Comptes rendus

LACOMBE, Sylvie, La rencontre de deux peuples élus. Comparaison des ambitions nationale et impériale au Canada entre 1896 et 1920 (Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. « Sociologie contemporaine », 2002), 291 p.[Notice]

  • Ramsay Cook

…plus d’informations

  • Ramsay Cook
    Directeur général
    Dictionnaire biographique du Canada

Selon le professeur Sylvie Lacombe, une comparaison entre les doctrines « nationalistes » francophones véhiculées par Henri Bourassa et les idéaux « impérialistes » promus par une poignée d’intellectuels anglophones pourrait fonder une meilleure compréhension des deux variantes de « ces peuples élus ». Soigneusement documentée et argumentée avec clarté, son analyse démontre la valeur de cette approche. Cependant, certaines de ses propositions d’ordre plus général, dont sa conclusion selon laquelle « l’incompréhension mutuelle est plus profonde ou plus englobante qu’il n’y paraît à première vue ; il met en cause les totalités sociales elles-mêmes, et non seulement leurs membres respectifs » (p. 3), ne sera certainement pas sans susciter un débat. Cette citation montre qu’un ouvrage qui se lit souvent comme une classique histoire des idées s’enracine aussi dans la sociologie de la connaissance telle qu’exposée par le sociologue français Louis Dumont et, peut-être à un moindre degré, par le sociologue québécois Fernand Dumont. La première partie du livre, intitulée « Les apôtres de l’Amérique du Nord ou l’ambition nationale », est l’étude la plus convaincante publiée à ce jour sur les idées d’Henri Bourassa. Même si Lacombe ne recourt exclusivement qu’aux textes publiés, limitation que des historiens pourraient remettre en question, et qu’elle explore des domaines couverts par d’autres chercheurs, sa présentation de l’idéologie bourassiste est systématique et son interprétation en souligne avec exactitude les points importants. J’entends par là qu’elle aborde d’entrée de jeu les croyances religieuses de Bourassa et leurs conséquences sociopolitiques. Elle démontre, hors de tout doute raisonnable, que la carrière laïque de Bourassa ne peut se comprendre que si on admet que le catholicisme, c’est-à-dire la manière dont il l’entendait, a fourni le fondement et la philosophie de toutes ses idées et actions. Bien que « nationaliste » dans la mesure où il a consacré sa vie à la défense et à l’avancement de la culture canadienne-française et à l’autonomie constitutionnelle du Canada, il a néanmoins résisté à toute tentation (si l’on excepte peut-être son célèbre discours de Notre-Dame, en 1910), qu’elle vienne de lui ou de quiconque, de placer « la patrie » au-dessus de « la religion » dans son échelle de valeurs. On comprendrait mieux Bourassa en le définissant comme « patriote » plutôt que comme « nationaliste », mais nonobstant cette question de vocabulaire, Lacombe montre que, pour Bourassa, le « nationalisme » était un ensemble de positions morales dérivées de ses convictions religieuses. La loyauté des Canadiens français au catholicisme faisait d’eux « un peuple élu ». Cette thèse est brillamment exposée et expliquée aux pages 122-124. Si elle est moins originale que la première, la deuxième partie, intitulée « Les évangélistes de l’Empire ou l’ambition impériale », est tout aussi admirablement présentée. Je crois que Lacombe est la première chercheuse francophone à tenter de comprendre le « nationalisme » de ces intellectuels et de ces politiciens canadiens-anglais qui, durant un demi-siècle, ont été étiquetés comme « impérialistes » à la fois par les francophones et par les nationalistes anglophones d’allégeance libérale. Dans un superbe ouvrage intitulé The Sense of Power (1970), Carl Berger a montré que ce qualificatif était impropre et que, ayant étudié minutieusement l’évolution de l’idéologie « impérialiste » entre 1867 et 1914, « l’impérialisme était une forme du nationalisme canadien » : le nationalisme canadien britannique. Madame Lacombe rend hommage à l’ouvrage de Berger en en faisant bon usage, de même qu’à l’étude déjà ancienne de Norman Penlington sur le Canada et la Guerre des Boers. En outre, elle a parcouru avec soin une partie importante des nombreux écrits publiés dans périodiques et journaux. Plus …