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Les Patriotes ont définitivement la cote depuis quelques années. Après la publication des écrits des exilés, de la correspondance de chefs, voici la biographie d’un martyr : Amury Girod. Suisse émigré au Bas-Canada en 1831, Girod se lie rapidement au Parti patriote et meurt lors de la rébellion de 1837. En fait, Philippe Bernard présente non pas une biographie mais bien un hommage à celui qu’il considère comme un héros. Son ouvrage vise d’ailleurs essentiellement à réhabiliter le personnage qui a eu très mauvaise presse jusqu’à maintenant. Malheureusement, les archives dépouillées pour la rédaction de cet ouvrage n’ont pas permis à l’auteur de faire toute la lumière sur la vie mouvementée de son héros. Faute de renseignements fiables, il se borne souvent à établir des filiations intellectuelles et à brosser un portrait du contexte de l’époque. Il résume également la pensée de Girod en exposant les grandes lignes de ses écrits, quoique il évite toute analyse en profondeur.

En fait, le livre a de quoi laisser le lecteur perplexe. Basé sur des hypothèses non prouvées, des déclarations impossibles à documenter, des affirmations sans fondement, l’ouvrage relève plus de la fiction que de la réalité. Bernard nous présente la vie de Girod telle qu’elle aurait pu être vécue. La vraisemblance de la vie du héros n’est toutefois pas le gage de sa véracité. La construction de l’argumentation est ainsi faite qu’elle se résume en une montée vers la mort de Girod. L’historiographie a longtemps soutenu que le patriote s’était suicidé. Bernard rejette cette hypothèse pour proposer la thèse de l’assassinat, transformant sa mort en martyre : « Malgré l’absence de preuves formelles, nous pouvons affirmer qu’il faut écarter la thèse du suicide et retenir celle de l’homicide. » Cette phrase expose bien le problème de l’ouvrage. Bernard a peut-être raison, mais il n’offre jamais de preuve de ce qu’il avance.

Cette biographie-fiction est tout de même intéressante sur le plan historiographique. Nous y retrouvons tous les éléments du discours historique dominant actuellement. Girod est un Suisse. Le mouvement patriote se définit donc comme civique et non ethnique. Ce qui permet de soutenir l’idée que le républicanisme des années 1830 était inclusif. Dans cette optique, fort est à parier que la biographie de Thomas Storrow Brown sera publiée sous peu ou encore une biographie française de Edmund Bailey O’Callaghan. Girod est allé en Amérique du Sud combattre auprès de Bolivar. Affirmation vraie ou fausse, l’auteur ne peut trancher formellement. Toutefois, cette affirmation a l’énorme avantage de bien positionner le Bas-Canada dans le contexte de l’américanité. Le Bas-Canada apparaît donc sous les traits d’une société américaine ouverte sur le monde et en butte contre la domination et l’asservissement d’une certaine élite au pouvoir colonial. Enfin, Bernard affirme que, si l’armée du Nord a perdu la bataille en décembre 1837, la faute en revient à l’indécision des notables locaux, présentés de manière assez négative, et non à ce visionnaire qui a offert sa vie pour la cause patriotique. Bref, il s’agit d’un ouvrage dont l’intérêt réside davantage au niveau historiographique qu’au niveau historique.