Comptes rendus

HERON, Craig et Steve PENFOLD, The Workers’ Festival. A History of Labour Day in Canada (Toronto, University of Toronto Press, 2005), 340 p.[Notice]

  • Martin Petitclerc

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  • Martin Petitclerc
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Le premier chapitre du livre, qui en contient six, vise à retracer les origines culturelles de la fête du Travail. Heron et Penfold insistent sur les nombreux emprunts faits à l’égard des célébrations publiques victoriennes (Victoria Day, Dominion Day) et des célébrations catholiques comme la fête de la Saint-Jean-Baptiste qui auraient donné la structure culturelle de « respectabilité » à la fête du Travail à partir de la fin du xixe siècle. Dans le deuxième chapitre, les auteurs analysent les premières décennies de la fête du Travail, après sa reconnaissance officielle en 1894 jusqu’à la Première Guerre mondiale. C’est l’âge d’or du spectacle des travailleurs de métiers qui sont regroupés au sein des unions internationales américaines. Ce spectacle ordonné est profondément marqué par le souci de respectabilité et de reconnaissance sociale de ces travailleurs qualifiés qui désirent rappeler leur contribution au progrès industriel. Cette reconnaissance a toutefois un prix car le discours de la respectabilité trace des frontières artificielles à l’intérieur de la classe ouvrière, opposant notamment les travailleurs de métiers aux ouvriers sans qualification, aux femmes et aux immigrants. Les deux chapitres suivants s’intéressent moins aux producteurs du défilé qu’à la réception de ce dernier dans le public, que ce soit les spectateurs « ordinaires » ou les élites. Ces chapitres analysent ainsi les deux premières grandes menaces au projet initial de la fête du Travail : le développement d’une culture de consommation, favorisée par l’implication progressive des commerçants dans les défilés, et celui d’une culture des loisirs privés au sein des classes populaires qui se désintéressent progressivement de cette manifestation publique. L’apparition de fêtes du Travail concurrentes constitue la troisième grande menace au spectacle des travailleurs qualifiés. Le cinquième chapitre retrace ainsi le développement de la fête socialiste du 1er mai et de celle de Saint-Joseph des syndicats catholiques lors du dimanche qui précède le premier lundi de septembre. Par le biais de ce chapitre, les auteurs affinent ainsi leur analyse des tensions qui traversent la classe ouvrière pendant tout le xxe siècle. Quant à la fête du Travail du mois de septembre, le sixième chapitre montre qu’elle n’est plus, dans les dernières décennies du xxe siècle, qu’une simple journée de congé qui marque la fin des vacances, un « festival du magasinage » qui sert de prétexte aux grands magasins pour écouler leurs marchandises d’été. Toutes ces tendances expliquent pourquoi on cesse, malgré de brefs sursauts de militantisme au tournant des années 1920 et au milieu des années 1940, de défiler lors de la fête du Travail. Seules les villes de Toronto et Hamilton ont réussi, quoique très difficilement, à conserver cette tradition de la célébration publique du premier lundi de septembre. Heron et Penfold réussissent très bien à confronter le projet initial de la fête des travailleurs de métiers aux tensions apportées par les conflits de classes, de genres et de « races » à l’intérieur comme à l’extérieur de la classe ouvrière. De plus, le fil argumentaire du développement de la culture de consommation, et de son effet délétère sur l’espace public, permet d’ajouter une dimension analytique qui élargit vraiment les horizons de cette recherche. Il en ressort une étude très originale, passionnante, qui suscite chez le lecteur de nombreuses réflexions. Parmi celles-ci, j’aimerais m’attarder au concept de respectabilité, un concept polysémique qui désigne un ensemble de normes associées à l’homme-pourvoyeur blanc – ordre, sobriété, prévoyance, etc.- qui dicte les comportements autant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Plutôt que de venir enrichir une réflexion déjà fort nuancée sur l’expérience ouvrière du défilé, il me …