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Quand la pandémie bouleverse le contexte de fin de vie

Le 11 mars 2020, le directeur de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qualifie de pandémie la propagation du coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2), causant la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Afin de freiner la propagation du virus, de protéger les personnes les plus vulnérables et d’éviter une surcharge des systèmes de santé, différentes mesures de santé publique ont été préconisées par l’OMS, comme la distanciation physique, le port du masque et le lavage fréquent des mains. Malgré cela, au 28 septembre 2021, 4 762 089 personnes sont malheureusement décédées des suites de la COVID-19 à travers le monde (Organisation mondiale de la Santé, 2021), dont près de 28 000 au Canada et plus de 11 000 au Québec, la province canadienne la plus touchée. En outre, la COVID-19 est particulièrement fatale pour les personnes âgées, le groupe d’âge de 70 ans et plus représentant plus de 90 % des décès reliés à la COVID-19 au Québec (Institut national de santé publique du Québec, 2021), et en particulier dans les premières vagues, avant l’arrivée de la vaccination.

Au Québec, c’est le 14 mars 2020 que le premier ministre déclare l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire québécois ainsi qu’une série de mesures visant à freiner la propagation du virus. Parmi celles-ci, l’interdiction des visites régulières dans les centres hospitaliers, les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les ressources intermédiaires, les ressources de type familial ainsi que les résidences privées pour aînés, qui a perduré jusqu’au mois de mai 2020, a eu un effet délétère considérable sur l’accompagnement de fin de vie et sur le processus de deuil des proches aidants (Vachon et al., 2021). Les cérémonies funéraires et les autres rituels commémoratifs ont également été touchés par les mesures de santé publique, notamment dans le cadre de l’interdiction de tout rassemblement intérieur ou extérieur. Les rites funéraires étaient d’abord strictement réservés à la bulle familiale. Ces mesures ont progressivement été assouplies, mais différentes contraintes persistent, telles qu’un nombre de personnes limité (par exemple, 25 personnes seulement en zone rouge), la nécessité de porter un masque de procédure et de conserver une distance de deux mètres en tout temps entre les personnes ne résidant pas à la même adresse. À cela s’ajoute le contexte de confinement vécu par la majorité des proches aidants, qui exercent peut-être leur activité professionnelle en télétravail; ceux-ci doivent respecter les règles de distanciation physique dans différentes sphères de leur vie et ont des possibilités de visites ou d’activités sociales fortement réduites (Ho, Chee et Ho, 2020). Tous les ingrédients semblent donc réunis pour complexifier, voire rendre impossible l’amorce d’un processus de deuil en contexte pandémique (LeRoy et al., 2020; Vachon et al., 2020). Il n’est ainsi pas surprenant que les proches aidants endeuillés aient davantage besoin de soutien professionnel et/ou de soutien offert par des organismes communautaires. Or il est malheureusement largement reconnu que l’offre de soutien en suivi de deuil n’était déjà pas suffisante pour répondre aux nombreuses demandes avant l’arrivée de la pandémie. Le contexte pandémique a ainsi exercé une pression supplémentaire sur le peu de services existants (Vachon, 2021; Rémillard, 2020).

Objectif de l’étude

Compte tenu du nombre limité d’études empiriques ayant été menées sur le vécu des personnes endeuillées pendant la pandémie de COVID-19, l’objectif de la présente étude est de décrire l’expérience du deuil pandémique. Il constitue le premier objectif d’une recherche plus large : le projet J’accompagne (Vachon et al., 2020). Élaborée sous la forme d’une recherche-action participative (Baum, MacDougall et Smith, 2006) et inspirée de l’approche des communautés compatissantes (Vachon, 2019), la communauté virtuelle de soutien J’accompagne poursuit les deux principaux objectifs suivants[1] : mieux comprendre le deuil pandémique, et soutenir et briser l’isolement des personnes ayant perdu un être cher en pandémie, tout en réfléchissant aux modalités de soutien pouvant être proposées dans ce contexte. Concrètement, la communauté a d’abord vu le jour sous la forme d’une page sur le réseau social Facebook[2], où nous commentons l’actualité, partageons des témoignages sous forme d’art et de récits, promouvons des outils pertinents pour soutenir le deuil et accompagnons de façon personnalisée les membres de notre communauté, par le biais de rencontres virtuelles et d’échanges écrits. Par la suite, nous avons également mis en ligne un site Internet afin de rendre nos activités disponibles au plus grand nombre de personnes possible[3].

Méthodologie

En raison de son positionnement participatif, la présente étude s’inscrit dans un paradigme constructiviste-interprétatif, qui conçoit notamment la réalité comme mouvante et multiple, coconstruite et mise en forme par les facteurs sociaux, culturels et politiques en présence (Santiago Delefosse et del Rio Carral, 2017). Plus précisément, c’est en s’inscrivant dans une approche de la phénoménologie interprétative (Smith, Larkin et Flowers, 2009) que nous avons cherché à décrire l’expérience du deuil pandémique. En effet, de par son ancrage dans le courant herméneutique de la phénoménologie, cette approche requiert un engagement actif du chercheur qui produit d’une part une description et d’autre part une interprétation du phénomène appréhendé (Tuffour, 2017).

Participants

L’échantillon de la présente étude comprend 35 proches aidants endeuillés (dont 31 femmes) âgés de 21 à 78 ans (moyenne de 56 ans), et dont le premier contact s’est fait en moyenne 4 mois après le décès (entre 12 et 315 jours). La majorité des proches aidants ont perdu un parent (11 ont perdu leur père, 14 leur mère), cinq ont perdu leur conjoint, quatre un grand-parent, et une proche aidante a perdu son frère. Certains proches aidants font en outre l’expérience du deuil de plus d’un être cher durant cette période pandémique. Le détail de leurs caractéristiques est présenté dans le tableau 1. Afin d’être inclus, les participants devaient avoir accompagné un être cher ou avoir vécu la perte d’un être cher durant la pandémie. Les caractéristiques sociodémographiques des participants sont également présentées dans le tableau 1. Il est intéressant de noter que nos efforts de recrutement ont été minimaux : une large majorité des proches aidants ont rejoint notre communauté en nous contactant spontanément à la suite de nos diverses activités publiques relayées sur notre page Facebook, ou encore par échantillonnage boule de neige, certains participants nous ont contactées spontanément après qu’une personne de leur entourage ait participé à l’étude.

Tableau 1

Caractéristiques des participants

Caractéristiques des participants
Source : Ummel, Vachon et Guité-Verret (2021)

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Cueillette de données

Les données ont été recueillies entre les mois de mai et novembre 2020 par le biais d’entrevues individuelles semi-structurées. Menées par des psychologues spécialisées en soins palliatifs, ces entrevues avaient pour objectif de mieux saisir l’expérience de deuil pandémique. Concrètement, les participants étaient invités à partager leur expérience de deuil à partir de la première question ouverte suivante : « Pouvez-vous me raconter ce qui s’est passé pour vous, des premiers symptômes jusqu’au décès de votre proche? » Les participants ont été rencontrés une ou deux fois, et la durée moyenne des entrevues était d’environ une heure. Compte tenu des mesures sanitaires, les entrevues ont été réalisées par visioconférence plusieurs jours/semaines suivant le décès de leur proche, selon la disponibilité des participants.

Considérations éthiques et rigueur

Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche (CER) – Éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke, ainsi que par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains (CIEREH) de l’Université du Québec à Montréal. La procédure d’obtention du consentement à la recherche était la suivante : les participants ont reçu le formulaire d’information et de consentement par courriel et, au début de l’entrevue, nous avons enregistré leur déclaration selon laquelle ils en avaient pris connaissance et acceptaient de participer au projet de recherche. En ce qui a trait à la rigueur scientifique, les huit critères proposés par Tracy (2010), soit la pertinence, la richesse, la sincérité, la crédibilité, la résonance, la contribution, l’éthique et la cohérence de la recherche ont guidé la totalité du processus de recherche.

Analyse des données

Les entrevues ont été intégralement transcrites, vérifiées (Kvale, 2007), puis analysées selon le processus de l’analyse phénoménologique interprétative (API) (Smith, Larkin et Flowers, 2009). L’API constitue une méthode flexible et de nature itérative qui se fonde sur une double visée herméneutique : le chercheur interprète la manière dont le participant lui-même interprète son expérience. L’API porte également une visée idiographique, c’est-à-dire que l’on s’intéresse au domaine du particulier, en détail et avec profondeur (Smith, Larkin et Flowers, 2009). Concrètement, l’analyse a d’abord consisté en une immersion dans les données par le biais de plusieurs relectures des transcriptions d’entrevues. Par la suite, des notes exploratoires en particulier sur les plans descriptif, linguistique et conceptuel ont été prises. Ces annotations ont servi de soutien à l’émergence de thèmes récurrents. Enfin, les thèmes ont été organisés, regroupés et hiérarchisés de façon cohérente. Comme suggéré par Smith, Larkin et Flowers (2009), la lecture et l’analyse complète du récit de chaque participant a d’abord été réalisée, avant de procéder à l’examen des convergences et divergences présentes entre les participants. Précisons que l’analyse des données a été soutenue par l’utilisation du logiciel NVivo 12.

Résultats

L’analyse des données collectées nous a permis d’observer que, lorsque l’accompagnement de fin de vie et le processus de deuil s’inscrivent dans un contexte de COVID-19, l’expérience de faire face à la perte d’un être cher peut prendre la forme d’un deuil pandémique. Nous conceptualisons le deuil pandémique comme une trajectoire fortement influencée par le contexte de pandémie, notamment par les conséquences sur le plan psychosocial des mesures de santé publique imposées (voir figure 1). Nous abordons ainsi dans un premier temps le parcours de proche aidance, la fenêtre temporelle du mourir et le décès. Dans un deuxième temps, nous soulignons l’impact des mesures sociosanitaires sur les rituels funéraires, avant de décrire le deuil pandémique comme une expérience hors du commun, et pourtant malheureusement fréquemment banalisée.

Figure 1

Trajectoire du deuil pandémique

Trajectoire du deuil pandémique

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Le parcours de proche aidance en contexte pandémique : inquiétudes, ruptures et déclin précipité

Le quotidien de l’ensemble de la population québécoise a été bouleversé par la pandémie et les mesures sociosanitaires, mais pour les proches aidants, le contexte pandémique signifie particulièrement les trois éléments suivants : 1) des inquiétudes relatives à la transmission du coronavirus, qui est omniprésent, 2) les interdictions ou restrictions importantes des possibilités de visite auprès des personnes hospitalisées ou en institution, amenant fréquemment des ruptures de contact et des inquiétudes supplémentaires et 3) le choc du décès de l’être cher, parfois à la suite d’un déclin extrêmement rapide.

Abordons en premier lieu les inquiétudes relatives à la transmission du coronavirus, omniprésent. Depuis la dernière année, de nombreuses personnes vivent dans la crainte d’être contaminées par le coronavirus. C’est cependant particulièrement le cas des personnes proches aidantes qui accompagnent des personnes dites plus vulnérables à la COVID-19.

Ma grand-mère était vraiment très à risque, parce qu’elle était dans un CHSLD[4]. Alors quand on a eu la nouvelle que les CHSLD étaient de plus en plus affectés, là, la crainte est devenue de plus en plus présente[5].

Catherine[6]

Malheureusement, pour plusieurs personnes endeuillées, cette crainte s’est avérée exacte puisque leur proche a bel et bien été contaminé par le coronavirus, pour finalement en décéder.

Une décision qui a marqué de façon « indélébile » le parcours de proche aidance, c’est qu’entre mars et mai 2020, les visites dans les milieux de soins ont été complètement interdites, laissant souvent les proches aidants sans nouvelles de leur être cher pendant des jours, voire plusieurs semaines. Cette interdiction de se rendre au chevet et d’accompagner son proche malade, comme il était possible de le faire avant la déclaration de la pandémie, constitue un élément majeur extrêmement bouleversant du parcours de proche aidance en contexte pandémique. Ainsi, encore après le décès, de nombreux proches aidants vivent très difficilement le fait d’avoir subi une rupture de contact de leur proche malade alors que ce dernier était vulnérable et avait particulièrement besoin de leur soutien.

Il s’est passé presque cinq semaines sans que je voie mon père. Je pense que c’est le plus long dans ma vie que je n’ai pas vu mon père. […] On se voyait au minimum deux fois par semaine, des fois plus […]. Je lui parlais à tous les jours. Il avait le téléphone. Ma mère aussi. Ça fait que Dieu merci, ils avaient leur téléphone. Pis là ben au début c’était pas pire. À chaque fois que mon père décrochait, ça lui demandait un gros, gros effort là tu sais il était fatigué.

Natasha

Le confinement le 13 mars, c’est la dernière fois que je l’ai vue. Je suis allée chez le médecin avec elle, puis après elle est rentrée et tout ça, puis là je lui parlais au téléphone. Et là c’était plus compliqué parce que ma mère faisait de la dégénérescence maculaire en plus, elle ne voyait presque plus, elle avait besoin d’assistance pour les petites choses de la vie, par exemple son four micro-ondes, elle avait pesé sur toutes sortes de boutons et elle l’avait comme bloqué. Mais elle a dit : « Mon micro-ondes ne fonctionne plus »; normalement moi j’aurais été puis j’aurais, mais là il fallait que j’envoie quelqu’un de la résidence pour aller, puis. Alors j’avais beaucoup […] parce que je ne pouvais pas rien faire, je me sentais impuissante et là je sentais là, elle avait des douleurs aux jambes, elle ne dormait pas bien, elle était toujours fatiguée, fatiguée, fatiguée, elle n’avait plus le goût de manger... Et là je la voyais descendre, descendre, descendre et je me disais qu’est-ce que, qu’est-ce que je peux faire, et ça c’était j’avais, comme je disais, j’avais la boule au ventre tout le temps, je me disais mon Dieu qu’est-ce que je peux faire euh, il va lui arriver quelque chose.

Claire

Je n’ai pas eu le droit d’aller à l’hôpital avec elle. Je n’ai pas eu le droit de suivre l’ambulance, le 22 juin c’était défendu. Après, là, maintenant je sais qu’ils se sont ouverts, mais là, au [nom de l’hôpital], ou peu importe, je ne peux pas embarquer dans l’ambulance. Quand elle était partie à l’hôpital pour sa hanche, j’avais embarqué dans l’ambulance, j’étais tout le temps à l’hôpital avec elle, et là, on ne peut pas, à cause de la COVID, et j’ai dû la laisser partir, et je l’ai retrouvée seulement, comme j’ai écrit, le soir, à partir du moment qu’on m’a dit qu’il était trop tard, pour son intestin, qui était perforé… Il était trop tard.

Paule

Oublie la pandémie là, admettons que c’est normal, tu as toujours quelqu’un que tu délègues. Tu vas toujours déléguer quelqu’un pour ne pas que la personne soit toute seule. […] Il était tellement entouré, c’est sûr que si moi je ne pouvais pas y aller toujours, il y aurait eu des gens qui se seraient relayés, c’est sûr… Mais là, c’est de te dire : « Il n’y a personne. Il est tout seul. »

Lucie

De plus, en raison de la pénurie et des rotations fréquentes du personnel dans les établissements de soin, particulièrement pendant la première vague (printemps 2020), il est souvent difficile d’obtenir des nouvelles minimales de l’état de santé de son proche. Dans certains cas, par exemple, les préposés n’ont pas le temps de mettre leur équipement de protection individuel et de tendre le téléphone à la personne malade pour qu’elle puisse être en communication avec sa famille. Parfois, c’est la santé cognitive qui entrave la communication, malgré les bonnes volontés de l’équipe soignante.

On ne pouvait pas aller la voir, on ne pouvait pas lui parler parce que c’est difficile, avec une personne qui est atteinte de démence. Elle ne comprend pas tellement ce qui se passe. Ça a été difficile parce que le pauvre infirmier essayait de nous mettre en communication avec elle. Mais elle ne comprenait pas tellement ce qui se passait et on ne voulait pas augmenter la détresse, etc. Elle savait qu’il se passait quelque chose, mais elle ne comprenait pas nécessairement les complications ou les implications de tout ça.

Catherine

Mon père, aussi, c’est quelqu’un qui faisait de l’incontinence à tour de bras, fait que je n’ai aucune idée, comment il a été traité pendant ce temps-là. C’était très difficile d’avoir, comme une réalité de ce qui se passait.

T.

Là on a perdu contact. De pas être capable de savoir s’il était bien soigné, bien traité, tu sais, les soins de base. Pis qu’il n’était pas maltraité par quelqu’un qui était à bout, parce que c’est des conditions impossibles que le personnel a vécues dans cette chaleur-là.

J.

Enfin, dans plusieurs cas, cette interdiction de visites a résulté en l’impossibilité de tout contact avec le proche avant son décès.

Ils l’ont amené à l’hôpital. Évidemment, je n’avais aucunement le droit d’aller avec lui à l’hôpital, et je n’avais aucunement le droit de le voir ou quoi que ce soit. Donc la partie la plus difficile, et ça a été la partie la plus difficile, parce que du [date], au jour de son décès [17 jours plus tard], on ne l’a plus vu.

P.

Ce dernier extrait introduit également le troisième élément du parcours de proche aidance en contexte pandémique, soit le choc du décès de l’être cher, parfois à la suite d’un déclin fulgurant.

Le matin, elle était correcte, je lui ai parlé. Et tout d’un coup, le médecin m’annonce qu’elle doit la mettre sur un protocole de fin de vie…

Claudine

« Allô, c’est Rachelle, la fille de Monsieur [Nom de famille du père], chambre [XX], je voulais juste voir comment il va, est-ce que vous pouvez me dire s’il est correct, juste me donner un signe de vie, peut-être lui dire de me rappeler s’il te plaît ». Pis là, tout ce que j’entends, c’est : « Les médecins sont avec lui à l’instant, je vais lui demander qu’elle te rappelle ». Je suis comme « le médecin elle-même, wow quelle gâterie, je lui ai parlé hier, c’est deux fois en 24 heures, wow [rire] ». Ça fait que je raccroche, dans ma bonne humeur. Puis quinze minutes plus tard, elle m’appelle pour me dire qu’il est mort. Elle venait juste de le constater, qu’il était mort. Il venait… Il avait… soupé c’est un gros mot là, il avait mangé une compote… Apparemment il avait fait rire un des préposés… juste une heure plus tôt. Il était… Ils pensaient qu’il somnolait, après ça, quand ils le regardaient… le préposé avait vu qu’il somnolait. Pas de signe de souffrance, rien, mais qu’il était somnolent, pis tout d’un coup, il est repassé une deuxième fois, puis il a remarqué que sa coloration était différente. Il est entré dans sa chambre pour constater que mon père ne respirait plus pis qu’il était rendu bleu.

Rachelle

Le déclin rapide de l’état de santé des personnes malades atteintes de COVID-19 génère un effet de surprise chez les proches aidants, mais a également pour conséquence de rétrécir, voire de fermer la fenêtre temporelle du mourir. Cette fenêtre temporelle constitue un espace-temps particulier dans lequel les proches aidants ont la possibilité d’anticiper la mort de leur être cher et de s’y préparer (Lessard, 2021). Lorsque le décès est prévisible et le déclin anticipé, cette fenêtre peut être ouverte pendant quelques jours, permettant ainsi aux proches de se rendre au chevet de la personne mourante, de se préparer à sa mort et de poser certains gestes (par exemple, dire « au revoir », échanger de dernières confidences, demander pardon ou recevoir des excuses). Or, pour de nombreuses personnes endeuillées en contexte pandémique, cette fenêtre d’opportunité de préparation au deuil a été condensée, dénaturée, et a parfois même été inexistante. Ainsi, plutôt que d’être en cohérence avec les valeurs et les besoins des proches aidants, la possibilité d’accompagner son proche malade en pandémie est régie par les mesures sociosanitaires. Pour les proches aidants, il en ressort une forte amertume d’avoir été forcés d’abandonner leur être cher, entraînant des dilemmes, des conflits, des regrets, de la culpabilité et des remords.

Parmi les conflits qui nous ont été confiés, il y a tout d’abord des conflits de valeurs. Le premier extrait fait état d’une tension entre un élan naturel de recherche de contacts physiques et les interdictions de ceux-ci, alors que le second témoigne de l’impossibilité de concevoir de ne pas avoir pu revoir l’être cher avant son décès.

Tu sais, j’ai mis mes bras autour d’elle, sur ses bras parce que j’avais des gants pis une jaquette. Mais elle a essayé de me donner un câlin. Je l’ai regardée et j’ai fait signe… Non… je ne peux pas… Tu voyais qu’elle était détruite, moi aussi j’étais détruite parce que je ne pouvais pas lui donner un câlin… Mais tu sais, en temps normal, je lui en aurais donné un, mais avec la COVID, je l’aurais attrapée, je ne pouvais pas lui en donner un… Ça, ça m’a détruit…

Alex

Je pense avoir raison de m’arrêter sur le fait que je n’ai pas pu le voir avant qu’il ne s’éteigne pour l’éternité, pour le reste de ma vie. J’étais pétrifiée, assise chez moi, ne sachant pas quoi demander ou ce que je pouvais faire d’autre.

Hélène

Parmi les dilemmes éthiques, il y a une incompatibilité entre les mesures sociosanitaires imposées par la santé publique pour freiner la propagation du virus et les valeurs personnelles et humaines d’accompagnement, la possibilité d’être au chevet lors de la fin de vie.

« On ne pense pas que votre père va s’en sortir; alors si vous voulez venir le voir en personne, ça serait le temps. Ça serait le moment. » Mais là, ça a été très difficile pour nous, on a eu une discussion de famille parce que ma soeur fait de l’emphysème, et moi, je suis asthmatique chronique, et j’ai d’autres facteurs de risque. Donc [sa voix se brise] ça a été difficile parce que j’avais un choix à faire : aller voir mon père en fin de vie ou… Ma fille de 7 ans m’a regardée les yeux pleins d’eau et m’a dit : « Moi j’ai besoin de toi tu sais. » [Pleure et silence] « Moi je ne veux pas que tu ailles, que tu l’attrapes et que tu meures, tu sais. » Parce qu’ils ne pouvaient pas nous garantir à 100 %, c’était une zone chaude. Je ne regrette pas parce que ma fille a besoin de moi, mais d’abandonner un peu son père [pleurs]. J’avais pu lui parler ce jour-là; quand que je lui ai parlé, je lui ai dit : « Pardon. Je te demande pardon. Je ne peux pas aller te voir. »

Sonia

C’est moi qui ai demandé à aller la voir. Le dimanche, j’ai parlé avec une infirmière, et elle me dissuadait plutôt. Elle me disait : « Vous savez les risques que vous courez, tout ça ». J’ai dit « oui, oui oui ». […] Je suis venue un petit peu affolée, j’ai dit : « Ah, ok, je n’irai pas ». Pis le lendemain, je me disais que cela ne fait pas de sens. Là j’ai parlé à une autre infirmière, elle m’a dit : « Madame [nom], venez voir votre mère. Venez vous en voir votre mère. » Fait que le lundi, je suis partie et je suis allée la voir. [Sa voix tremble] Pis je ne regretterai jamais ce… ce moment-là. C’est certain certain certain.

Évangéline

Le déclin rapide dû aux complications de la COVID-19 entraîne souvent un décès soudain, sans témoin, vécu comme un choc pour l’entourage. De nombreuses questions subsistent ainsi chez les proches aidants endeuillés : l’autre est-il mort seul? La contamination ou encore le décès auraient-ils pu être évités? A-t-on donné à la personne malade toutes les chances de se battre, de survivre?

Je lui ai parlé le matin même et elle semblait bien aller. Et même quand je suis arrivée à l’hôpital, elle était là dans son lit et je lui parlais. Puis c’est là qu’on a décidé qu’on lui donnait les soins de confort. C’est ce que le médecin a dit. Ils ont mis les cathéters à trois places. Pis ils lui ont donné sa première dose… Pis là ben elle ne partait pas. Ils lui ont donné l’autre dose pis là elle est partie…

Un peu plus tard, la même participante dira :

Tu sais, je me dis peut-être qu’elle aurait pu s’en sortir, on ne sait pas? Le médecin ne lui a donné aucune chance là, elle lui a tout de suite donné deux piqûres pour qu’elle parte. Peut-être qu’elle aurait été correcte dans le fond? Je n’ai rien eu à dire dans tout ça. Ça me revient tout le temps ce moment-là… Je me dis : « Si on avait essayé, au moins. »

Claudine

Ces différents scénarios, qui se sont tous déroulés dans la fenêtre temporelle du mourir, laissent des traces importantes dans le processus de deuil pandémique. Les personnes endeuillées y reviennent fréquemment et peuvent se sentir « hantées » par ces décisions ou ces événements qui se sont déroulés dans un très court laps de temps, mais qui demeureront néanmoins dans leur histoire d’accompagnement.

Le deuil pandémique

Pour plusieurs de nos participants, l’expérience du deuil pandémique prend la forme d’un deuil difficile à entamer, pouvant s’étirer dans un entre-deux nébuleux, dans un contexte où la vie est rythmée par les mesures sociosanitaires.

C’est parce que c’est impossible de faire le deuil. Tu n’entends que ça [COVID], que ça. Tu as beau vouloir, […] tu rencontres quelqu’un qui reste à [lieu], une voisine, n’importe qui ça fait comme : « Hey! » Pis là ils te répondent : « C’est long! C’est long hein, pis c’est si… » Pis, ils ne parlent que de ça, ça parle que de ça. Moi c’est sûr que… Pis en même temps tu sais, je n’écoute pas beaucoup les nouvelles à la télé.

D.

Avec la pandémie, la deuxième vague qui commence, mais aussi avec le décès de ma grand-mère pis le décès de mon grand-père qui font juste se rajouter par-dessus qu’on ne peut pas… On ne peut pas faire ce qu’on veut ou ce dont on aurait besoin pour passer au travers du deuil.

Alex

En outre, plusieurs participants nous ont fait part des commentaires, parfois violents, reçus dans un contexte où, en particulier durant la première vague de COVID-19, les journées étaient ponctuées par l’annonce quotidienne du nombre de nouveaux cas et de nouveaux décès. La banalisation des décès a pu avoir comme effet de diminuer encore le soutien social que les personnes endeuillées ont pu recevoir de la part de leur entourage en contexte pandémique.

Ma grand-mère était une personne âgée; donc une personne âgée qui décède, on s’y attend… Et une personne qui décède dans la pandémie, on s’y attend aussi un peu, elle a été un peu ensevelie par beaucoup de choses. […] J’ai des amis qui ont compris, qui m’ont offert leurs condoléances, mais c’est tellement loin d’eux… C’est comme si je leur disais : « Le ciel est bleu », « OK… [Rires] » « En temps de pandémie, ma grand-mère est décédée », « ah OK. » Comme si c’était tellement obvious un peu que…

Catherine

J’ai juste raconté rapidement que je vivais une période difficile, que ma mère était décédée dans la période de COVID et tout ça, et elle me dit : « Elle avait quel âge? » « 88 ans. » Elle dit : « Ah... tu sais, ils partent un moment donné... » Je dis : « Euh oui je comprends, mais je ne m’attendais pas qu’elle parte dans un moment comme ça premièrement, et puis non je ne m’attendais pas qu’elle parte parce que je ne pensais pas qu’elle était rendue là, tu sais, dans ma tête, on ne m’avait pas annoncé ça deux mois d’avance qu’elle était à... » Et j’ai trouvé [soupir] son commentaire et elle est passé à autre chose tout de suite.

Claire

Des rituels funéraires au rythme des mesures sociosanitaires

Les commémorations et rituels funéraires ont été fortement touchés par les mesures de santé publique. Les rituels funéraires ont d’abord été annulés ou reportés, puis permis avec de nombreuses contraintes (par exemple, petit nombre de personnes permis, portant un masque et devant respecter une certaine distance entre elles). Lorsqu’elles ont pu avoir lieu, ces commémorations ont ainsi été grandement modifiées. Les conséquences sur le plan psychosocial pour les personnes en deuil pandémique sont les suivantes : d’une part, on se voit coupé de la possibilité d’honorer, de commémorer, de donner un sens à la perte d’un être cher, et d’autre part, on est privé de la reconnaissance sociale de cette perte ainsi que du soutien social qui est souvent inhérent aux rites funéraires (Bacqué, 2013).

Ce que nous avons observé auprès de nos participants, c’est qu’un rituel funéraire est soulageant pour les personnes endeuillées lorsqu’il est adapté à leurs besoins, valeurs et croyances plutôt qu’aux mesures sociosanitaires. Dans le cas inverse, le rituel « pandémique » devient nettement moins efficace, et peut même être source de souffrance. Pour certains proches aidants, cela implique de reporter à plus long terme la tenue de funérailles, de sorte qu’elles puissent se dérouler dans des circonstances plus réconfortantes et davantage en accord avec leurs valeurs.

Jusqu’à ce jour, je vous dirais que le plus difficile, c’est qu’on n’a même pas pu avoir des funérailles encore, parce que les établissements funéraires, c’est au compte-goutte. Ils nous ont dit : « On va vous appeler quand on va pouvoir… ». Au mois de mai dernier, ce n’était aucunement question qu’il y ait des funérailles, et puis ils nous ont dit : « En septembre, on va voir si c’est possible ». Le mois de septembre a passé et puis il y avait d’autres personnes qui étaient décédées avant ma grand-mère, donc c’est un peu triste à dire là, mais c’est par ordre.

Catherine

J’ai beau mettre toutes les mesures en oeuvre pour essayer, dans le contexte, de rendre les funérailles tu sais, un peu avoir la chaleur, mais pas une chaleur, mais avoir un sentiment que t’avais avant, mais… C’est impossible… Impossible, impossible… Tu sais, même à l’église, je veux dire tu sais, ok quand on était assis on pouvait enlever le masque, mais aussitôt qu’on se déplaçait, c’était « mets le masque ». C’est juste quitter, c’est, je ne sais pas avec les cercueils, mais moi c’était une urne, mais normalement quand l’urne quitte on peut suivre. Tu sais l’urne, mais là fallait quitter, mais c’était les bancs en arrière de l’église, les derniers bancs en arrière qui fallait qui quittent. Fait que c’était comme t’sais, déjà la cérémonie, le rituel était changé un peu là… C’était comme, les derniers bancs qui quittent en premier normalement ça aurait été l’urne, après ça tu suis en partant des premiers bancs pis tout ça, mais c’était l’inverse.

Judith

Ça a été ce qui a été difficile après. Habituellement quand on vit cette cérémonie-là, on a le café de l’amitié, on est un peu dégagé, on a vécu une grande charge, une grande dose d’émotivité, etc. Là, on est resté un peu sur cet appétit-là t’sais.

Régis

Je peux compter sur les doigts de ma main le nombre de câlins que j’ai reçus depuis ton départ, à part ceux avec mes garçons, heureusement. On n’a toujours pas le droit de s’en faire sans sentir qu’on prend un grand risque pour notre santé et sans être dans une certaine illégalité. C’est particulier comme époque. Depuis ton départ, on n’a même plus le droit d’embrasser nos amis en les croisant dans la rue. Pour cette raison, je n’ai toujours pas fait tes funérailles, Maman. Je n’ai pas réussi à me résigner d’être 10 ou 25 dans une pièce, les uns et les autres à deux mètres, avec des masques, sous interdiction de se toucher... Je ne veux pas d’une cérémonie tellement absurde qui ne nous ressemblerait pas. Je n’aime pas pleurer sans avoir droit à un véritable réconfort.

Odile

Nos constats relatifs aux rites funéraires pandémiques sont encore préliminaires. Plusieurs de nos participants nous ont dit avoir créé des hommages et des cérémonies en ligne. Cette partie de nos données est encore en cours d’analyse et fera l’objet de publications subséquentes.

Discussion

L’analyse phénoménologique interprétative à laquelle nous avons procédé a permis de décrire la trajectoire du deuil pandémique comme comprenant les quatre étapes suivantes : 1) un parcours de proche aidance perturbé par le contexte pandémique et les mesures sanitaires, 2) un rétrécissement de la fenêtre temporelle du mourir, 3) un décès survenant souvent de façon précipitée et, comme résultante, 4) un deuil pandémique.

À notre sens, compte tenu des caractéristiques présentées, le deuil pandémique ne peut d’emblée être considéré ni comme un deuil dit « normal », ni comme un deuil « compliqué » (Maciejewski et al., 2016) ou pathologique. Ainsi, en nous basant sur les expériences recueillies, nous préférons qualifier le deuil pandémique d’un deuil « suspendu », « morcelé » ou encore « fragmenté », qui peut prendre la forme d’un deuil normal, compliqué, désaffranchi et/ou complexe et prolongé. On comprend plutôt le deuil pandémique comme un deuil qui est difficile à entamer, qui s’étire dans un entre-deux nébuleux et qui est banalisé et non reconnu. En effet, des chercheurs sont arrivés dernièrement à la conclusion que les personnes endeuillées par des décès relatifs à la COVID-19 ont une prévalence plus élevée de symptômes de deuil que celles endeuillées par d’autres causes (naturelles ou non) de décès (Eisma et al., 2021). Nous proposons ainsi une définition qualitative du deuil pandémique qui se distingue de celle proposée par d’autres auteurs, qui le considèrent plutôt comme un syndrome de deuil d’emblée dysfonctionnel (par exemple, Sherman et Neimeyer, 2020).

Il nous semble important de relever le contexte plus large dans lequel s’inscrit cette expérience de deuil pandémique. À cet égard, les sociétés occidentales contemporaines peuvent être considérées comme postmortelles, en raison de la transformation de notre rapport à la mort dans la postmodernité, dans le sens où le contexte de fin de vie est caractérisé notamment par la sécularisation, avec une perte marquée des repères religieux, la médicalisation du mourir, avec une augmentation des repères scientifiques, l’individualisme, avec une accentuation de l’individualisation des rites funéraires et le tabou ou le déni de la mort, avec une atténuation de l’importance de vivre son deuil (Ummel, 2020; Lafontaine, 2008). D’autres auteurs, à l’instar de Turner et Rojek (2001), vont parler d’une crise de l’absence de sens (crisis of meaninglessness), pouvant constituer à la fois des conséquences et des facteurs inhérents aux attitudes parfois attribuées au déni de la mort : médicalisation de la mort, réticence à aborder la mort en public, perception du décès comme un échec et ségrégation des personnes âgées ou malades dans des hospices (Tradii et Robert, 2019; Callahan, 2017). À cela s’ajoute également l’âgisme, soit des attitudes teintées de préjugés ainsi que de fausses croyances envers les personnes aînées (Lagacé, 2010). Le fait que la très large majorité des personnes décédées des suites de la COVID-19 aient 70 ans et plus a en outre généré une forme de banalisation de ces décès, dans un contexte où la normalisation du décès et du deuil constituait déjà un défi. Alors que de nombreux travaux empiriques soutiennent le fait que la création de sens constitue un facteur protecteur dans la trajectoire de deuil, y compris dans le cas des décès relatifs à la COVID-19 (Breen et al., 2021), des facteurs tels que la banalisation des décès, des marques de soutien moins présentes, voire la réception de commentaires blessants nous amènent à concevoir le deuil pandémique comme un deuil partageant certaines caractéristiques avec le deuil désaffranchi.

Doka (2002, 1989) décrit le deuil désaffranchi ou non reconnu (disenfranchised grief) comme le fait de vivre l’expérience d’une perte significative engendrant un sentiment de deuil, mais qui n’est pas reconnu en tant que tel par l’entourage. Parmi les facteurs pouvant contribuer à l’émergence d’un deuil désaffranchi, on compte la non-reconnaissance de la sévérité de la perte, l’absence de rituel, les circonstances entourant le décès, ou encore le fait que la perte soit dévaluée. Ces éléments présentés par Doka font écho à plusieurs aspects de l’expérience de deuil pandémique tels que décrits dans cet article. Ainsi, nous proposons que le deuil pandémique et le deuil désaffranchi partagent certaines similitudes sans être parfaitement équivalents, dans le sens où le deuil pandémique pourrait constituer une forme particulière de deuil désaffranchi. En effet, la trajectoire de deuil pandémique comporte des particularités qui sont liées au contexte dans lequel il s’inscrit, en particulier les conséquences sur le plan psychosocial des mesures sociosanitaires imposées par la santé publique.

À notre connaissance, cette étude est la première à porter sur l’expérience de deuil pandémique dans une perspective qualitative et phénoménologique. Malgré son apport dans la proposition d’une définition qualitative et dynamique du deuil pandémique, cette étude présente également des limites. D’abord, l’échantillon se limitait aux personnes ayant vécu un décès dans la première vague de la COVID-19, alors que les mesures sanitaires imposées par le gouvernement étaient particulièrement draconiennes relativement à l’accompagnement et aux rites funéraires. Il est possible que l’assouplissement des mesures puisse modifier la trajectoire de deuil pandémique des personnes endeuillées à d’autres moments de la pandémie. De plus, comme c’est souvent le cas dans les études sur le deuil, il y avait une proportion importante de femmes au sein de notre échantillon.

Rappelons que l’étude, d’inspiration phénoménologique et interprétative, se situe dans un paradigme constructiviste. Ainsi, la compréhension du deuil pandémique qui en découle se doit d’être appréciée dans ce contexte. Pour assurer la qualité scientifique de la présente étude, les critères proposés par Tracy (2010), en particulier la pertinence, la richesse, la crédibilité et la cohérence, constituent des balises dans la réalisation de l’ensemble du projet.

Comment accompagner le deuil pandémique?

La plupart des décès s’inscrivant dans un contexte pandémique partagent différentes caractéristiques, comme des restrictions importantes dans l’accompagnement dans la maladie et la fin de vie, une possible absence au moment du décès, parfois même une impossibilité de constater le décès concrètement, notamment en voyant le corps du défunt. Pour de nombreuses personnes endeuillées en contexte pandémique, la représentation même de la perte demeure irréelle (« ça ne se peut pas »), l’intégration de cette information ne parvenant pas à s’effectuer sur le plan psychique. Dans le projet de recherche plus large dans lequel la présente étude s’inscrit, nous avons offert aux personnes endeuillées un espace de mise en récit, dans lequel elles ont eu la possibilité de raconter leur histoire de proche aidance et le début de leur trajectoire de deuil grâce à un échange coconstruit. Nous avons été surprises de constater à quel point cet espace de mise en récit avait été apprécié et considéré comme soulageant, répondant particulièrement bien aux particularités du deuil pandémique. En effet, dans un contexte dans lequel la perte est difficilement intégrable, la symbolisation par des modalités alternatives et, notamment, créatrices de représentations de la perte nous semble constituer une avenue prometteuse. Enfin, le volet participatif a permis de créer un lieu de partage d’expériences, comme un espace thérapeutique pour reconnaître la perte et la douleur y étant associée, et également d’unir et de développer un récit partagé de l’histoire de perte, qui pourra ainsi être comprise et intégrée grâce à un soutien collectif.