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Voici un livre qui nous manquait : une synthèse sur l’histoire des religions au Canada. Certes, nous disposons d’ouvrages fort bien faits sur différentes confessions : catholique (Fay, Voisine), méthodiste (Airhart, Semple), presbytérienne (Moir), baptiste (Rawlyk), pour n’en nommer que quelques-uns. Mais il n’existait pas de synthèse et on comprend pourquoi : la tâche est quasi impossible et il faut un courage et des connaissances hors du commun pour l’entreprendre. Robert Choquette avait l’un et l’autre. Ses recherches antérieures et son enseignement l’ont bien préparé, qu’on pense aux conflits anglo-français en Ontario ou à son ouvrage sur les missions des oblats dans l’Ouest canadien, comparées avec celles des anglicans : il connaît bien les relations franco-anglaises, ainsi que catholiques-protestantes.

Comme Choquette nous a habitués à des perspectives de combat (The Oblate Assault…), on pouvait craindre qu’il se laisse aller ici à des jugements à l’emporte-pièce. Lui-même ne fait rien pour diminuer nos craintes dans son introduction. La première phrase annonce qu’il ne prônera aucune idéologie et la seconde affirme que la grande majorité des gens sont religieux. Il y a de quoi sursauter ! Et plus loin, l’auteur nous avertit qu’il ne se gênera pas pour proposer sweeping interpretations : on est sur le qui-vive. Mais, très tôt dans la lecture – et ce sentiment croît avec l’usage –, on s’aperçoit que le résultat est un franc succès, une synthèse remarquable et sûre, aux analyses pondérées.

Le plan de l’ouvrage m’a paru particulièrement réussi. Il est plus thématique que chronologique, mais l’équilibre est bien préservé entre les différentes époques : six chapitres pour les Amérindiens et la Nouvelle-France, six pour la période de 1760 à 1900 et six pour le xxe siècle. On ne peut demander mieux. Autre trait remarquable : le traitement réservé aux Amérindiens. Ils sont présents en force dans les premiers chapitres, comme on s’y attend, mais on les suit dans tous les chapitres suivants où leur présence le requiert, et on apprend beaucoup sur leur spiritualité et leur vécu religieux. Dans la même ligne, je soulignerais le traitement des religions autres que chrétiennes, que ce soit les religions orientales ou les mouvements religieux qui ont surgi aux xixe et xxe siècles : ils sont présentés dans les deux derniers chapitres avec une efficacité et une science qui représentent un véritable tour de force.

Ce qui m’a le plus frappé dans cet ouvrage, c’est le sens de la synthèse de l’auteur. Il s’adresse à un grand public, il explique tout (par exemple, les origines de chaque religion) avec un sens pédagogique remarquable, les jugements sont des plus équilibrés. Ce n’est pas que l’auteur n’a pas d’opinions ; au contraire, plusieurs analyses sont neuves et toujours, Choquette garde en vue le long terme, l’analyse de fond. On ne peut parler de tout, mais signalons, pour la deuxième moitié du xixe siècle, le rapprochement qu’il fait, dans un chapitre intitulé « La croisade évangélique », entre le mouvement évangélique chez les protestants et le mouvement ultramontain chez les catholiques. Le chapitre suivant analyse les oppositions à ces croisades : motivations sociales, intellectuelles, idéologiques et religieuses. Et c’est dans ce cadre qu’il présente la croisade de Louis Riel. Décidément, on ne s’ennuie pas avec Robert Choquette ! Le spécialiste pourra trouver à redire ; le généraliste s’instruira à toutes les pages. Ainsi, dans ce chapitre qui fait la synthèse de l’éducation confessionnelle, des origines à nos jours : Choquette introduit ici de fines nuances, par exemple, entre nonconfessional et non-denominational (je serais bien en peine de traduire ces expressions !). Le système confessionnel est parfaitement décortiqué. Un tableau présente les principales universités du Canada. Si j’ai pu comprendre qu’il ait omis Sir George Williams College en 1926, dont le nom est pourtant celui du fondateur du YMCA, je trouve plus surprenant l’omission de la très digne Université Laval en 1852 (quel tollé cela ne pourra-t-il pas susciter dans la Vieille Capitale !).

L’ouvrage comporte-t-il quelques lacunes ? Sur le contenu, j’en ai relevé une : il n’est pas fait mention de tout le mouvement missionnaire canadien, catholique ou protestant, vers l’extérieur du pays. Les notes, pas très substantielles, sont disparates et ne rendent guère service ; souvent, elles ne renvoient qu’à un autre chapitre. Dans les suggestions de lectures qui terminent chaque chapitre, on trouve bien les ouvrages les plus importants, mais souvent mal classés. Ainsi, on se demande ce que vient faire l’ouvrage de J. R. Miller sur les biens des jésuites dans le chapitre qui porte sur les « religions alternatives » (Mormons, Scientologie, Témoins de Jéhovah et tutti quanti). Signalons enfin quelques erreurs de détail : on parle de l’auteur français Chrestien Levesque qui pourrait bien être Chrestien LeClercq (p. 12) ; Marguerite Bourgeoys a été canonisée à Rome en 1982, et non au Canada en 1984 (p. 85, 133) ; à Lourdes, la Vierge n’est pas apparue à trois enfants (= Fatima), mais à Bernadette Soubirous (p. 247). On le voit : il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

En conclusion, je ne sais si j’exagère, mais je serais porté à qualifier cet ouvrage de parfait. Il est équilibré, optimiste, concis, instructif, bien présenté, sans aucune coquille. Sa couverture est invitante, il est bien illustré. L’auteur fait preuve d’une connaissance approfondie du sujet, de réflexions et d’agencements originaux ; ses opinions sont raisonnables. C’est une synthèse qui n’est pas près d’être dépassée.