Comptes rendus

Bock, Michel et François Charbonneau (dir.), Le siècle du Règlement 17. Regards sur une crise scolaire et nationale, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2015, 460 pages[Notice]

  • Joel Belliveau

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  • Joel Belliveau
    Université Laurentienne

Nous avons tous déjà lu des ouvrages collectifs dont le fil conducteur ne tenait… qu’à un fil. Un thème flou, une période historique, un concept équivoque servent parfois de prétexte pour l’édition d’ouvrages qui n’ont, en fin de compte, que peu de cohérence. Même dans les meilleurs des cas, un ouvrage collectif ne peut avoir l’unité – de style, de ton, de structure – d’une monographie. Toutefois, à l’occasion, ce genre d’ouvrage peut malgré tout, au prix de quelques chevauchements et redondances, surpasser même les meilleures monographies grâce à un cumul de points de vue et d’érudition. C’est le cas ici. Aucun individu solitaire n’aurait pu écrire Le siècle du Règlement 17, qui représente une contribution majeure aux historiographies canadienne et québécoise autant qu’à l’histoire franco-ontarienne. Tel que le laisse deviner le titre, ce collectif nous présente le Règlement 17 avant tout sous l’angle d’une crise nationale. L’analyse des rebondissements, tenants et aboutissants de l’ultime crise scolaire postconfédérale, qui a cours en Ontario de 1912 à 1927, permet de disséquer le climat politique, idéologique et culturel de l’heure avec une rare finesse. Véritable prisme à réfraction, l’événement permet de départager, de situer et de mettre en relief les sensibilités de nombreux groupes : des anglo-protestants orangistes aux plus modérés (Sylvie Lacombe, Geneviève Richer, Hans-Jürgen Lüsebrink, François Charbonneau), des Canadiens français les plus pragmatiques aux nationalistes les plus orthodoxes (au Québec comme en Ontario – Pierre Anctil, Damien-Claude Bélanger, Michel Bock, Geneviève Richer, Jack Cecilion), en passant par les catholiques anglophones de l’Ontario (Jean-Philippe Croteau, Jack Cecilion). L’épisode sert aussi admirablement à illustrer le fonctionnement et la culture de nombreuses institutions de l’époque, tant étatiques – le Parlement, la fédération et le système judiciaire (François Charbonneau, Pierre Foucher) –, que communautaires – l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (ACFÉO), l’Université d’Ottawa, une société de secours mutuel, une salle de spectacle (Serge Dupuis, Gratien Allaire, Pierrick Labbé, Hélène Beauchamp). Pourquoi cette crise est-elle en mesure de révéler tant de choses ? Malgré son intensité, on arrive à la conclusion que ce n’est pas tant en raison de son importance que parce qu’elle survient à un moment charnière à plusieurs égards. Durant ces 15 ans, que de transitions ! L’impérialisme britano-canadien a reculé devant une identité canadienne aux contours encore incertains, mais plus accommodante de la différence canadienne-française. Les Canadiens français ont remis en question leurs certitudes ultramontaines quant à l’unicité de la langue et de la foi, alors que l’Église a commencé à se détourner de la question nationale pour s’intéresser toujours davantage au social. Le pays entier a voulu tourner la page aux horreurs de la Grande Guerre pour profiter de la paix et de la prospérité relative des années 1920. Partout en Occident, les gouvernements parachevaient la standardisation de leurs systèmes d’éducation. Le Règlement 17 s’inscrivant au coeur de chacune de ces problématiques, il a alimenté des débats qui permettent de saisir le zeitgeist de cette ère révolue dont nous sommes néanmoins les héritiers. La première des cinq parties du livre regroupe quatre textes explorant « l’école franco-ontarienne et l’opinion anglo-canadienne ». La contribution la plus substantielle est sans doute celle de Jean-Philippe Croteau qui, en opérant un croisement entre l’histoire franco-ontarienne, l’histoire irlando-canadienne et l’histoire de l’éducation, montre avec brio que l’élite anglo-catholique de la province était moins motivée par un chauvinisme anti-français que par ses ambitions de gagner en respectabilité aux yeux du gouvernement. Pour sa part, le texte de Hans-Jürgen Lüsebrink nous fait découvrir l’oeuvre de William Henry Moore, un des rares anglo-protestants ayant énergiquement dénoncé le Règlement 17. Chemin faisant, il nous permet de mieux comprendre …