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Le professeur Granatstein nous a habitués depuis longtemps à des prises de position très publiques, parfois passionnées, concernant une panoplie de questions reliées le plus fréquemment aux affaires courantes. Certains en sont venus à oublier que ce personnage est d’abord et avant tout un de nos meilleurs historiens. Ainsi vient-il de nous donner Canada’s Army, un livre de près de 500 pages, divisé en 11 chapitres, bien illustré de cartes et de photos et muni d’un excellent index.

La mission qu’il s’est donné dans Canada’s Army n’était pas facile. Il s’agissait, en quelque sorte, de refaire, presque cinquante ans plus tard, l’excellent Canada’s Soldiers, que George Stanley avait publié une première fois en 1954, qui avait été réédité à deux reprises avant d’être repris, en français, sous le titre Nos soldats, en 1980. Canada’s Army ne parle que de l’Armée de terre canadienne à travers les siècles, tout comme Stanley l’avait fait. Mais au contraire de ce dernier, il ne s’arrête malheureusement que très peu à la période du Régime français. De fait, cette longue période de notre assez courte histoire est plus ou moins escamotée.

Peut-être est-ce dû au thème qui sous-tend le travail de Granatstein, soit celui du professionnalisme de l’Armée canadienne. Apprendre le combat, pour des amateurs, prend un certain temps et ne se fait pas sans quelques erreurs coûteuses. Malheureusement, comme le souligne maintes fois Granatstein, c’est ce à quoi notre Armée fut condamnée par les gouvernements canadiens successifs.

Plusieurs autres aspects de notre histoire militaire sont couverts, de façon chronologique, sur la toile de fond du développement d’une armée professionnelle. Par exemple, Granatstein, face aux deux grandes guerres du xxe siècle, nous fait part de son érudition quant à tout ce qui entoure la vie du soldat qui se défend, attaque, est blessé, fait prisonnier ou meurt.

En ce qui concerne plus précisément la Première Guerre mondiale, l’auteur nous fait très bien comprendre l’effort logistique consenti par l’Armée canadienne (p. 106-108 ou p. 133) ou le rôle de l’université kaki. Parlant de la prise de la crête de Vimy, il mentionne que stratégiquement, ce ne fut qu’une des petites victoires alliées remportées ici et là sur les fronts mais que, tactiquement, ce fut un superbe accomplissement (p. 112). Par ailleurs, Granatstein reconnaît que la mystique créée autour du Corps expéditionnaire canadien à compter de Vimy a surtout touché le Canada anglais. L’avenir sociopolitique du Canada n’y a pas gagné énormément, conclut-il.

Plus loin, il tente d’expliquer pourquoi la 1re Armée canadienne, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, n’a pas aussi bien performé que le Corps expéditionnaire (CEC) des années 1914-1918. En 1939-1945, le Canada n’a pas eu à la tête de son Armée l’équivalent d’un sir Arthur Currie ; l’expérience du combat des unités et formations a été plus courte — alors que toutes les divisions du CEC se sont battues au moins deux ans avant la fin des combats, aucune, même celles d’Italie, n’en a fait autant entre 1939 et 1945 ; enfin, la guerre de 1939-1945 fut plus mortelle, plus fluide et plus technique (p. 255-256).

Le livre, malgré ses immenses qualités, a quelques lacunes en plus de la quasi-absence du Régime français. Par exemple, lorsque l’auteur fait allusion aux honneurs de guerre remis aux unités après 1918 (p. 159), il ne nous mentionne pas qu’elles furent finalement décernées à l’automne 1929, onze ans après la fin de la guerre. Ce point a son importance quand on connaît la pression qu’exercent aujourd’hui des unités pour être reconnues ici et maintenant pour des événements que les acteurs des années 1914-1918 auraient qualifiés d’escarmouches mineures, pas même pas dignes de deux lignes dans leurs journaux opérationnels.

Par ailleurs, je ne peux être d’accord avec certaines affirmations concernant les déviations qui auraient été faites en faveur des francophones dans l’Armée depuis les années 1970. Celles-ci, Pariseau et moi l’avons bien démontré, n’ont pratiquement pas existé. Cela dit, j’accepte pleinement la conclusion de Granatstein sur les résultats obtenus par le plan des langues officielles des forces, soit que la discipline et l’efficacité, au contraire de ce que certains avaient prédit, n’ont pas été sacrifiées sur l’autel du bilinguisme : le Canada a, aujourd’hui, les forces armées les plus « canadiennes » qu’il ait jamais eues. Enfin, il y a les petites erreurs : Jean-Victor Allard (p. 369) plutôt que Jean Victor ; 1ère [sic] Commando (p. 366) ou 1ere [sic] Commando (p. 407).

Au total toutefois, voici un livre à recommander à tous les étudiants ou professeurs universitaires en histoire du Canada, encore plus à ceux et celles qui se spécialisent dans l’aspect militaire de notre histoire. Cette oeuvre, importante à plus d’un égard, mériterait de paraître en français.