Comptes rendus

ROBY, Yves, Histoire d’un rêve brisé ? Les Canadiens français aux États-Unis (Sillery, Septentrion, 2007), 148 p.[Notice]

  • Sylvie Beaudreau

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  • Sylvie Beaudreau
    Département d’histoire, State University of New York at Plattsburgh

Ce livre pourrait porter le titre Pour en finir avec les Franco-Américains. La plus récente publication d’Yves Roby consiste en six articles qui ont déjà été publiés dans d’autres collections. En les rassemblant dans un volume, Roby donne l’impression que ces textes constituent une dernière réflexion sur le sujet auquel il a dédié sa carrière plus que n’importe quel autre historien québécois. On retrouve ici le maître chercheur et l’artiste qui s’expriment dans un langage évocateur. L’auteur trace l’histoire de la croissance et du déclin ultime de la communauté d’émigrants canadiens-français qu’on a nommée Franco-Américains. On se demanderait peut-être pourquoi et comment cette communauté déjà si vivante a, à toutes fins utiles, totalement disparu du radar culturel des États-Unis. Les Américains d’origine irlandaise ont développé, depuis leur arrivée sur la terre d’exil, un sens assez distinct de leur identité irlando-américaine. Il en va ainsi pour les citoyens d’origine italienne, que cela soit par la nourriture, les fêtes de rues ou par la culture de masse, comme le cinglant succès de la série télévisée Les Sopranos. Les Italiens-Américains ont maintenu une sorte d’identité ethnique qui symbolise, tant bien que mal, la culture de leurs ancêtres de l’Italie. En même temps, ils contribuent à la culture populaire des États-Unis. Ils forment une communauté reconnaissable. On pourrait se demander pourquoi les Canadiens français, eux, n’ont pu sauvegarder aucun sens de leur identité, et semblent avoir été oblitérés de la scène culturelle américaine. Pourquoi se sont-ils complètement fondus dans le melting pot américain au point de disparaître ? Ce dernier livre de Yves Roby fournit des réponses à ces questions. Si l’on prend une vue d’ensemble, ce qui ressort de ces essais, c’est le thème persistant du conflit entre les soi-disant « élites » clérico-nationales, qui ont lutté pour la survivance culturelle de cette communauté d’individus venant du Canada, et la « masse » de ces émigrants, qui étaient poussés à prendre des décisions importantes, non pas par considérations culturelles ou idéologiques, mais pour des raisons d’ordre pratique. Dans le premier chapitre, intitulé « Partir pour les États », Roby nous fournit les données nécessaires pour comprendre comment les Canadiens français fuyaient la pauvreté et que les vagues de départs étaient hautement reliées aux fluctuations cycliques de l’économie nord-américaine. Il établit que cette migration, au départ temporaire, devient avec les années permanente, que c’est par « grappes familiales » que les départs se font, et que ce processus de migration en chaîne amène des familles étendues, et parfois des paroisses entières, à favoriser certains centres industriels américains. Chose intéressante, il note qu’en raison des fameux « encombre-ment[s] des professions libérales », ce mouvement migratoire comptait aussi des individus de classe moyenne, un groupe d’émigrants qu’il caractérise de « chômeurs instruits ». Ainsi, le Canada français a exporté non seulement des individus d’origine humble qui allaient travailler comme manoeuvres dans les usines de textiles du nord-est, mais aussi un groupe instruit et lettré capable de former une petite bourgeoisie, c’est-à-dire une élite. Le deuxième chapitre porte un regard sur la centralité de la paroisse nationale sur la survivance culturelle des Franco-Américains. Roby établit que pour ce groupe d’expatriés et pour leurs descendants immédiats, c’est la paroisse qui constituait une sorte de « petite patrie », un havre du catholicisme franco-canadien dans un pays majoritairement protestant et anglophone. C’est par la paroisse nationale que l’élite cléricale de la Nouvelle-Angleterre a pu assurer la survie de la langue française et du catholicisme pratiqué dans le pays d’origine. C’est par l’entremise des prêtres, des religieuses, des églises et des institutions paroissiales qu’un réseau, une sorte de …