratégies de mobilisation et de coordination. La deuxième forme est la promotion du développement durable sur le lieu de travail, ce qui demande d’analyser la manière dont une organisation établit des conditions qui génèrent des initiatives favorables. La troisième forme vise à transformer les règles du jeu, c’est-à-dire à principalement faire évoluer la loi et les règlements. Cette action a lieu surtout dans les « arènes » politiques et requiert des habiletés dans cette discipline. La quatrième forme consiste à exprimer sa position dans la société autour des enjeux importants.

Les formes d’action syndicale en environnement

Les formes d’action syndicale en environnement

-> Voir la liste des figures

Adopter le développement durable au sein de l’organisation syndicale

La première forme d’action syndicale vise à adopter les principes du développement durable dans les processus et les pratiques des organisations syndicales par la sensibilisation de ses salariés et de ses membres ainsi que par les processus internes de l’organisation syndicale. Cette adoption en interne permet ensuite une prise de position institutionnelle cohérente et légitime en matière environnementale auprès des différents acteurs de la société.

L’appropriation du discours du développement durable

Le premier axe de cette adoption porte, d’une part, sur l’articulation entre la mission et la sensibilité de l’organisation syndicale et, d’autre part, sur les préoccupations environnementales. Dans la plupart des organisations syndicales observées, on constate l’apparition d’un discours qui allie les préoccupations environnementales (par exemple la réduction des gaz à effet de serre, la décroissance, le principe de précaution, etc.) à la vocation traditionnellement sociale, économique et éthique des syndicats. Ainsi, en Espagne, la Confederación Sindical de Comisiones Obreras, la première confédération espagnole en importance, propose le concept d’« écosyndicalisme[10] », fondé sur le caractère insoutenable, à long terme, du modèle de croissance économique actuel. Ce concept d’écosyndicalisme invite les syndicats à repenser leur action.

Dans de nombreuses organisations syndicales, les concepts de défense de l’environnement et de développement durable sont interprétés à partir de l’identité spécifique et de la culture de l’organisation. Par exemple, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) insiste sur la dimension spirituelle et religieuse du développement durable.

Le développement durable repose sur quatre piliers : le social, l’économie et la finance, l’écologie et l’environnement, et le culturel, voire le spirituel. Tous doivent concourir à l’accomplissement de l’homme et au respect de sa dignité. Nous ne saurions cautionner la primeur de l’une de ces dimensions sur les autres et surtout pas de la sphère financière qui impose sa loi à l’économie, à l’écologie, au social et au culturel[11].

Mobiliser les membres autour d’une définition du développement durable

Le deuxième axe interne concerne la prise de position des leaders, qui est essentielle à la mobilisation des membres. Voici quelques exemples de leaders reconnus du mouvement syndical qui ont récemment pris parti relativement au développement durable :

  • Au sommet de l’environnement à Nairobi le 6 février 2007, Guy Ryder, secrétaire général de la CSI, affirme l’appui des syndicats à la protection de l’environnement. Il rappelle aussi le rôle que ceux-ci peuvent jouer en matière d’emploi.

  • En juin 2009, François Chérèque, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), première confédération en nombre d’adhérents en France, a déclaré dans un entretien au quotidien Le Monde que le développement durable était, avec le vieillissement de la population, l’un des plus grands enjeux auxquels la société française devait maintenant faire face[12].

En parallèle, il est important d’impliquer, dès le départ, l’ensemble des membres de l’organisation syndicale autour d’un processus de définition commune du développement durable. Ainsi, la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) a construit sa vision du développement durable, à l’issue d’un débat à l’intérieur de l’organisation, par la mise en place de consultations et la construction de consensus qui a duré plus de trois ans et qui a fait intervenir sept de ses vingt-huit fédérations.

On observe également la création d’initiatives diverses afin de renforcer la mobilisation par des événements consacrés au développement durable. À cette fin, il est intéressant de mettre à profit les structures et le calendrier préexistant de l’organisation syndicale; par exemple, les grands rassemblements annuels ou bisannuels des organisations syndicales, comme leurs universités d’été ou d’hiver.

  • En 2009, l’Université syndicale d’hiver de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a permis de rassembler de nombreux délégués et de les sensibiliser au développement durable et aux enjeux environnementaux contemporains en lien avec le 62e congrès.

  • En 2009, la Confédération générale du travail (CGT) a consacré son université d’été au développement durable.

  • Au printemps 2009, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a organisé des journées de réflexion spécifiquement consacrées à établir une vision commune sur le développement durable.

Une fois l’impulsion initiale donnée, la mobilisation passe par la valorisation des meilleures pratiques environnementales dans l’organisation, par la diffusion de documents traditionnels ou électroniques ainsi que par la reconnaissance des ces initiatives par des prix. À titre d’exemple, le document produit par la CSI pour la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, à Bali, en 2007 (COP13), met en valeur des initiatives syndicales environnementales de partout dans le monde. Par ailleurs, plusieurs centrales valorisent en interne ces initiatives dans un bulletin électronique ou une section du site Internet. Par exemple, en 2008, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) lance un « cyberbulletin » consacré à l’environnement, Enviro Action.

Le bulletin présente des articles sur le nouvel outil d’écovérification au travail du SCFP, le nouveau guide en ligne sur les négociations vertes pour les sections locales du SCFP et le prix de l’Association canadienne de la presse syndicale remporté par l’ouvrage Sain, propre et VERT du SCFP. On y parle aussi d’Anne Grube, membre de la section locale 3500 du SCFP, dans la section consacrée aux militants écologistes[13].

De plus, l’une des divisions, située dans l’Ouest canadien, a créé un site indépendant qui traite exclusivement de l’environnement; GreenMuze[14] est un outil de communication en ligne. Enfin, des mentions et des prix encouragent les initiatives les plus intéressantes en matière de développement durable.

Coordonner et intégrer les initiatives environnementales en interne

Dans plusieurs organisations syndicales, les dirigeants donnent les grandes orientations de la politique sur le développement durable pour guider les acteurs dans la mise en place d’initiatives locales. Ces grandes orientations peuvent prendre la forme d’une politique, comme c’est le cas pour la politique 909 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP). Cette politique propose des pistes d’action sur différents aspects environnementaux tels que le smog, les pluies acides, la couche d’ozone et le changement climatique. Cet extrait illustre la portée de la politique :

Les compétences et l’expérience des membres du SCEP peuvent lui permettre de présenter aux gouvernements et à l’industrie privée des recommandations précises en vue du règlement des problèmes environnementaux.

Le SCEP reconnaît la capacité de ses sections locales d’inciter les gouvernements, l’industrie et les collectivités à provoquer des changements indispensables au règlement des problèmes environnementaux mondiaux[15].

Construire le développement durable dans l’action syndicale sur le lieu de travail (sur le plan syndical)

Cette dimension de l’action syndicale vise la promotion de bonnes pratiques environnementales sur les lieux de travail dans les entreprises et les organisations, lieux de présence des syndicats.

Mettre en place des fonctions de soutien et d’appui

De manière relativement centralisée, plus souvent au niveau des fédérations que des syndicats eux-mêmes, les organisations syndicales ont bâti des outils pour favoriser cette prise en compte du développement durable sur les lieux de travail. En amont, on trouve surtout des outils favorisant la formation et la sensibilisation, ainsi que des guides pratiques. Ainsi, la SCFP a produit Sain, propre et vert. Guide des travailleurs pour un milieu de travail plus vert, qui est un outil et une source d’idées pour sensibiliser les travailleurs et les aider à améliorer le bilan écologique de leur lieu de travail. Voici quelques recommandations tirées du guide vert :

  • Attaquez-vous aux problèmes environnementaux dans le milieu de travail. Les travailleurs et les représentants syndicaux doivent avoir le droit d’agir sur les problèmes environnementaux qui nuisent à leur milieu de travail.

  • Éduquez les travailleurs sur les enjeux environnementaux. Les travailleurs doivent recevoir une formation sur les enjeux environnementaux découlant spécifiquement de leur travail. Une formation en matière d’environnement doit être fournie aux travailleurs par le syndicat lorsqu’il est possible de le faire.

  • Négociez des mesures de protection de l’environnement dans les conventions collectives, par exemple en regard de l’énergie, des déchets et des émissions de gaz à effet de serre[16].

De son côté, la CSN a proposé, en 2002, une brochure intitulée Des petits gestes qui mènent plus loin[17], visant à informer sur l’application de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles et sur la façon de réorganiser le milieu de travail en tenant compte de l’environnement.

En Belgique, le Réseau intersyndical de sensibilisation à l’environnement (RISE)[18] multiplie les guides[19] destinés à informer les travailleurs et à les sensibiliser à différentes perspectives pour le verdissement des lieux de travail au sens large. La mise en place d’actions en faveur de l’environnement requiert des ressources diverses : humaines, financières, législatives. Le RISE propose des formations, des guides, du matériel pédagogique et un soutien logistique pour favoriser la diffusion du développement durable sur les lieux de travail.

Agir directement sur le lieu de travail

Deux initiatives illustrent la créativité et le potentiel sur les lieux de travail. La première est celle du syndicat japonais RENGO, qui a lancé en 2006 une initiative fort originale. No Necktie vise en effet à limiter l’utilisation de l’air climatisé dans les locaux de l’entreprise en autorisant les employés à dénouer leur cravate en période de chaleur. Cette initiative, typiquement nippone, montre qu’il est possible de faire preuve d’originalité pour mettre en place des initiatives qui sont à la fois peu coûteuses et efficaces en s’appuyant sur leur connaissance du quotidien du milieu de travail. La seconde, Green Workplaces, est une initiative du Trades Union Congress (TUC), menée depuis 2006 en Grande-Bretagne sur six lieux de travail différents et financée par le fonds Carbon Trust de l’État britannique qui propose aux employés/membres d’explorer de nouvelles façons d’améliorer la performance énergétique sur les lieux de travail[20]. Les six « ballons d’essai » ont ensuite permis de développer des outils et un savoir transposables dans tous les lieux de travail grâce à un site Internet[21] qui rend disponible gratuitement un guide de synthèse pour la mise en place d’une politique environnementale sur le lieu de travail[22]. Ce guide explique également comment calculer la consommation (et éventuellement les économies) d’énergie sur le lieu de travail, comment planifier et organiser des événements de sensibilisation relative à l’environnement et il offre des modèles de questionnaires pour connaître les déplacements des employés ou encore leur opinion sur les questions environnementales[23].

La mise en place de structures spécifiques au sein des entreprises et organisations

L’intégration des préoccupations environnementales dans les entreprises et organisations peut nécessiter la formation de structures spécifiques qui reposent à la fois sur une forte mobilisation des employés et sur des aménagements acceptés, voire financés par les employeurs. Ainsi que certains syndicats le revendiquent, un cadre législatif pourrait généraliser la mise en place des comités syndicaux associés à l’environnement en les rendant obligatoires au sein des entreprises.

En France, par exemple, le Grenelle de l’environnement est un débat multipartite organisé à l’initiative du gouvernement en octobre 2007 pour définir les orientations nationales à long terme en matière de développement durable. Parmi les thèmes de discussion, citons 1) l’élargissement des prérogatives des comités de santé et sécurité au travail et du comité d’entreprise vers l’environnement et 2) l’implication des représentants du personnel ou du comité d’entreprise dans les obligations de reddition de compte social et environnemental des entreprises sous la forme d’un comité paritaire afin de veiller à l’application de la loi NRE[24].

Protéger et syndicaliser les emplois verts

Une étude conjointe du Programme des Nations Unies sur l’environnement (PNUE), de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation internationale des travailleurs (OIE) et de la Confédération syndicale internationale (CSI) sur les emplois verts met en évidence l’apparition d’une industrie de biens et services environnementaux dite verte, qui se chiffre déjà à 1,370 milliard de dollars américains et pourrait atteindre 2,740 milliards d’ici à 2020[25] avec une création d’emplois significative. Par exemple, le secteur des énergies renouvelables compte déjà plus 2,3 millions d’emplois et pourrait en représenter 7 millions en 2030[26]. Cependant, le rapport souligne aussi que les conditions de travail sont, dans certains cas, déplorables, et met en garde contre les conditions des emplois créés. En effet, dans de nombreux cas, les normes syndicales en matière de conditions de travail ne sont pas respectées, en particulier dans les pays en développement au sein des secteurs tels que le recyclage, la construction et les biocarburants où les conditions de travail peuvent être précaires, voire dangereuses pour la santé.

De plus, ces « emplois verts » sont souvent loin d’être décents. Les emplois verts se définissent comme « […] des emplois dans l’agriculture, l’industrie, les services et l’administration qui contribuent à la préservation ou au rétablissement de la qualité de l’environnement[27] ». Cette « industrie verte » émergente est mal encadrée. Un des axes de travail pour les syndicats est de promouvoir le travail décent dans ce secteur. Le rapport de l’OIT définit comme suit les conditions de travail décentes :

Les hommes et les femmes doivent pouvoir accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité humaine. Le travail décent résume les aspirations des autres humains au travail – leurs aspirations à accéder à un emploi et à une juste rémunération, à jouir de droits, de moyens d’expression et de reconnaissance, de justice et d’égalité entre les sexes. Ces diverses dimensions du travail décent sont les fondements de la paix dans les communautés et la société. Le travail décent est au coeur des efforts menés pour éradiquer la pauvreté, il est un moyen de parvenir à un développement durable, équitable et fédérateur[28].

En 2008, grâce à l’implication de la CGT, des pratiques illicites conduisant à des conditions de travail indécentes dans le traitement des déchets en Seine-Saint-Denis ont pris fin. Avant l’intervention des syndicats et d’ONG, l’emploi de travailleurs sans papiers était une pratique courante tant dans des PME locales que dans de grandes entreprises comme Veolia ou Urbaser qui employaient, parfois depuis plus de dix ans, de la main-d’oeuvre sans papiers avec des contrats de travail précaires fournis par des agences intérimaires. L’implication de la CGT et d’autres syndicats a permis de faire appliquer le Code du travail. Le contrôle et l’enquête effectués par les syndicats a aussi permis de mettre au jour des pratiques environnementales douteuses. Par exemple, pour réaliser des économies, un des entrepreneurs incinérait des déchets dangereux – comme l’amiante – ou les mélangeait avec des produits destinés à servir de matériaux de construction. À la suite de l’intervention de la CGT, cet entrepreneur a fait l’objet de deux chefs d’inculpation, tandis que la moitié de ses employés voyaient leur situation régularisée[29].

Transformer les règles du jeu

Au-delà de la promotion des questions environnementales dans l’organisation syndicale en tant que telle et sur le milieu de travail, les organisations syndicales disposent également d’une position privilégiée dans les sociétés pour faire évoluer les institutions politiques dans le sens du développement durable et de la défense de l’environnement. Elles peuvent influencer les lois et les règlements portant sur le sujet et transformer la réglementation et la législation.

Maîtriser l’information

L’émergence des enjeux environnementaux contemporains a coïncidé avec l’augmentation de l’information disponible et avec la multiplication des normes, des standards et des règlements (Waddock, 2008). Cette augmentation a également créé une certaine confusion, dont des pratiques d’écoblanchiment d’entreprises et des discours politiques environnementaux parfois ambigus (Rauflet, 2003). Il devient parfois difficile pour les citoyens et les organisations de s’y retrouver. Les syndicats disposent des structures et des ressources nécessaires pour mener des études de grande ampleur afin de proposer un regard pertinent et original et d’ainsi démocratiser les enjeux environnementaux dans les arènes publiques.

Cette démarche s’effectue actuellement sur trois fronts. D’abord, les organisations syndicales analysées se familiarisent avec l’information sur l’environnement par des études en interne sur des sujets bien ciblés ou en lien avec les intérêts de l’organisation syndicale. Ensuite, les centrales proposent de rendre les informations sur l’environnement plus compréhensibles auprès de leurs membres. À titre d’exemple, la CSI propose un guide sur les lignes directrices de reporting environnemental, économique et social mises en place par la Global Reporting Initiative (GRI). Enfin, elles mènent des études poussées afin de décrypter les changements. Ainsi, le regroupement de syndicats ISTAS, en association avec la Confédération européenne des syndicats (ETUC en anglais), l’organisation Syndexe ainsi que l’institut Wuppertal, a publié une étude sur les répercussions que pourrait entraîner une réduction de 40 % des émissions de CO2 sur l’emploi dans toute l’Union européenne d’ici à 2030. Cette étude a démontré que l’impact sur l’emploi des mesures de réduction des gaz à effet de serre serait légèrement positif (ETUC, ISTAS, SDA et Wuppertal, 2005). Un second exemple provient d’Espagne. La Confederación Sindical de Comisiones Obreras y a mis en place un centre de référence sur les énergies renouvelables grâce à des fonds du gouvernement régional de Navarre, de différentes agences gouvernementales et de programmes européens. Ce centre, qui emploie deux techniciens et un administrateur, joue un rôle d’information, de promotion et de consultation sur les énergies renouvelables. Il s’est rapidement imposé comme une référence en matière d’information sur les énergies renouvelables.

S’inscrire dans la construction de nouvelles normes et règlements

Les organisations syndicales sont des partenaires reconnus et légitimes dans le dialogue social et elles peuvent agir dans la construction de nouvelles normes. En Europe, les syndicats ont été invités à s’exprimer dans le livre vert sur l’énergie renouvelable présenté en mars 2006 par la Commission des communautés européennes[30]. En 2005, l’État espagnol a instauré une plate-forme de dialogue tripartite avec les syndicats et les représentants patronaux pour coordonner l’application du protocole de Kyoto. Ce positionnement permet aux organisations syndicales d’influencer la construction du cadre institutionnel qui encadrera le développement durable. Ainsi, les syndicats belges ont négocié pour introduire des critères sociaux dans la mise en place des MOC et MDP pour la réduction des gaz à effet de serre nationaux[31]. Dans la création de nouvelles normes, l’OIT et la CSI ont accepté de participer, selon des conditions privilégiées, au processus d’élaboration de la norme ISO 26000 au sein de l’organisation internationale de normalisation ISO. En effet, l’OIT avait développé sa propre norme de responsabilité sociale avec la déclaration tripartite sur les entreprises multinationales[32] et, pour accepter de participer à une initiative qui pouvait paraître concurrente, elle a obtenu le droit d’utiliser un moratoire dans les discussions sur l’ISO 26000. Dans la construction de cette norme, ces organisations ont fait en sorte que les droits des travailleurs soient inscrits dans le document de la norme de RSE ISO 26000[33].

Exprimer sa position dans la société civile et les médias

Par cette approche, on distingue deux tendances. La première consiste à agir, comme le font de nombreuses autres organisations, en ayant recours à des campagnes de sensibilisation et d’action. La deuxième propose d’assurer un contrepoids face aux positions des groupes patronaux ou des gouvernements. En effet, les organisations syndicales disposent de ressources auxquelles n’ont généralement pas accès les autres organisations non gouvernementales.

Les actions d’information et de sensibilisation

Les syndicats les plus actifs sur un plan environnemental ont entrepris des actions en matière environnementale au-delà du contexte des relations de travail afin de sensibiliser l’opinion publique. Fort de plus de 6 millions d’adhérents, le syndicat japonais RENGO met à profit sa présence dans les milieux de travail pour mener des campagnes de sensibilisation dans la société, comme la Light Diming qui encourage à éteindre les lumières pendant deux heures ou l’Eco-bag contre l’utilisation de sacs plastiques. Dans la même veine, au Canada, le SCFP propose un concours d’affiches illustrant le Jour de la Terre. Aussi, en France, lors du démantèlement du McDonald’s de Millau en 2003 qui dénonçait la « malbouffe », la Confédération paysanne, jusqu’alors relativement peu connue du grand public, a réussi à sensibiliser une partie de l’opinion publique française sur des enjeux tels que l’agriculture biologique, locale et traditionnelle et le recours aux hormones de croissance et aux organismes génétiquement modifiés (OGM) dans certaines filières de l’agriculture traditionnelle[34].

Assurer un contrôle indépendant

En comparaison avec d’autres organisations, les syndicats bénéficient d’une certaine indépendance tant vis-à-vis de l’État que de l’industrie, en même temps que de moyens leur permettant de jouer un rôle de contre-pouvoir face aux entreprises par rapport à l’impact environnemental de ces dernières. On assiste actuellement à une prolifération des normes et des standards, généralement volontaires, adoptés par les entreprises en matière environnementale et sociale (Waddock, 2008) qui rend l’importance d’un contrôle indépendant d’autant plus critique. Dans ce domaine, il est regrettable que la présence d’organisations syndicales demeure timide. Comme le souligne Dwight Justice, responsable des Entreprises multinationales à la CSI : « […] le danger que le comportement des entreprises soit contrôlé par une industrie privée de consultants qui sont à la fois juges et employés des entreprises est extrêmement important[35]. » Pour exercer une fonction de contrepoids, les organisations syndicales peuvent compter non seulement sur leur indépendance, mais aussi sur une connaissance fine du contexte juridique et sur des ressources pour mener des enquêtes de grande ampleur. Ainsi, en France, la Confédération générale du travail (CGT) et le groupe Alpha ont mené une étude sur l’application de la loi NRE (Nouvelle Régulation économique)[36]. Cette loi oblige les grandes entreprises cotées en bourse à Paris à rapporter annuellement les conséquences environnementales et sociales de leurs activités économiques. Au Canada, le SCEP, qui possède un plan « Vigie Kyoto », surveille la mise en place des engagements de Kyoto au Canada.

Les approches de partenariat

À partir de notre étude, nous avons identifié quatre formes d’action syndicale en matière environnementale (Adopter le développement durable au sein de l’organisation syndicale, Construire le développement durable sur les lieux de travail, Transformer les règles du jeu et Exprimer sa position dans la société civile et les médias). Dans cette section, nous mettons en avant la nécessité de travailler en partenariat pour transformer ces quatre formes d’action en réalité. Si les partenariats avec l’État, le secteur public et les autres syndicats sont plus « naturels » pour le mouvement syndical, les partenariats avec des ONG et avec le patronat représentent un potentiel à développer.

Les partenariats qui impliquent le patronat sur le lieu de travail

Au sein de la CSN, le comité environnement de l’usine Cascades de pâtes et papiers à Lachute est une structure multipartite impliquant la direction de l’usine et le comité local de la CSN. De telles initiatives existent également dans des secteurs comme la métallurgie, et le commerce. D’ailleurs, la Fédération du commerce au sein de la CSN a proposé, lors de son congrès en juin 2009, « que les syndicats [soient] invités à nommer un responsable en environnement » afin de développer l’autonomie des syndicats. Ces initiatives gagneraient à être mieux coordonnées pour favoriser le transfert des savoir-faire. À l’intérieur même de la Confédération, des outils (guides, formations, site web, etc.) peuvent être développés pour favoriser l’apparition et la gestion de tels partenariats.

Les partenariats qui impliquent les différents niveaux de l’État

On observe comment l’État crée des lieux pour le dialogue social où les syndicats sont naturellement invités comme interlocuteurs sur ces questions. Par exemple, en Espagne, l’État a mis en place une plate-forme tripartite de négociation avec les représentants des entreprises et les syndicats pour tenter de minimiser les impacts sociaux liés à la mise en application du protocole de Kyoto. Dans le cadre des Green Workplaces, l’État britannique a fourni au TUC le financement initial à travers le Carbon Trust Fund pour le « verdissement » des lieux de travail. En Belgique, après quelques années d’existence intersyndicale, le groupe RISE est financé en partie par la Région wallonne et par l’Union wallonne des entreprises (UWE).

Les partenariats intersyndicaux

On trouve ce type de partenariat au niveau national, comme en Belgique ou en Espagne, et au niveau européen avec Sustainlabour. Ces plates-formes intersyndicales ont plusieurs avantages. D’abord, elles permettent la mise en commun de ressources pour réaliser des initiatives qu’une fédération seule peinerait à mener. Ensuite, la création de structures stables assure une certaine pérennité aux initiatives environnementales. Enfin, ces plates-formes créent de la confiance auprès d’autres secteurs de la société qui peuvent s’y associer. À titre d’exemple, dans une entrevue, Emily Simons, cadre à l’OIT, souligne l’importance pour tous les syndicats de ne pas laisser des organisations privées comme l’industrie de la consultation ou les organismes de normalisation accaparer le développement durable.

Partenariats avec des ONG

On trouve finalement peu d’exemples de partenariat avec des ONG. On peut citer l’accord entre la CFE et Max Havelaar. La CFE permet à cette organisation de proposer des produits issus du commerce équitable dans ses comités d’entreprise. Autre exemple, l’association entre le syndicat allemand DGB et Greenpeace pour étudier les effets bénéfiques sur l’environnement de la rénovation de 300 000 logements en Allemagne. La CSN a déjà établi des partenariats entre Greenpeace et le secteur forestier ainsi qu’avec Oxfam-Québec pour les questions associées au commerce équitable, ainsi qu’avec le Centre régional d’emploi (CRE) de Montréal, Eau-secours ou, encore, la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, autour des questions minières. Jusqu’à présent, nous avons observé que ces partenariats sont ponctuels et qu’ils s’organisent en fonction de questions d’actualité. Ils gagneraient à être intégrés dans une logique stratégique cohérente.

Partenariats multipartites

Enfin, les organisations syndicales ont le potentiel de contribuer à la transition vers une économie verte, comme le montre l’alliance Apollo aux États-Unis. Créée en 2001 par la sénatrice Maria Cantwell, le président international de United Steelworkers, Leo Gerard, le membre du Congrès Jesse Jackson Jr et Carl Pope, directeur général du Sierra Club, cette alliance vise à établir l’indépendance énergétique des États-Unis ainsi que le développement d’alternatives énergétiques plus propres et plus efficaces. Ses membres sont issus des entreprises, des organisations environnementales et de plus de 30 syndicats. Harry Reid, du Nevada, leader de la majorité démocrate au Sénat (depuis 2007), a reconnu le rôle central de l’alliance Apollo dans la création de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 (aussi connu comme le plan de relance)[37].

Conclusion

L’objectif de cet article était de cartographier les initiatives syndicales en matière d’environnement. À partir de la collecte et de l’analyse de données primaires et secondaires, nous avons identifié quatre formes complémentaires d’action syndicale en matière environnementale qui représentent des pistes d’action vers une réflexion stratégique des organisations syndicales en matière environnementale. Tant cette réflexion que ces pistes d’action et d’engagement sont indispensables à un moment de crise économique, financière et environnementale.