Comptes rendus

MEUNIER, E.-Martin et Joseph Yvon THÉRIAULT, dir., Les impasses de la mémoire : histoire, filiation, nation et religion (Montréal, Fides, 2007), 388 p.[Notice]

  • Patrice Groulx

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  • Patrice Groulx
    Département d’histoire, Université Laval

Comme on doit s’y attendre pour les recueils d’articles tirés de colloques, celui-ci présente une image éclatée du thème de la mémoire sociale dans le contexte du Québec francophone. Je me concentrerai donc sur les textes qui problématisent le mieux, à mon avis, les intersections de l’histoire et de la mémoire. L’objectif global de l’ouvrage est de s’interroger sur la mémoire à « entretenir pour que nos sociétés puissent continuer à produire un sens transcendant » qui inspire aussi bien les institutions que les personnes (p. 13). Le livre est découpé en quatre sections où la mémoire est confrontée tour à tour à l’histoire, à la filiation, à la nation et à la religion. Le titre du recueil et l’image de la couverture (la reproduction d’un tableau de Jean-Paul Lemieux, Le visiteur du soir, montrant un vaste horizon de neige écrasé par un ciel de plomb et que barre la masse d’un prêtre sans visage) nous situent dans l’immobilité sociale instaurée par le « présentisme ». La première phrase de l’introduction (Daniel Tanguay) résume les impasses en question : « La clé de l’engouement contemporain pour la mémoire se trouve dans notre incapacité de donner un visage à notre avenir. » (p. 15) L’historiographie est partie prenante de ce problème, parce que sa « réflexion […] sur elle-même conduit en effet à l’affirmation selon laquelle le passé est toujours le fruit d’une reconstruction à partir du présent et que l’histoire elle-même comme science est le fruit d’une reconstruction relative à un état donné de la conscience historique » (p. 22). Si on adhère à cette thèse, on peut croire que l’historiographie est à la fois la victime et un agent de l’aplatissement de la conscience du temps. Comme cette discipline a la prétention de rendre la durée intelligible pour la société et, ainsi, de suturer le passé et l’avenir, il serait de sa responsabilité, je présume, de contribuer à nous sortir de notre mélancolie postmoderne. Mais lorsqu’ils abordent spécifiquement le rapport entre l’histoire, la mémoire et la société, la plupart des auteurs laissent l’impression que l’historiographie est incapable de relever le défi du rapport à la mémoire. C’est probablement dû à une posture conceptuelle. Même si plusieurs définitions implicites de la mémoire et de l’histoire se côtoient ici, la plupart reposent sur la grande opposition que Maurice Halbwachs a dessinée, dans La mémoire collective, entre la mémoire vivante portée par la société et celle cadavérique élaborée par l’histoire. Le présentisme serait la toile de fond sur laquelle se détache cette polarité. Dans son article sur l’histoire sociale de la mémoire, François Dosse propose une critique de cette opposition devenue canonique. Nous vivrions dans l’illusion présentiste que la société n’ayant plus de projet, l’histoire n’a plus rien à lui apprendre. La réalité construite dans l’action montre le contraire, répond Dosse. « La logique même de l’action maintient ouvert le champ des possibles. La fonction de l’histoire reste vive. L’histoire n’est pas orpheline, comme on le croit, à condition de répondre aux exigences de l’agir. » (p. 47) (En passant, l’auteur actualise ici un article paru en 1998 sous le même titre. Il a ajouté une discussion sur le dernier ouvrage de Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), et plusieurs autres réflexions nouvelles. Il a changé l’ordre des paragraphes pour mieux traduire sa pensée actuelle, mais le bricolage saute aux yeux lorsque le paragraphe que je viens de citer se retrouve à nouveau tout à la fin de l’article. Va pour la réutilisation des textes, qui montre que les bonnes idées ont une durée de vie appréciable, mais à …