Note critique

Réplique de Donald Fyson[Notice]

  • Donald Fyson

Je remercie Jean-Marie Fecteau pour sa critique si approfondie de mon livre. Ses réflexions stimulantes sur la nature fondamentale de l’historiographie québécoise, canadienne et occidentale (par exemple, quant à l’importance ou non de la démonstration empirique ; la possibilité de reconstituer de manière empathique la pensée et le vécu des acteurs historiques ; la pertinence analytique de l’histoire du quotidien) mériteraient un débat de fond, qui ne pourra se faire dans le cadre restreint de cette réplique. Je me limiterai donc, plus modestement, à répondre aux trois « apories » principales reprochées à la fois à mon livre et à l’historiographie en général. Prenons d’abord les « figures imposées de l’analyse historique ». J’admets volontiers qu’une analyse structurelle de l’histoire du Québec ne saurait se limiter à la classe, au genre et à la race, car l’ethnie est un facteur aussi sinon plus structurant. D’ailleurs, en parlant des « structural biases built into the fabric of society », je précise que « ethnicity is the most evident of these in a colonized society. » (p. 290) L’ethnie est un facteur explicatif tellement important dans l’histoire du Québec qu’on la retrouve à travers mes analyses, non seulement des juges de paix, mais aussi de la police et des justiciables, et ce, bien au-delà des simples « statistiques de participation ou de recours à l’appareil ». On ne peut donc vraiment pas dire de mon étude que « les rapports de domination d’ordre ethnique n’ont pas droit à un tel traitement systématique », car ils forment l’une de ses trames de base, bien plus que la classe ou le genre. Les bémols que j’émets quant à l’influence de l’ethnie sur les rapports justice-société sont davantage en réaction à des déclarations comme : « Tout se passe comme si la justice du roi s’abattait surtout sur ses anciens sujets, se réservant la faculté, par moments, de faire des exemples parmi les nouveaux sujets francophones », ou encore : « post-conquest Quebec witnessed a boycott of the criminal justice system by its pre-conquest inhabitants », affirmations que mes recherches empiriques m’ont amené à revoir. Plus fondamentalement, mon insistance sur la classe, le genre et la race, comme celle de bien d’autres historiens, n’est qu’un effort toujours nécessaire de rééquilibrer une historiographie québécoise qui, trop souvent (j’exclus ici Jean-Marie Fecteau), a retenu l’ethnie comme unique facteur déterminant. Qu’on pense aux travaux influents d’André Morel, qui a formé des générations d’avocats à l’Université de Montréal et ne voyait que le conflit ethnique dans ses analyses du droit et de la justice sous le Régime britannique. Qu’on lise l’article « Histoire du Québec » dans Wikipedia, section « Le Régime britannique (1763-1867) », qui ne présente que les rapports ethniques. Qu’on parcoure le sommaire historique sur le site Web du ministère de la Justice, qui, pour la période 1763-1774, affirme que « le trait marquant de cette période demeure l’exclusion des “Canadiens” des postes clés dans le domaine de la gestion », mais ne fait aucune mention de classe, de genre ou de race. Sans parler de la vision ethnocentrique de cette période souvent véhiculée par la presse. Chercher à comprendre l’influence relative de la classe, du genre, de la race, ou encore de l’âge et de l’orientation sexuelle, sans pour autant négliger le facteur ethnique, n’est nullement se vautrer dans une complaisance quelconque. Il s’agit au contraire de combattre sans relâche, dans nos écrits, nos cours et nos interventions publiques, l’ignorance et l’aveuglement résultant d’une conception étriquée du sens même du passé québécois où tout est ramené à cet éternel combat national manichéen entre Français et …

Parties annexes