Comptes rendus

BAILLARGEON, Denyse, Un Québec en mal d’enfants. La médicalisation de la maternité, 1910-1970 (Montréal, Éditions du remue-ménage, 2004), 373 p.[Notice]

  • Magda Fahrni

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  • Magda Fahrni
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

L’anecdote voulant que Montréal ait eu, jusqu’au début du xxe siècle, un taux de mortalité infantile plus élevé que celui de toute autre ville occidentale – se rapprochant de celui de Calcutta – est bien connue, souvent racontée aux étudiants afin de leur faire comprendre jusqu’à quel point la vie était précaire dans la ville industrialisée de la fin du xixe siècle. Partout dans le monde, et ce depuis longtemps, les taux de mortalité infantile et de mortalité maternelle sont utilisés comme indicateurs de la santé et du degré de « civilisation » d’une nation. Dans Un Québec en mal d’enfants, l’historienne Denyse Baillargeon se penche non seulement sur la réalité de la mortalité infantile au Québec entre 1910 et 1970, mais aussi sur la construction de cette réalité comme un problème par les médecins, les infirmières, les associations de femmes, le clergé catholique et les trois niveaux de l’État (fédéral, provincial et municipal). Elle y explore également les tentatives de solutions apportées par ces mêmes groupes, tentatives qui étaient partie intégrante du processus plus large de la médicalisation de la maternité au cours du xxe siècle. Ce livre érudit et fouillé, rédigé à partir de recherches exhaustives dans les sources, demeurera sans doute l’étude définitive de son sujet. Il contribue non seulement à l’histoire de la santé et à l’histoire des femmes, mais aussi à l’histoire politique du Québec. La médicalisation de la maternité – c’est-à-dire de la grossesse, de l’accouchement et de la petite enfance – est un sujet qui a déjà été abordé par d’autres chercheures explorant d’autres sociétés. Nous pensons par exemple aux travaux de Cynthia Comacchio sur l’Ontario, ou encore à ceux de Rima Apple sur les États-Unis. L’ouvrage de Baillargeon se situe carrément dans cette historiographie internationale, qui influence à la fois les questions posées et les conclusions tirées. Ce qui est nouveau dans son livre est l’accent mis sur le contexte québécois. À l’instar d’autres historiennes, Baillargeon insiste sur le fait que la maternité – phénomène supposément « naturel » – a une histoire, mais elle ajoute que cette histoire est « bien nationale ». En analysant la médicalisation de la maternité au cours du xxe siècle, ainsi que la résistance à ce processus, elle signale les parallèles avec ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, mais elle y décerne également une spécificité québécoise – et au sein du Québec, une spécificité franco-catholique. Après une introduction détaillée qui présente la problématique, l’historiographie pertinente, les sources dépouillées et le plan du livre, Un Québec en mal d’enfants commence par un chapitre sur l’ampleur des problèmes jumeaux de la mortalité infantile et de la mortalité maternelle au début du xxe siècle. Dans ce chapitre, intitulé « Une “mauvaise mère” nommée Québec », l’auteure démontre la « piètre figure » (p. 33) que faisait la province à comparer à ses voisins. Au sein du Québec, le taux de mortalité infantile était plus élevé chez les catholiques que chez les protestants et les juifs et, à partir des années 1930, plus élevé chez les catholiques francophones que chez leurs coreligionnaires anglophones. Les raisons données par Baillargeon pour le taux de mortalité infantile élevé et pour l’écart entre les taux respectifs des catholiques et des non-catholiques sont économiques, mais aussi culturelles : la pauvreté ; des installations sanitaires inadéquates ; l’éloignement de nombreuses femmes des médecins et des infirmières ; les manières respectives des catholiques et des protestants de colliger les statistiques et d’interpréter la catégorie « mort-né » ; le grand nombre d’enfants abandonnés dans les crèches ; et les …