Corps de l’article

Introduction

Dans les années 1980, l’archéologie au Nunavik a pris un tournant décisif. Jusque-là, elle avait été développée par des archéologues de l’extérieur du Québec, une réalité qui s’était intensifiée dans les années 1960-1970. Les fouilles archéologiques se faisaient alors presque exclusivement avec des étudiants universitaires. On pense, entre autres, aux travaux d’Elmer Harp (Dartmouth College) et de Patrick Plumet (Université du Québec à Montréal) (Martijn 2002; Plumet 2002). Quelques archéologues avaient aussi intégré des Inuit dans leur équipe de fouilles, mais cela demeurait rare (p. ex., Taylor 1968[1]). Seule exception à cette façon de faire l’archéologie, Daniel Weetaluktuk, un archéologue originaire d’Inukjuak qui contribua à lancer l’idée de développer une archéologie adaptée aux besoins des Nunavimmiut[2] à partir de 1977. Malheureusement, il mourut dans un accident en 1982 (Kemp 1982; McCartney 1984). Weetaluktuk proposait ce que l’on appelle maintenant « l’archéologie communautaire », une façon inclusive de faire de la recherche en impliquant la communauté (p. ex. Marshall 2002). Comme l’explique Gendron (2015: 60), « le principe de l’archéologie communautaire est très simple: il s’agit de mettre l’archéologie au service des personnes vivant sur le territoire afin de les mettre en contact avec leur passé lors de l’excavation de sites anciens ».

À l’occasion de la première conférence des aînés du Nunavik en 1981, il fut décidé que l’Institut culturel Avataq, qui venait d’être constitué comme organisme culturel des Inuit, devrait s’occuper de l’archéologie. Plus particulièrement, Avataq aurait « […] la responsabilité de […] rapatrier les articles et matériaux qui manifestent la culture inuite » (Avataq Cultural Institute 1983: 86). Deux ans plus tard, en 1983, la conférence donnait un mandat plus détaillé concernant l’archéologie:

1) Représenter les intérêts des Inuit pour toute question liée à la recherche archéologique; 2) Consulter les communautés inuites pour la formulation de politiques dans le domaine de l’archéologie pour toute recherche archéologique projetée près d’une communauté donnée; 3) Entreprendre la formation d’Inuit dans le domaine de l’archéologie afin de compléter les connaissances des aînés, et d’aider à l’obtention et à l’utilisation des fonds; 4) Établir des relations soutenues avec les archéologues du Sud, les gouvernements et autres, afin d’en arriver à une politique qui assurerait qu’un maximum des bénéfices de ce domaine resterait dans le Nord et feraient partie de l’héritage des Inuit.

Avataq Cultural Institute 1985: 245-246

C’est finalement en 1985 qu’Avataq embaucha son premier archéologue et que le Département d’archéologie fut créé. Grâce au travail innovateur de Daniel Weetaluktuk et à la vision des aînés de l’époque, depuis 30 ans, Avataq est devenu un pionnier de la recherche archéologique autochtone au Canada. S’il est vrai qu’il y a eu du progrès dans tous les aspects du mandat qui lui a été confié, la formation des Inuit à l’archéologie est un élément qui mérite une discussion approfondie. À travers la présentation du projet Sivunitsatinnut ilinniapunga (« Pour notre futur, je vais à l’école »), qui s’est déroulé entre 2013 et 2015, nous allons examiner divers sujets qui permettent de discuter du succès de l’implication d’Avataq dans la formation à l’archéologie.

Pour comprendre en quoi consistent les écoles de fouilles d’Avataq, nous utiliserons l’exemple de celles effectuées au site Kangiakallaq-1 (JeGn-2) en 2011 et 2013. Après cette description, nous allons voir comment le projet Sivunitsatinnut ilinniapunga s’est ajouté aux activités de l’école de fouilles en 2013 et quel effet cela a eu sur les étudiants et la communauté d’Akulivik. Nous présentons les outils et les principes utilisés ainsi que les étapes suivies. Enfin, nous discutons des résultats obtenus dans la perspective de l’évolution des écoles de fouilles au Nunavik. Cela nous permet d’explorer des pistes d’amélioration pour l’avenir ainsi que de traiter de la contribution possible de l’archéologie à l’élaboration d’une éducation propre aux Inuit.

Une archéologie inuit à Akulivik

Les écoles de fouilles d’Avataq sont basées sur une formation pratique à l’archéologie s’adressant principalement aux jeunes des écoles secondaires (généralement âgés de 13 à 18 ans). Bien qu’il arrive parfois que des jeunes d’autres communautés soient invités, la majorité du temps ce sont les jeunes de la communauté la plus proche du site qui sera fouillé qui participent à la fouille.

En 2010, Pierre Desrosiers a visité la communauté d’Akulivik dans le cadre du projet de recherche Sivulitta inuusirilaurtangit atuutilaurtanigillu (« Le temps et l’espace chez les Inuit du Nunavik »)[3]. L’objectif était de connaître les intérêts des habitants pour le développement d’une recherche archéologique dans les environs de leur communauté et pour la conduite d’une école de fouilles. Après une réunion avec la municipalité et la Corporation foncière Qekeirriak, il a été recommandé de travailler avec Simon Makimak, un aîné du village. Nous avons invité les gens à venir nous rencontrer pour nous parler des endroits qu’ils considéraient intéressants pour l’archéologie. Nous avons ainsi récolté de nombreux témoignages et avons réalisé un inventaire archéologique guidé par M. Makimak. À la suite de ces travaux et de cette consultation, il a été déterminé que le site Kangiakallaq-1 présentait un intérêt particulier pour les gens d’Akulivik en plus d’être facilement accessible et de permettre l’établissement d’un campement. Il fut donc décidé d’établir l’école de fouilles à cet endroit. Celle-ci se déroula en 2011 et en 2013 (Avataq Cultural Institute 2013, 2015).

L’école de fouilles

Kangiakallaq-1 (JeGn-2) est à moins de 15 minutes en bateau de la communauté d’Akulivik, sur l’île Qikirtajuaq aussi connue comme l’île Smith (Figure 1). Le site est composé d’habitations hivernales paléoesquimaudes légèrement creusées. Il a ensuite été réoccupé par les Thuléens-Inuit[4] qui y ont construit des maisons semi-souterraines hivernales. Le site avait été visité en 1949 par Manning (1951) qui y fouilla partiellement une maison semi-souterraine contenant des artéfacts dorsétiens et thuléens-inuit. En 2011, deux maisons semi-souterraines furent fouillées: une dorsétienne et une thuléenne-inuit (Avataq Cultural Institute 2013). En 2013, la fouille de cette dernière s’est poursuivie (Avataq Cultural Institute 2015).

Une vingtaine de personnes faisaient partie de l’équipe de l’école de fouilles, dont neuf étudiants inuit en 2011 et 12 en 2013 (Figure 2). Le camp était sous la responsabilité d’un chasseur-guide aîné travaillant avec un assistant. Ces derniers s’occupaient de la sécurité, du transport et de l’approvisionnement en eau et en gibier. Une cuisinière d’Akulivik faisait aussi partie de l’équipe. Le camp incluait une grande tente cuisine et une tente laboratoire autour desquelles la vie s’organisait.

L’essentiel de la formation donnée aux jeunes est centré sur la fouille archéologique et dure un mois. Bien que la participation des jeunes à toutes les activités soit encouragée, celle-ci n’est pas obligatoire et s’organise en fonction des intérêts de chacun. Une des premières réalisations est l’arpentage à l’aide du théodolite et de la triangulation pour diviser l’espace en mètres carrés (Figure 3D). La fouille est l’étape suivante; les étudiants apprennent alors comment mettre à jour les artéfacts tout en les laissant en place (Figure 3A). Les sédiments sont récoltés dans un seau, tamisés à l’eau et les refus de tamis résultants sont conservés pour être triés plus tard (Figure 3B). Demeurés in situ dans le carré de fouille, les artéfacts doivent ensuite être dessinés sur un plan à l’aide d’un cadre à dessin (Figure 3C). Il reste ensuite la prise de photos et le carré est prêt pour le relevé des artéfacts.

Le relevé est une étape fastidieuse: un numéro est donné à l’objet sur le plan et les coordonnées sont prises avant que l’objet ne soit retiré et placé dans un sac avec une étiquette contenant toutes les informations. Ce relevé est souvent fait en équipe, avec un étudiant qui collecte les artéfacts, un qui remplit les étiquettes et deux autres qui manipulent le théodolite et la mire pour la prise de l’élévation. Lors de cette étape, les étudiants sont initiés aux techniques de conservation sur le terrain. En effet, certains objets fragiles en matière organique sont placés dans des blocs de tourbe afin d’en préserver l’humidité. Ils seront par la suite traités en laboratoire ou par des spécialistes au retour du terrain.

Chaque soir, les artéfacts et les résidus tamisés sont acheminés dans la tente servant de laboratoire. Les artéfacts sont classés et les résidus séchés, puis les étudiants apprennent à reconnaître les fragments qui peuvent y être trouvés. Le tri se fait habituellement par journée de mauvais temps; ils ont alors la chance de rester sous la tente pour travailler dans le laboratoire.

Figure 1

Localisation de la communauté d’Akulivik

Localisation de la communauté d’Akulivik

Image modifiée d’après Google Earth

-> Voir la liste des figures

Les formations et les activités connexes

L’école de fouilles est constituée de cours incluant une introduction à l’archéologie et à l’histoire de l’occupation humaine dans l’Arctique (Figure 4A). À l’aide de photos historiques et de cartes, notre chasseur-guide (un aîné de la région) participait avec des présentations sur l’histoire de la région et la toponymie (Figure 4B). Nous proposions également des activités incluant des formations sur des sujets connexes à l’archéologie. Par exemple, lors d’une petite excursion avec les géographes qui collaboraient à nos recherches, les jeunes ont appris à reconnaître diverses formations géomorphologiques, la présence d’anciennes terrasses marines et les stries glaciaires. Ils ont aussi été initiés à l’étude des bois flottés. Ces connaissances pratiques leur permettent de jeter un regard nouveau sur leur environnement (Figure 4C). En plus de ces formations, chaque jour, un étudiant est désigné pour participer aux activités de chasse et de pêche avec le chasseur-guide.

Un des responsables de l’école de fouilles en 2011 et en 2013 était Tommy Weetaluktuk (archéologue chez Avataq). Étant un archéologue inuk avec une formation universitaire, ce dernier est un modèle pour les étudiants et il parle aux jeunes en inuktitut. En 2013, nous avions aussi avec nous Jessica Kotierk, une spécialiste inuk de la conservation[5]. Chaque jour un étudiant pouvait travailler avec elle pour être initié aux techniques de conservation (Figure 4D). De plus, en 2011, Willie Kumarluk, un aîné d’Umiujaq et collaborateur d’Avataq depuis 2004, a partagé sa passion de l’archéologie avec les jeunes en participant au projet.

Durant la fouille, nous recevons régulièrement des visiteurs et les jeunes sont encouragés à leur expliquer ce qu’ils font et à leur montrer les découvertes. Après la fouille, nous organisons une exposition des artéfacts au village et nous demandons aux jeunes d’être présents pour montrer des objets et des photos ainsi que pour expliquer les outils utilisés en archéologie (Figure 5).

Figure 2

Les participants de l’école de fouilles du site Kangiakallak-1, été 2013

Les participants de l’école de fouilles du site Kangiakallak-1, été 2013

De gauche à droite, derrière: Dominique Todisco, Sébastien Lafrance, Laina Anautak, Najat Bhiry, Tommy Weetaluktuk, Juanasi Qaqutuk, Annie-Pier Trottier, Jrène Rahm, Ruth Mienert, Jessica Kotierk, Elsa Cencig et Pierre M. Desrosiers; devant: Simon Echalook, David Anauta (Anautak), Timangiak Novalinga, Louisa Aullaluk, Laura Aliqu, Jeannie Qinuajuaq, Simionie Damon Qinuajuaq, Ittuvik Anautak et Sandy Qungisiruk (Archives Avataq 2-2013-2-D-998)

-> Voir la liste des figures

Figure 3

Les activités de fouilles

Les activités de fouilles

A) Un étudiant (au centre) apprend les rudiments de la fouille à un nouvel étudiant (à droite). Une étudiante (à gauche) a apporté sa tablette sur la fouille afin de prendre en photo ses découvertes (Archives Avataq 2-2013-2-D-1409). B) Une étudiante tamise à l’eau des sédiments archéologiques (Archives Avataq 2-2013-2-D-355). C) Dessin des artéfacts in situ (Archives Avataq 2-2013-2-1727). D) Utilisation du théodolite (Archives Avataq 2-2013-2-D-1367)

-> Voir la liste des figures

Figure 4

Les activités connexes

Les activités connexes

A) Pierre Desrosiers donne un cours sur l’histoire de l’occupation humaine dans l’Arctique (Archives Avataq 2-2013-2-D-988). B) Joanasi Qaqutuk fait une présentation sur l’histoire de Qikirtajuaq et de la région d’Akulivik (Archives Avataq 2-2013-2-D-980). C) Randonnée des étudiants avec Najat Bhiry (Université Laval), observation de stries glaciaires (Archives Avataq 2-2013-2-D-1539). D) Apprentissage des principes de base pour le nettoyage des artéfacts sous la tente laboratoire avec Jessica Kotierk (Archives Avataq 2-2013-2-1726)

-> Voir la liste des figures

Sivunitsatinnut ilinniapunga (« Pour notre futur, je vais à l’école »)

Le projet Sivunitsatinnut ilinniapunga a été façonné par le désir du Département d’archéologie d’Avataq d’aller plus loin dans son engagement avec les étudiants. En effet, les premières écoles de fouilles d’Avataq, de 1985 à 1988, ont d’abord encouragé les jeunes à poursuivre des études en archéologie. Entre 1988 et 1995, peu d’écoles de fouilles ont été réalisées faute de financement. À partir de 1995, la reprise des écoles de fouilles a coïncidé avec un élargissement du mandat: encourager les jeunes à poursuivre leurs études sans privilégier une orientation professionnelle (Daniel Gendron, com. pers.[6]). L’idée était d’utiliser l’archéologie pour encourager les jeunes à poursuivre leurs études. Il y eut un autre moment décisif en 2002 et 2003, à l’occasion de l’école de fouilles sur le site de Tayara (KbFk-7) près de la communauté de Salluit. En collaboration avec la Commission scolaire Kativik et l’Université McGill, un programme de formation de 10 jours pour les enseignants inuit du Nunavik s’est ajouté à l’école de fouilles des jeunes (Gendron 2007). Ce projet a donné d’excellents résultats: « Les étudiants se réjouissent de pouvoir se pencher ainsi sur leur histoire et leur culture anciennes et apprécient particulièrement l’approche pratique et concrète du cours […]. Pasha Putayuk [a] fait profiter ses élèves du secondaire de son expérience » (Kativik School Board 2003-2004: 103). Un des constats du travail avec les jeunes sur le site de Tayara (2002-2003, 2005-2006) est qu’il fallait trouver des façons d’améliorer le suivi après la fouille. Le Département d’archéologie d’Avataq voulait accompagner les étudiants un peu plus loin dans leur cheminement en archéologie.

Figure 5

Exposition au gymnase de l’école Tukisiniarvik d’Akulivik à la fin de la fouille de 2013

Exposition au gymnase de l’école Tukisiniarvik d’Akulivik à la fin de la fouille de 2013

A) Présentation PowerPoint du projet (Archives Avataq 2-2013-D-1150). B) Les visiteurs attendent patiemment en file et des étudiants répondant parfois spontanément aux questions (Archives Avataq 2-2013-2-D-1154)

-> Voir la liste des figures

En 2008, Avataq a créé une activité intitulée « La semaine de l’archéologie » en collaboration avec la Commission scolaire Kativik et l’appui financier de la Société Makivik et du projet ARUC Sivulitta inuusirilaurtangit atuutilaurtanigillu (McMullen et Epoo 2009). L’activité consiste à inviter six à huit étudiants de l’école de fouilles à passer une semaine à Montréal durant la relâche scolaire. Les objectifs visent, en particulier, à ce que les étudiants puissent comprendre ce qui arrive aux artéfacts après la fouille et à leur faire visiter les collèges offrant un programme pour les Inuit. En plus, cette semaine leur donne la possibilité de rencontrer des gens travaillant dans des musées et une université tout en découvrant des collections muséales. En 2014, nous en étions à la quatrième édition de cet évènement.

Un autre élément fut la création d’un album photo remis aux participants. Le premier fut réalisé en 2006 après la fouille du site de Tayara et, depuis, ces albums contiennent de plus en plus de contenu informatif. C’est finalement en 2012 que nous avons conçu le projet Sivunitsatinnut ilinniapunga afin d’aller encore plus loin dans nos démarches avec les étudiants de l’école de fouilles.

Ce projet communautaire fut intégré à la fouille de l’été 2013. Le projet était guidé par l’idée d’offrir aux jeunes Inuit la possibilité d’exprimer leur expérience à l’école de fouilles et de présenter leur point de vue au public par le biais d’une exposition photographique de type photovoice (Gray 2011; Mitchell 2011; Wang 2006). Ce genre d’exposition offre un vecteur permettant de donner pleine voix aux jeunes à travers des photos qui deviennent le récit. L’intérêt montré par ceux qui visionnent ces photos est un facteur important de valorisation. Ainsi, les jeunes contrôlent le message et l’expérience qu’ils veulent partager avec les autres (Delgado 2015). Pour cette réalisation, nous voulions également rejoindre d’autres jeunes de la communauté avec des activités connexes à l’école et les impliquer dans des thèmes plus larges, soit la communauté et l’environnement. Le projet devenait ainsi une entreprise commune avec les autres jeunes d’Akulivik guidée par quelques enseignants de l’école Tukisiniarvik.

Nous visions trois objectifs en partie inspirés par le rapport Improving access to University Education in the Canadian Arctic: Learning from past experiences and listening to Inuit student experiences (Lévesque 2012). Premièrement, nous voulions donner aux jeunes la chance de s’engager dans une exploration approfondie de la préservation du patrimoine culturel à travers un projet photographique (voir Wang 2006). Cela complétait le processus initié par la fouille archéologique, la découverte et la préservation des artéfacts ainsi que l’exposition de ces derniers dans la communauté après la fouille.

Deuxièmement, les activités visaient à élargir le réseau social des jeunes. L’école de fouilles, l’exposition d’artéfacts au village, « La semaine de l’archéologie » à Montréal et l’exposition de photos ont mis les jeunes en contact avec une diversité d’acteurs. En particulier, des enseignants, des étudiants (niveaux collégial et universitaire), des conservateurs de musée, des chercheurs en archéologie, en géographie et en conservation, ainsi que plusieurs personnes clés d’Avataq et d’Akulivik se sont impliqués dans les différentes activités. Nous désirions créer un rapprochement entre les jeunes, les membres de leur communauté et leurs aînés par le biais du partage avec eux d’une production originale et professionnelle. Le projet était centré sur la voix des jeunes à travers la photographie et les positionnait donc comme acteurs principaux dans le futur de leur éducation mais aussi comme médiateurs importants de leur communauté (Anuik et al. 2010). À ce sujet, le titre était évocateur: « Pour notre futur, je vais à l’école ». Donc, je vais à l’école non seulement pour moi, mais aussi pour le bien-être de ma communauté.

Troisièmement, nous désirions saisir comment un projet participatif, s’ajoutant à la fouille, pouvait fournir des pistes menant vers une éducation holistique et culturellement ancrée. Nous voulions tirer des leçons de cette expérience pour voir comment nous pourrions jumeler une éducation pratique sur le terrain avec des activités scolaires. Au centre du projet était la formation des jeunes durant l’école de fouilles, durant des activités scolaires et à travers un voyage éducatif dans le Sud de même que l’implication dans un projet participatif (une exposition dans un espace public). Voici d’ailleurs une brève description des quatre étapes du projet photo.

Première étape: activités durant la fouille

La fouille des archéologues est devenue la fouille des jeunes d’Akulivik. Ces derniers n’étaient pas seulement des étudiants mais aussi les membres d’une équipe responsable de contribuer à préserver et à documenter le patrimoine inuit. Le projet photo a renforcé une telle posture des jeunes comme agents de la réussite et a permis d’en faire un projet communautaire. Un tel ancrage s’inscrit dans une vision du monde holistique, qui implique des liens entre les aspects de la vie et le lieu. Ceci s’accorde bien avec une épistémologie inuit (Tagalik 2009). L’un des aspects de cette éducation est « son ancrage dans la pratique, un dispositif qui assure l’actualisation constante des traditions » (Laugrand 2008: 83). Cela était implicite durant la fouille que les jeunes étaient encouragés à photographier tout comme les activités qui leur semblaient illustrer les diverses étapes du travail. Toujours dans l’esprit d’un projet participatif de photovoice, les jeunes ont également documenté leur environnement par des photos de plantes, de coquillages et de paysages. Nous avons ensuite partagé les photos sur l’ordinateur et créé, avec l’application iComic, des montages d’images avec des commentaires aboutissant en pages de style photo-roman (Figure 7). Ces pages étaient ensuite diffusées sur le site Facebook Avataq Archaeology[7]. Nous avons également monté une présentation PowerPoint qui a été présentée pendant l’exposition organisée au village après la fouille.

Deuxième étape: suivi après la fouille

En novembre 2013, nous avons passé une semaine à l’école Tukisiniarvik à Akulivik. Pendant la journée, les archéologues Tommy Weetaluktuk et Pierre Desrosiers ont offert des ateliers d’initiation à l’archéologie au primaire et au secondaire (Figure 6C). Les élèves étaient aussi invités à examiner des artéfacts (Figure 6B). Une activité extérieure permettait de pratiquer le tir à l’aide d’un propulseur tel qu’il était autrefois utilisé par les Inuit pour la chasse (Figure 6A). Ces activités s’inspiraient de la littérature sur la médiation culturelle par des objets traditionnels qui offrent une manière de rétablir des liens avec la culture dans l’esprit de la décolonisation du curriculum (p. ex., Tulloch et al. 2012). Manipuler du matériel et participer à des activités traditionnelles offrent des occasions de tisser des liens avec l’histoire et la culture inuit (Gadoua 2014). La manipulation favorise la narration d’histoires centrées sur ces objets, ce qui conduit au partage des pratiques familiales des jeunes.

Le projet de photos s’est poursuivi sous la forme d’une activité parascolaire (Figures 6D, 7). Nous avons débuté en étalant sur des tables les photos prises par les jeunes lors de la fouille. Tous avaient la chance de les voir et de les regrouper de différentes manières, ce qui a amené les jeunes à partager entre eux des histoires et aventures de l’été précédent. Ensuite, ils ont sélectionné ensemble des photos qui, selon eux, représentaient le mieux la fouille archéologique, leur environnement et leur communauté. Nous avons tenté de stimuler un échange d’idées centrées sur les photos. Les jeunes étaient fiers de montrer leur vision du village, la beauté de leur environnement et leur participation à la fouille.

Figure 6

Semaine d’activités liées à la fouille archéologique, école Tukisiniarvik, novembre 2013

Semaine d’activités liées à la fouille archéologique, école Tukisiniarvik, novembre 2013

A) Activité de lancer du harpon à l’aide d’un propulseur (Archives Avataq 2-2013-3-1). B) Étudiant examinant un artéfact à la loupe (Archives Avataq 2-2013-3-2). C) Tommy Weetaluktuk expliquant les principes de l’archéologie à l’aide d’un dépliant (Archives Avataq 2-2013-3-3). D) Sélection de photos après l’école (Archives Avataq 2-2013-3-4)

-> Voir la liste des figures

En plus de nos jeunes fouilleurs, des enseignants ont participé en encourageant d’autres jeunes à s’engager dans la prise de photos dans la communauté avant notre arrivée. Ensuite, un travail a été réalisé en classe pour sélectionner les photos et noter les commentaires des étudiants. Nous avons tenté de garder la participation des jeunes au premier plan, ce qui a parfois demandé beaucoup de flexibilité de la part des adultes impliqués, mais qui en fin de compte a porté ses fruits. Chacune des 56 photos de l’exposition était prise par un jeune et collectivement choisie par consensus (voir Delgado 2015). Le projet a aussi mobilisé l’expertise des jeunes par rapport à la technologie, un vecteur important pour l’expression de soi selon Dorais (2011).

Figure 7

La création d’un photo-roman

La création d’un photo-roman

En haut: les jeunes travaillent ensemble pour créer des pages de photo-roman en utilisant iComic (Archives Avataq 2-2013-2-1728). En bas: exemple de pages produites par les étudiants (Archives Avataq 2-2013-2-1729)

-> Voir la liste des figures

Troisième étape: La semaine de l’archéologie et l’exposition au musée McCord à Montréal

« Le lancement de l’exposition était une des meilleures activités » (enseignant Randy McLeod, 2014)[8]. La préparation de l’exposition au Musée McCord à Montréal, prévue du 4 avril au 4 mai 2014, fut prise en charge par l’équipe de recherche en collaboration avec les graphistes d’Avataq. Pour cette étape particulière, il n’a pas été possible d’impliquer directement les jeunes en raison de la distance (Akulivik-Montréal) et de la faiblesse du réseau Internet. Cependant, l’inauguration de l’exposition a eu lieu dans le cadre de la semaine de l’archéologie, organisée par Avataq, en présence d’un groupe de jeunes ayant participé à la fouille ainsi que de trois de leurs enseignants et du maire d’Akulivik (Figure 8, en haut). Ce fut une soirée intéressante, autant pour nous comme chercheurs que pour les jeunes et les enseignants:

J’ai aimé le lancement, alors que les Montréalais étaient sur place […]. Les enfants étaient très silencieux, mais je pense qu’ils vivaient un moment très cool, voir la présence de tous ces étrangers intéressés par ce qu’ils ont réalisé […]. Je pense que ce qu’ils ont beaucoup aimé c’est leur intérêt pour eux […] à propos de ce qu’ils font, ou de ce qui fait partie de leur histoire […]. C’est valorisant […] ils sont venus voir des photos de chez moi, de ma terre, de choses qui sont importantes pour moi.

enseignant Randy McLeod, 2014

L’un des objectifs de l’exposition était de créer un espace de dialogue entre le Sud et le Nord — objectif bel et bien atteint à en juger par les nombreux visiteurs présents. L’exposition en elle-même permettait un retour sur le projet et les moments vécus par les jeunes, mais aussi un partage de ces souvenirs avec des visiteurs inconnus, comme l’a remarqué une enseignante: « Quand les jeunes regardaient les photos ensemble, ils se rappelaient ce qui c’était passé et cela les amenait à partager à nouveau leur expérience à travers des histoires » (Amber Furmidge, 2014).

L’observation d’un tel échange entre jeunes était intéressante pour ceux qui n’étaient pas présents pendant la fouille. La fierté et le sentiment d’empowerment vécu par les jeunes étaient évidents aussi pour les enseignants et les membres de la communauté, dont le maire d’Akulivik, Adamie Kalingo: « La communauté est très enthousiaste de voir ce qui a été fait avant leur époque » (in Rogers 2014, notre traduction). C’est ainsi qu’un projet de photovoice bénéficie non seulement aux participants, mais aussi aux autres gens de la communauté (Delgado 2015: 96).

Quatrième étape: Retour de l’exposition dans la communauté

Pour boucler le projet, l’exposition a été envoyée à Akulivik et remontée dans l’école Tukisiniarvik pour en offrir l’accès à la communauté de la fin mai à juin 2014 (Figure 8, en bas). En consultation avec les étudiants et les enseignants participants, de courts textes (anglais, français et inuktitut) expliquant chacun des thèmes avaient été préparés. Ils accompagnaient les photos durant l’exposition. L’école organisa une soirée porte ouverte qui fut un succès selon les deux enseignants impliqués:

Beaucoup de gens sont venus pour la voir, il y avait beaucoup d’intérêt pour ce que les jeunes ont fait, tout le monde est venu, tout le monde semblait avoir du plaisir, plusieurs personnes commençaient à lire les textes […].

Randy McLeod, 2014

Beaucoup sont venus voir les photos et étaient très fiers que cela ait été [aussi présenté] à Montréal, cette partie de leur monde avait été partagée.

Amber Furmidge, 2014

Cet évènement a généré localement une fierté chez les jeunes, mais aussi dans la communauté. La fouille et les photos ont conduit les jeunes et la communauté à s’engager ensemble dans un dialogue avec le passé, un processus qui s’est développé de manière collaborative. Comme l’a bien dit un enseignant: « Je pense qu’ils ont appris que leur histoire est importante et que c’est très important de comprendre leur histoire. Et je pense qu’ils ont adoré voir des choses du passé » (Randy McLeod, 2014). Les artéfacts et les photos ont facilité un dialogue avec l’histoire et contribué à une vision de l’avenir incluant possiblement un cheminement scolaire. Le projet a positionné les jeunes comme acteurs clés de la réussite.

Figure 8

En haut: exposition de photos au Musée McCord, Montréal, avril 2014 (Archives Avataq 2-2014-4-1). En bas: exposition à l’école Tukisiniarvik, Akulivik, mai 2014 (en bas, Archives Avataq 2-2014-4-2)

Photos par les membres de l’équipe

-> Voir la liste des figures

Discussion

Dans le développement de l’archéologie communautaire et inuit dans l’Arctique canadien, les Nunavimmiut ont réalisé un travail de pionniers depuis plus de trois décennies (Gendron 2015; Martijn 2002). Cette contribution demeure relativement peu connue de la part des archéologues pour plusieurs raisons. En particulier, concernant son développement de l’archéologie, Avataq vise essentiellement à rejoindre les communautés du Nunavik. Parmi les principaux médias utilisés, il y a les radios communautaires, la radio et la télévision régionale (Taqramiut Nipingat Inc.) et nationale (CBC North), les publications d’Avataq telles que Tumiivut et les Conférences des Aînés, ainsi que des médias d’actualité tels que Makivik Magazine. Notons toutefois que les archéologues d’Avataq partagent aussi les résultats de leurs recherches lors de conférences, dans des revues savantes et autres publications.

Comparée à d’autres formes d’archéologie communautaire, celle faite par Avataq se démarque dès l’étape de sa conception: au Nunavik, les Inuit engagent des archéologues pour réaliser une archéologie répondant à leurs besoins alors qu’ailleurs dans le Nord canadien, ce sont généralement les archéologues qui approchent des communautés autochtones pour développer une archéologie inclusive et donc communautaire. Malgré les spécificités du contexte, les démarches sont similaires, comme le suggère notre expérience à Akulivik comparativement à d’autres projets archéologiques (p. ex., Lyons et al. 2010; Rowley 2002). Le fait qu’Avataq soit un organisme régional nécessite la constitution et le maintien de relations avec les communautés locales. Qu’on travaille avec ou pour les Inuit, la différence se situe plus au niveau des retombées. Dans le premier cas (avec), l’effort sera souvent consacré à intellectualiser l’expérience, afin d’être présentée au milieu scientifique et parfois devenir un sujet de recherche en soi. Les archéologues poursuivent ainsi des objectifs multiples tels que faire progresser la recherche, publier les résultats, et, dans le cas d’universitaires, constituer un dossier de publications qui permettra l’obtention de nouvelles subventions et de poursuivre la formation d’étudiants. Dans l’autre cas (pour), le désir d’avoir des retombées concrètes dans la communauté est souvent l’une des principales sources de motivation (p. ex., éducation, emploi, connaissance et valorisation de l’histoire locale). Bien sûr, comme cet article l’indique, l’un n’empêche pas l’autre, et c’est peut-être ce que voulait dire Daniel Weetaluktuk en parlant d’archéologie parallèle.

Si la recherche régulière ne peut accommoder les besoins des Inuit, alors il devrait y avoir une recherche parallèle conçue à cette fin. Une telle conception permettrait aux participants inuit d’accéder aux concepts et aux objectifs de la recherche. Parallèle ne veut pas dire refaire la recherche, mais même si c’était le cas, cela en vaudrait la peine puisque les Inuit apprendraient quelque chose qu’ils peuvent appliquer pour eux-mêmes.

Daniel Weetaluktuk in Kemp 1982: 12, notre traduction

Dans notre introduction, nous avons énuméré les besoins mentionnés par les aînés pour l’élaboration d’une archéologie inuit au Nunavik. Parmi ces besoins, l’éducation est un élément majeur qui a motivé Avataq à développer des écoles de fouilles. Dans cette perspective, ce qui devient important n’est pas tant la fouille que ce que celle-ci nous permet d’accomplir avec les jeunes. Si nous utilisons des critères conventionnels, le bilan des écoles de fouilles paraîtra sans doute pauvre. De la première vague visant la formation d’archéologues inuit dans les années 1980, seul Tommy Weetaluktuk a poursuivi une formation universitaire, devenant l’unique archéologue professionnel originaire du Nunavik. Pour ce qui est d’encourager les étudiants à poursuivre des études postsecondaires à partir du milieu des années 1990, l’effet des écoles de fouille est difficile à mesurer. Nous savons que plusieurs dizaines de nos étudiants ont poursuivi des études collégiales ou des formations professionnelles. Dans les années 2000, trois jeunes Inuit ayant été employés par le Département d’archéologie d’Avataq ont poursuivi des études universitaires. Il demeure cependant difficile de déterminer si les écoles de fouilles ont eu une influence tangible sur la persistance à l’école de ces jeunes.

Toutefois, ce point de vue ne rend pas justice à ce qui a été véritablement accompli. Même si beaucoup n’ont pas persévéré dans les études, plus de 200 étudiants[9] provenant de presque toutes les communautés ont été sensibilisés à l’archéologie comme outil de préservation et de documentation du patrimoine culturel. L’assiduité scolaire ou le taux de diplomation des jeunes qui ont participé aux écoles de fouilles sont des indicateurs imprécis pour mesurer le succès. Un cadre d’évaluation autre que l’approche euro-occidentale pourrait être plus adéquat pour mesurer la réussite (BC Association of Aboriginal Friendship Centres 2010: 38). Il pourrait s’inspirer d’une approche fondée sur « le travail, la détermination, le courage, la résilience, la volonté, l’initiative, et l’espoir qui façonnent le quotidien des communautés autochtones » (Garakani 2015: 4).

Sous un tel angle, on peut évaluer les retombées différemment. Ainsi, même si la majorité des jeunes participants ont éventuellement cheminé à l’extérieur de l’école, cela n’a pas empêché plusieurs d’entre eux d’occuper des postes clés dans leur communauté par la suite. En plus, un nombre incalculable d’adultes ont participé au développement de l’archéologie, que ce soit en aidant avec le soutien logistique ou en agissant comme fouilleurs, en particulier durant les fouilles de sauvetage. Il y a aussi de nombreux aînés qui, par le biais de nos écoles, ont pu contribuer à la formation des jeunes, créant des ponts éducatifs intergénérationnels. Les aînés ont d’ailleurs été impliqués dans presque tous les projets de fouilles par Avataq (p. ex., par des entrevues, en tant que guides ou pour interpréter des vestiges). À plusieurs reprises, les recherches ont été réalisées suivant leurs demandes et leurs recommandations. Au fil des années, un réseau de collaborateurs s’est constitué, permettant de mieux planifier la préservation du patrimoine sur un vaste territoire. Ces personnes aident Avataq à enregistrer et à protéger des sites archéologiques. Ainsi, suivant le mandat d’éducation qui lui a été confié, une véritable archéologie inuit s’est développée en dehors des milieux universitaires.

Au Nunavik, de nombreuses associations, comme les comités culturels locaux, l’Unaaq Man’s association d’Inukjuak ou encore des projets chapeautés par les autorités locales, lancent des initiatives communautaires d’éducation informelle pour aider les jeunes, les responsabiliser, leur fournir un emploi et développer des compétences traditionnelles ou autres. Les écoles de fouilles d’Avataq s’intègrent parfois dans ces initiatives qui constituent des avenues à explorer pour continuer à améliorer la formation des jeunes.

L’éducation peut donc être abordée en dehors du système formel. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des écoles, avoir une vision holistique de l’éducation, c’est se servir des piliers communautaires, familiaux et scolaires dans le respect des pratiques inuit. C’est ainsi que la fouille d’un site archéologique peut devenir un lieu d’apprentissage, de mentorat et de transfert de connaissances intergénérationnelles. Mais l’une des principales limites de cette vision que nous avons des écoles de fouilles est l’absence de suivi. C’est pourquoi nous avons ajouté d’autres activités incluant des expositions d’artéfacts et de photos présentées par les jeunes fouilleurs dans la communauté, la production d’un album photo souvenir donné aux participants et une semaine de l’archéologie.

Soulignons ici que les enseignants ont l’occasion d’apprendre l’expérience vécue et le savoir acquis par les jeunes durant l’exposition d’artéfacts et de photos organisée à la fin de la fouille. Cette exposition coïncide souvent avec le retour de vacances des enseignants juste avant la rentrée scolaire. En effet, ces derniers ne sont habituellement pas au courant de l’engagement de leurs élèves durant l’été. Ils sont donc agréablement surpris de ce qui s’est passé en leur absence et les jeunes sont fiers de leur expliquer leur réalisation. Une plus grande collaboration avec l’école pourrait peut-être permettre d’améliorer cette expérience. Par exemple, l’exposition pourrait être organisée un peu plus tard, au début de l’année scolaire, et être destinée aux étudiants et aux parents.

Avec Sivunitsatinnut ilinniapunga, il s’agissait d’aller plus loin dans notre suivi. Pour contribuer à l’éducation des jeunes, nous voulions également impliquer les adultes. Les jeunes devaient être capables de se projeter dans le futur pour envisager la possibilité de faire des études postsecondaires qui seraient profitables à toute la communauté. Le projet a soutenu la démystification de l’éducation dans le Sud par la visite d’un collège, ce qui semblait pertinent selon le commentaire d’une des enseignantes participantes: « Si tu veux aller au collège, au moins maintenant tu as quelque chose de tangible à quoi tu peux penser quand tu parles du collège: voici où je vivrais, voici les gens avec qui je travaillerais […] » (Amber Furmidge, 2014).

Mais en plus, le projet a montré aux jeunes et à la communauté qu’ils peuvent contribuer au développement de la capacité locale avec comme point culminant l’exposition dans le Sud et dans la communauté. Dans ce contexte, la photographie permet de surmonter les différences linguistiques et la timidité alors que les artéfacts trouvés par les étudiants et les photos deviennent le sujet de l’admiration de tous. Une telle reconnaissance amène à l’empowerment du jeune et contribue à un sentiment de fierté par rapport à sa culture et son identité. Cela lui fait prendre conscience qu’il a l’aptitude de penser par lui-même, selon ses propres termes. Il est alors plus facile pour lui de comprendre que l’éducation n’implique pas une nécessité de conformité ou d’abandon de sa propre façon de penser (Lévesque 2012: 12).

L’un des enseignants participant au projet a mentionné, à propos du curriculum d’archéologie développé par la Commission scolaire Kativik (comprenant une introduction et trois cahiers pour l’élève avec plusieurs activités), que les étudiants ayant participé à l’école de fouilles étaient en mesure de faire plusieurs liens entre ce qu’ils apprenaient à l’école et leur expérience de fouille. L’enseignant était aussi en mesure de mieux apprécier ce curriculum à travers les connaissances de ses élèves et grâce à la visite dans le Sud qu’il avait effectuée durant la semaine de l’archéologie. Cela porte à croire que plus les enseignants s’impliquent dans une activité, plus l’expérience peut devenir enrichissante pour les élèves.

Avoir la chance de participer et de contribuer à un projet, de le voir se concrétiser et de vivre sa réalisation du début à la fin, sont des expériences encore trop rares, selon les enseignants qui y ont participé. Beaucoup de projets débutent sans jamais se terminer, et souvent les jeunes n’ont pas un grand rôle à y jouer. Cela nous amène à réfléchir à la manière dont nous pourrions tisser des liens entre les fouilles archéologiques et d’autres projets éducatifs semblables, qui visent la voix des jeunes, la mobilisation communautaire et qui prennent en compte les trajectoires et l’héritage des Inuit d’une façon inclusive. Pour arriver à une mobilisation vers une plus grande efficacité et à « l’émergence d’une nouvelle conscience politique et sociale », il faut « une meilleure connaissance de l’histoire et des politiques coloniales » en créant des alliances stratégiques (Lévesque 2009: 13). Dans notre cas, les alliances se tissaient entre Avataq, une école, une commission scolaire, un musée et une communauté prête à s’impliquer aux côtés de chercheurs d’affiliations diverses. Tant le produit final, soit l’exposition photographique, que le processus utilisé pour y arriver se caractérisaient du début à la fin par un respect mutuel et une « intégrité culturelle » (Tagalik 2009: 6).

Mettre la culture dans l’école risque de folkloriser les traditions selon Laugrand (2008: 92), qui propose le modèle d’une école « ouverte sur le monde » et « recentrée sur la pratique ». Nous pensons que l’archéologie est un outil formidable d’apprentissage à l’extérieur de l’école. La récente stratégie nationale sur la scolarisation des Inuit appelle à documenter des pratiques qui semblent fonctionner et qui pourraient améliorer la scolarisation des Inuit (Inuit Tapiriit Kanatami 2011). Cela constitue un encouragement à poursuivre notre recherche en explorant la possibilité d’ajouter des crédits scolaires comme cela a déjà été fait, entre autres, chez les Cris et les Inuit (Northern Lights Heritage Services Inc 2007; Rowley 2002: 267) ou encore dans le programme pour les enseignants du Nunavik (Gendron 2007). Cela pourrait constituer la prochaine étape à franchir. Cependant, les défis sont grands, considérant que les communautés du Nunavik se répartissent sur un vaste territoire. L’école de fouilles ne peut se produire que localement, en ne permettant de rejoindre que de petits groupes pour des périodes limitées, en général deux ou trois ans. La fouille archéologique est donc un outil approprié, mais sa portée est limitée. D’autres activités ayant une plus grande portée peuvent être envisagées, comme des expositions itinérantes qui pourraient être présentées par des archéologues et des aînés à l’école. L’expérience serait certainement plus courte et moins engageante, mais elle aurait le mérite de pouvoir rejoindre l’ensemble des communautés.

Des recherches comme la nôtre peuvent-elles contribuer aux discussions actuelles visant à la création d’un collège pour le Nunavik? D’une manière plus globale, ce type d’expérience peut-il contribuer à la création d’une université inuit qui deviendrait un foyer intellectuel imbriqué dans la vision du monde des Inuit (Inuit Tapiriit Kanatami 2011: 88; voir aussi Canadian Polar Commission 2014)? De même, on peut se demander si l’on doit continuer à réaliser ce type d’initiative sous forme de projet dont le financement s’effectue avec des subventions à court terme. Devrions-nous chercher des options de financement permettant une implication plus soutenue et stable avec les jeunes du Nunavik?

Conclusion

Le succès éducationnel des écoles de fouilles d’Avataq durant les 30 dernières années est en partie attribuable au fait que de nombreux participants sont devenus par la suite des membres actifs au sein de leur communauté. Ces écoles ont contribué à une meilleure compréhension du rôle de l’archéologie, tout en créant une appréciation du patrimoine et de la manière dont il peut être préservé. En d’autres mots, elles ont permis le développement d’un enseignement effectué de manière éclairée et pratique. Des activités ont progressivement été ajoutées pour permettre un suivi après la fouille et cela a culminé, dans le cadre de notre projet, avec l’organisation d’une exposition de photos. En touchant et manipulant des objets, puis en symbolisant les étapes par des photos ensuite exposées dans le Sud et dans la communauté, les jeunes Inuit ont acquis des compétences et ont collaboré de façon très concrète à documenter et préserver leur patrimoine.

On peut maintenant se demander si cette vision pourrait inspirer l’élaboration d’un système éducationnel plus large incluant des expériences en dehors de l’école qui s’imbriqueraient avec l’éducation formelle. Par exemple, la géométrie, les mathématiques et le calcul des angles vu en classe trouvent des applications très pratiques sur un site archéologique. Ou encore, le curriculum actuel en science sociale qui comprend de nombreuses références à l’archéologie prend tout son sens en participant à une fouille. L’implication des étudiants à toutes les étapes, de la fouille jusqu’à l’organisation d’une exposition, leur permet de devenir plus confiants en occupant une place active dans la communauté. La réalisation de ces étapes constitue d’ailleurs un excellent apprentissage en méthodologie.

Finalement, la perception que les jeunes ont de leur passé et de leur rôle en archéologie mériterait une étude approfondie que nous n’avons pas eu le temps d’entreprendre dans ce travail. On entend trop souvent les jeunes parler de la survie de leurs ancêtres plutôt que de leur mode de vie. L’archéologie met en valeur la subsistance traditionnelle, la technologie, la richesse des connaissances et le génie inuit. Un changement de perception peut ainsi s’opérer, passant de survivants à conquérants de l’Arctique, les jeunes prenant conscience d’être les descendants d’un peuple extraordinaire. L’apprentissage de l’archéologie et la réalisation du projet Sivunitsatinnut ilinniapunga ont contribué au développement d’un sentiment de fierté et d’accomplissement qui, nous l’espérons, pourra inspirer les jeunes dans leur cheminement futur.