Comptes rendus

GROULX, Lionel, Correspondance, 1894-1967. L’intellectuel et l’historien novices, tome III : 1909-1915 (Montréal, Fides, 2003), 1045 p. Édition critique par Giselle Huot, Juliette Lalonde-Rémillard et Pierre Trépanier.[Notice]

  • Yvan Lamonde

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  • Yvan Lamonde
    Département de lettre et littérature françaises
    Université McGill

Ce troisième volume (1909-1915) de l’édition de la correspondance de l’abbé Lionel Groulx s’intitule avec justesse « L’intellectuel et l’historien novices ». Constitué de 497 lettres de Groulx et de 683 autres retrouvées et adressées à Groulx (liste, p. 829-861), l’ouvrage comporte une substantielle introduction de 140 pages par Pierre Trépanier, une chronologie détaillée, des notices biographiques des correspondants, une imposante bibliographie et un index, nécessaire dans ce type d’étude pour retracer hommes et idées. La liste des principaux correspondants – les abbés Wilfrid Lebon, Émile Chartier, les pères Samuel Bellavance et Rodrigue-Marie Villeneuve, Mgr Émard, Henri Bourassa – annonce les grands sujets de préoccupation de Groulx durant ces années. La correspondance jette en effet un éclairage nouveau sur la naissance et les difficultés de croissance de l’ACJC à laquelle élèves et maîtres de collèges n’adhéraient pas facilement ; à ce sujet, le lecteur aurait espéré plus d’explications sur les formes et causes de résistance (p. 207, 216, 223, 226, 232, 458) à ce mouvement. Elle fournit aussi une rare occasion de voir comment, au début du siècle, un auteur peut publier et doit lui-même diffuser (p. 384-429) son ouvrage, en l’occurrence Une croisade d’adolescents, histoire de l’ACJC précisément que Groulx publie en 1912. Les lettres entre Groulx et Mgr Émard révèlent une partie des difficultés de Groulx avec son évêque, difficultés qui tiennent à son travail d’animateur, qui sera une des causes de son départ du collège de Valleyfield (par exemple, p. 723-726). L’historien novice, qui ira inaugurer en 1915 un enseignement minimal de l’histoire à l’Université Laval à Montréal, puis à l’Université de Montréal, aura d’abord été un professeur, un enseignant conscient « de l’enseignement défectueux de l’histoire canadienne » (p. 91) dans les collèges. Groulx se fera historien, coureur d’archives, auteur d’un manuel jamais publié mais fort achevé dans sa forme manuscrite (p. 132 et ss, 513- ). Pour Groulx, l’histoire est « une force patriotique » (p. 91) et la classe d’histoire « grave et précieuse comme une veillée d’armes » (p. 626). Il se fera donc le promoteur de l’enseignement de l’histoire canadienne dans sa correspondance avec Bourassa et d’autres (p. 471-474, 488-489, 509, n. 12, 521). La correspondance avec Bourassa (par exemple p. 649-650) apporte enfin du nouveau sur l’origine de la revue L’action française de Montréal dont Groulx voit dès 1915 l’urgente nécessité. L’introduction de P. Trépanier est importante à trois titres : l’inscription de Groulx dans le débat sur la définition de l’intellectuel au Québec, l’inclusion de la pensée de Groulx dans un concept – le traditionalisme – et l’apport remarquable de l’histoire d’une bibliothèque personnelle à la biographie intellectuelle de son propriétaire. Étant l’initiateur du débat sur la définition de l’intellectuel québécois et ayant nuancé dans l’ouvrage Auguste Viatte. Regards croisés entre le Jura, la Suisse romande et le Québec une première position à propos de l’intellectuel catholique, je comprends qu’on ne puisse parler de Groulx sans se demander s’il fut l’un de ces premiers intellectuels québécois. Le débat ici est de savoir si et comment l’intellectuel comme homme du culturel et du politique peut être l’homme du sacré, du culturel et du politique (p. 36). L’analyse de P. Trépanier est convaincante, mais non sans limites et sans questions. Les trois principes de Groulx – Dieu avant les hommes, la nationalité avant le parti, les principes avant le parti-pris et l’argent (p. 108) – valent pour l’intellectuel québécois, alors et par la suite. La seule variable dépendante est Dieu et elle implique quelque forme « d’obéissance » (p. 106, n. 430), tout comme la primauté du surnaturel sur …