Corps de l’article

Les changements climatiques et environnementaux sont au coeur des débats et des polémiques concernant l’avenir de la planète et de sa population. Les préoccupations qui en découlent ont des répercussions sur le bien-être et la santé mentale des personnes, et sur leurs décisions et engagements dans différentes sphères de leur vie, incluant celle de mettre au monde ou non un enfant. Les effets possibles des changements climatiques et environnementaux sur les intentions de fécondité des individus ont récemment été abordés dans divers médias grand public (Business Insider, Blum, 2020; HuffingtonPostFrance, 2019; Morning Consult, Jenkins, 2020; Marie-Claire États-Unis, McNally, 2022; l’émission Pénélope, Radio-Canada, 2023, notamment). Les médias peuvent ainsi jouer un rôle dans la sensibilisation du public aux défis et enjeux démographiques, climatiques et environnementaux. En fournissant une couverture médiatique sur ces différents défis, les médias contribuent en effet à informer et à éduquer le public, mais peuvent aussi stimuler un sentiment d’urgence collective pour agir. La manière dont les médias exposent ces défis peut contribuer toutefois aussi à créer de l’écoanxiété chez les individus. La façon dont les médias abordent et traitent ces sujets peut en effet accroître les niveaux d’anxiété chez certaines personnes, en particulier chez les jeunes, qui sont en train de construire leur avenir personnel et professionnel, et chez les personnes déjà préoccupées par l’environnement. Ces traitements médiatiques peuvent également influencer les perceptions des individus sur l’avenir et la durabilité de la vie sur Terre. Une couverture médiatique qui met ainsi l’accent sur les conséquences du changement climatique et d’autres problèmes environnementaux peut, d’une part, amener certaines personnes à remettre en question l’idée d’avoir des enfants dans un monde confronté à des défis environnementaux croissants. Elle peut aussi, d’autre part, en mettant en lumière les initiatives positives et les histoires de succès dans la lutte contre les changements climatiques et la protection de l’environnement, inspirer l’espoir et l’action chez d’autres personnes, ce qui pourrait aussi influencer leurs intentions de fécondité.

Dans le cadre de cet article, nous souhaitons ainsi explorer la manière dont les médias francophones de presse écrite traitent aujourd’hui des enjeux climatiques au regard des choix reproductifs. Après un rappel des deux principaux concepts d’ordre psychosocial associés aux défis climatiques, la solastagie et l’écoanxiété, et une présentation de recherches sur les liens entre changements climatiques et intentions de fécondité, nous examinerons, à travers des articles médiatiques diffusés récemment auprès du grand public francophone, les discours dominants associés aux changements climatiques et aux dynamiques de population. Cette analyse nous permettra plus particulièrement de cerner la manière dont les médias contribuent à travers leurs articles à situer les choix reproductifs dans le cadre des enjeux climatiques et environnementaux.

Solastalgie et écoanxiété : de quoi s’agit-il?

Les recherches quant aux effets de la crise climatique sur le bien-être et la santé mentale des personnes se sont développées autour de deux concepts, la solastagie et l’écoanxiété, deux dimensions parfois confondues, parfois différenciées. La solastalgie (Albrecht, 2005; Albrecht et al., 2007; Galway et al., 2019) désigne les répercussions des événements climatiques, proches plutôt que distants, ainsi que leurs divers impacts sur le bien-être et en particulier sur la santé mentale en provoquant un sentiment d’impuissance, un « mal du pays sans exil », un « chagrin écologique » (Phillips, 2019) qui pourrait s’apparenter à un processus de deuil. L’écoanxiété renvoie, selon l’Association américaine de psychologie (2017), à une « peur chronique d’un désastre environnemental » (traduction libre, p. 68) qui s’accompagnerait de conséquences psychologiques multiples (stress amplifié, relations sociales tendues, dépression, suicide, abus de substances, violence, etc.). Pour Hayes et al. (2018), l’écoanxiété se réfère plus précisément à « l’anxiété à laquelle les personnes font face en étant constamment confrontées aux problèmes pernicieux et menaçants associés aux changements climatiques » (traduction libre, p. 7). Ces auteurs distinguent par ailleurs trois façons d’être affecté psychologiquement par les changements climatiques : des répercussions directes qui sont associées à des événements environnementaux comme des catastrophes naturelles; des répercussions indirectes qui résultent de la dégradation des conditions de vie et qui nécessitent, par exemple, une migration; et des répercussions liées à la prise de conscience d’une menace globale plus diffuse qui se rapproche d’une menace existentielle et qui se manifeste par un mal-être « chronique » (Pihkala, 2020).

Les recherches sur les défis climatiques et populationnels relèvent la complexité des ressentis émotionnels (solastagie et écoanxiété), en soulignant cependant des attitudes communes, notamment leurs renvois à l’incertitude, à l’imprévisibilité, au manque de contrôle et à l’accablement des populations (Pihkala, 2020; Coffey et al., 2021). Elles mentionnent également l’existence de biais occidentalocentriques quant aux populations étudiées et relèvent des visions de l’avenir variables selon l’approche méthodologique et le type de données pris en compte (Higginbotam, 2014; Hayes et al., 2018; Clayton et Karazsia, 2020).

Les répercussions des changements climatiques et de leurs conséquences psychosociales sur les intentions reproductives ont fait l’objet aussi de quelques recherches scientifiques dont nous présentons maintenant les principales lignes de force.

Changements climatiques et intentions de fécondité : que disent les recherches sur les liens entre changements climatiques et intentions de fécondité?

Plusieurs études ont mentionné des liens entre les préoccupations climatiques et les intentions reproductives, en soulignant toutefois des tendances contradictoires selon la région du monde et la population considérées. Au Canada, des études réalisées auprès de personnes étudiantes dans une université en Ontario (Arnocky et al., 2012; Davis et al., 2005, 2019) indiquaient par exemple que les préoccupations environnementales et liées à la santé, notamment, ont un effet significatif et négatif sur le projet d’avoir un enfant. En Colombie-Britannique, une étude basée sur une approche autophotographique de femmes nullipares (Smith et al., 2022) a permis également d’illustrer leurs inquiétudes climatiques et leur écoanxiété, et de montrer les questionnements et doutes que ces inquiétudes engendrent au moment où elles envisagent de fonder une famille. Plusieurs démographes ont par ailleurs estimé qu’au Canada, les « changements climatiques et la détérioration de l’environnement qui en résulte risquent de faire augmenter le nombre de personnes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants, si l’avenir leur paraît plus incertain » (Statistique Canada, 2019).

Une étude réalisée aux États-Unis par Schneider-Mayerson et Leong (2020) auprès de 607 personnes âgées de 27 à 45 ans a révélé aussi leurs préoccupations écoreproductives à l’ère des changements climatiques et la manière dont ces personnes intègrent les considérations environnementales dans leurs décisions de procréation. La quasi-totalité de ces personnes (97 %) mentionne ainsi être préoccupée par les changements climatiques, notamment pour le bien-être de leurs enfants ou futurs enfants. Ces préoccupations sont rapportées autant par les femmes que par les hommes, mais plus souvent par les plus jeunes. Les préoccupations quant aux effets de la fécondité (présence d’enfants) sur l’empreinte carbone ont en outre plus fréquemment été mentionnées par les personnes sans enfant, tandis que les personnes qui ont déclaré ne pas vouloir d’enfant ont avancé, comme seul motif à leur choix, leurs inquiétudes climatiques. Pour les personnes hésitantes à procréer ou déjà parents, les enjeux climatiques ne constituaient qu’un facteur parmi d’autres (économiques, situation conjugale, etc.) dans leur réflexion à avoir un enfant ou un enfant supplémentaire. Des entrevues réalisées aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande auprès de femmes et d’hommes en âge d’avoir des enfants ont permis par ailleurs d’observer le lien entre leur décision de ne pas avoir d’enfant et leurs inquiétudes face à la surpopulation, à la surconsommation, à l’incertitude quant à l’avenir et face à une catastrophe à venir qu’ils ressentent comme inévitable (Helm et al., 2021).

Une enquête réalisée auprès de personnes résidentes dans l’un des pays de l’Union européenne (De Rose et Testa, 2013) a permis d’observer une variation importante dans l’évaluation de la menace causée par les changements climatiques. C’est au Luxembourg que les personnes interrogées mentionnaient le plus souvent leur inquiétude climatique (33 %) et au Portugal le moins fréquemment (10 %). Les autrices de cette enquête ont observé, en outre, que plus l’inquiétude face aux changements climatiques était élevée, plus le nombre d’enfants souhaité l’était aussi. L’étude réalisée en Irlande par Musialczyk (2020) sur les attitudes à l’égard de la procréation à la lumière du changement climatique soulignait pour sa part l’impact négatif des changements climatiques sur les décisions de procréation. En Belgique, l’étude de Vitiello (2020) montre, quant à elle, que parmi les personnes qui n’ont pas d’enfant, les inquiétudes face aux conditions de vie des générations futures constitueraient pour une majorité d’entre elles le premier facteur de dissuasion à procréer. L’autrice relevait également un registre d’émotions négatives (angoisse, peur, tristesse, colère, déception et résignation) à l’égard de la dégradation écologique qui aurait aussi pour effet d’influencer négativement les intentions de fécondité. Dans une étude menée en 2011 dans quatre pays d’Europe de l’Est (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie), Szczuka (2022) a observé une corrélation significative entre les préoccupations liées aux changements climatiques et la taille idéale de la famille. Ainsi, les personnes qui exprimaient être préoccupées par le climat déclaraient aussi le plus souvent qu’un seul enfant était l’idéal, alors que celles qui étaient les moins écoanxieuses déclaraient souhaiter une famille avec plusieurs enfants. En Pologne, également, une étude réalisée auprès de femmes et d’hommes sans enfant relevait un lien entre les intentions de procréation, les perceptions à l’égard des changements climatiques et les attitudes à l’égard de la mort (Bielawaska-Batorowicz et al., 2022). Les résultats de cette étude ont montré notamment que les personnes qui souhaitaient avoir un enfant présentaient aussi le niveau d’écoanxiété et de peur de la mort le plus élevé, alors que les personnes les moins angoissées par l’avenir et la mort souhaitaient moins souvent avoir un enfant. Cette observation fait dire aux autrices :

il est probable que des projets de reproduction puissent agir comme un remède à la peur de la mort, les enfants à venir seraient une sorte de continuité (héritage) personnelle et un marqueur de sa propre existence. Ainsi, les personnes qui ressentent une anxiété plus intense à l’égard de la mort opteraient plus souvent pour des solutions susceptibles de diminuer leurs inquiétudes associées à une invisibilité de leur existence (traduction libre, p. 10).

Ce constat rejoint les conclusions d’une étude qui soulignait qu’un enfant pouvait être attendu, désiré par la reconnaissance sociale qu’il donne au parent, mais aussi par le fait qu’il lui permette de perdurer (à travers sa descendance) et par le sentiment qu’il lui procure, en particulier en lui donnant le sentiment d’être un « moi éternel » (Charton, 2006, p. 243).

Plusieurs études ont montré également que des personnes sans enfant par choix justifient fréquemment leur infécondité en l’inscrivant dans une démarche militante pour lutter contre la surpopulation et pour contribuer à la préservation des ressources naturelles (Shapiro, 2014; Avison et Furnham, 2015; De Pierrepont et Lévy, 2017). Une étude européenne réalisée également auprès de femmes sans enfant par choix soulignait que leur motivation, principale ou secondaire, pour justifier leur choix était fréquemment associée à des enjeux écologiques et à de l’écoanxiété (Passau, 2021). En Suisse plus particulièrement, un examen des motivations à ne pas avoir d’enfant a permis de constater que, pour un grand nombre d’hommes et de femmes volontairement sans enfant, ce choix était vécu comme une forme de résistance et de résilience face aux changements climatiques (Krähenbühl, 2022).

Pour certaines personnes écoanxieuses, avoir des enfants peut au contraire être un moyen de lutter contre les changements climatiques, notamment en éduquant les jeunes générations à devenir de futurs activistes dans la lutte pour atténuer les changements climatiques (Helm et al., 2021). Cette vision pronataliste ressort aussi de l’étude de Schneider-Mayerson (2022), qui observe que les parents ou les personnes qui projettent de le devenir semblent plus impliqués à s’investir à limiter les effets de serre que les non-parents. Chez les personnes sans enfant ou ayant une position ambivalente à l’égard d’un projet d’enfant, deux éléments ressortent pour expliquer leur position à l’égard de la procréation. Le premier renvoie au coût estimé élevé de l’investissement parental, qui entraînerait une réduction de l’implication des parents en matière de financement et de bénévolat dans des luttes environnementales. Le second présente l’infécondité comme un « outil politique asocial » pour sensibiliser leur entourage quant aux enjeux climatiques et le convaincre du sérieux de leur engagement dans l’activisme climatique.

Finalement, toutes les recherches mentionnées mettent en lumière des divergences dans les intentions de fécondité face aux changements climatiques, mais aussi le rôle que les populations étudiées attribuent à la reproduction humaine dans ces enjeux climatiques et environnementaux.

Bien que les médias mettent fréquemment en avant les défis environnementaux liés aux changements climatiques et les interrogations des jeunes générations sur leur volonté de devenir parents, à notre connaissance, aucune étude récente n’a encore analysé de manière approfondie les messages véhiculés par les médias de presse écrite concernant les liens entre les enjeux climatiques et reproductifs. Les recherches menées sur la façon dont les médias traitent les changements climatiques, principalement au cours des années 2010, ont surtout examiné la couverture des sujets liés aux enjeux climatiques et environnementaux ainsi que certaines de leurs conséquences (voir par exemple Brown et al., 2011; Ahchong et Dodds, 2012; Painter et Ashe, 2012; Schmidt et al., 2013; Schäfer et Schlichting, 2014; Vu et al., 2019; Mercado, 2019). Ces études n’ont toutefois pas pris en considération les discours relatifs aux choix reproductifs. Dans cet article, nous proposons de combler cette lacune en nous concentrant spécifiquement sur les articles journalistiques francophones abordant les préoccupations liées aux changements climatiques et aux choix reproductifs. À cette fin, nous analyserons un ensemble d’articles publiés dans des médias francophones (quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, disponibles en version papier ou en ligne), afin de dégager une vision des perspectives médiatiques relatives à ces préoccupations, en mettant particulièrement en lumière la place accordée à l’enfant potentiel dans ces débats.

Cet article ne vise pas à entreprendre une analyse politique des orientations éditoriales des médias mentionnés, mais plutôt à étudier la manière dont les médias francophones traitent actuellement des enjeux climatiques ainsi que des discours et attitudes concernant la reproduction.

Analyse exploratoire des thèmes liés aux changements climatiques et aux intentions de fécondité diffusés dans des médias francophones

L’analyse exploratoire des enjeux climatiques et des projets parentaux dans les médias francophones se divise en deux volets. Dans un premier volet, nous examinerons la manière dont les médias présentent les informations sur les défis climatiques et les décisions de reproduction et en discutent. Dans le second volet, nous identifierons les principales thématiques associées aux changements climatiques, ainsi que les positions et motivations liées à la décision d’avoir ou non des enfants.

Ce travail s’appuiera sur la théorie des représentations médiatiques pour examiner comment les médias abordent le rôle de la fécondité en lien avec les changements climatiques (Hall, 1997; Ruellan, 2004). Cette théorie reconnaît que les médias ne sont pas simplement des miroirs neutres de la réalité, mais qu’ils jouent un rôle actif dans la construction du sens en filtrant et en interprétant les informations avant de les présenter au public. Selon cette théorie, les médias influencent la compréhension du monde en mettant en avant certaines idées, en les répétant, en les amplifiant ou en les négligeant. Les représentations médiatiques sont influencées par divers facteurs, notamment les intérêts commerciaux des médias, les normes culturelles, les valeurs sociales dominantes, les idéologies politiques et les contraintes de production journalistique. Cet article n’explorera pas les influences sur les orientations éditoriales des médias, ni leur effet sur les attitudes et les comportements du public. Notre étude se concentrera essentiellement sur la sélection et la diffusion des informations dans les médias écrits francophones grand public. Cette approche théorique a déjà été utilisée dans diverses recherches, comme celle de Rabatel et Floréa (2011), qui ont examiné les représentations de la mort dans les médias. Leur analyse a porté sur la présentation, la discussion et l’interprétation de la mort dans les journaux, à la télévision et dans d’autres sources d’information, mettant en lumière les tendances, les stéréotypes et les conventions narratives qui influencent la façon dont elle est représentée. Ces auteurs discutent par ailleurs des enjeux éthiques et moraux associés à la représentation de la mort dans les médias et invitent à une réflexion sur les pistes à mettre en place pour une couverture médiatique plus équilibrée et responsable de ce sujet sensible. L’étude de Schäfer (2015), quant à elle, a porté sur le rôle des médias dans le traitement du changement climatique. L’auteur examine plus spécifiquement comment les médias abordent les questions liées aux changements climatiques, en analysant les tendances, les cadres de narration et les messages véhiculés dans les différentes formes de médias, y compris la presse écrite, la télévision, la radio et les médias en ligne. L’article examine également l’impact des représentations médiatiques des changements climatiques sur les perceptions du public, les attitudes et les comportements, ainsi que sur les politiques et les actions en matière d’environnement. L’étude de Mercado (2012), qui s’est intéressée à la presse argentine, s’est penchée également sur les représentations médiatiques des changements climatiques. En mettant en lumière les caractéristiques spécifiques de la couverture médiatique des changements climatiques en Argentine, l’étude a permis aussi de souligner que la façon dont un sujet est traité dans les médias s’inscrit toujours dans un contexte culturel et médiatique spécifique.

Méthodologie

Sur le plan méthodologique, la première étape de notre travail a consisté à la constitution d’un corpus d’articles de presse. Pour ce faire, nous avons élaboré une liste de mots-clés associant l’écoanxiété et les intentions reproductives, élaborée à partir de notre revue de la littérature (Tableau 1).

En mai 2022, une première recherche d’articles de presse, publiés entre 2015 et 2022 et référencés sur la plateforme Google, a été entreprise à partir des mots-clés préalablement identifiés. En raison de l’absence d’articles de presse en français portant sur le lien entre les intentions de fécondité et les changements climatiques avant 2015, cette année a été choisie comme point de départ pour la publication de tels articles. Nous avons délimité le corpus d’articles journalistiques dans un second temps en prenant en compte les critères d’inclusion suivants : presse écrite, presse francophone, journaux, magazines, articles journalistiques, francophone.

Tableau 1

Liste des mots clefs utilisés pour l’élaboration du corpus journalistique francophone

Liste des mots clefs utilisés pour l’élaboration du corpus journalistique francophone

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Chaque mot-clé a été examiné pour un minimum de 150 occurrences (soit au moins 150 articles de presse trouvés). Lorsqu’un nombre de résultats pertinents était trouvé, la recherche était étendue jusqu’à atteindre 250 occurrences. En juin 2022, la recherche a été complétée par la consultation de la banque de données ABI/informed dateline, qui recense, entre autres, des articles de journaux, des magazines, des bulletins d’information et d’autres sources d’actualité. Ce travail a confirmé la validité de notre échantillon. Parmi l’ensemble des textes collectés (n = 134), 69 articles en français ont été sélectionnés (cf. Annexe 1). Ces articles abordaient des thèmes liés aux questions environnementales, à l’écoanxiété et aux intentions reproductives ou projet d’enfant. La majorité des articles journalistiques recensés (67 %) ont été rédigés par des femmes, tandis que 16 % de ces articles étaient publiés dans des médias généralement destinés aux femmes. Plus de la moitié de ces articles provenaient de journaux et de magazines imprimés qui étaient également disponibles en ligne (52 %). Les autres articles provenaient de médias exclusivement en ligne (28 %), de sites Web de chaînes de télévision ou de radio présentant du contenu à l’affiche[1] (20 %).

La problématique des changements climatiques et de leurs influences sur les intentions de fécondité est devenue un sujet de plus en plus fréquemment traité dans les médias au fil des années. Le nombre d’articles francophones traitant ce sujet est passé, en effet, entre 2015 et mai 2022, d’un seul en 2015 à 14 en 2019 et 2020, pour atteindre 21 articles en 2021. Ces articles ont principalement été publiés dans la presse française (62 %), suivie par celle du Québec (22 %), et étaient destinés à un public généraliste dans une large mesure (62 %), c’est-à-dire publiés dans des journaux non thématiques.

Après une première lecture exploratoire des 69 articles sélectionnés afin d’identifier les principaux thèmes abordés, une seconde lecture a été entreprise pour analyser et coder les titres, ainsi que les passages significatifs des textes (Earl et al., 2004; Chamaret, 2011). Ce processus de codification et de sélection de passages significatifs visait à identifier diverses caractéristiques considérées comme pertinentes pour notre étude telles que, par exemple, l’origine des articles (pays), la présence de champs lexicaux spécifiques, le type d’opinion exprimé, la référence à des études scientifiques, à des expertises ou à des sondages. Ce travail a permis, par ailleurs, à travers une démarche inductive, par « catégorisation continue » (Paillé et Mucchielli, 2021), de dégager les thèmes récurrents associant des changements climatiques, des écoémotions et des intentions reproductives.

Résultats des analyses

Analyse des titres

L’analyse des titres revêt une forte importance dans l’évaluation du contenu de notre corpus, car les articles journalistiques sont conçus pour capter l’attention des personnes lectrices et les inciter à poursuivre leur lecture. Dans notre corpus, la majorité des titres (78 %) adopte un style se voulant percutant, soit en formulant des affirmations directes (42, soit 61 %) (par exemple, l’article 55[2] : « 4 jeunes sur 10 ne veulent pas d’enfant en raison de la crise climatique »), soit en exprimant des idées de manière négative (12, soit 17 %) (par exemple, l’article 32 : « Ne pas avoir d’enfants pour sauver la planète ») (tableau 2). Une minorité de titres (15, soit 22 %), bien qu’employant également un style percutant, cherche à maintenir une certaine neutralité en utilisant des formulations interrogatives (par exemple, l’article 39 : « Arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? Posons-nous d’abord les bonnes questions »).

Les trois quarts des titres des articles journalistiques soulignent directement le lien entre la situation écologique et les choix reproductifs. Certains affirment clairement un refus d’avoir un enfant (40 articles, soit 58 %), comme l’article 33 : « Ces Français ont décidé de faire peu (ou pas) d’enfants pour sauver la planète ». D’autres questionnent ce lien (9 articles, soit 13 %) : « Faire des enfants, est-ce irresponsable pour l’écologie ? » (article 61), tandis que quelques-uns mentionnent une position en faveur de la procréation (3 articles, soit 4 %) : « La meilleure façon de devenir écolo ? “Faites un enfant !” » (article 58). Les titres restants font référence à des groupes de personnes qui privilégient le choix de ne pas avoir d’enfant pour des raisons écologiques (10 articles, soit 15 %) : « Le triste manifeste des “Ginks” [Green Inclination No Kid] : arrêter de procréer pour sauver la planète » (article 42), ou soulignent une conséquence de l’écoanxiété chez les jeunes (5 articles, soit 7 %) : « 4 jeunes sur 10 ne veulent pas d’enfant en raison de la crise climatique » (article 55).

Quant au lexique utilisé dans les titres, la majorité des titres (53 articles, soit 77 %) met en avant l’écoanxiété ou des affects associés, tels que la peur, la tristesse (par exemple : « Entre peur et tristesse, l’éco-anxiété, une nouvelle forme de dépression », article 17), l’angoisse (« Éco-anxiété : Les changements climatiques angoissent », article 47) ou la panique (« J’ai des sensations de panique, je ne sais pas si j’aurai des enfants », article 3). Le thème de la surpopulation est abordé dans neuf titres (13 %), comme dans l’article 68 : « La raison pour laquelle je ne veux pas d’enfant ? Nous sommes trop nombreux », tandis que des comportements favorisant la préservation de la planète sont mentionnés dans 15 titres (22 %), tels que : « Faire moins d’enfants pour sauver la planète : itinéraire d’une thèse vivace » (article 46). Neuf titres (13 %) laissent également entendre que les comportements à l’égard de la reproduction dépendent de mesures pouvant être prises pour réduire le réchauffement climatique, comme dans : « Ils s’engagent à ne pas avoir d’enfant en attendant des actions pour le climat » (article 5). Finalement, seulement deux titres (3 %) font directement référence au déclin de la planète, comme dans : « Bébé apocalypse : avoir des enfants quand la planète se meurt » (article 18).

Tableau 2

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon diverses caractéristiques des titres

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon diverses caractéristiques des titres

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La majorité des articles de presse écrite francophone (53 articles, soit 76 %) adopte une approche descriptive des questions environnementales et démographiques, privilégiant une certaine neutralité quant aux effets de la fécondité sur les changements climatiques[3] (tableau 3). Cependant, seize articles prennent position, avec huit articles (12 %) soulignant le rôle potentiel de l’infécondité volontaire sur le climat (articles 1, 7, 12, 13, 25, 50, 51, 65), tandis que huit autres articles critiquent cette position (articles 20, 21, 42, 57, 58, 66, 67, 69).

Une des principales sources utilisées par les journalises de ces articles de presse comprend des références scientifiques (33 articles, soit 47 %). Ces recherches proviennent principalement du champ des études sur le climat et l’environnement, de la démographie et de la psychologie. Dans une proportion similaire, les positions des journalistes s’appuient sur des entretiens avec des personnes ayant une expertise, qu’elles soient issues du domaine clinique (par exemple médecins) ou de la recherche universitaire (33 articles, soit 47 %). Les informations diffusées dans les articles s’appuient également parfois sur des données statistiques issues de sondages grand public (4 articles, soit 6 %) ou de témoignages de parents (13 articles, soit 19 %).

Tableau 3

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon diverses informations présentées dans les articles

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon diverses informations présentées dans les articles

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Analyse de contenu des articles

En plus de sensibiliser le public aux défis climatiques et de diffuser les avancées scientifiques, les médias peuvent également susciter une prise de conscience, parfois accompagnée d’une profonde détresse face aux changements environnementaux négatifs, ce qui contribue au sentiment de solastalgie (Albrecht, 2005). La manière dont les médias traitent la question de la procréation à la lumière des changements climatiques peut être interprétée différemment par les lecteurs et les lectrices. En analysant les thèmes des articles sélectionnés, nous souhaitons explorer les perspectives sur le lien entre les préoccupations climatiques et les intentions de procréation. Plus spécifiquement, nous examinerons deux visions opposées qui émergent de notre corpus : celle qui préconise de ne pas avoir d’enfant (ou de limiter leur nombre) comme stratégie climatique, et de l’autre, celle qui considère les futurs enfants comme des agents de changement écologique positif.

1. Ne pas avoir d’enfant comme stratégie de lutte contre les changements climatiques

Parmi les 69 articles journalistiques analysés, trois principales motivations sont avancées pour justifier la décision de ne pas avoir d’enfant ou de limiter la taille de sa famille : lutter contre la surpopulation tout en questionnant les enjeux d’inégalités entre pays, diminuer son empreinte écologique et agir sur l’avenir.

a. Lutter contre la surpopulation (51 articles, soit 74 %) et penser aux inégalités entre pays

La préoccupation liée à la surpopulation n’est pas nouvelle dans les discours publics, qu’ils soient démographiques, écologistes ou médiatiques (Charton, 2013). Elle apparaît régulièrement, notamment dans le contexte actuel de la crise climatique. Dans notre corpus, ce point de vue est le plus fréquemment avancé, avec 52 textes traitant de la surpopulation humaine comme l’un des principaux motifs justifiant la décision de ne pas avoir d’enfant (tableau 4). Voici quelques extraits illustrant cette perspective :

Je me demandais pour quelle raison il fallait rajouter des êtres humains sur cette planète alors qu’il y en a déjà plein.

article 8

Stabiliser et, “idéalement, réduire la population”.

article 24

Je pense que la très haute natalité mondiale doit se calmer pour donner une chance à l’humain de s’en sortir.

article 2

Faut-il freiner la croissance démographique pour sauver le climat?

article 4

Faut-il réduire la natalité pour protéger notre environnement ? […] Nous avons tous lu il y a quelques années dans des publications grand public qu’un enfant supplémentaire (dans un pays occidental) correspondrait à environ 58 tonnes d’équivalent CO2 par an et que l’autolimitation des naissances serait ainsi la manière prétendument la plus efficace de réduire, à l’échelle des individus, les émissions de gaz à effet de serre. Chaque enfant américain ajouterait 9 441 tonnes de CO2 au bilan carbone d’un de ses parents.

article 66

La surpopulation est également perçue dans certains articles comme préjudiciable en matière de consommation et de ressources disponibles : « Je ne vois pas l’intérêt d’imposer au monde un surconsommateur de plus. » (article 44)

Cette préoccupation concernant la surpopulation, parfois étayée par des données scientifiques, est également quelques fois associée à des prises de position politiques, comme le montrent les extraits suivants :

La démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, plus jeune représentante jamais élue au Congrès américain, estime qu’il est “légitime” de se demander “s’il est encore acceptable d’avoir des enfants”.

article 66

Renversons notre politique d’incitation à la natalité !

article 4

Toutefois, la crainte d’une surpopulation et de ses implications ne fait pas l’unanimité. Divers articles journalistiques mettent en évidence les enjeux et les responsabilités écologiques différenciées entre les populations des pays occidentaux et ceux du Sud, ainsi que la nécessité de prendre en compte les évolutions de la consommation selon les générations. Certains articles soulignent le caractère ethnocentrique des études, qui ne font pas suffisamment la distinction entre la surconsommation occidentale et la consommation de subsistance dans d’autres régions du monde :

Mais ne serait-il pas justement “responsable” pour les ressortissants de ces pays [occidentaux] de prendre leur part à cet effort ? […] Ces calculs sont plus que discutables. Ils supposent en effet qu’un parent serait “responsable” de la moitié des émissions de son enfant tout au long de la vie de ce dernier, d’un quart de la génération suivante, etc. Et ils ne tiennent pas compte des changements dans les habitudes de consommation de ces futurs enfants. »

article 66

Le mode de vie occidental […] pose donc un problème majeur.

article 44

Plusieurs journalistes remettent également en question le rôle exclusif attribué à la surpopulation dans les changements climatiques. En critiquant l’importance accordée à la surpopulation, ces journalistes semblent ainsi vouloir stimuler la réflexion et le questionnement sur les véritables causes des changements climatiques :

L’imposture de l’argument démographique […] Considérer le problème écologique sous le seul angle démographique est […] extrêmement réducteur.

article 42

Différents textes mentionnent enfin que le problème central des changements climatiques ne semble pas être une surpopulation humaine sur la planète, mais une inégalité de consommation. Ainsi, les pays économiquement les plus riches et démographiquement les moins peuplés sont aussi les plus pollueurs. Ces textes soulignent ainsi la nécessité de réduire avant tout son empreinte écologique.

b. Réduire son empreinte écologique (24 articles, soit 35 %)

Divers articles soulignent l’inquiétude, à un niveau individuel, quant à l’impact de la consommation personnelle. Cette préoccupation ajoute une dimension supplémentaire en associant l’effet de la reproduction à l’empreinte écologique de l’individu. Ainsi, l’enfant potentiel est perçu comme un pollueur dont les répercussions environnementales sont partiellement imputables aux parents :

Celle qui croit que les humains ont la responsabilité de réduire leur empreinte considère que l’ajout de personnes sur cette planète peut être considéré comme l’une des plus grandes empreintes que nous pouvons avoir. Une personne produit chaque jour une quantité absurde de déchets.

article 7

Il suffit d’assister à un baby shower pour se rendre compte du lien entre bébé et environnement. […] Chaque enfant a une empreinte écologique. Et des milliers de personnes meurent tous les jours à cause des dérèglements climatiques : on parle de la survie de l’humanité !

article 25

Pour les personnes qui se déclarent environnementalistes ou écologistes et qui sont citées dans les articles, l’enfant peut également être perçu comme une menace pour leur niveau d’engagement militant, leur vision de vie écologiste et leur bilan environnemental :

Je me demande si avoir un enfant n’annulerait pas tous mes efforts écologiques.

article 22

[J’ai] choisi de ne pas avoir d’enfant pour préserver la planète. […] J’ai décidé de ne pas avoir d’enfant pour préserver le futur de notre planète. […] Peu importe à quel point tu es écolo et tu respectes la planète [...], le meilleur moyen pour nous de réduire (notre empreinte carbone) est d’avoir moins d’enfants ou de ne pas avoir d’enfant.

article 63

L’enjeu majeur pour certaines personnes militantes écologistes semble résider dans l’impossibilité de contrôler leur éventuelle progéniture quant à ses conduites futures sur le plan de la protection de l’environnement, d’où le choix de ne pas avoir d’enfant :

Compenser le fait d’avoir un enfant en lui enseignant des gestes écologiques, c’est oublier que ces enfants nous échappent à un moment donné, et qu’ils restent avant tout des êtres humains qui vont consommer.

article 8
c. Agir sur l’avenir de l’écosystème (26 articles, soit 38 %)

En abordant les concepts d’écoanxiété et de solastalgie à travers diverses sources, les auteurs et autrices des articles soulèvent également des questions sur l’état de la nature dans le futur et les moyens d’agir sur ce futur, notamment par le biais des choix en matière de procréation. Plus précisément, 26 articles abordent la question du futur de l’écosystème comme élément de réflexion concernant le désir d’avoir ou non des enfants.

Pour plusieurs des personnes interviewées, c’est l’inconnu angoissant de cet avenir qui est au coeur des préoccupations. Les individus se trouvent en quelque sorte submergés par l’écoanxiété et la solastalgie face à cette incertitude. Ces états psychologiques contribuent à façonner une représentation d’un avenir personnel et collectif hors de contrôle, rendant difficile d’envisager la parentalité dans un monde invivable avec la détérioration des conditions de vie devenues problématiques :

Je n’arrive plus à me projeter sur le long terme, même à me dire de faire un enfant… Je suis inquiète de devenir mère dans un monde qui est en train de s’éteindre. J’imagine ce monde futur... […] ça me créer de la colère et de l’indignation, ça me glace.

article 16

Je trouve déjà très difficile, en tant que jeune, de se projeter dans son futur, alors se projeter avec des enfants, c’est pire. L’idée d’en avoir n’est pas un objectif dans ma vie, mais je ne suis pas fermée à l’idée si les conditions sont favorables. Là, elles sont tout sauf favorables.

article 24

Au-delà de la simple considération d’un avenir incertain, de nombreux témoignages cités et articles mettent en lumière une vision du futur marquée par les pénuries de ressources, la perte de la biodiversité, l’occurrence des phénomènes météorologiques extrêmes et les troubles sociaux qui en résultent, tels que les migrations massives et les conflits. Dans cette perspective, les conséquences des nouvelles configurations écologiques, économiques et sociologiques entraîneront des conditions de vie déplorables, voire l’extinction d’une grande partie de la population humaine mondiale ou même sa disparition, d’où un manque de désir d’enfant :

Je n’ai aucunement envie de larguer un môme sur cette planète.

article 44

Cette ambiance de fin du monde […] n’est pas très propice aux rêves d’avenir.

article 18

L’arrivée d’un enfant dans un monde devenu hostile, où l’environnement et le territoire sont dégradés, est perçue par certaines personnes comme moralement condamnable. De ce fait, la question du recours à la stérilisation comme acte militant ou comme moyen d’éviter d’avoir des enfants est soulevée :

Laura a décidé, après les quatre mois de réflexion imposés par la loi, de passer le cap de la stérilisation à visée contraceptive. Elle s’est fait opérer pour ne jamais tomber enceinte. “Libérée” et sûre, cette fois, d’être prise au sérieux.

article 35

Ainsi, en refusant ou en reportant la possibilité d’une naissance, les personnes interrogées dans ces articles mettent en évidence, en plus des angoisses des jeunes générations, leur désir de contrôle et de prise en main de leur propre avenir.

2. Avoir un enfant comme source de changements écologiques positifs (14 articles, soit 20 %)

Moins fréquemment évoqué dans les articles, le rôle positif de l’enfant est tout de même souligné dans un peu moins d’un quart d’entre eux (tableau 4). Deux fonctions associées à l’enfant et qui encouragent ainsi les jeunes générations à fonder une famille sont spécifiquement mentionnées : l’enfant comme porteur d’espoir de changements et comme source de mobilisation.

a. L’enfant, comme porteur d’espoir de changements (11 articles, soit 16 %)

Onze articles rapportent le désir exprimé par certaines personnes de procréer malgré leur conscience aiguë de la crise climatique et écologique, en suggérant que l’enfant à naître pourrait être une source de changements positifs, voire qu’il pourrait contribuer à résoudre les problèmes environnementaux :

Les enfants qui naissent aujourd’hui sont peut-être ceux qui trouveront les solutions les plus pertinentes pour lutter contre le réchauffement climatique.

article 66

Dans un monde tellement empreint du passé, quel autre miracle que celui de la naissance peut-il matérialiser le surgissement d’une nouveauté qui ait la puissance nécessaire pour transformer le monde ?

article 69

Avoir un enfant, ça peut aussi être une force de changement.

article 67

Le futur parent se projette ainsi dans un avenir plus optimiste, déléguant à sa progéniture le mandat d’améliorer les conditions environnementales. Dans cette perspective, les enfants pourraient devenir des sauveurs possibles de l’humanité grâce à leurs ressources créatrices qui permettront la mise en place de nouvelles stratégies de lutte.

b. L’enfant comme source de mobilisation (7 articles, soit 10 %)

Le second thème argumentatif en faveur d’une intention reproductive positive présente l’enfant comme une source de motivation à persévérer et à rappeler constamment l’importance de continuer à lutter pour un monde meilleur.

Avoir un enfant, ça peut aussi être […] une motivation pour dire “moi, je vais contribuer à un monde qui soit plus écologique, plus solidaire”.

article 58

Dans des situations assez confortables, la parentalité est un levier psychologique, car elle est en soi une transition : on se met en mouvement entre un point A et un point B. L’occasion d’évoluer sur d’autres sujets. Ensuite, côté pratico-pratique, instinctivement, on va vouloir protéger d’abord la maman enceinte, puis le bébé, de toutes les agressions, pour bien respirer, toucher, boire, manger, etc. Cet instinct de protection et cette responsabilisation matchent plutôt bien avec les solutions de la transition écologique. Enfin, quand on a un enfant, c’est quand même la première fois qu’on porte un intérêt sincère à ce qui se passera au-delà de notre existence, et donc aux générations futures. Et ça, c’est fondateur.

article 58

Dans les articles mettant en avant le rôle positif d’un projet d’enfant dans la transition écologique, le parent envisage, à travers son enfant, de canaliser son énergie et son engagement pour promouvoir des valeurs constructives garantissant un avenir viable à sa descendance.

Tableau 4

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon le rôle donné à l’enfant dans les changements climatiques

Distribution des articles journalistiques francophones sélectionnés selon le rôle donné à l’enfant dans les changements climatiques

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Discussion et conclusion

La question des changements climatiques et de leurs répercussions psychosociales, telles que l’écoanxiété, sur les projets de fécondité a été explorée dans des études scientifiques récentes. Ces recherches ont mis en évidence des perspectives contrastées concernant les intentions de procréer en lien avec les changements climatiques et écologiques. Le rejet d’un projet d’enfant obéit à plusieurs motifs tels que la lutte contre la surpopulation et la surconsommation, une vision pessimiste de l’avenir de la planète en voie de détérioration avancée, ou un engagement militant dans la lutte contre les changements climatiques incompatible avec une responsabilité parentale qui risquerait de le remettre en question. À l’inverse, des travaux soulignent qu’un projet d’enfant peut aussi être associé à l’espoir que la progéniture puisse renverser les tendances climatiques et contribuer à soigner la planète grâce à ses capacités créatives et à son implication dans des stratégies constructives et favorables à la planète. Dans les perspectives ouvertes par ces travaux, nous constatons néanmoins que, à notre connaissance, aucune étude n’a exploré ces thématiques dans les médias, qu’ils soient écrits ou audiovisuels. Avec cette étude exploratoire portant sur les médias écrits francophones, nous avons cherché à combler cette lacune avec une analyse thématique de 69 articles qui révèlent le traitement médiatique des enjeux entourant les répercussions des changements climatiques et écologiques, ainsi que des formes d’écoanxiété, sur les intentions de fécondité. L’analyse des articles, effectuée à plusieurs niveaux, révèle les stratégies médiatiques retenues dans le traitement de ces questions. En ce qui concerne les titres, pour attirer l’attention du lectorat, la grande majorité des journalistes recourent à des expressions affirmatives ou négatives qui mettent en évidence un lien très fort entre la situation climatique et écologique et les choix reproductifs. Le lexique utilisé dans une grande proportion des titres met en avant des émotions négatives associées à l’écoanxiété, telles que la peur, la tristesse, l’angoisse et la panique. Une majorité des articles exprime clairement le refus d’avoir des enfants pour des raisons liées à la surpopulation, à la surconsommation et aux inégalités existant entre pays riches et pays pauvres. Ces problématiques rejoignent les motifs recensés dans des recherches psychosociales qui constituent une source importante de références citées par les journalistes. À ces thématiques s’ajoute celle, moins importante, de la gestion de l’empreinte écologique, qu’il est important de réduire par une politique à la baisse des naissances, les enfants constituant des pollueurs potentiels et une menace au bilan environnemental, que les parents tentent d’améliorer par leurs conduites attentives et leur implication militante. Dans cette perspective, la réduction de la consommation personnelle et les gestes écologiques ne sont pas considérés comme étant suffisants par atténuer la pression exercée sur le climat et l’écologie. L’écoanxiété et la solastalgie face au futur incertain de la planète rendent difficile d’envisager la parentalité dans un monde qui sera confronté à une pénurie de ressources, à une biodiversité en danger et à des conflits sociopolitiques annonçant probablement un déclin de l’humanité, ce qui conduit certaines personnes à considérer l’arrivée d’un enfant comme éthiquement condamnable. À l’inverse de cette perspective pessimiste, une minorité d’articles, comme c’est le cas aussi dans les recherches en sciences sociales, aborde positivement un projet d’enfant, ce choix étant fondé sur la perception du rôle positif des enfants comme porteurs d’espoir, de créativité et d’une mobilisation significative, et qui pourront contribuer à moyen et à long termes à renverser les tendances entropiques sur le plan climatique et écologique.

Si cette analyse des médias francophones permet de dégager les préoccupations prédominantes entourant l’écoanxiété et les motivations sous-jacentes à la réalisation ou non d’un projet d’enfant, il serait nécessaire de poursuivre cette analyse exploratoire en diversifiant les sources médiatiques pour inclure des corpus provenant d’autres pays occidentaux, mais aussi des régions asiatiques et africaines, confrontés à des problèmes complexes touchant leur économie et la détérioration de leur environnement, mais aussi leurs politiques démographiques. Une autre perspective importante à cerner est celle de la réception de ces articles. En quoi ceux-ci contribuent-ils à accroître l’écoanxiété? Mais aussi, plus largement, en quoi contribuent-ils à une réflexion sur les enjeux environnementaux et sur les intentions de fécondité, et ce, en particulier dans les générations montantes? Cette question est d’autant plus importante que ce sont ces générations qui auront à assurer une responsabilité grandissante dans la gestion d’une planète soumise à des distorsions écologiques et climatiques très sévères. Ces conditions nécessiteront aussi une prise de conscience accrue et des choix de vie qui les amèneront à reconfigurer de façon profonde leurs stratégies de consommation et leurs priorités quant à la constitution de leur famille pour la survie de la planète.