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L’idée de république refait surface depuis quelques années au Québec : Louis-Georges Harvey, dans Le printemps de l’Amérique française (2005), a mis en perspective les racines républicaines et civiques de l’idéal patriote ; Yvan Lamonde et moi, dans Papineau : erreur sur la personne (2012), avons montré la constance des convictions républicaines de Louis-Joseph Papineau après 1845 et leur oblitération par la pensée réformiste ; on annonce la publication prochaine d’une anthologie de textes républicains, colligés notamment par Marc Chevrier, professeur de science politique à l’UQAM et auteur de La République québécoise : hommages à une idée suspecte.

Les sciences sociales, longtemps débordées par le nationalisme et ses alentours, ont peu réfléchi à l’achoppement des idées républicaines au Québec. Pourtant, ces idées auraient une grande pertinence dans l’édification d’un pays éventuel, comme le montre Marc Chevrier, qui va même jusqu’à esquisser, dans la seconde moitié de son livre, le contenu d’une constitution républicaine québécoise. Et pourtant. Tout récemment, Jacques Parizeau, qu’on ne saurait accuser d’improvisation lorsqu’il parle de souveraineté, écrivait que le républicanisme irait de soi après l’indépendance, tout en précisant que le système britannique serait maintenu. Trouvez l’erreur. À moins que cette contradiction apparente témoigne du désintérêt généralisé pour la question républicaine dont rend compte avec brio l’auteur de La République québécoise.

On sera d’abord intéressé par la riche présentation du monarchisme québécois, cet « impensé, ce résidu tenace de la culture politique québécoise qui sert encore de socle à notre frêle État ». Même si les Québécois se croient imperméables à cette royauté dont les membres viennent leur rendre visite de temps en temps, dont un certain samedi de la matraque, ils sont tributaires de vieilles allégeances qui les tiennent toujours. Dans ce contexte, le républicanisme trouve peu de défenseurs, sauf pendant le bref moment patriote que Louis-Georges Harvey a nommé le « printemps de l’Amérique française ». Après cet épisode inachevé, tous sont allés et vont encore dans la même direction :

Trop attachés à défendre la pérennité d’un peuple inassimilable, ils ont renoncé à la possibilité que ce peuple, qui a essuyé tant de revers ainsi que le mépris de ses propres enfants, pût néanmoins, sans vaciller, aller au bout de son désir d’avoir son État et de l’accorder à l’exigence d’un autogouvernement sans délayage ni enfantillage.

Marc Chevrier montre bien qu’on ne peut créer un pays sur les bases du nationalisme, qui n’est pas un régime politique. Seule la paradoxale volonté d’inachèvement peut convaincre du contraire. D’ailleurs, le politicologue a cette idée intéressante sur l’inachèvement : l’abbé Groulx serait le « penseur de la Révolution tranquille », le « théoricien du statu quo modernisateur, à savoir que le Québec, sans changer quoi que ce soit à son statut constitutionnel au sein du Canada, peut opérer en quelque sorte une révolution intérieure aboutissant à l’édification d’un État national français ». À méditer.

Le professeur de l’Université du Québec à Montréal convainc moins dans la partie de son essai consacrée à la « république néo-française ». Cherchant à réhabiliter la Nouvelle-France qu’il croit vouée aux gémonies par la tradition intellectuelle québécoise, il part de la définition de la république par Jean Bodin (« un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine ») pour montrer que la colonie était une république en devenir. Il écrit : « Bien avant la Conquête de 1763, la Nouvelle-France formait une “république” au sens classique de Jean Bodin, à partir de la paix de Trente Ans, qui va de 1713 à 1744, et qui donna à la colonie les assises d’une civilisation en voie d’épanouissement ». Il ajoute plus loin que « la Nouvelle-France présageait une république moderne en puissance, dans ce que recelait d’unique et imprévu l’expérience de ses habitants ». Si nous sommes d’accord pour dire, comme Chevrier, qu’absolutisme ne signifie pas despotisme, nous sommes plus perplexe face à une sorte de pétition de principe qui consiste à établir une acception de la République qui sied parfaitement au régime néo-français monarchique. Chevrier et son lecteur savent que l’acception ancienne est loin du sens moderne de la république, mais tout se passe comme si le brouillage des définitions permettait une sorte de saut à pieds joints vers la « république moderne en puissance » qu’aurait représentée la Nouvelle-France. Il y a là un certain goût de l’audace intellectuelle dont il vaut mieux être conscient.

Cette audace peut finir par déranger : partir des ultramontains du xixe siècle pour définir les intellectuels québécois d’aujourd’hui et d’hier, important leurs idées d’Europe et des États-Unis comme des tenants d’un « ultramontanisme intellectuel », laisse perplexe et semble surtout tenir de l’effet de cape. Également, on s’étonnera de certaines formules enflées, comme la description de l’histoire québécoise tel « un vaste désert jonché d’épaves vagissantes qui se sont échouées aux abords riants de la Révolution tranquille ». Finalement, on notera l’attaque de Chevrier contre son collègue de l’Université du Québec à Montréal, Jean-Marc Piotte, décrit comme un « marxiste italianisant et apôtre de l’extase militante ». Cette flèche acérée détonne et trahit un contentieux qui n’est pas réglé au pavillon Hubert-Aquin. Ça ne nous concerne pas.

Malgré ces réserves et ces vétilles, l’ouvrage de Marc Chevrier enrichit, à l’avance, le débat qui surviendra, fatalement, sur le régime républicain. Les mots de l’auteur sur le printemps 2012 invitent à l’espoir. Et il y a de plus en plus d’hirondelles dans le ciel.