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Le dramaturge et l’académicienLettres inédites échangées entre Jean Anouilh et Pierre Gaxotte (1962-1982)[Notice]

L’historien Pierre Gaxotte pensa proposer la candidature d’Anouilh à l’Académie, mais pour des raisons que détaillent ces lettres, se heurta à un refus. Elles révèlent également bien des aspects de la personnalité et de la culture d’Anouilh, tandis que celles de P. Gaxotte ajoutent quelques touches à la critique de plusieurs pièces importantes. Nous remercions les familles et les détenteurs de ces lettres qui ont autorisé la publication de ces larges extraits. Selon son habitude, Anouilh ne datait pas ses lettres ; les dates proviennent soit des cachets postaux, soit des allusions contenues dans le texte, soit des lettres de P. Gaxotte qui sont toutes datées. Les interventions sur le texte se sont limitées à la ponctuation, à l’ajout d’italiques pour des titres ou des mots soulignés. 1. P. G. 13 janvier 1962 Votre pièce qui est admirable m’a ravi d’un bout à l’autre. Les critiques sont bêtes. J’en lis un qui ne comprend pas que les dernières paroles d’Anouville sont la moralité de la pièce et en tiennent ensemble les morceaux : il faut ce dénouement. 2. J. A. Chesières / Ollon [22 janvier 1962] Vous étiez mon seul invité et pour moi le seul spectateur de cette soirée. C’est vous dire que votre lettre — que je reçois seulement aujourd’hui dans la neige, efface la digestion toujours difficile, même pour un vieil estomac blindé comme le mien, de la presse dite parisienne. Je suis depuis toujours nourri de vos livres. Je ne peux pas dire que vous m’avez donné le goût de l’histoire, je l’avais en naissant — quoique je la traite cavalièrement, je suis un homme de planches et sur les planches tout doit être sacrifié aux planches — mais vous avez nourri cet amour et vous lui avez donné l’intelligence. C’est à partir de l’Histoire des Français dont j’ai un exemplaire dans toutes mes maisons que j’ai commencé à y voir clair et à trouver le scénario bien fait. (J’ai conscience soudain d’être ridicule à jouer les marquis de Carabas, mais tout ce que l’exploitation éhontée de la crédulité parisienne m’a donné d’appréciable est la faculté de me déplacer de villa en villa comme les rois de la première ou de la seconde race ? Me voilà déjà pris en défaut, pardon !) À vrai dire, je ne sais et n’y comprends quelque chose qu’à partir du XVIIe siècle. Je vais mettre votre lettre dans mon exemplaire montagnard de l’Histoire des Français. Je suis bien heureux de ne pas vous avoir déplu avec ma petite farce. 3. J. A. Rivaz [octobre 1969] Votre lettre est une des joies de cette pièce — le succès qui revient, absurde, après des années de froideur — j’avais eu dix ans de bagne la dernière fois, je suis acquitté cette fois, voilà tout, cela ne peut plus me toucher beaucoup. Mais le témoignage amical d’un des esprits qui m’ont le plus touché est d’un autre ordre — il apaise le vieux doute. Je me dis souvent, je me disais du temps de mes succès, ils sont tous fous, je ne suis qu’un baladin qui raconte des sornettes pour faire rire — et j’y mets mon honneur — que vont-ils chercher là ? Mais si Antoine vous fait rêver quelques jours après, je suis comblé. Ce que vous me dites si gentiment et avec tellement de pudeur sur l’Académie me touche aussi, c’est comme si vous me disiez : je connais un petit bistrot où je bois un verre de vin blanc tous les jeudis vers midi — pourquoi n’y passez-vous pas, nous aurions l’occasion de nous rencontrer... …

Parties annexes