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Introduction

À l’heure de l’accélération qui caractérise l’Anthropocène sur les plans technique, social et des rythmes de vie, la désynchronisation des temps professionnels (Giotto, 2021), la question de la condition humaine et de la vie (survie) des êtres humains, ensemble, sur la planète se pose. La pandémie de coronavirus a sans doute marqué le pas et provoqué de nombreuses réflexions sur l’Homme et sur son rapport au monde, à l’espace et au temps, mais aussi sur son rapport à lui-même et aux autres (Morin, 2020). En France, le confinement de mars à juin 2020 a renforcé l’importance de la numérisation dans les activités humaines, notamment, dans le domaine de l’éducation.

À l’annonce du premier confinement et de la fermeture des établissements scolaires en France, à compter du 16 mars 2020, la « communauté éducative est sidérée » (Bonnéry et Douat, 2020) et va devoir réaliser la « continuité pédagogique » prévue par le ministère de l’Éducation nationale. Les circulaires ministérielles relatives au « plan de continuité pédagogique »[1], prenant en compte l’épidémie de coronavirus (pas encore nommée « pandémie »), donnaient des directives aux enseignants dans le cas d’absence prolongée des élèves malades, afin d’assurer la poursuite des enseignements à l’aide d’outils numériques. Une catégorie professionnelle est absente de ces circulaires, les conseillères et les conseillers principaux d’éducation (CPE) exerçant dans les établissements scolaires du second degré. Les missions des CPE consistent essentiellement à faire le lien dans l’établissement entre les différents acteurs (personnels de direction, enseignants, élèves, assistants d’éducation, etc.) et à veiller au bien-être des élèves, en assurant leur encadrement quand ils ne sont pas physiquement dans une salle de classe avec une enseignante ou un enseignant (Condette, 2013). Or, le confinement et l’enseignement à distance contraint remettent l’exercice de ce métier en question. Comment les CPE ont-ils continué d’exercer leur métier à distance? Comment ont-ils maintenu une « présence à distance » auprès des élèves et de leurs familles? Comment se caractérise, dans ce contexte, la présence professionnelle des CPE? En quoi la situation de confinement et le suivi à distance remettent-ils en question l’éthique professionnelle des CPE?

Autant de questions auxquelles notre recherche, effectuée entre mai et septembre 2020 auprès de CPE, tente d’esquisser des réponses. Comme le soulignent Douat et Michoux (2020), le télétravail pour les CPE « constitue une rupture d’autant plus nette pour celles et ceux qui assurent d’habitude l’essentiel de leurs heures dans l’établissement, et la plupart du temps dans une relation directe avec les élèves » (p. 59). Si notre étude corrobore ce que l’enquête de ces auteurs a montré concernant « la division du travail éducatif dans le secondaire » (Ibid., p. 66) en temps de crise, dans cet article, nous nous focaliserons plus précisément sur la présence que les CPE ont exercée à distance, cette présence professionnelle étant entendue dans sa dimension éthique (Prairat, 2015) et relationnelle (Depraz, 2011). Notre approche amène un angle de vue permettant de préciser comment s’exerce le coeur du métier de CPE, soit le suivi des élèves.

Dans un premier temps, nous présenterons les liens entre les missions professionnelles instituées des CPE et l’éthique professionnelle, à partir de la définition de celle-ci et des travaux existants sur ce métier. Dans un second temps, nous définirons l’éthique relationnelle et la présence professionnelle, telles que nous les entendons relativement à l’attention et à la vigilance portées à autrui dans la rencontre. Cette approche sera complétée et nuancée par la prise en compte de ce que les évolutions contemporaines marquées par le numérique entraînent dans les relations, et plus spécifiquement dans le domaine de l’éducation. Dans un troisième temps, après avoir présenté le cadre méthodologique de notre recherche, nous verrons comment les CPE ont maintenu une présence professionnelle à distance, auprès des élèves et de leurs familles, pendant le premier confinement du printemps 2020. Enfin, nous aborderons les limites et les prolongements de notre étude.

1. Des missions à l’éthique professionnelle des CPE

Le métier « polymorphe » de CPE (Condette, 2013), spécificité française, se situe actuellement « entre héritage et nouvelles professionnalités », en référence au titre du n° 49 de la revue Carrefours de l’éducation de juin 2020 qui lui est consacré, et n’existe que dans les établissements scolaires du second degré (collèges et lycées). Depuis la circulaire de 1982[2], le travail des CPE s’inscrit dans le cadre général de la vie scolaire et est défini en ces termes, dans la circulaire de 2015[3] : « Placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective et d’épanouissement personnel ». Selon cette dernière circulaire, les responsabilités des CPE, sous l’autorité du chef d’établissement, « se répartissent dans trois domaines : la politique éducative de l’établissement, le suivi des élèves et l’organisation de la vie scolaire ». Les missions des CPE s’appuient aussi sur le référentiel de compétences du 1er juillet 2013, dans lequel sont répertoriées, en plus des compétences communes aux personnels de l’éducation, huit compétences spécifiques des CPE,[4]. Parmi celles-ci, quatre concernent l’accompagnement et le suivi des élèves et sont marquées par la coopération avec d’autres professionnels (C5 à C8) : « accompagner le parcours de l’élève sur les plans pédagogique et éducatif; accompagner les élèves, notamment dans leur formation à une citoyenneté participative; participer à la construction des parcours des élèves; travailler dans une équipe pédagogique »[5].

Ces missions et ces compétences spécifiques font du métier de CPE un métier de la relation humaine. Comme pour tout métier de cette catégorie, cela suppose de s’interroger sur l’éthique professionnelle. Dans la mesure où nous sommes dans une société séculière au centre de laquelle se trouve l’individu, où il est sujet de lui-même (Paul, 2021), la question d’une posture éthique dans l’accompagnement se pose d’autant plus fortement. Or, l’accompagnement de l’élève est au coeur du travail du CPE (Mikaïloff, 2020), de même que l’écoute en constitue le « coeur de métier », comme le souligne Favreau (2020). D’autres chercheurs s’intéressant à ce métier mettent en évidence deux caractéristiques principales : d’une part, le rôle de médiateur et de facilitateur dans les relations au sein des collectifs dans l’établissement (Dupeyron, 2020; Mikaïloff, 2020; Rouillard et Chauvigné, 2020) et, d’autre part, celui d’accompagnant des élèves et de leurs familles, mais aussi des enseignants (Burdin, 2020; Delahaye, 2020).

À ce titre, il nous parait pertinent de nous interroger sur l’éthique qui anime ces professionnels de l’éducation. Comme le précise Prairat, « l’éthique est, pour nous modernes, essentiellement souci d’autrui; ce qui encore une fois n’exclut pas le souci de soi » (2019, p. 349). Ainsi, si l’éthique est sous-tendue par un souci, une attention à autrui, cela suppose, dans les métiers de la relation que sont les métiers de l’éducation, une « réflexion sur le sens du travail, les valeurs professionnelles et les finalités des actions » (Desaulniers et Jutras, 2016, p. 4). Ainsi l’éthique guide les actions, elle oriente les comportements, « l’éthique est praxis » (Prairat, 2019, p. 350). Prairat insiste sur la dimension partagée de l’éthique professionnelle, « tournée vers autrui », elle est « une manière d’être et de se conduire dans un espace-temps professionnel, et elle est partiellement objectivée sous forme de normes et de recommandations partagées » (2019, p. 351).

Dupeyron (2020) met en avant « la richesse de l’expérience vive des CPE » au-delà des missions mentionnées dans les circulaires institutionnelles, qui lui permet d’affirmer que le fait d’« être CPE donne beaucoup à penser et à ressentir » (Ibid. p. 68). « Métier en tensions » (Favreau, 2016) et présentant des « torsions éthiques » (Dupeyron, 2020), son sens semble se trouver dans « l’engagement éthique “de proximité” » que représente « la relation à l’élève, le suivi des itinéraires des “décrocheurs” et des élèves en difficulté, l’accompagnement du désarroi de certains parents, la solidarité entre collègues » (Ibid. p. 71). Ainsi, au-delà des missions énumérées dans les textes officiels régissant le métier de CPE, une éthique professionnelle se dessine, centrée sur l’accompagnement d’autrui (élèves, parents, enseignants) et sur la vigilance que les CPE exercent quant aux difficultés sociales et psychologiques que peuvent rencontrer les élèves et leurs familles. En ce sens, ils sont, selon Delahaye et al. (2009) et Delahaye (2020), un maillon essentiel du système éducatif pour lutter contre les inégalités sociales et les difficultés scolaires qu’elles peuvent engendrer. Cette dimension éthique de la relation à autrui et la présence que cela nécessite nous amènent à préciser maintenant comment nous situons notre approche en termes d’éthique relationnelle et de présence.

2. L’éthique relationnelle et la présence

À l’instar de Depraz (2011), précisons ce que signifie le fait d’« être en relation » avec quelqu’un, au-delà de l’expérience d’un contact ou d’une rencontre, et ce qui définit « l’éthique relationnelle ». Il s’agit de « créer un lien avec cette personne unique, ce qui donne à autrui le sentiment d’exister, c’est-à-dire jamais ne lui laisser une impression de solitude, à savoir d’abandon » (Ibid. p. 163). Cette définition a son origine dans la pensée d’Yvan Borzsormeny-Nagy (Michard et Shams Ajili, 1996), cité par Depraz : « Toute relation humaine serait sous-tendue par une vigilance à la réciprocité. Dans chaque lien humain se poserait la question du don, de son retour, du mérite acquis par un souci de l’autre, comme des dettes et des obligations contractées. » (p. 163)

Nous retenons que l’éthique relationnelle contient le souci de l’autre, la réciprocité dans la rencontre faite d’attentes de part et d’autre. Cette définition de l’éthique relationnelle se trouve mise en oeuvre, comme nous le montrerons plus loin, par les CPE dans l’exercice de leur métier et, notamment, en situation de confinement. Ainsi définie, l’éthique relationnelle suppose une qualité de présence à autrui dans l’instant et dans la singularité de la rencontre. À l’heure de la numérisation des relations humaines, comment cette présence se manifeste-t-elle? Comment les professionnels de l’éducation que sont les CPE font-ils preuve de présence auprès des personnes avec lesquelles ils sont en relation, en période de confinement?

Poché (2021) nous invite à examiner les différentes modalités de la présence, dans les situations d’enseignement à distance et en présentiel, et, selon l’auteur, « être présent à soi, à l’autre, à l’environnement dans lequel on se trouve ne constitue aucunement une évidence » (p. 184). Il existe, en effet, de nombreuses acceptions du terme « présence ». Il peut s’agir de l’attention portée au moment présent, vécu, et à la situation dans laquelle on se trouve. La présence peut être aussi physique (corps en présence). Cependant, dans ce cas, l’esprit des individus peut s’absenter de la situation. C’est ce que constatent souvent les professionnels de l’éducation qui demandent, en classe, aux élèves : « Sois présent à ce que tu fais! Fais attention à ce que je te dis! ». La vigilance et l’attention portées à la situation vécue, à soi et à autrui, dans l’instant, sont alors des variables ou des indicateurs de la qualité de la présence. Si je suis présente ou présent à l’autre dans la relation, mon attention est-elle tournée vers cet autre, vers moi-même ou puis-je être attentive ou attentif alternativement à l’autre et à moi-même?

Dans notre recherche sur l’exercice du métier de CPE pendant le confinement lié à la COVID-19[6], nous adoptons cette approche phénoménologique de la relation entre les CPE et leurs interlocuteurs. Si nous parlons d’interlocuteurs, nous pointons une modalité particulière de présence qui suppose un échange verbal, mais la présence peut ne pas s’accompagner d’échanges de paroles, d’autant plus si la présence est physique, d’autres types de messages non verbaux, à travers les distances entre les corps, les gestes, les mimiques du visage, les regards sont autant de modalités de présence. Quelles sont les perceptions autres que verbales, dans un échange à distance?

Avec les outils numériques de communication à distance, permettant non seulement d’entendre mais aussi de voir la ou les personnes avec qui nous communiquons, la dichotomie présence/absence est réexaminée, de même que l’ordre normatif qui lie la présence et le lieu de la rencontre, l’espace physique dans lequel elle a lieu (Poché, 2021; Licoppe, 2012). Il convient alors de considérer le contexte, à la suite de Poché (2021), et ses différentes dimensions (« circonstancielle, institutionnelle, interactionnelle et présuppositionnelle » (Ibid. p. 186). Or, parmi ces dimensions, seul le contexte circonstanciel est attaché à un présent incarné et lié à la matérialité du lieu, tandis que les autres existent même sans présence effective des interlocuteurs dans un même lieu matériellement délimité. Les modalités de présence (« axiologique », « dispositionnelle » et « mémorielle ») rattachées à ces différents types de contexte font appel aux valeurs et aux normes intériorisées par les acteurs. Ces modalités dépendent de la place de chacun induite par le cadre des échanges (par exemple entre enseignant et élèves) et des attentes et des informations que chaque acteur convoque intérieurement pour comprendre la situation actuelle d’échange. Or, ces modalités sont présentes dans un échange, même si les corps ne sont pas situés dans un lieu identique au moment de la rencontre. Qu’en est-il réellement, dans le cas de communication à distance, sans visuel, par téléphone par exemple, avec des élèves? Comment ces modalités de présence ont-elles été vécues et éprouvées par les CPE, durant le confinement?

Ce sont ces différentes modalités de présence à soi, à l’autre et à la situation d’échange que nous nous proposons d’étudier à partir des données recueillies dans notre recherche auprès des CPE, sur leur travail pendant le confinement de mars à juin 2020.

3. Comment les CPE maintiennent-ils une présence professionnelle à distance?

3.1. La méthodologie de la recherche

La recherche, entamée au moment du premier confinement en France, s’intéresse aux CPE et à la poursuite de l’exercice de leur métier après la fermeture des établissements et pendant le confinement généralisé du printemps 2020. Choisissant une approche qualitative, nous avons commencé par une phase exploratoire, à l’aide d’un questionnaire diffusé en ligne, suivi d’entretiens semi-directifs effectués à distance entre mai et septembre 2020 (première vague). Cette recherche s’inscrit dans un projet émergent régional plus large « Covid et Vulnérabilités Éducatives » (COVED), financé par la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (MESHS) des Hauts-de-France (Lille) et piloté par le Centre Amiénois de Recherche en Éducation et Formation (CAREF) de l’Université de Picardie Jules Verne. Ce projet regroupe plusieurs équipes de chercheuses et de chercheurs, de l’Université de Lille et de l’Université de Picardie Jules Verne, sur des thématiques différentes mais convergentes sur l’étude de la continuité pédagogique. Après la première série d’entretiens, une deuxième vague d’entretiens s’est déroulée en septembre 2021 avec les personnes volontaires de notre échantillon initial. Ces entretiens étaient axés sur l’année scolaire 2020-2021, marquée par la crise sanitaire de COVID-19 et des conditions particulières de fonctionnement des établissements scolaires.

Dans cet article, nous présentons l’analyse d’une partie des entretiens semi-directifs de la première vague, en nous focalisant sur toutes les activités que les CPE ont menées à distance pendant le confinement, sur ce qui concerne le maintien d’une présence professionnelle auprès des élèves et des familles.

Nous avons effectué 46 entretiens semi-directifs (annexe 1), à distance : 30 ont été réalisés entre mai et juillet 2020 et 16 en septembre 2020, enregistrés puis retranscrits en intégralité. Ces entretiens visaient à comprendre comment les CPE avaient travaillé pendant cette période de confinement, comment s’organisait leur journée de travail à distance, à leur domicile ou, pour certains, dans leur établissement (cas des CPE logés ou des permanences sur le lieu de travail en l’absence des élèves et des professeurs). Certaines questions portent sur la manière dont ils ont vécu cette période sur les plans personnel, professionnel et familial, et la façon dont s’est déroulée la reprise du travail en établissement après la fin de la période de confinement (fin mai ou début juin 2020, selon les régions et les types d’établissement). Afin de recueillir le point de vue subjectif des personnes interviewées, par une approche phénoménologique, les questions posées lors des entretiens semi-directifs étaient des questions ouvertes incitant la personne à décrire son vécu, pendant la période du premier confinement. Ainsi, la question introduisant le développement de ce vécu était assez large et visait l’exercice du métier de CPE : « Pendant le confinement, comment avez-vous travaillé? », puis « Pourriez-vous me décrire une journée de travail pendant le confinement? ». Nous avons voulu aussi demander quels étaient les changements perçus par les personnes interviewées (« Par rapport à votre travail habituel, quels sont, selon vous, les changements liés à cette période? »). Ensuite, les questions portaient plus précisément sur les relations entretenues avec les différents acteurs avec lesquels les CPE travaillent habituellement (élèves, parents d’élèves, cheffes et chefs d’établissement, autres professionnels comme la ou le psychologue de l’Éducation nationale, l’infirmière, l’assistante sociale, etc.) et prenaient la forme suivante : « Pendant cette période de confinement, comment avez-vous vécu les relations avec…? »

3.2. L’analyse des entretiens et les résultats

Les données recueillies à l’aide des entretiens sont analysées à partir de thématiques identifiées dans les verbatim, en procédant par recoupements et par comparaisons. Ainsi, quatre thématiques saillantes retiennent notre attention : 1) les pratiques opérationnelles des CPE (types de tâches accomplies, moyens techniques utilisés, recours à d’autres partenaires selon les situations rencontrées), 2) l’organisation professionnelle lors du confinement (moments de travail à domicile, outils utilisés), 3) la présence professionnelle (communication avec les élèves, les familles et les autres professionnels, fréquence de cette communication, vécus et ressentis exprimés de ces moments) et 4) l’éthique professionnelle (éléments importants pour la personne, moments forts émotionnellement, valeurs exprimées). Pour les besoins de cet article, nous choisissons de présenter les résultats obtenus concernant la présence professionnelle et l’éthique des CPE exerçant en collège[7]. Les extraits de verbatim choisis représentent les tendances massivement rencontrées dans les données sur la manière dont la présence professionnelle a pu s’exercer auprès des élèves et de leurs familles.

Tableau 1

Caractéristiques des CPE cités[8][9][10]

Caractéristiques des CPE cités8910

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Au regard des missions du CPE et des questions posées lors des entretiens (voir Annexe 1), la présence professionnelle des CPE est repérable, selon nous, à partir des indicateurs suivants : la communication avec les membres de la communauté éducative (parents d’élèves ou représentants, élèves, partenaires professionnels dans et hors de l’établissement) et la fréquence de pratique de cette communication quelles qu’en soient les modalités (appels téléphoniques, utilisation de la correspondance numérique).

À partir des données de notre corpus, nous étudions de quelle manière se manifeste la présence professionnelle des CPE auprès des membres de la communauté éducative avec lesquels elles et ils sont en relation, dans le cadre de leurs missions. Les passages des entretiens choisis, consacrés aux échanges avec les élèves et avec les parents d’élèves, relatent, dans l’après-coup du premier confinement, une part de la présence professionnelle que les CPE ont exercée à distance. Les témoignages sur lesquels nous nous appuyons sont ceux de CPE exerçant en collège, dans des contextes diversifiés et différentes académies. Comme le soulignent Douat et Michoux (2021), les CPE ne sont « pas explicitement mobilisés (ni même cités) par les pouvoirs publics ». Cependant, parmi les personnes que nous avons interviewées, plus de la moitié dit avoir anticipé la fermeture des établissements.

Donc le jeudi soir, ça été annoncé et je crois que le vendredi matin, je suis venue à 7 h alors que je commence plutôt à 8 h 15 d’habitude, pour que justement, on anticipe avec l’équipe de direction les éventuelles angoisses des élèves, des familles, comment on allait communiquer, se mettre bien d’accord sur le discours qui devait pas du tout être inquiétant justement de notre part, et prendre en charge l’organisation numérique parce qu’on n’était pas prêts.

Sylvie

Cet extrait témoigne de la situation de sidération, relevée par Bonnéry et Douat (2020), dans laquelle se sont retrouvés les personnels de l’Éducation nationale à l’annonce, le 12 mars 2020, de la fermeture de tous les établissements scolaires et du confinement généralisé en France. Dans cet extrait s’expriment aussi deux des rôles du « métier polymorphe » de CPE (Condette, 2013), le « rôle de coordonnateur, d’organisateur » (Ibid., p. 114) mais aussi celui « de médiateur et de conciliateur » (Ibid., p. 113) qui est ici anticipé. Il est à noter aussi que la CPE fait état des médiations qui la préoccupent vis-à-vis des élèves et des familles, mais qu’elle ne mentionne pas les enseignants. Cependant, nous avons constaté, dans tous les entretiens auprès des CPE exerçant en collège, qu’elles et ils ont joué un rôle important auprès des enseignants, non seulement en lien avec le suivi de la continuité pédagogique (suivi de l’assiduité des élèves et du rendu des travaux), mais aussi, dans quelques cas, sur le plan de l’assistance technique liée à l’utilisation des outils numériques. Le « souci d’autrui » dont fait preuve ici Sylvie vis-à-vis des élèves et des familles, relève de l’éthique professionnelle au sens où la définit Prairat (2019).

Pour certaines équipes d’établissement, la volonté d’anticiper et de mettre en place un suivi, depuis l’établissement, n’a pas pu être réalisée :

On s’est retrouvés le vendredi 13 – grosso modo hein – à organiser la fermeture de l’établissement pour la semaine suivante. Donc en plus, moi c’est un jour où je n’étais pas dans l’établissement normalement[11]. Je suis revenu dans l’après-midi pour me coordonner avec tout le monde, mais… en gros, le vendredi a été consacré à faire le tour des élèves et vérifier que tous les élèves pouvaient se connecter à un ordinateur, avec Pronote[12], etc. Il a fallu tout faire dans la journée, considérant que le matin même, à 7 h 30, deux classes de 5e revenaient d’un séjour de sports d’hiver. Donc pour eux… enfin, les organiser, c’est encore plus compliqué. Et on a très vite organisé un planning où on pensait qu’on aurait en gros un CPE et deux AED[13] présents dans l’établissement chaque jour pour assurer une sorte de permanence, et le temps qu’on organise ça, on apprend derrière que tout le monde est confiné et que donc… en fait, il n’y aura pas de permanence dans l’établissement.

Jean-Marie

Dans ces deux extraits, comme dans 25 des 27 témoignages recueillis en collège, le rôle des CPE et des équipes de vie scolaire, au début du confinement, a été de s’assurer que les élèves pourraient se connecter et utiliser les outils numériques à distance, permettant la mise en oeuvre de la continuité préconisée par l’institution. Ces deux extraits illustrent un aspect de la présence professionnelle dont ont fait preuve les CPE, lors du confinement de mars 2020, dans le sens où les CPE, se préoccupant des élèves, tentent d’anticiper la manière dont ils pourront participer à cette continuité, dans l’intérêt des élèves, et en lien étroit avec une éthique professionnelle caractérisée par le « souci d’autrui » (Prairat, 2019). L’anticipation que relatent les CPE dans ces extraits illustre la manière dont leur métier est un « métier en tensions » (Favreau, 2020), la tension s’exprime ici entre l’injonction institutionnelle (assurer la continuité pédagogique) et l’opérationnalisation de celle-ci sur le terrain.

Au début du confinement, de nombreuses familles n’avaient pas le matériel informatique nécessaire (pas d’ordinateur pour chaque enfant ou des ordinateurs obsolètes, pas de connexion internet permettant de suivre une classe virtuelle), et, parfois, quand un matériel était à disposition de l’enfant, ni lui ni d’autres membres de sa famille n’avaient les compétences nécessaires pour utiliser l’espace numérique de travail, la messagerie électronique, les logiciels de traitement de texte, etc. Ces situations sont systématiquement évoquées par les CPE exerçant en réseau d’éducation prioritaire (REP) comme c’était le cas également des collèges situés en zone rurale (Douat et Michoux, 2020). De nombreux élèves, selon les interviewés, ne disposaient que de leur téléphone portable comme outil numérique connecté. Quelques-uns des CPE interviewés ont témoigné de prêts de tablettes, effectués grâce au soutien de certaines collectivités territoriales ou de certaines associations locales, notamment en REP. Nous constatons ici, à l’instar de Condette (2013), les « fonctions plurielles » du métier de CPE (p. 112). En effet, au-delà de l’accompagnement et du suivi des élèves, sur le plan scolaire, les CPE ont dû, pendant cette période, assurer une tâche nouvelle, soit celle d’assurer les moyens logistiques permettant aux élèves de suivre les cours à distance, à l’aide d’outils numériques. Ces actions concrètes illustrent le maillon essentiel que sont les CPE dans la réduction des inégalités sociales et les difficultés scolaires qu’elles peuvent engendrer, comme le souligne Delahaye (2020), cité plus haut.

Cependant, au-delà des dépannages techniques relatifs aux outils numériques et à leur maîtrise, les CPE mettent l’accent sur le lien social plus que pédagogique maintenu avec les familles. Assurer un lien social avec les parents d’élèves et avec les élèves eux-mêmes est l’un des rôles que les CPE ont endossés, pendant le confinement, pour maintenir une présence professionnelle auprès des élèves et de leurs parents. Cette tendance apparait dans tous les entretiens de notre corpus. Si ce lien social avec les élèves fait habituellement partie des missions des CPE et de leur métier, en revanche, cette action de soutien auprès des parents d’élèves est moins fréquente en temps ordinaire. Dans plus de la moitié des entretiens, les CPE rapportent des situations dans lesquelles ils ont permis à certains parents de se sentir soulagés et relayés dans la tâche de faire travailler leurs enfants adolescents à la maison, comme le relate, par exemple, Jean-Marie :

Les dialogues qu’on avait au téléphone… enfin j’avais le sentiment qu’ils avaient une utilité. Alors ils avaient une utilité sociale, ils n’avaient pas forcément une utilité pédagogique. […] ces moments où j’appelais les parents pour savoir si ça se passait bien, dans un premier temps, ils sont contents d’avoir quelqu’un au téléphone. Dans un second temps, quand on commence à parler du travail du gamin, on sent que ça se crispe un peu. Et au moment où je leur disais : « bah écoutez, passez-le-moi » ou « passez-la-moi », […] là, je sentais un soulagement. Sur le mode… complètement implicite hein, mais sur le mode « ouf, j’ai un relais, j’ai un relais ».

Nous avons constaté la nécessité ressentie par les CPE de devoir parfois apaiser les relations entre parents et enfants, au téléphone, que nous analysons comme l’expression d’une présence professionnelle auprès des familles. Conformément à ce que Dupeyron (2020) souligne, les CPE font preuve d’un « engagement “de proximité” » auprès des élèves et accompagnent, même à distance, le « désarroi de certains parents » (Ibid. p. 71).

Donc, il y a eu aussi la possibilité de rassurer les jeunes, de réconforter, de dédramatiser les choses et réconforter aussi les familles parce que c’était aussi très compliqué pour elles. On a aussi été un petit peu cette parole bienveillante et ce soutien à travers les contacts qu’on pouvait avoir, voilà. Je me souviens. […] Et on a eu souvent justement des enfants un petit peu paniqués quand on les appelait, ils nous disaient : « mais comment je vais pouvoir vous joindre? Comment je… », d’un air de dire : « mais si on a besoin de vous, comment on fait? ».

Didier

Dans tous les entretiens recueillis, la présence professionnelle s’est manifestée par une attention particulière apportée à certains élèves, individuellement ou collectivement, et cela a parfois pris le pas sur la vie personnelle des CPE, comme ce fut le cas de Sylvie, pourtant mère de deux enfants de 8 et 6 ans :

Au final, le professionnel a beaucoup empiété sur le personnel, il y avait pas vraiment de barrière horaire, ce qui faisait que ça pouvait durer très tard, que les élèves moi m’ont sollicitée. J’ai animé des visio individuelles puisque les élèves ils étaient contents quand on faisait des visio à deux ou à trois, on invitait un autre copain le dimanche, c’est arrivé le samedi soir, enfin voilà, quand ils étaient dispo et qu’ils avaient besoin. […] quand ils commençaient à demander à avoir un rendez-vous, je savais que ce n’était pas la semaine d’après quoi. Donc, il y a des choses qu’on a vraiment faites par souci et par implication, que je n’aurais pas forcément fait sur une semaine classique de travail en présentiel.

Dans cet extrait, nous relevons que les temporalités entre vie professionnelle et vie personnelle se sont mêlées pendant le confinement, ce qui a été le cas de nombreuses personnes contraintes de travailler à distance. Il semble que les espaces n’étant plus distincts entre le travail et la vie personnelle, les temporalités se « désynchronisent » (Giotto, 2021). Pour cette CPE, c’est bien le souci de l’autre et son implication auprès des élèves qui l’amènent à maintenir le lien avec eux, à répondre à leurs sollicitations et à leurs demandes.

La présence professionnelle que les CPE auraient souhaité exercer auprès des élèves n’a pas pu être mise en oeuvre en raison du manque de moyens de communication avec les familles, comme le relate Sylvain : « on s’est rendu compte qu’énormément de numéros de téléphone étaient faux ». Mais cette liaison téléphonique avec les familles a ses limites, comme le soulignent Sylvain (« certaines familles se sont senties harcelées ») et Jean-Marie, dans l’extrait suivant :

Mais comme les enseignants suivaient leur travail, si moi je décidais par exemple de regarder, untel s’est pas connecté depuis tant de temps, je lui téléphone, et que je me retrouve à être la huitième personne à téléphoner aux parents dans la même journée, il y a de quoi déclencher des drames à la maison!

Ces derniers extraits soulèvent la question de la présence professionnelle exercée par les CPE lors du confinement, quand les lieux et les temporalités ne sont plus les mêmes que d’ordinaire. Nous voyons ici l’expression des « torsions éthiques » (Dupeyron, 2020) auxquelles les CPE sont confrontés. Si, pendant cette période, les CPE ont déployé une nouvelle dimension de « l’adaptabilité du métier » (Condette, 2013), exerçant une présence professionnelle en privilégiant les outils de communication, tels que le téléphone ou la visioconférence, celle-ci a pu paraître trop prégnante pour certaines familles. Cela remet en question l’éthique professionnelle des CPE : quelle « bonne distance » préserver pour ne pas être intrusive ou intrusif dans la vie des familles?

Par ailleurs, les CPE étant habitués à communiquer en personne avec les élèves dans l’établissement, plusieurs des CPE interviewés se sont sentis limités dans leur capacité de présence quand elles et ils ne pouvaient utiliser que le téléphone. Aussi, pouvons-nous noter que, pour ces CPE, le contexte dans lequel se situe la rencontre avec l’élève ou les élèves, et donc la présence, a son importance, à plusieurs niveaux. Pour reprendre la typologie des contextes proposée par Poché (2021), il semble que les modalités de présence liées aux contextes « institutionnel », « interactionnel » et « circonstanciel » (p. 188) soient importantes pour que les CPE exercent leur présence professionnelle. La modalité incarnée de la présence (les corps en présence) mais aussi la modalité axiologique (normes et valeurs intégrées par les personnes en présence) ont une importance dans l’exercice de ce métier de la relation comme en témoignent les extraits d’entretiens suivants :

J’estime que l’éducation ne se fait de personne à personne, mais physique, il faut qu’on se voie. Il faut que l’adolescent crée du lien et pour moi, on ne crée pas du lien de manière virtuelle. Et on ne pourra pas enlever cette image de l’école qui est un lieu et pas l’école à distance.

Sylvain

Ce qui a changé, c’est que je n’avais pas les élèves en face à face. […] c’est un métier du relationnel, on fait ce métier-là pour être en contact avec eux et être en présence. Parce qu’évidemment, on passe à côté de choses en n’étant pas avec eux tous les jours.

Sylvie

Si vous voulez, quand vous avez des enfants qui vous balancent de façon brutale leur quotidien, leurs difficultés, on n’a pas les mêmes capacités à interagir que quand on est en présentiel, quand on reçoit l’élève pour discuter, où il vous fait part de ses difficultés assez, de façon des fois très intime. C’est compliqué.

Didier

D’après ces extraits de verbatim, il semble que les circonstances aient provoqué chez les CPE une certaine déstabilisation dans leurs pratiques professionnelles, concernant le suivi des élèves. Les modalités de la présence identifiées par Poché (2021) leur paraissent moins saisissables qu’en présence face à face avec les élèves.

Il y a des choses qu’on fait physiquement. Ce n’est pas juste parler aux gens. Il y a toute la communication verbale qu’on peut avoir. Et puis, à un moment donné, on accompagne du geste, on pose, on montre, alors que là, on n’a aucune prise. Je veux dire, on peut, dans un entretien en face à face, on peut exiger des réponses de l’interlocuteur. On peut dire à un moment donné « tu me regardes et tu me dis oui ou non ». Au téléphone, on ne peut pas faire ça. Ou si on essaye de faire, enfin c’est tout bête, je n’ai pas essayé de le faire au téléphone, mais je pense que c’était dangereux de le faire au téléphone. On ne sera pas présent une fois que le téléphone sera raccroché […] dans mon bureau, un gamin peut crier, un gamin peut pleurer, un gamin peut me parler de travers, on pourra gérer. Là, au téléphone avec ses parents, enfin si je le rends à ses parents, monté sur pile électrique, je ne leur aurai pas rendu service, ou si je mets le parent sur pile électrique, ça n’ira pas bien non plus.

Jean-Marie

À la lumière de ces témoignages, l’éthique professionnelle des CPE concernant la présence à l’autre, notamment à l’élève, semble étroitement liée aux enjeux relationnels inhérents à leurs fonctions, qui sont aussi intégrés par les élèves. Nous documentons, avec ces témoignages, la question de la présence et du contexte que soulève Poché (2021) : « il convient de regarder ce que l’on perd lorsque s’opère une distorsion espace/lieu […] et que la relation passe par la médiation de la technique » (2021, p. 188). Ici, nous voyons que le seul lien téléphonique avec les élèves et les parents d’élèves ne permet pas aux CPE de s’assurer, dans la mesure du possible, de la manière dont les interlocuteurs vont percevoir les interactions. Dans ce cas comme « devant l’écran », comme le souligne Rosa (2018), cité par Poché (2021), « nous ne sommes pas engagés de toute notre personne dans l’espace dans lequel nous interagissons » (p. 189). Il s’agit là d’un « risque d’appauvrissement », lié au fait que « les relations au monde (…) se réduisent à un seul canal de résonance » (Rosa, 2018, p. 106, cité par Poché p. 189).

Ainsi, le confinement a été une mise à l’épreuve concernant le suivi des élèves, considéré comme le « coeur du métier » par la majorité des personnes interviewées, car les modalités de la présence professionnelle étaient à repenser, voire à réinventer, comme l’ont fait plusieurs CPE, en proposant des activités innovantes pour « créer du collectif » :

Et après, j’ai commencé, au bout de 15 jours, en collaboration avec la professeure-documentaliste à envoyer des défis qui consistaient à se mettre en scène ou à présenter un livre ou à faire une recette de cuisine de façon à garder en fait la convivialité qui peut exister dans la scolarité d’un enfant, et à créer des données en ligne qui n’étaient pas scolaires pour vraiment rester sur la vie d’un élève, d’un ado.

Sylvie

Et puis, avec la vie scolaire, nous avons créé une petite gazette pour créer, pour garder le lien du collectif, pendant toute la période de confinement. Et puis, nous avons fait, comme beaucoup d’établissements, une petite vidéo de soutien aux élèves.

Nathalie[14]

En collège, la moitié des CPE interviewés nous ont fait part d’innovations qu’ils avaient réalisées au moment du confinement. Il reste à savoir si celles-ci ont perduré l’année suivante. Cela fait partie des prolongements envisagés de cette recherche, que nous pourrons mener grâce aux entretiens réalisés en septembre 2021 auprès des mêmes personnes et concernant l’année 2020-2021.

Conclusion

À travers les entretiens semi-directifs effectués auprès de CPE exerçant en collège, il apparaît que « l’adaptabilité du métier » (Condette, 2013, p. 115) ne s’exprime pas seulement dans la capacité de ces professionnels à s’adapter aux réformes institutionnelles. En effet, dans le cas d’un confinement généralisé et de la fermeture des établissements scolaires, cela s’est traduit par le fait de continuer d’exercer une présence professionnelle auprès de élèves et des familles. Si cette présence professionnelle a été anticipée dès l’annonce de la fermeture des établissements, souvent, sa réalisation opérationnelle n’a pas pu être mise en place, ce qui a nécessité de nouveau une adaptation de ses modalités d’exercice par les CPE. Cette présence professionnelle s’appuie sur une valeur essentielle, le souci d’autrui, qui est la base de l’éthique professionnelle des CPE, tant envers les élèves qu’envers leurs parents. Pendant le confinement du printemps 2020, les CPE ont eu à coeur de maintenir un lien social et de recréer du collectif entre les élèves, aussi important à leurs yeux que la continuité pédagogique. Il semble que l’éthique professionnelle subjective ait pris le pas sur la dimension institutionnelle (Poché, 2021) de la présence. Le confinement aurait-il modifié certaines modalités de la présence à autrui? Au-delà de la « désynchronisation des temps professionnels » (Giotto, 2021), nous assistons à un brouillage de la « matérialité spatiale » (Poché, 2021), des dimensions et des modalités, de la présence. Ce sont autant de facteurs qui nécessitent une réappropriation des schèmes d’action professionnelle chez les CPE, portés, semble-t-il, par la prégnance de l’attention à autrui. Ce phénomène s’est parfois traduit par des actions innovantes et créatives, à l’aide des outils numériques, permettant de recréer à distance l’appartenance à un collectif pour les élèves.

Les résultats présentés ici montrent des tendances de la manière dont les CPE, pendant le confinement, ont modifié leurs pratiques, dans le but de maintenir une présence professionnelle sous-tendue par une éthique d’attention à l’autre centrée sur le bien-être des élèves et des parents. Ces tendances chez les CPE exerçant en collège s’observent-elles en lycée? En complément de cette recherche, il serait intéressant de recueillir le point de vue des élèves et des familles pour cerner les effets des actions des CPE.

Une autre part des données recueillies reste à analyser afin d’explorer d’autres aspects de la présence professionnelle, notamment, à travers l’étude des relations avec les autres professionnels avec lesquels travaillent les CPE (chefs d’établissement, psychologues scolaires, acteurs territoriaux). Comment ces relations ont-elles pu se maintenir pendant le confinement, au service des élèves et de leurs familles?

En prolongement, nous envisageons, dans le cadre du projet COVED, financé par la MESHS de Lille, de rapprocher notre étude de celle menée auprès des chefs d’établissement. D’autres prolongements sont envisagés concernant les CPE exerçant en lycée et, notamment, l’étude des modalités de présence professionnelle qui ont été mises en oeuvre auprès d’élèves plus âgés que ceux qui sont scolarisés en collège.

Si le maintien de la présence professionnelle des CPE auprès des familles a été possible pendant la période de confinement du printemps 2020, ce résultat est à nuancer car il est conditionné au fait que les familles aient été joignables, au moins par téléphone. En effet, et notamment en réseau d’éducation prioritaire, environ 10 % des élèves (Douat et Michoux, 2021) n’ont pas pu être contactés et ne sont « réapparus » qu’à la rentrée suivante au collège.

Enfin, du fait que les entretiens ont tous été menés dans l’après-coup du premier confinement, les CPE interviewés ont exprimé des réflexions qu’ils ont eues sur cette période singulière, en termes de conception du métier et, parfois, de regard que d’autres acteurs ont porté sur celui-ci. Ce point est un élément que nous envisageons d’étudier de manière plus fine dans les verbatim. Il semblerait que cette parenthèse particulière dans la vie professionnelle ait provoqué une certaine réflexivité sur le métier, sur le rôle et sur les fonctions des CPE et qu’elle ait redéfini « des priorités du métier, davantage orientées vers la prise en compte du point de vue des élèves et de leurs conditions de scolarisation » (Douat et Michoux, 2021) face à une tendance actuelle, ressentie par les CPE, de management de l’établissement plus soucieux d’une gestion administrative optimisée que du bien-être des élèves à l’école.