Débat

Le concept d’identitéRéplique aux professeurs Beauchemin et Létourneau[Notice]

  • Thierry Nootens

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  • Thierry Nootens
    Département des sciences humaines, Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), Université du Québec à Trois-Rivières

J’aimerais remercier les professeurs Beauchemin et Létourneau d’avoir répondu à mon texte. Cet article voulait soulever un débat au sujet de la notion d’identité, en identifiant certaines données qui en ont fait une mode en histoire et en soulignant les apories théoriques qui, à mon sens, l’accompagnent. Ces deux auteurs étaient interpellés en début de texte, en tant qu’utilisateurs de cette notion dans le cadre de leurs essais politiques et historiques. Les lecteurs de la Revue d’histoire de l’Amérique française ont eu l’occasion de mesurer la différence profonde qui sépare les argumentaires des deux chercheurs, cela sans parler de leur ton. La thèse de Jacques Beauchemin ne se situe pas du tout sur le même plan que les idées défendues par Jocelyn Létourneau. Ce dernier a soutenu la thèse d’un éclatement identitaire du sujet contemporain lui-même (ce « caméléon ») et applique simultanément une lecture éclatée au passé, dont il faudrait saisir les « labilités », les « permutations », etc. Jacques Beauchemin, quant à lui, s’est penché sur l’éclatement du champ politique québécois contemporain. Cet éclatement résulterait d’un pluralisme identitaire se manifestant de temps à autre dans l’espace public, par le biais de divers regroupements revendicateurs. Le texte de Jacques Beauchemin a le mérite d’être franc et de faire un travail épistémologique de fond. Il aborde la très grande complexité des rapports entre théorie, terrain et temps présent. Le sociologue de l’Université du Québec à Montréal reconnaît que l’élaboration théorique de l’identité doit être approfondie. Notamment, je ne conteste pas la partie « qu’est-ce qu’un concept » offerte par monsieur Beauchemin. D’ailleurs, une bonne part de mon article était consacrée à la démonstration que l’identité, telle que développée dans bien des travaux (surtout en histoire), ne peut, du fait des postulats qu’on lui adjoint explicitement ou implicitement, répondre à ces exigences. Les concepts souffrent nécessairement d’une certaine mollesse ou approximation, puisqu’ils viennent subsumer le « réel ». Mais cela ne les rend pas aussi utiles les uns que les autres, sur le plan heuristique. Les questions posées au professeur Beauchemin dans mon article demeurent : si le concept est lacunaire et vague, comment lui reconnaître une puissance heuristique ? Et si des groupes mènent des revendications politiques pour être reconnus ou recevoir réparation, doit-on s’étonner qu’ils fassent ressortir ce qui les singularise ? Leur action empruntera cette voie, c’est certain. Je voudrais formuler deux remarques à la suite de ma lecture de la réponse de monsieur Beauchemin. Elles concernent un léger télescopage entre théorie et empirie et le fait que cette fragmentation identitaire du champ politique actuel n’est probablement pas aussi profonde qu’il le laisse entendre. J. Beauchemin a pris soin, dans sa réplique, d’attribuer à une certaine logique proprement disciplinaire le recul de la « […] théorisation des grands procès d’institutionnalisation de la société […] » et le crédit dont jouit le terme d’identité. Par contre, son propos oscille entre : Bien que ces deux pôles (logique propre des champs disciplinaires ; théorie alimentée par le terrain) entretiennent des liens étroits, ce n’est cependant pas exactement la même chose. Jacques Beauchemin écrit : Nous sommes d’accord là-dessus. Évidemment, les sciences sociales sont nourries par les transformations contemporaines. Pour parler de ma discipline, les cours d’épistémologie historique enseignent tous que « l’histoire est fille de son temps ». Ce temps, néanmoins, n’est pas son maquereau. Sans vouloir chercher noise indûment à Jacques Beauchemin, car ce n’est là qu’une partie de sa réplique, disons qu’il est possible de formuler des réserves en regard de cet aspect précis de son argumentation. Une question brute : si la société est davantage plurale …

Parties annexes