Relais[Notice]

  • Élisabeth Nardout-Lafarge

Prendre la direction d’une revue au moment où, dans cette pratique ritualisée d’autocommentaire qu’analyse ici même Michel Lacroix, elle célèbre son 50e anniversaire, incite à réfléchir à la question, si souvent posée par la critique actuelle, de l’héritage et de sa responsabilité. Cette analyse le montre avec acuité, l’histoire de la revue Études françaises est liée de manière large au développement de l’institution littéraire québécoise, à la transformation de l’Université, aux reconfigurations de la discipline et aux variations de ses rapports avec la théorie, mais aussi, de manière plus étroite, au destin du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Pour les professeurs qui, comme moi, ont été recrutés au début des années 1990, alors que la génération fondatrice et du département et de la revue, y était encore en fonction et, pour parler la langue de la sociologie, y détenait encore le pouvoir symbolique, hériter s’est d’emblée présenté comme notre première tâche. Si, pour ma part, venant de l’Université McGill et de plus loin encore, j’ai pu me réfugier dans l’illusion d’une certaine bâtardise, nous avions là des maîtres, pères surtout et mères aussi, dont il nous fallait être dignes, que nous devions tenter d’égaler et de dépasser, de reconnaître et d’effacer comme il en va toujours de cette économie du legs. Peut-être était-ce encore plus vrai des québécistes parmi nous, comme permet de le comprendre l’étude que propose ici Martine-Emmanuelle Lapointe. Par-delà les expertises diverses et les choix théoriques, par-delà les corpus (alors que littérature québécoise et littérature française communiquaient aussi bien dans les programmes que dans les spécialisations individuelles), par-delà les questions de chacun, la marque propre du département consistait dans une sorte d’esthétique de la lecture comprise comme le rapport vivant d’un sujet lecteur avec un texte, une herméneutique pour laquelle tous les chemins méthodologiques étaient permis, mais qui devait se réaliser dans l’écriture d’une lecture. L’essai, dès lors, plus qu’« une pente » ou « une tentation », était un horizon. On nous le reprochait d’ailleurs, hors les murs. Or, en même temps, l’obtention de subventions de recherche s’imposait, avec l’autorité de l’évidence, comme l’une des premières exigences d’un poste à l’université. Nous ferions donc les deux : concevoir des projets, réunir des équipes et, à la mesure de nos possibilités, écrire, « maintenir, comme l’écrit Michel Lacroix du mandat que s’étaient donné les premiers directeurs de la revue, l’exigence conjointe du rattachement au discours du savoir et du non-enfermement dans la seule logique de ce discours ». Hériter aura voulu dire pour nous concilier une certaine tradition essayistique que nous admirions avec ce qui était alors le nouveau — et l’obligatoire — mode de fonctionnement de la recherche. Nous aurons navigué entre ceux qui nous disaient que nous vendions notre âme et ceux qui nous menaçaient de non-existence universitaire. Martine-Emmanuelle Lapointe montre comment a évolué à Études françaises la place ménagée, depuis sa création, à la littérature québécoise. Après avoir contribué à la « faire » dans les années 1965-1970, la revue en traite désormais à l’égal de toute littérature, revenant périodiquement sur quelques-uns de ses textes les plus forts à l’occasion de « relectures », intégrant ses oeuvres à des dossiers thématiques où elles croisent d’autres corpus et dialoguent avec eux. Certes, comme le souligne encore Martine-Emmanuelle Lapointe, il ne s’agit plus de fonder, de légitimer ni même de définir une spécificité, mais sommes-nous pour autant, tout à fait quittes avec un souci plus particulier de cette littérature ? L’institutionnalisation d’une littérature, si florissante qu’elle soit, n’assure à elle seule ni la vie des textes littéraires ni le renouvellement …

Parties annexes