Note critique

Identité sexuée et pouvoirGenre et classe sociale, sexualité, citoyenneté, nation et colonialismeKathleen M. Brown, Good Wives, Nasty Wenches, and Anxious Patriarchs : Gender, Race and Power in Colonial Virginia (Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996) ;Catherine Hall, Civilising Subjects : Metropole and Colony in the British Imagination, 1830-1867 (Cambridge, Polity Press, 2002) ;Adele Perry, On the Edge of Empire : Gender, Race and the Making of British Columbia, 1849-1871 (Toronto, University of Toronto Press, 2001) ;Mary Louise Roberts, Disruptive Acts : The New Woman in Fin-de-Siècle France (Chicago, University of Chicago Press, 2002) ;Bonnie G. Smith, The Gender of History : Men, Women and Historical Practice (Cambridge, Harvard University Press, 1998) ;Angela Woolacott, To Try Her Fortune in London : Australian Women, Colonialism and Modernity (New York, Oxford University Press, 2001).[Notice]

  • Suzanne Morton

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  • Suzanne Morton
    Département d’histoire
    Université McGill
    Traduction : Pierre R. Desrosiers

Les historiens du genre ont noté depuis longtemps que les relations entre les sexes, ainsi que les manières de représenter l’un et l’autre, ne s’élaborent jamais indépendamment d’autres structures de pouvoir. D’abord concentré sur les notions de race et de classe sociale, ce rapport s’est désormais étendu au point où ces historiens doivent se pencher sur d’autres catégories d’analyse généralement reconnues comme autonomes, telle la sexualité, et jusqu’à maintenant considérées comme plus stables, telles la citoyenneté, la nation et la colonie. Nous nous attacherons ici à six importants ouvrages et nous verrons comment les historiens du genre abordent divers sujets qui étaient jadis l’apanage des historiens traditionnels. Chacun de ces livres dépasse de loin l’étude des genres et apporte une importante contribution à l’historiographie dans plusieurs domaines spécialisés. Les récents travaux anglo-américains sur le genre ont été marqués, est-il nécessaire de le rappeler, par une manière particulière de combiner des catégories d’analyse telles le sexe, la classe sociale, la race et la sexualité à la citoyenneté, la nation et le colonialisme. Les plus achevés de ces travaux regroupent les meilleurs éléments de la nouvelle histoire socioculturelle en associant pratiques et représentations et en créant de nouvelles avenues dans ce qui avait été le domaine de l’histoire politique et intellectuelle. Cela est particulièrement avéré, ces livres le montreront, de la « nouvelle histoire impériale ». Tous les ouvrages qui suivent étudient des hommes et des femmes qui négocient publiquement le pouvoir ; ils ne portent pas sur leur foyer ou sur leur soi-disant vie privée, sauf si l’un ou l’autre sont l’objet de critiques. Ils examinent plutôt en quoi le genre s’exprime et a contribué à la construction nationale, au processus colonial, à la compréhension de la race, de la culture et de l’historiographie elle-même. Tous placent l’identité sexuée au coeur des relations politiques, intellectuelles et sociales ; ils la considèrent, en matière de légitimation de l’autorité, comme un des facteurs ayant toujours formé des combinaisons compliquées avec d’autres catégories sociales apparentées, interconnectées et en constante évolution. Si le sexe a servi de moyen de légitimer et de naturaliser le pouvoir, il a aussi été un moyen d’exclure. Des définitions de la citoyenneté ont fait du sexe une des variables permettant de définir qui serait inclu ou exclu de la société politique et ces définitions ont fini par réifier des rôles et des attributs propres aux hommes et aux femmes. Tous les auteurs de ces ouvrages notent cependant que les représentations et les relations entre les sexes ne fonctionnent jamais en vase clos et qu’elles nous en disent autant sur la compréhension de la masculinité ou de la féminité que sur les arrangements ou les interprétations des classes sociales ou des populations autochtones. Le genre est culturellement signifiant dans la mesure où il se lie étroitement à d’autres thèmes et les définit. Alors que nous utilisons ce concept pour étudier comment il produit et reproduit les différences sexuelles et les fonctionnements de l’identité sexuée, le genre fonctionne toujours en conjonction avec d’autres rapports de pouvoir. La manière dont attributs ou traits caractéristiques en viennent à être considérés comme naturels crée les moyens par lesquels les relations du pouvoir politique sont « naturalisées », et cette naturalisation occulte ou dissimule des forces historiques et un choix culturel. Si ces auteurs insistent sur le fait que le pouvoir du genre ne s’exerce jamais en vase clos, ils soulignent aussi que ce pouvoir est toujours remis en question. Ils ont aussi en commun de vouloir identifier ou de nommer les lieux invisibles ou plus obscurs du pouvoir – spécialement l’appartenance à la race blanche. …

Parties annexes